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Channel: Il a osé !
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Open Range

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 /Dossier #11 - Western/

Scission dans les bureaux de la rédac' d'Il a osé ! D'un côté, une admiration sans borne pour le travail formel réalisé et interprété par Kevin "Counterbass" Costner ; de l'autre, une aversion viscérale envers un film trop long, trop chiant, trop pluvieux. D'un côté, on est allé voir le film au cinoche dans des conditions idéales (l'oeuvre de Costner ne supportant pas la miniaturisation) : écran géant, pop-corn à la sortie, fauteuils moelleux, personnes âgées conscientes d'une mort proche et qui avaient donc décidé "d'en profiter". De l'autre côté, un canapé en bois, une main forcée, une tête rivée devant un écran face aux supplications de son colocataire pour regarder "das masterpiece" sur un écran 4/3 de 35cm de diagonale devant lequel il est bien difficile d'appréhender les grands espaces sublimés par Costner et d'imaginer des bisons galopant sur ce petite tube cathodique. Bref, une partie d'entre nous est peut-être passée à côté du film de Costner tandis qu'une autre a vraisemblablement surestimé les qualités de ce western sans prétention.


 
Quand on s'appelle Kevin Costner, il suffit de mettre un chapeau pour incarner un cowboy avec classe et déférence (cf. image du haut). Même lorsqu'on doit jouer une dramatique scène de constipation suite à une trop grande ingestion de haricots plats (cf. image du bas). Et même lorsqu'on porte un prénom aussi scabreux que "Kévin".

Quid de Diego Luna et de Larry Koubiak et de l'amitié qu'ils ont développé pendant le tournage avec Ménélik (surnommé "MNLK" par Costner), le fox-terrier à poils ras sauvé des eaux par le cinéaste et jouant un rôle central dans le film ? Cette simple anecdote suffirait à nous rendre sympathique l'oeuvre de KFC. Rappelez-vous de ce moment crucial où la bestiole aboie pour prévenir ses maîtres d'un danger imminent, souvenez-vous de cette autre scène où elle donne la patte à Robert Duvall en signe de reconnaissance. Ménélik disparaît hélas trop tôt, victime d'un scénario bien cruel, mais il aurait mérité autant de louanges et la même couverture médiatique que Uggie, le chien de The Artist. Le talent de Kevin Costner est tel qu'il arrive à nous faire verser notre petite larme au moment du trépas tragique de Ménélik.


MNLK ici en présence de ses plus fidèles compagnons, qui ont à peu près autant d'importance et de lignes de dialogue que lui. Vous remarquerez avec quel professionnalisme il se laisse flatter le flanc.

Un petit mot sur Warren Beatty, le mari d'Annette Benning, qui s'est incrusté durant le tournage, donnant des conseils directoriaux à un Kevin Costner à bout de nerfs. "Moi dans Reds, j'avais décidé de faire un plan américain au moment où je rentre en scène". Si vous êtes bien attentif devant Open Range, vous pourrez voir le reflet de Warren Beatty dans toutes les scènes impliquant des fenêtres et des miroirs, mais surtout dans les yeux mouillés d'Annette Benning. La vedette de Shampoo a accepté que sa femme joue dans le film de Costner pour une somme dérisoire à condition qu'il soit présent du matin au soir et réalise les scènes dans lesquelles elle était impliquée. La conséquence malheureuse est une dichotomie évidente de la réalisation, visible même par le spectateur le plus novice en matière de technique cinématographique. Warren Beatty a pour particularité d'user et d'abuser du plan dit américain, ce qui n'est pas très heureux dans les scènes intimes, où les comédiens sont cadrés au ras de leurs parties génitales. Une plus forte concentration de plans moyens est à signaler du côté des scènes tournées par Costner, c'est-à-dire celles sans Annette Benning, soit 78% du film. Sur le commentaire audio disponible dans l'édition Zone 2 du DVD, Kevin Costner avouera son grand regret de n'avoir jamais pu filmer lui-même celle qui soufflait sa 71ème bougie lors du tournage et qui était alors au faîte de sa beauté. Depuis, à part dans The Kids Are All Right, Annette Benning n'a plus refoutu les pieds devant une caméra, sauf la JVC à bande magnétique perso de Warren Beatty, qui la filme même chez elle en plan américain.


Un exemple de scène filmée consciencieusement en plan américain par un Warren Beatty intransigeant.

Il est important de vous faire remarquer que ce film est aussi le tout dernier rôle d'un grand acteur dont on ne se souviendra pas : Michael Jeter, qui campe ici un débile léger gardien d'étable, accro à la picole, un homme avec le coeur sur la main et à la gâchette facile, ce qu'il était aussi dans la vraie vie. Jeter était en liberté conditionnelle durant le tournage et passa la fin de ses jours dans le couloir de la mort, en raison d'une erreur judiciaire. Il a quand même bénéficié d'une gloire posthume grâce aux nombreux cadavres retrouvés dans son jardin, qui ont fait croire aux enquêteurs du FBI qu'ils étaient tombés sur un cimetière indien digne d'un roman de gare du King himself. Dans Open Range, Jeter est bras-dessus bras-dessous avec la Grande Faucheuse et son interprétation habitée d'un rôle pourtant très secondaire fait littéralement froid dans le dos.


Toujours Warren Beatty derrière la caméra, toujours un scrupuleux plan américain.

Robert Duvall est le moteur octogénaire de ce western humide. Le "prédicateur" est ici en pleine possession de ses moyens, au top de sa forme, dans un rôle que Kevin Costner a écrit spécifiquement pour lui, après le refus sec de Chris Rock, mordu par Ménélik. Robert Duvall est arrivé dans le projet la bouche en coeur et les bras en croix, avec la certitude d'avoir carte blanche, ce qui a pour conséquence quelques scènes cocasses que Kevin Costner a dû garder sous la menace. Les improvisations de Robert Duvall dans ce film sont légion. On ne compte pas toutes les fois où il savate son cheval en arrière-plan. Ménélik ne lui a jamais pardonné le coup de talon dans le flanc lors de la fameuse scène du troupeau de bisons affolés. Kevin Costner se souviendra toujours de la balle qui a sifflé au-dessus de son oreille droite et qui lui a valu le surnom d'Evander Holyfield durant le reste du tournage. Mais plus mémorable encore est ce monologue de 5 minutes où Robert Duvall raconte son arrestation pour DUI à un Ménélik médusé (si vous allez sur le site mugshot.com, vous pourrez admirer la tronche de la star lors de son arrestation). Les spectateurs les plus sensibles apprécieront quant à eux ce moment particulièrement émouvant où l'acteur constate que ses pouces sont tellement grossiers qu'ils ne peuvent passer dans la anse de la tasse en porcelaine du service à thé du docteur. Le personnage est alors rappelé à sa condition de cowboy bourru, d'homme rustre dormant le plus souvent au clair de lune, avec pour seuls compagnons son cheval et Ménélik, condamné à boire son eau dans le creux de sa main. Nous n'avions pas vu scène si délicate dans un western depuis L'Homme qui tua Liberty Valance au moment où John Wayne plante sa fourchette dans son steack hâché en adressant un regard oblique au personnage éponyme. 

On a beaucoup reproché à Open Range la façon dont sont filmés les gunfights. Mais revoyez-le ! Revoyez-le à la lumière des évènements récents (Syrie, Mali, tuerie de Woodstock...). 


Open Range de Kevin Costner avec Robert Duvall, Kevin Costner, Annette Benning et Diego Luna (2003)

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