/Dossier #11 - Western/
Suite au succès aussi important qu'inattendu d'Easy Rider, le studio Universal permit aux deux acteurs vedettes de réaliser un film chacun, en leur promettant l'entier contrôle artistique. C'est ainsi que fut lancée la production chaotique de The Last Movie avec un Dennis Hopper totalement fou et imprévisible aux manettes. De son côté, le plus posé Peter Fonda jeta son dévolu sur un scénario signé Alan Sharp, The Hired Hand (devenu en VF L'Homme sans frontière), un western minimaliste dans lequel un cowboy taciturne, lassé de sa vie d'errance, retourne chez sa femme, qu'il a quittée depuis près de 10 ans, accompagné par son ami et fidèle compagnon de route. Ce dernier est incarné par Warren Oates et, bien qu'il s'agissait de la première des trois collaborations entre les deux hommes, une vraie alchimie se dégage déjà de ce duo d'acteurs. Il y a une sorte de confiance mêlée de respect dans leurs regards plein de pudeurs, qui fait que l'on a aucun mal à croire au long passé que partagent les deux personnages. Peter Fonda offre quant à lui une incarnation très mémorable du cowboy solitaire, avec son corps malingre et sa barbe mal entretenue, sa présence fragile et abîmée impressionne discrètement.
Pour son premier film en tant que réalisateur, Peter Fonda a su s'entourer, puisque l'on retrouve également à ses côtés le grand Vilmos Zsigmond, l'un des chefs opérateurs emblématiques du Nouvel Hollywood, dont le talent éclate déjà à l'écran. Bruce Langhorne, guitariste surdoué qui a travaillé sur les meilleurs albums de Bob Dylan, compose quant à lui une musique magnifique où se mêlent les instruments à cordes pour le plus bel effet. Sa musique inspirée participe pleinement à l'ambiance particulièrement envoutante du film, dès ses premières secondes. On croise également dans l’œuvre de Fonda un personnage de femme étonnamment moderne, parfaitement incarné par Verna Bloom qui jouera dans L'Homme des hautes plaines de Clint Eastwood deux ans plus tard.
Le montage étonnant du film atteste que l'on devait fumer pas mal de joints en salle de montage, mais ils étaient fumés par le bon bout, ça je vous le dis ! La fascinante séquence d'ouverture vous émerveillera forcément. Nous assistons à une scène a priori très banale du quotidien des cowboys, nous les voyons se baigner dans la rivière et pêcher quelques poissons pour le repas. Mais cette ouverture est sublimée par un montage étrange et complexe, fait de fondus et de ralentis étonnants, et par des plans de toute beauté, baignés de jeux de lumière magnifiques. Les premières minutes du film créent ainsi immédiatement une ambiance singulière et comme hors du temps. Les rares paroles échangées entre les hommes plantent parfaitement le décor et les enjeux. Un drôle de sentiment nous envahit aussi lorsque survient cette apparition macabre qui conclut la scène, comme un mauvais présage pour la suite des aventures des trois hommes, qui ne seront bientôt plus que deux.
L'Homme sans frontière apparaît finalement comme une très belle et émouvante histoire d'amitié, qui est le cœur même du film et met bien du temps à abandonner nos cœurs après sa découverte. Très rapidement retiré de l'affiche à sa sortie, c'est seulement en 2001, grâce notamment à l'intervention de Martin Scorsese, qu'une version restaurée de ce western élégiaque put sortir en salles puis en DVD. Le film de Peter Fonda put enfin être reconnu à sa juste valeur. D'une beauté de chaque instant, L'Homme sans frontière est une merveille de western que d'aucuns pourraient qualifier de révisionniste ou de psychédélique, mais dont la puissance et la splendeur poétique intemporelle font que l'on se fiche assez des diverses étiquettes qu'on pourrait lui accoler. Un film terriblement envoûtant, une méditation sur l'amitié d'une délicatesse rare et touchée par la grâce, que je vous recommande chaudement.
L'Homme sans frontière de Peter Fonda avec Peter Fonda, Warren Oates et Verna Bloom (1971)