Sparring est le premier long métrage de Samuel Jouy. Ce nom ne vous dit rien ? Samuel Jouy est pourtant un acteur dont vous avez sûrement déjà croisé la tronche à la télévision ou au cinéma, le plus souvent dans des rôles de méchants garçons, d'écorchés vifs et de Lorrains teigneux (en général, les trois à la fois). Pour son premier passage derrière la caméra, il a choisi de nous livrer un film de boxe qui met en lumière le rôle des sparring-partner, ces boxeurs de l'ombre, destinés à encaisser sans broncher les coups de boxeurs plus connus et doués qu'eux pour leur permettre de s'entraîner entre leurs matchs. Mathieu Kassovitz incarne donc Steve Landry, un boxeur laborieux mais plein d'abnégation, bien décidé à gagner quelques euros de plus pour offrir un piano à sa fille aînée. Un piano. Quand il apprend que le célèbre boxeur Tarek M'Bareck est à la recherche de bons "sparrings" pour se préparer à son grand retour sur le ring, Steve Landry n'a plus qu'une idée en tête : faire ses preuves et montrer qu'il est le candidat idéal. Pour pouvoir acheter un piano à sa fille. Un piano.
Derrière ce pitch surprenant d'humilité pour le genre, se cache un film social entièrement consacré à nous dresser le portrait d'un père de famille désireux de donner un meilleur futur à ses enfants, quitte à y laisser sa santé. Qui dit film social dit réalisme, grisaille et âpreté du quotidien. Déjà, le gars s'appelle Steve Landry. Boum. C'est dur. Il y a toute la misère du monde dans ce patronyme : le défaut de culture familial que laisse entrevoir ce prénom à consonance américaine tout droit inspiré de la série Beverly Hills, quand bien même il est né bien avant sa diffusion. Et l'on ressent avec angoisse le Nord ouvrier ou la Lorraine sinistrée dans ce nom de famille aux accents belges... Tout y est. Dès la première scène, terrible de cruauté, le pauvre Steve Landry est privé d'accès à la salle de sports où se tient un gala (son nom fait tâche ?). Il sort pourtant tout juste des vestiaires, où il a malencontreusement laissé son badge, mais les portiers, ne le reconnaissant pas, ne lui font guère confiance. Il faut l'intervention d'une vague connaissance qui le prend en pitié pour qu'il puisse enfin rentrer et récupérer ses affaires. Terrible sort, terrible quotidien, terrible mal-vie... Steve Landry termine cette soirée au goût amer au volant de sa modeste bagnole, en route vers chez lui, le visage tuméfié, comme toujours. Samuel Jouy (son nom vient de Jouy aux Arches, célèbre bourgade sise au sud de Metz) ne nous laisse pas respirer une seconde et nous assène alors un plan aussi furtif que terrible et lourd d'enseignements sur des panneaux routiers indiquant une direction de malheur : "CAEN, ROUEN, LE HAVRE". Il ne manque plus que Cherbourg pour faire carton plein ! Où qu'il aille, Steve Landry est maudit. En deux minutes, Samuel Jouy a parfaitement planté le décor.
Sparring a aussi l'avantage de nous faire découvrir le jargon du milieu de la boxe. Quand Steve Landry se présente, il doit énumérer son palmarès. "T'es à combien toi ?!" lui demande son interrogateur malpoli. "13-3-43", lui répond Steve Landry en restant digne, pas peu fier de ses 13 victoires, 3 nuls et 43 défaites. Son 50ème match sera le dernier (oui, il ne sait manifestement pas compter mais il a pris beaucoup de coups sur la tête), il l'a promis à sa femme, coiffeuse à la frange droite comme la justice (Olivia Merilahti, la chanteuse du groupe The Dø, qui a également signé la musique du film, comme quoi il a beau être un boxeur raté et fauché, il a quand même un femme bien plus jeune que lui et qui "boxe" dans une catégorie très supérieure...). Steve aimerait finir sa carrière par une victoire. Mais ce "13-3-43" ne convainc personne, il n'est guère de taille à devenir le sparring d'M'Barek, et c'est ce que lui fait bien comprendre ce manager méphitique qu'il a rattrapé sur le parking pour lui faire part de toute sa motivation. Extrait : "J'ai entendu, vous cherchez un sparring pour Tarek, j'suis l'homme qu'il vous faut", "- T'es à combien ?", "- 13-3-43", "- Allez, bonne nuit", lui répond simplement le cruel manager, sans même s'arrêter, pour faire comprendre à Steve qu'il n'a aucune chance. Aucune chance !
Mais à force de persévérance, Steve Landry obtient un essai et finit par faire tout son possible pour se montrer indispensable aux yeux de ce salopard de Tarek M'Barek, un boxeur assez arrogant mais pas si con que ça, qui a compris qu'il pouvait glaner quelques conseils utiles, quand bien même son amour propre était parfois mis à mal par les remarques toujours bien vues de son modeste sparring. Petit à petit, Steve fait son nid, obnubilé à l'idée de gagner plus d'argent pour satisfaire les rêves de sa gamine. Un piano pour y jouer à la maison et continuer à progresser car "elle a le truc" selon son père, comme on dit dans la boxe des boxeurs naturellement doués. Un piano.
Au bout du compte, Samuel Jouy nous propose un film plutôt aimable, sincère et très certainement plus fait avec le cœur qu'avec les pieds. Il s'appuie sur un Mathieu Kassovitz irréprochable qui croit lui aussi au projet et campe un personnage que l'on a envie de voir réussir. Sam Jouy parvient à faire d'un banal entraînement une scène pleine d'enjeu, assez tendue, prouvant ainsi qu'il n'est pas nécessaire de tutoyer le haut du podium pour ressentir de la pression, tant que l'on croit dur comme fer aux personnages en présence. Jouy en fait certes parfois un peu trop sur le versant social, il aurait pu faire preuve d'un peu plus de subtilité, mais les acteurs sont toujours là pour faire passer ça comme une lettre à la poste. En bref, Sparring est un premier film tout à fait honorable pour Samuel Jouy le Mosellan, un film de boxe français dont la principale force est de ne pas s'imaginer américain, mais de s'appuyer sur les particularités du cinéma de son pays. Comprenne qui pourra.
Sparring de Samuel Jouy avec Mathieu Kassovitz, Olivia Merilahti et Souleymane M’Baye (2018)