De Palma a cru bon d'insister sur ses difficultés à monter un film dans son pays (un remake d'Alain Corneau ? Aux USA ? d'Alain Corneau ? Arrête-toi...), et sur les atouts de sa nouvelle caméra de la taille d'un paquet de cigarettes. On nous a rebattu les oreilles avec la belle énergie du charitable mécène Saïd Ben Saïd, qui a la grandeur d'âme de produire quelques expatriés de légende, mais qui pourrait s'abstenir quand les projets flairent à ce point le vieux caoutchouc brûlé ou les œufs pourris, quitte à aider Simon Braund à remplir le tome 2 de son récent album intitulé Les plus grands films que vous ne verrez jamais. Il est des films qui sont très bien où ils sont, au chaud dans les placards. Il est des cendres de scripts qui se sentent tout confort dans la corbeille à papier où un type plus éclairé que les autres leur a foutu le feu. Il est des bébés qui devraient rester in vitro, des idées qui ne sont jamais si belles qu'une fois oubliées. Passionen fait partie.
Faire le remake d'un téléfilm d'Alain Corneau a un avantage : on ne peut que faire mieux. Mais la chose a aussi un inconvénient : on part d'infiniment loin. Ou alors faut-il faire montre d'une putain de rage de vaincre. Mais De Palma nous livre un énième exercice de style froid, creux, sans histoire, sans vie, sans folie. On sent qu'il n'est plus guère passionné par ce qu'il fait et qu'il empile les petits projets pépères en attendant une retraite bien méritée. Son film sent le renfermé tant De Palma se cite lui-même avec complaisance. Il tourne à vide, en mode automatique, avec une millième blonde opposée à une millième brune, qui se tournent autour comme deux chiens sur le Vieux Port lors des premières chaleurs, à l'heure du jaune. Rachel McAdams et Noomi Rapace forment un duo stérile. Les deux actrices semblent jouer en combinaison de ski, casquées, menottées, pieds et poings liés. On dirait de strictes poupées de cire. Rien ne se passe, c'est le vide absolu, un film aseptisé, désincarné.
Il arrive un moment dans la vie où on fait le bilan. Quand viendra notre tour, sur la liste des heures perdues on devra se remémorer cette soirée où on a offert sur un plateau d'argent une combientième chance à Brian De Palma. Quand le courant ne passe pas, il ne passe pas. Et pourtant on a bien voulu lui laisser encore une opportunité de nous cueillir, de se rattraper, de se racheter. Des tas d'autres films, d'autres réalisateurs, attendaient à la porte. On l'a ouverte, un fameux soir, à De Palma, qui est entré en s'essuyant les pieds sur le paillasson, qui s'est assis poliment, a bouffé sur notre compte, n'a pas décroché les mâchoires, n'ayant strictement rien à dire, et s'est tiré une heure et demi plus tard sans laisser aucune trace, sans laisser de restes pour le lendemain. Il s'est servi et il a disparu sans élégance, tel un fantôme égoïste et nonchalant. On ne nous y reprendra peut-être pas.
Passion De Brian de Palma avec Rachel McAdams et Noomi Rapace (2013)