Au début des années 70, Bob Clark était sur un nuage, un bien sombre nuage, et il nous a envoyé deux éclairs horrifiques dont le retentissement a mis du temps à se faire entendre. Black Christmas est un classique du cinéma d'horreur, à jamais condamné à demeurer dans l'ombre de titres plus connus qu'il a inspirés, notamment le Halloween de John Carpenter. Sorti la même année que Black Christmas, en 1974, Le Mort-Vivant (connu outre-Atlantique sous les titres de Dead of Night ou Deathdream) est une autre pépite du genre et il est encore nécessaire d'inciter aujourd'hui à sa redécouverte. Alors que sa famille vient tout juste d'être informée de sa mort par l'armée, Andy (Richard Backus), un jeune appelé, revient du Vietnam et rentre enfin chez lui. Hélas, la joie des retrouvailles sera de bien courte durée face au comportement étrange d'un jeune homme méconnaissable, qui ne parle quasiment pas, ne mange plus, mais est tout simplement là, de retour, par sa présence fantomatique et dérangeante.
Dès les premières secondes, très bref mais efficace aperçu pré-générique de la guerre au Vietnam, le film de Bob Clark surprend par son ambiance sinistre et son image lugubre. C'est ensuite son ton, si difficile à cerner, qui nous intrigue. Le réalisateur canadien, qui a également œuvré dans le registre de la comédie potache, insiste sur le bonheur des parents d'Andy et de sa sœur, au moment où celui-ci réapparaît, pourtant particulièrement inquiétant, dans la maison familiale. Les rires s'éternisent, la mère, obnubilée par son amour pour son fils, explose de joie. Tout cela contraste terriblement avec l'allure funèbre d'un Andy dont on se doute déjà qu'il a semé un mort sur son passage, le pauvre routier qui l'a pris en stop, lui qui a désormais besoin de sang pour ne pas être rattrapé par la putréfaction et retourner à l'état de cadavre. Quelque part entre le fantôme, le mort-vivant et le vampire, Andy est un personnage assez bouleversant qui dégage un mal-être profond rappelant directement la difficulté du retour au pays pour les vétérans de la guerre. Ses réactions imprévisibles et violentes évoquent inévitablement les troubles post-traumatiques des soldats, ces accès de violence soudains dû à des réminiscences brutales de ce qu'ils ont vécu sur le front.
Pour incarner les parents d'Andy, Bob Clark a reconstitué le couple du Faces de John Cassavetes en faisant appel à Lynn Carlin et John Marley. La première est une mère quasiment hystérique, aveuglée par l'amour qu'elle porte à un fils dont elle a appelé le retour par moult prières, au point de nier sa transformation et de faire comme si de rien n'était. Elle porte en elle le deuil impossible d'une mère qui a perdu bien trop tôt son fils parti à la guerre, refusant d'accepter la réalité. Le père, joué par John Marley (un visage connu des cinéphiles puisqu'il est le producteur qui se réveille avec une tête de cheval dans son lit dans LeParrain), semble quant à lui porter sur ses épaules tout le poids de la culpabilité des aînés. On comprend qu'il est lui-même un vétéran de la Deuxième Guerre et l'on sent qu'il n'est pas étranger à l'engagement de son fils sous les drapeaux. Modestement et de façon très habile, bien aidé en cela par d'excellents acteurs, Bob Clark parvient ainsi à charger son film en non-dits dérangeants et lourds de sens, abordant très frontalement le thème de la mauvaise conscience américaine.
En exploitant avec un tel talent la fameuse idée du "soldant revenant de la guerre transformé en zombie", notamment reprise depuis avec beaucoup moins de finesse par Joe Dante dans un épisode de Masters of Horror, et en s'écartant intelligemment de la mythologie classique qui entoure la figure du mort-vivant, Bob Clark nous livre un film véritablement marquant, à la hauteur des autres grands titres chargés en contestation politique et en satire sociale du cinéma fantastique américain des années 70. L'atmosphère glauque et le personnage d'Andy, à la fois victime et monstre malgré lui, font penser au Martin de George A. Romero, qui de son côté nous dressait le portrait d'un vampire atypique, également empli d'une profonde tristesse. Les deux films ont d'ailleurs bénéficié des talents de maquilleur du grand Tom Savini, qui a participé à faire d'Andy et Martin des créatures à la fois effrayantes et pitoyables, dans tous les cas inoubliables pour le spectateur qui les a vues.
La dernière scène du film de Bob Clark, lors de laquelle Andy, prenant la fuite, cerné par la police, rampe dans le cimetière en direction de la pierre tombale qu'il a, plus tôt dans le film, gravée de son nom de ses propres mains, pour se mettre en terre sous celle-ci, tout cela sous les yeux de sa mère éplorée qui accompagne son fils jusque dans ses derniers instants et finit par prononcer une ultime phrase tragique ("Au moins, Andy est à la maison. Beaucoup de garçons ne le sont pas"), achève de rendre Le Mort-Vivant particulièrement mémorable.
Le Mort-Vivant (Dead of Night) de Bob Clark avec Richard Backus, Lynn Carlin et John Marley (1974)