Tout a déjà été dit sur ce très solide western, métaphore bien sentie du maccarthysme dans laquelle un homme, Gary Cooper, se retrouve seul et abandonné de tous pour affronter un terrible criminel venu régler ses comptes avec celui qui l'a envoyé en prison cinq ans plus tôt. Tout, ou presque... Même les plus grands classiques du cinéma ont leurs faux raccords, leurs erreurs de montage, leurs gaffes de tournage et autres couacs en tous genres bien visibles à l'écran. Généralement, ces goofs sont autant d'anecdotes que les cinéphiles se plaisent à repérer, à raconter et à analyser. Finalement, ils participent pleinement à la légende de ces films. Le fameux western de Fred Zinnemann n'échappe pas à la règle, mais je dois vous avouer que je ne m'attendais tout de même pas à un tel festival de goofs !
On le sait, un film n’est jamais tourné dans l’ordre chronologique de sa narration. La scène d'introduction peut ainsi être mise en boîte le dernier jour d'un tournage, par commodité logistique, pour s'adapter à l'emploi du temps surchargé de la star, ou que sais-je. Pour éviter les erreurs dans la continuité de l'action, et même entre les raccords au sein de chaque scène, on a donc recours à une script-girl docile et, si possible, agréable à l’œil, qui note sur un calepin Rhoda tous les petits détails à respecter : de l'état de délabrement du blue-jean de monsieur jusqu'à la coiffure défraîchie de madame, en passant par les auréoles de sueur sous les aisselles de chaque personnage. Celle qui officiait sur le film de Fred Zinnemann a dû être distraite, à moins qu'il ne s'agisse d'un coup monté par des techniciens bien décidés à saboter un film écrit par un scénariste au passé écarlate de militant communiste... Tandis qu'à l'écran, Gary Cooper était délaissé par tout le monde et se retrouvait seul face à de sérieux ennuis, en coulisse, le réalisateur devait compter dans ses rangs des traîtres sans scrupules, des chasseurs de sorcières prêts à tout pour gâcher un film pas assez américain à leur goût, dont le scénario était donc signé Carol Foreman, placé sur la liste noire peu de temps après. Ces erreurs de tournage sont ici d'autant plus facile à repérer que l'action se déroule en temps réel, en continu. Cela aurait dû nécessiter une vigilance de chaque instant de la part de l'ensemble des techniciens impliqués, comme c'était le cas pour la série 24 : le tournage d'une saison s'étalant pendant des mois, ses producteurs n'hésitaient pas à engager de sacrés moyens pour que la continuité soit toujours respectée, avec par exemple des coiffeurs-visagistes qui avaient pour seule mission de veiller à ce que la barbe de trois jours de Kiefer Sutherland ne bouge pas d'un poil tout au long de sa journée de dingue.
Dans Le Train sifflera trois fois, les goofs les plus dommageables concernent surtout la fameuse étoile de shérif que porte fièrement Gary Cooper tout au long du film : elle n’est jamais épinglée sur sa chemise de la même façon d’un plan à l’autre ! Elle penche vers la gauche, vers la droite, est épinglée plus haut, plus bas, et il y a même un plan où elle est absente ! Rien de très grave, me direz-vous, mais c'est un peu plus gênant quand cette étoile de shérif se retrouve épinglée à la poche arrière de son futal dégueulasse, c'est-à-dire plantée sur le gros cul de Gary Cooper, lors d'un plan hautement symbolique où nous le voyons déambuler, avec sa démarche inimitable, dans la rue principale, désespéré et seul au monde, alors que l'arrivée du train approche. C'est un pur moment de cinéma que l'on a traîné dans le ridicule ! Et comment cet acteur mythique a-t-il pu ne pas s'en rendre compte ? Connu pour son perfectionnisme et son souci du détail exaspérant, le grand Gary Cooper devait être totalement impuissant face à la détermination des capitalistes forcenés qui avaient pour seul but de gâcher ce film. L'Histoire a heureusement démontré leur échec, même si ce film divise encore les cinéphiles. Certains fustigent sa simplicité. D'autres, que je rejoins sans toutefois crier au chef d’œuvre, trouvent son statut tout à fait justifié, mettent en avant sa valeur historique et ses belles qualités, notamment son intensité allant crescendo. Enfin, je terminerai mon modeste billet par cette question que j'adresse à vous tous, cinéphiles de tous poils : comment parvenez-vous à lire les sous-titres des dialogues de Grace Kelly ? J'en suis tout bonnement incapable. Il m'est impossible de quitter des yeux son si gracieux visage quand il apparaît à l'écran.
Le Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann avec Gary Cooper, Grace Kelly, Katy Jurado, Thomas Mitchell, Lloyd Bridges et Lon Chaney Jr. (1952)