Bien qu'aucun de ses films n'ait encore connu les joies d'une distribution digne de ce nom, S. Craig Zahler continue son petit bonhomme de chemin et, loin des salles de cinéma, sa réputation grandit, lentement mais sûrement. Son dernier film, son plus ambitieux à ce jour, ne déçoit pas et nous confirme que l'on tient là un sacré cinéaste, tout à fait atypique dans le paysage cinématographique actuel, qui constitue sans doute la plus belle révélation américaine de ces dernières années. Après avoir attiré l'attention des amateurs de cinéma de genre avec un western horrifique de la plus belle eau (Bone Tomahawk), puis confirmé tout le bien que l'on pensait de lui en signant un film carcéral particulièrement âpre et violent qui nous renvoyait aux plus belles heures du cinéma d'exploitation (Brawl in Cell Block 99), S. Craig Zahler nous revient cette fois-ci avec une sorte de polar choral rugueux, au scénario plus ample et audacieux, voyant les destins de plusieurs personnages se réunir autour d'un braquage qui tourne mal.
Nous suivons tout particulièrement deux flics, fraîchement suspendus pour leurs méthodes jugées trop musclées et dès lors déterminés à "récupérer leur dû" en interceptant des malfrats à leur façon et en s'accaparant leur magot. Ces flics sont incarnés par des acteurs que l'on est heureux de retrouver dans des rôles aussi consistants, Mel Gibson et Vince Vaughn, qui avaient déjà collaboré ensemble pour Hacksaw Ridge. Le premier, star controversée à l'image déclinante, apparaît comme un choix de casting idéal pour un tel film, au propos si ambigüe, parfois amoral et cynique, ce que n'ont d'ailleurs pas manqué de pointer du doigt certains critiques américains, quitte à établir des amalgames et des raccourcis faciles qu'appellent toutefois un Zahler volontiers provocateur. Quant au second, qui était déjà hallucinant dans le précédent film du cinéaste, tout en rage contenue et d'une efficacité redoutable à la bagarre, il démontre ici de nouveau toute l'étendue de ses possibilités, dans un registre encore très différent, plus discret, presque effacé aux côtés de son coéquipier, mais néanmoins touchant et parfois même plutôt marrant.
Nous suivons tout particulièrement deux flics, fraîchement suspendus pour leurs méthodes jugées trop musclées et dès lors déterminés à "récupérer leur dû" en interceptant des malfrats à leur façon et en s'accaparant leur magot. Ces flics sont incarnés par des acteurs que l'on est heureux de retrouver dans des rôles aussi consistants, Mel Gibson et Vince Vaughn, qui avaient déjà collaboré ensemble pour Hacksaw Ridge. Le premier, star controversée à l'image déclinante, apparaît comme un choix de casting idéal pour un tel film, au propos si ambigüe, parfois amoral et cynique, ce que n'ont d'ailleurs pas manqué de pointer du doigt certains critiques américains, quitte à établir des amalgames et des raccourcis faciles qu'appellent toutefois un Zahler volontiers provocateur. Quant au second, qui était déjà hallucinant dans le précédent film du cinéaste, tout en rage contenue et d'une efficacité redoutable à la bagarre, il démontre ici de nouveau toute l'étendue de ses possibilités, dans un registre encore très différent, plus discret, presque effacé aux côtés de son coéquipier, mais néanmoins touchant et parfois même plutôt marrant.
Ainsi, les deux acteurs reconstituent peu ou prou les fameux duos de ces buddy movies des années 80 et 90, sans jamais que Zahler ne s'inscrive véritablement dans cette veine. Le vieux flic à un an de la retraite, qui n'a plus rien à perdre ou presque, aux méthodes radicales, blasé par la vie, s'exprimant régulièrement en pourcentage pour étaler sa science afin d'éclairer telle ou telle situation incertaine, se retrouve associé à un partenaire de presque vingt ans son cadet, l'avenir devant lui, un mariage en vue, qui fait preuve d'une loyauté et d'une fidélité infaillibles, mais dont il faut aussi supporter les logorrhées absurdes et les bruits de mastication envahissants quand il engloutit lentement ses sandwichs aux œufs. Certains pourront trouver ça un peu longuet car, comme à son habitude, S. Craig Zahler prend vraiment son temps pour planter le décor, dépeindre ses personnages et leurs situations respectives, quitte à nous proposer des longues scènes de planque et de filature où il ne se passe quasiment rien en dehors des dialogues qu'échangent nos deux ripoux.
Chacun a ses raisons, ses motivations, aussi peu louables soient-elles. Les préjugés et le racisme sont partout, chez les uns comme chez les autres, et ce dès les premières scènes, rapidement malaisantes du fait des agissements borderline des protagonistes. Par un usage pernicieux des clichés, des détails sordides ou des répliques cinglantes, Zahler n'épargne personne et brosse le portrait d'une Amérique, vérolée par la haine, qui fait peine à voir. Il n'y a pratiquement pas un personnage pour rattraper l'autre, même si nous les comprenons tous. Ils paraissent nager bon an mal an dans une société qui les a montés les uns contre les autres. Le réalisateur donne dans une noirceur terrible, son trait est épais mais assuré et d'une grande précision. Il y a là un souci du détail assez jubilatoire, le bonhomme s'est visiblement documenté sur son sujet tout en laissant libre cours à son imagination pour agrémenter son polar de détails surprenants. Zahler se fait aussi plaisir en nous proposant encore une fois des dialogues de haut vol, auxquels on pourrait presque reprocher qu'ils soient justement trop écrits. On sent bien l'auteur de romans noirs aux manettes, mais comme son plaisir est largement communicatif et son talent évident, cela ne pose guère de grand problème.
Au milieu de cette petite galerie de personnages embarqués dans une si sinistre histoire, je serai toutefois plus circonspect quant au sort réservé à celui campé par une autre habituée du cinéaste, l'étrange actrice Jennifer Carpenter. Je suggère à ceux voulant éviter les spoilers de zapper ce paragraphe. S. Craig Zahler se montre en effet d'une cruauté ahurissante, prenant le temps d'installer son personnage lors d'une scène poignante, pour en faire quelques minutes plus tard la première victime des braqueurs impitoyables. C'est dur, très dur. D'autant plus que le réalisateur nous a auparavant montré une scène originale et réellement touchante où nous comprenons que Jennifer Carpenter joue une mère désemparée qui quitte pour la première fois son bébé, arrivée à la fin de son congés maternité, pour reprendre le travail la mort dans l'âme. Son destin tragique n'en sera que plus horrible. C'est un poil gratuit et trop facile selon moi, même si l'effet est évidemment au rendez-vous...
Alors on commence à connaître la petite recette de S. Craig Zahler, celle qui a déjà fait ses preuves par deux fois : elle consiste en une mise en place patiente et méticuleuse de l'histoire et des différents enjeux, dans le développement d'une ambiance lourde et réaliste, pour mieux aboutir à des moments d'une intensité rare qui nous laissent véritablement KO. Dragged Across Concrete est le plus long film du cinéaste, dont la patte devient très reconnaissable, et il ne déroge pas à la règle. Après une très grosse heure d'exposition, tout à fait plaisante et rondement menée, nous avons ainsi droit à 90 dernières minutes de folie où la tension atteint des sommets et nous scotche littéralement à notre fauteuil. De mémoire de cinéphage, on a rarement vu ça ces derniers temps au cinéma... Expert en thriller à combustion lente, Zahler étale alors tout son art et sa maîtrise exceptionnelle de la mise en scène, pour un suspense garanti.
La longue scène de l'affrontement final entre les deux flics et les malfrats, coincés dans leur véhicule blindé, est tout simplement bluffante, à montrer dans toutes les écoles... Le film prend alors des allures de splendide western crépusculaire, notamment grâce à l'atmosphère ténébreuse sublimée par son directeur photo attitré, le très doué Benji Bakshi. Durant cette longue séquence paroxystique, Zahler fait preuve d'un savoir-faire étonnant, d'un sens du cadre admirable et d'un contrôle magistral de la plus pure scénographie, tout cela avec une simplicité désarmante. C'est un travail d'orfèvre. L'action, sans cesse dilatée, est si lisible que nous pouvons à fond en ressentir toute l'intensité et être sensible à tous ses enjeux. Nous sommes sur le qui-vive comme jamais et on tremble jusqu'au bout du bout. On pourrait presque regretter que le film se termine par un épilogue peut-être dispensable, où le soufflet retombe. A la différence de Brawl in Cell Block 99, Dragged Across Concrete ne nous lâche pas au point de rupture, mais sur une conclusion qui laisse un arrière-goût amère.
La longue scène de l'affrontement final entre les deux flics et les malfrats, coincés dans leur véhicule blindé, est tout simplement bluffante, à montrer dans toutes les écoles... Le film prend alors des allures de splendide western crépusculaire, notamment grâce à l'atmosphère ténébreuse sublimée par son directeur photo attitré, le très doué Benji Bakshi. Durant cette longue séquence paroxystique, Zahler fait preuve d'un savoir-faire étonnant, d'un sens du cadre admirable et d'un contrôle magistral de la plus pure scénographie, tout cela avec une simplicité désarmante. C'est un travail d'orfèvre. L'action, sans cesse dilatée, est si lisible que nous pouvons à fond en ressentir toute l'intensité et être sensible à tous ses enjeux. Nous sommes sur le qui-vive comme jamais et on tremble jusqu'au bout du bout. On pourrait presque regretter que le film se termine par un épilogue peut-être dispensable, où le soufflet retombe. A la différence de Brawl in Cell Block 99, Dragged Across Concrete ne nous lâche pas au point de rupture, mais sur une conclusion qui laisse un arrière-goût amère.
Un dernier mot sur l'absence totale de musique d'ambiance et d'un quelconque accompagnement musical pour surligner le sens de telle ou telle scène ou amplifier une émotion. La bande son du film est exclusivement diégétique, elle est constituée de morceaux soul au charme suranné, composés par S. Craig Zahler himself et son acolyte Jeff Herriott, interprétés, pour certains d'entre eux, par les vétérans de The O'Jays. Cette bande originale aux petits oignons, foncièrement cool et tranquille, teinte d'une drôle d'ironie cette histoire si sombre et bien ficelée. Que dire de plus ? J'avais clôt mon article dithyrambique sur Brawl in Cell Block 99 en anticipant avec enthousiasme ce Dragged Across Concrete qui s'annonçait alléchant et qui a bien rempli son contrat. Nous n'avons pas, à ce jour, connaissance du prochain projet de Zahler, mais comptez sur moi pour suivre tout ça de près...
Dragged Across Concrete de S. Craig Zahler avec Mel Gibson, Vince Vaughn, Tory Kittles, Jennifer Carpenter, Laurie Holden, Thomas Kretschmann et Michael Jai White (2019)