Non, ça n'est pas du petit délire gore à la réputation surfaite signé Peter Jackson dont je vais vous parler, mais bel et bien de la pépite méconnue du même nom réalisée par l'américain Adam Simon. Sorti en 1990, deux ans avant Braindead, le film d'Adam Simon a beaucoup trop souffert de cette confusion qui l'a encore davantage poussé dans l'oubli. Et pourtant ! On tient là un film d'horreur tout bonnement remarquable. Vu à l'âge de 10 ans, un mercredi matin, au gré de sa diffusion sur Canal +, j'en garde un souvenir ému, quelques images et situations bien ancrées dans mon esprit mais, à vrai dire, rien de vraiment très précis. Je ne m'en souviens, pour tout vous avouer, quasiment pas. Malgré des recherches intensives qui m'ont mené sur le dark web et dans les bas-fonds des pires vidéoclubs de Cincinnati, je n'ai jamais réussi à remettre la main sur une copie de ce film et je n'ai donc jamais pu me rafraîchir la mémoire (quasi nulle, pour rappel). Je peux, en revanche, vous décrire en détails la genèse de cette œuvre si particulière, une histoire que je connais fort bien pour m'être longtemps renseigné à son sujet... Petit retour en arrière.
A la fin des années 80, Julie Corman, la femme de Roger, embaucha deux dizaines d'étudiants pendant l'été. Des étudiants de niveau Bac + 5 minimum, triés sur le volet après des semaines d'auditions impitoyables. Sélectionnés pour leur qualité d'analyse, leur exigence face à la vie, leurs cultures cinématographiques et littéraires, ils avaient pour mission de dépoussiérer, lire et relire une centaine de vieux scénarios oubliés dans les archives de Roger Corman, au sous-sol de son vieux manoir familial californien. Après deux mois de lectures intensives, d'échanges très riches et d'analyses collectives, un script signé Charles Hector Beaumont, datant de la fin des années 60, est sorti du lot et a mis strictement tout le monde d'accord. Écrivain, scénariste et disc jokey, Charles Beaumont n'est guère ce que l'on pourrait appeler un inconnu dans le domaine du fantastique et de la science-fiction puisqu'on lui doit les scénarios de quelques épisodes marquants de la fameuse série télé La Quatrième Dimension. Marqué par la Guerre Froide qui faisait rage au moment de l'écriture de son script maudit et par les innovations scientifiques regardées avec méfiance à cette même période, Charles Beaumont a rédigé une véritable invitation à nous perdre dans les dédales kafkaïennes d'un cerveau malade. Son texte malsain est un cauchemar paranoïaque qui ne laisse pas indemne son pauvre lecteur... Selon la légende, aucun des vingt étudiants embauchés pour le défrichage des textes abandonnés n'a ensuite poursuivi ses études, chacun d'eux préférant s'éloigner d'Hollywood et optant pour une vie monacale, rangée des bagnoles. On note également un taux anormal de suicides et de dépressions parmi les malheureux, à jamais bouleversés par leur expérience chez les Corman et par le synopsis diabolique de C. H. Beaumont.
Dix ans plus tard, personne n'avait osé s'attaquer à la folle histoire inventée par Charles Beaumont un soir d'ivresse. Le scénario, jugé inadaptable par les plus raisonnables producteurs, avait même acquis une très sombre réputation dans les couloirs des studios hollywoodiens, certains allant jusqu'à le surnommer "Le Necronomicon des Scénars", un truc capable de rendre fou l'infortuné et courageux lecteur qui aurait l'outrecuidance d'y aventurer ses pauvres yeux. Il fallait donc bien un débile complet venu d'ailleurs et de la trempe d'Adam Simon pour s'y casser les dents et se charger de l'adaptation. Adam Simon, de son vrai nom Edgar Sigmond, natif de Paris, Texas, et seul héritier de la famille Post-it, inventeur des feuilles de papiers autoadhésives amovibles du même nom, a mis tous ses deniers personnels sur le tapis pour racheter les droits du sacrosaint scénario. Après des mois de travail et avec l'aide précieuse d'un fidèle cousin prénommé Gaspard, Adam Simon remit simplement le texte de Beaumont au goût du jour en réactualisant ce récit démoniaque datant des sixties au début des années 90, avec tout ce que cela sous-entend de progrès scientifique et de peur liée à la fin du millénaire.
Avec un tel scénar en main, Adam Simon pouvait choisir les meilleurs acteurs du moment, les plus grandes vedettes seraient naturellement à sa disposition. C'est ainsi que son choix s'est très logiquement porté sur Bill Pullman et Bill Paxton. Le premier était alors au sommet de sa gloire après avoir vaincu sa peur des araignées dans Arachnophobie ; le second avait du mal à caler un nouveau projet entre les différentes et incessantes propositions du couple d'amis Cameron-Bigelow. Brain Dead est, à ce jour et à ma connaissance, le seul film qui a réussi à réunir les deux plus grands Bill du cinéma américain (n'en déplaise aux fans de Bill Murray et Bill Smith). Bill Pullman a accepté de se raser la tête pour les besoins du rôle, lui qui a d'ordinaire de si beaux cheveux et que l'on reconnaît immédiatement à sa jolie mèche sur le côté. Bill Paxton a quant à lui consenti à les coiffer en arrière, utilisant pour cela de la laque, alors qu'il préfère les laisser naturels, plutôt en bataille, et qu'il est d'ordinaire rétif à l'usage de tout produit d'hygiène. Des concessions bien rares et lourdes de sens de la part de telles pointures, plus habituées à dicter leurs lois sur les plateaux et à avoir droit de vie ou de mort sur le metteur en scène et ses techniciens.
Mes connaissances sur ce long métrage s'arrêtant là, je vous propose à présent un pitch succinct, basé sur mes minces souvenirs et le site IMDb (qui fait tout de même autorité dans le secteur cinématographique et télévisuel). Docteur Rex Martin (Bill Pullman) est l'un des meilleurs neurochirurgiens du monde. Spécialisé dans les lobotomies, ces terribles opérations à crâne ouvert, il étudie tout particulièrement le cerveau des paranoïaques, des schizophrènes et des personnes ayant voté François Fillon pour essayer de comprendre les mécanismes biologiques de la folie. Mais on ne pénètre pas le cerveau des autres et des plus grands tarés de ce monde sans danger... A la suite d'un banal accident, il devient son propre cobaye et peut étudier sur lui-même les effets terrifiants de la folie ! Lors d'une terrible expérience financée par son ami Jim Reston (Bill Paxton), un homme d'affaire texan milliardaire, le Docteur Rex Martin se retrouve en effet coincé dans ses cauchemars et ses hallucinations morbides, emportant le spectateur avec lui, ne sachant plus déceler le vrai du faux, ni distinguer le bien du mal, perdant définitivement pied avec la réalité et abandonnant pour de bon son humanité !
Difficile de résumer un tel film, qui nous propose, grosso mierdo, rien de moins que d'assister, impuissant, à la déchéance totale d'un être humain pourtant intelligent et sain. La lente mais brutale descente aux enfers de Bill Pullman nous est montrée sans détour (il me semble). Je me souviens seulement d'une scène où Bill Pullman, l'air complètement ahuri, ouvre une simple porte et se retrouve face au néant, dans les nuages, aspiré par le vide ! On le voit s'accrocher comme il peut dans l'encadrement de la porte, les cheveux au vent, la tronche toute tirée en arrière. Une grande scène. Il y a aussi un autre moment inoubliable où l'on voit un mec à la plage, le crâne décalotté, son cerveau à l'air libre, ouvert au quatre vents, et malgré tout jovial, profitant du paysage. Je crois que j'ai fait le tour de tout ce dont je me souviens. C'était un mercredi matin, je n'avais pas école, et j'étais heureux d'avoir pu découvrir un tel OFNI. Bill Pullman devenait, pour quelques semaines, mon acteur préféré et je voulais la même coupe de cheveux que lui (celle qu'il arbore en vrai et qu'il n'a jamais quitté, pas la boule à zéro). La petite histoire raconte que c'est en regardant Brain Dead que David Lynch a choisi d'engager Bill Pullman pour Lost Highway. Quand une légende rencontre un mythe...
Brain Dead d'Adam Simon avec Bill Pullman et Bill Paxton (1990)