En 1986 Claude Berri tue le game en adaptant d'une seule foulée Jean de Florette et Manon des sources. Son coup de génie, c'est de tourner les deux films en même temps, s'assurant une harmonie visuelle sans solution de continuité : les deux suites adoptent ces teintes jaune pisse et ce fond sonore à base de cigales qui en font toute la saveur. Les deux parties du récit sont à ce point indissociables qu'on peut lire sur l'affiche de Manon des sources ci-contre, "Jean de Florette 2ème partie", de même que sur l'affiche de Jean de Florette on pouvait lire "Manon des sources 1ère partie". De quoi perdre la tête ! Peter Jackson s'inspirera des méthodes de Berri pour réaliser sa trilogie de l'Anneau, mise en boîte d'un souffle dans la même région de France. Mais avant d'inspirer le cinéaste néo-zélandais, la trilogie de Berri a marqué mon enfance d'estoquefiche. En effet j'ai vu le deuxième volet, dont il est question ici, des dizaines de fois (sans avoir jamais vu le premier épisode) en raison du fanatisme de ma tante aveugle dont c'était le long métrage préféré. Il fallait que je lui raconte chaque scène, que j'assure le commentaire pour sourds et malentendants avec tous les sous-titres multicolores qui envahissaient l'image. Je me demande encore comment ce film pouvait être le préféré d'une aveugle alors que de mon côté tout passait par la vue... Peut-être les fameuses cigales ?
Forces en présence : Montand, Auteuil, Neuilly, Passy, Bugsy, Gyneco, La Peste, et pour couronner le tout, au milieu de ce banc de requins, la divine Manu Béart. Comment parler d'elle ? Elle était le soleil de ce film déjà bien éclairé. Et puis il faut dire que je suis né en Provence, comme Jésus, et que le cadre, les senteurs, les bruits, ce sont les miens, ceux de chez moi. J'avais plus l'impression d'ouvrir la fenêtre que de mater la télé. Ma tante était dans le gaz complet ("Qu'est-ce qui se passe ? Tu me racontes ? C'est une partie sans dialogues ! Ils vont où là ???"), tandis que je humais l'air. Quand je ne foutais pas carrément les voiles discrètement pour aller gambader dans la garrigue en quête d'une source où une naïade s'espongerait. Au village, me sachant déjà fan de l’œuvre de Tolkien, on me surnommait Sauron des sources. Malheureusement je vivais dans un coin très sec, sans eau, sans source, d'où, aussi, mon intérêt pour ce film où la flotte est le nerf de la guerre.
Il faut ajouter un mot sur la performance de Daniel Auteuil. Ce n'est que récemment que j'ai compris qu'il avait toutes ses capacités cognitives, et qu'il n'était pas réellement le doux débile qu'on voit évoluer à l'écran sous le nom de Galinette. L'acteur m'a tellement impressionné que j'étais sur le cul de le voir enchaîner les rôles et parvenir à jouer si bien les personnes non-diminuées intellectuellement. Pour moi il était Hugolin, il était le couillon du village : il ne jouait pas ! C'est Le Huitième jour qui m'a mis sur la voie : pourquoi engager deux trisomiques pour n'en jouer qu'un seul ?
Manon des sources de Claude Berri avec Daniel Auteuil, Emmanuelle Béart et Yves Montand (1986)