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Mademoiselle de Joncquières

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La première partie de Mademoiselle de Joncquières ressemble mieux à son auteur que la deuxième. On y retrouve la légèreté et le mouvement que l'on aime dans les films d'Emmanuel Mouret. Cette première partie, qui s'intéresse à la relation entre le Marquis des Arcis (Edouard Baer) et Madame de La Pommeraye (Cécile de France), est plus courte que la deuxième, dans laquelle se déploie la vengeance, toute une manigance machiavélique. Elle est plus courte mais il s'y passe plus de choses. Efficacité du scénario donc mais surtout grande habileté du metteur en scène et de ses comédiens. Il y est question d'une relation, de ses débuts et de sa fin : séduction, sentiments naissants, idylle, vie de ménage, doute, lassitude, rupture. Toute une histoire en une trentaine de minutes. Et l'intensité qui s'en dégage n'est que plus grande. Les personnages ont le temps, en quelques scènes pleines d'énergie, d'exister pleinement et de se faire aimer.




La séquence où le Marquis conduit Mme de La Pommeraye près d'un cours d'eau, accompagné de deux serviteurs qui transportent des chaises, dans le but d'élaborer une mise en scène des avantages de la vie amoureuse sur la solitude aux yeux de celle qu'il entend séduire, parvient à conjuguer en un rien de temps le rire et l'émotion. La sincérité des personnages est évidente. Le Marquis, au-delà de son petit spectacle de séducteur, se livre avec sincérité et touche à la poésie. La dame, loin de simplement céder face à l'audace ou à la verve, est profondément bouleversée et commence de croire en l'amour. Quelque chose se passe en eux et se passe devant nous, portée par la vérité des comédiens (puissante dans la scène terrible où le personnage de Cécile de France prêche le faux pour savoir le vrai des sentiments de son amant), mais aussi par la beauté de la langue parlée et la vivacité du montage, qui emporte, surprend et nous tient.




Partant, et même si l'on préfèrera retenir ce très beau début qui contient déjà un commencement et une fin, il faut bien avouer que la deuxième partie du film, censée contenir le gros morceau, la vengeance, la manipulation ourdie par une Madame de La Pommeraye qui n'a rien à envier à Mme de Merteuil, retombe un peu. D'abord et principalement parce que tout est plus lent, attendu, comme déjà vu. Ensuite parce que les personnages s'estompent un peu au profit de la machination et de son évolution par gradation (on aurait aimé vivre un peu plus avec ce Marquis, avec cette Madame de blessée, avec cette demoiselle éponyme aussi, qui tarde à arriver et peine à exister). Enfin parce que le film esquisse une piste politique qu'il ne suit pas. Contrairement à la question des classes, traitée dans d'assez bonnes proportions (car l'on voit bien, à travers dialogues et situations, l'immonde mépris de ce petit monde de la noblesse pour pour tout ce qui n'en est pas), celle des sexes laisse une impression d'inachevé.




On pourrait éventuellement ne pas se sentir obligé d'en vouloir à un film sortant en 2018 de montrer un homme volage et inconstant, et des femmes sentimentales, trompées, vénales et amères, ou de s'achever en sauvant le bellâtre au cœur bon et en condamnant la mégère au cœur dur. Il faudrait pour cela s'en tenir à ce que le film est l'adaptation de Diderot et à la fidélité aux mœurs et aux vues d'un autre siècle. On pourrait. Mais ce n'est pas évident, l'adaptation étant par principe libre et par définition de son temps. Mais à cela on pourrait objecter qu'elle est aussi libre de ne pas se préoccuper de son temps. Sauf qu'Emmanuel Mouret, dans le contexte que l'on sait, ne cesse de prêter à son héroïne, Madame de La Pommeraye, des velléités féministes (elle préconise la vengeance et la solidarité féminine comme arme de correction des hommes), et que ces répliques, qui résonnent forcément plus que d'autres à l'oreille de spectateurs et spectatrices de 2018, sont alors en décalage avec ce que raconte ce film.




Car après tout le Marquis n'est pas un mauvais bougre (assez loin en cela d'un Vicomte de Valmont). Il se contente d'aimer des femmes, certes peu longtemps, mais sans leur faire d'autre mal que celui de ne plus les aimer, et de ne pas toujours oser le leur avouer. Il s'est lassé de Madame, un point c'est tout. Aussi n'y a-t-il que justice à ce que ledit Marquis, momentanément et injustement humilié, s'en aille, bon prince, jouir de la vie auprès de sa jeune épouse en ses terres, et que la vengeresse finisse seule et punie. Mais, par conséquent, les visions féministes avancées par Madame de La Pommeraye s'embourbent en des relents d'aigreur et de venin dans la bouche d'une femme excessive et malfaisante (y compris vis-à-vis d'autres femmes). Cet amalgame n'est pas des plus heureux. Disons qu'on s'est habitué à plus de finesse avec Emmanuel Mouret. Mais cela n'empêche pas le film d'en être pourvu par ailleurs, ainsi que d'élégance et de charme.


Mademoiselle de Joncquières d'Emmanuel Mouret avec Cécile de France et Edouard Baer (2018)

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