Tourné en 1963, Les Vertes années est le premier jalon de la filmographie de Paulo Rocha, cinéaste portugais qui fut, avant de réaliser ses propres films, l'assistant réalisateur de Jean Renoir ou Manoel de Oliveira (auquel il consacra un épisode de la série Cinéastes de notre temps, ainsi qu'à Shohei Imamura). Assez oublié aujourd'hui, ce premier film est pourtant très beau. Lointainement inspiré du cinéma de la Nouvelle Vague, Os Verdes Anos raconte les débuts pas simples d'une relation amoureuse unissant Julio (Rui Gomes), un garçon venu s'installer à Lisbonne, près de son oncle, pour y apprendre à devenir cordonnier, et Ilda (Isabel Ruth), domestique d'une famille bourgeoise amenée à rendre visite à Julio régulièrement pour lui faire réparer les dizaines de paires de chaussures de sa riche maîtresse.
Le film est aussi, à travers cette idylle, l'histoire d'une ville, Lisbonne, comme le pose d'emblée la voix off dite par l'oncle de Julio. Paulo Rocha filme la ville et sa banlieue, faite de masures perdues à flancs de collines. Qu'ils se trouvent dans cet entre-deux, cette frontière indéfinissable entre ville et campagne, déambulant parmi les oliviers, ou au de cœur de la cité, Rocha filme les amants dans ces espaces et noue un lien très fort entre eux et le paysage qui les accueille. Ilda réagit par exemple à la demande en mariage de Julio en sortant du cadre dessiné par les branchages d'un arbre pour s'insérer dans un autre, juste à côté, forçant la caméra au décadrage. En ville, quand ils se racontent l'un l'autre les mésaventures et les projets avortés qui sont ceux de leur âge (Julio ne pouvant plus supporter son oncle, Ilda regrettant de ne pas avoir les talents de sa mère disparue, tous deux évoquant un futur encore à construire), nous les voyons tour à tour, au moment où ils devraient écouter et réagir aux propos de l'autre, déchiffrer une affiche ou essayer de voir à travers une vitre, ne pensant chacun qu'à soi dans un décor urbain qui fait obstacle, les cloisonne, les renvoie constamment à eux-mêmes et à leurs inquiétudes.
Deux séquences sont particulièrement touchantes. Celle, dans le maquis bordant la ville, où Ilda et Julio, se promenant pour la première fois, déambulent parmi les taillis et les oliviers et sont interpellés par des gens du coin qui traquent des oiseaux de la race des inséparables. Et celle où Ilda emmène Julio chez ses patrons, absents, puis essaye pour lui les robes et les chaussures de sa maîtresse dans un défilé improvisé, transgressif, chastement érotique.
Deux séquences sont particulièrement touchantes. Celle, dans le maquis bordant la ville, où Ilda et Julio, se promenant pour la première fois, déambulent parmi les taillis et les oliviers et sont interpellés par des gens du coin qui traquent des oiseaux de la race des inséparables. Et celle où Ilda emmène Julio chez ses patrons, absents, puis essaye pour lui les robes et les chaussures de sa maîtresse dans un défilé improvisé, transgressif, chastement érotique.
Quand il se veut symboliste, Rocha échappe encore à toute lourdeur, par exemple dans la séquence où un chandail offert par l'oncle de Julio à Ilda devient l'objet des tiraillements entre les deux jeunes gens, finissant jeté du haut d'une crête pour ensuite être récupéré, à quatre mains, dans une vaste flaque du quasi-bidonville jouxtant Lisbonne. Tout en subtilité, avec quelques touches d'humour bienvenues, Rocha montre le poids que la transition entre deux époques peut avoir sur les jeunes, et sur les jeunes femmes en particulier, quand Ilda est méprisée pour une simple danse accordée à un inconnu, sans parler du dernier acte du film, aussi surprenant que terrible. Porté par une belle musique de Carlos Paredes (qui a la bonne idée d'être belle, car elle est très présente !), Les Vertes années est un récit d'apprentissage finement ciselé et émouvant qui mériterait amplement d'être redécouvert.
Les Vertes années de Paulo Rocha avec Rui Gomes et Isabel Ruth (1963)