Décidément James Gray ne déçoit pas. Son dernier film en date est, c'est bête à dire mais vrai, un plaisir. Assez simple d'aspect, sans grands effets de manche ou surprises flagrantes, d'un classicisme évident, caractéristique du cinéaste, dans le même temps d'une grande beauté et d'une grande force, The Lost City of Z fait le portrait de Percy Fawcett (impeccablement interprété par Charlie Hunnam), un colonel d'armée irlandais, jeune père de famille et héritier d'un nom en disgrâce auprès de la noblesse britannique, envoyé au début du 20ème siècle par la Société Géographique Royale d'Angleterre en Amérique du sud pour cartographier la frontière entre le Brésil et la Bolivie, pour finalement y découvrir avec passion, bientôt jusqu'à l'obsession, les vestiges d'une civilisation perdue.
On est si bien dans ce film qu'on aimerait qu'il dure encore et encore, malgré le côté éventuellement répétitif des allers et retours de Fawcett entre l'Europe et l'Amérique du sud (ce serait sans compter sur le talent de conteur de Gray, y compris pour confronter l'exploration de la jungle du Nouveau Monde aux ravages de la guerre des tranchées dans les terres rasées de la vieille Europe). Certains éléments auraient d'ailleurs mérité d'être plus creusés, au détriment d'autres comme la querelle avec James Murray (Angus MacFadyen), membre de la société de géographie, ventripotent et lâche, prêt à suivre la troupe de Fawcett pour la trahir sans vergogne.
Je pense par exemple à l'instant où Fawcett découvre pour la première fois les traces de la civilisation Maya, près de la cascade que ses hommes et lui atteignent lorsqu'ils touchent au but de leur quête initiale. Idem pour la rencontre avec le peuple Guarani, pour la relation avec Henry Costin (Robert Pattinson), ou celle qui unit Percy à son épouse, certes déjà passionnante dans la très belle scène où Nina (Sienna Miller) se plaint de ne pas pouvoir partir à l'aventure à son tour. On aurait même pu souhaiter que James Gray se dégage un rien de tout souci de vraisemblance historique pour embrasser la fiction en libérant la femme de Fawcett du joug de son temps pour l'envoyer sur le terrain comme elle le souhaitait ; même si le cinéaste lui fait cette promesse dans l'ultime et magnifique plan du film.
Il est permis en effet de reprocher un manque d'ampleur, de tension, ou de folie, à James Gray. Y compris dans la relation qu'il fait de l'exploration au cœur d'une nature hostile, dans la jungle habitée par les peuplades indiennes ou sur le fleuve que longent les cartographes. Mais le film fait déjà énormément, évidemment, penser, entre autres, à Aguirre, et Gray, évitant de tomber dans le pastiche ou la redite, semble s'appuyer sur notre mémoire de Joseph Conrad ou Werner Herzog, et n'a pas besoin d'en faire beaucoup plus pour qu'on sache de quoi il parle et qu'on le traverse malgré tout.
Le film est habité par ces récits et peut donc plus sûrement dresser le portrait de son personnage obsessionnel, fasciné par l'objet de ses recherches jusqu'à une forme de folie, au point de délaisser puis d'embarquer sa famille, ce personnage souvent coupable que le cinéaste ne soumet jamais à un jugement simpliste, préférant nous questionner sur son comportement et nous communiquer quelque chose de sa passion, de sa curiosité à toute épreuve, de sa soif d'en savoir plus. Car la plus grande force de The Lost City of Z est certainement là, liée à ce que l'on avait d'abord pris pour un défaut : ces manques, ces envies d'en voir plus évoquées plus haut, ces fantasmes de scènes, de récits, d'aventures qu'il sait susciter.
The Lost City of Z de James Gray avec Charlie Hunnam, Robert Pattinson et Sienna Miller (2017)