Il y a déjà un souci avec le titre. Je ne l'écrirai pas "mother!" comme le souhaiterait Darren Aronofsky. Je commence par une majuscule, parce que l'on met une majuscule aux titres. J'accepte, difficilement, de le ponctuer d'un point d'exclamation, mais je le précède d'un espace. Car en France, c'est comme ça, nous n'avons pas les mêmes règles de typographie que nos amis anglo-saxons : nous mettons un espace entre le mot et la ponctuation quand celle-ci est un point virgule, un point d'interrogation, un double-point ou un point d'exclamation. Je suis en cela étonné que les québécois aient traduit par "mère!", c'est un laisser-aller inhabituel de leur part. C'est peut-être une question d'habitude, mais je préfère nos règles, je les trouve plus claires et agréables à la lecture. Mother ! Autre difficulté, et non des moindres : comment fallait-il prononcer le titre lorsqu'on se présentait à la caisse au ciné ? Cela ne m'a pas encouragé à me déplacer... Bref, pour moi, ce titre est une source de problèmes importante. Sans parler de son manque absolu d'originalité... En cela, il est vrai que seule la ponctuation participe à le rendre un tant soit peu unique.
Il faut aussi reconnaître à ce titre une autre qualité, plus inattendue. Une qualité discrète mais essentielle qui réside justement dans ce point d'exclamation et, plus exactement, dans sa façon d'apparaître à l'écran au tout début du film. Le mot "mother" s'écrit sous nos yeux, dans cette écriture caractéristique, puis surgit le point d'exclamation, accompagné d'un petit motif sonore digne d'un dessin animé qui rompt d'emblée avec le sérieux et la noirceur annoncée. C'est cette fantaisie, cet esprit plaisantin, qui vient sauver Darren Aronofsky du naufrage complet. Visiblement, le cinéaste s'amuse et veut nous emporter dans son délire. Ça ne fonctionne pas du tout, mais il a le mérite d'essayer, le sourire aux lèvres, quand d'autres que lui font ça avec un sérieux infiniment plus plombant et méprisable. Cela invite à un peu plus de bienveillance à son égard.
En nous dépeignant les mésaventures de cette jeune femme, incarnée par Jennifer Lawrence, qui habite seule avec son mari, Javier Bardem, écrivain en panne d'inspiration, dans une immense baraque et voit celle-ci être progressivement envahie par des inconnus, Mother ! prétend être une allégorie assez finaude que l'on pourrait s'évertuer à interpréter de plusieurs manières (au moins quatre, d'après les nombreux sites ayant décrypter le film, bien que l'une d'elles me paraisse un brin plus évidente — en gros, la maison = la Nature, brillant...). Le résultat à l'écran n'est hélas pas à la hauteur de l'ambition du cinéaste, dont on sent un peu trop qu'il veut absolument signer une œuvre clivante, vouée à devenir culte. Son film pèse des tonnes et peine à nous captiver malgré sa progression crescendo dans l'horreur et l'intensité.
Nous ne nous intéressons pas une seconde au personnage central, quand bien même l'actrice fasse tout son possible et ne démérite pas, avec une caméra qui la colle de très près. Cette femme paraît vide et désincarnée, tout comme son agaçant époux. Ils ont simplement l'air d'être là pour servir et illustrer les petites idées du cinéaste, simples pantins, tristes rouages de sa machine pas si bien huilée. Quand arrivent les invités, joués par des revenants comme Ed Harris et Michelle Pfeiffer, cet effet est d'autant plus fort. Il est toujours agréable de revoir le trop rare Ed Harris mais, ici, nous voyons justement "le trop rare Ed Harris", au charisme intact, venir nous faire un petit coucou dans un film de Darren Aronofsky, et strictement rien d'autre. On constate les nouvelles rides apparues sur son front, on espère que sa santé est au beau fixe, mais on ne croit en rien à son personnage.
En outre, si Aronofsky paraît faire tous les efforts du monde pour rendre son film organique, lui donner de la chair, du corps (les murs suintent, les corps souffrent, les parquets s'ouvrent, tout est susceptible de saigner, s'effriter, se casser, s'inonder), il échoue cette fois-ci totalement dans cette entreprise (il y avait pourtant excellé dans Black Swan et The Wrestler). La faute notamment à des effets spéciaux ratés, beaucoup trop lisses, sans âme. En cela, Mother ! nous rappelle les dérapages visuels de quelques uns de ses précédents films comme The Fountain ou Noé (sans doute le plus proche voisin de Mother ! de par les thèmes abordés). C'est parfois d'une laideur assez gênante. C'est bien dommage car, à côté de ça, il y a tout de même quelques idées. J'aime que le seul décor du scénario, cette maison qui se veut un personnage à part entière, d'abord cocon familial accueillant, se transforme tour à tour en un lieu de culte, en un espace de débauche puis, littéralement, en zone de guerre. Tout cela dans un mouvement fluide et naturel, Aronofsky ne filmant pas en plans-séquences mais parvenant à nous en donner l'impression. Hélas, la maison aussi manque de réalisme et paraît ne pas exister, on se croit dans un studio en carton et nulle part ailleurs... Comment peut-on croire, d'ailleurs, que la frêle Jennifer Lawrence est censée l'avoir retapée entièrement ?!
De nouveau hanté par le cinéma de Roman Polanski (on pense assez inévitablement à Répulsion et Rosemary's Baby), sans ce coup-ci lui arriver à la cheville, Mother ! apparaît en fin de compte comme une pitrerie plutôt inoffensive, non totalement dénuée d'intérêt mais à des années lumière de l'effet escompté. La pirouette finale, en forme d'ultime pied de nez, appuie cette impression. Malgré tout, Darren Aronofsky continue son petit bonhomme de chemin et poursuit sa carrière de manière cohérente. On doute, cependant, qu'il revienne un jour à des œuvres plus humbles et maîtrisées comme l'étaient The Wrestler ou Black Swan, mais on continue d'espérer.
Mother ! de Darren Aronofsky avec Jennifer Lawrence, Javier Bardem, Ed Harris et Michelle Pfeiffer (2017)