On s'inquiétait de ne voir justifié le régime politique du moment que par un cinéma de loft (condo flicks) somme toute déjà vieux. Étaler à la face d'un public de cinéma certes très disparate mais composé en large partie encore, du moins nous le semble-t-il, de smicards et autres figures estudiantines ces logements dont les chiottes feraient office de living room chez n'importe quel gilet jaune, c'était déjà énorme. Le smart power de classe travaillait déjà notre cinéma national depuis un bail (il n'y a qu'à revoir les films de Liza Azuelos, ou de manière alternative l'ensemble des films de Patrick Bruel). Il y avait de quoi finir par trouver normal de se représenter la vie à Paris dans un logement de 1500m² avec piscine de fonction et écran plat de dingue. Une recette déjà ancienne, donc qui, si elle niait la réalité de la sociologie parisienne, avait le mérite de bourrer les crânes d'un imaginaire de réussite sociale métropolisée appartenant à une bourgeoisie de son temps. On avait certes pu émettre des doutes quant au potentiel émancipatoire de cet imaginaire pour les classes aisées du "moment macronien" en nous confrontant à toutes ces scènes de tous ces films dans lesquels tous ces personnages aux jobs chers payés (la psychanalyste Sybil, l'avocate Victoria, ou encore l'éditeur-baiseur de Doubles vies) passaient d'innombrables quarts d'heures à se morfondre dans des appartements gigantesques en plein cœur de Paris. On était en droit de se demander si l'argent faisait encore le bonheur. Mais il ne fallait pas s'arrêter à ces crises biliaires d'un régime auto-persuadé de sa pleine forme et qui, enfin, a trouvé de quoi le démontrer avec deux films sortis coup sur coup, en 2018 et 2019. Deux purs produits marketing du macronisme dont nous nous sommes délectés.
Sorti en 2018, Love Addict raconte la réussite sociale d'un jeune markéteux qui "bzzzz" (sic) toutes les femmes qu'il rencontre parce qu'il "ne peut pas s'en empêcher". Sorti en 2019, Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu ? raconte la réussite sociale d'un notaire de Chinon et le pouvoir de l'argent lorsqu'il s'agit de célébrer la France. Ces deux films pourront paraître innocents de tout engagement politique (dans la mesure où ce sont des "comédies") et sans lien aucun l'un avec l'autre. Mais ce serait n'y avoir pas assez regardé de près. D'autant qu'il n'est pas nécessaire de chausser ses demi-lunes pour voir dans les deux films trôner ces gorilles résineux géants, rouge brillant, triomphaux, au bas des escaliers du palais du boss américain (Michael Madsen, au seuil de la mort) ou au bas des escaliers de l'hôtel particulier parisien loué par le beau-frère loser (Ary Abittan, en roues libres). L'écho de ces productions fort laides du commerçant R. Orlinski dans les deux films n'est bien sûr qu'un symptôme de leur familiarité. Il en est d'autres.
On peut ainsi penser au fait que dans les deux films il est fait référence avec dédain à la piétonisation des "voies sur berges", à Paris. Cette critique très assumée de la Maire de Paris estampillée socialiste correspond à une réalité sociale : il y a des gens qui prennent la voiture à Paris et que le ralentissement du trafic gène. Prendre la voiture à Paris, rappelons-le, signifie monter dans une voiture conduite par un.e tâcheron.ne pour aller d'un point A, l'hôtel de luxe où l'on a dormi une fois de plus, à un point B, le bureau du seizième où l'on doit faire la présentation d'un nouveau produit qui n'est nouveau que parce qu'on va le présenter d'une manière nouvelle, c'est-à-dire en bullshitant à mort, et Kev Adams est très fort pour ça. On a d'ailleurs du mal à comprendre comment on peut avoir besoin de passer en voiture par les berges pour aller du 16ème arrondissement au 16ème arrondissement, mais c'est une question qui nous ferait sortir du cadre strict de notre analyse du jour.
Ces films partagent donc un imaginaire embourgeoisé, embouteillé, engorillé, de Paris et de la France mais c'est surtout dans le discours qu'ils tiennent que l'on peut trouver leur véritable complicité. Dans Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu ?, l'idée est simple : malgré la pertinence de ouf de leur concept d'entreprise (de la nourriture casher et bio), les gendres de C. Clavier n'ont pas trouvé d'investisseur. Comme en prime, ils en ont marre de défendre des femmes en burqini (gendre avocat algérien), de ne pas trouver de rôle au théâtre (gendre ivoirien) et d'avoir peur dans la rue (gendre chinois), les quatre gendres vont décider séparément de quitter cette France dangereuse, raciste et où plus personne n'a le courage d'investir dans des concepts de dingue. Beau-papa notaire va alors tout faire pour les retenir car il veut continuer à voir ses filles et ses petits-enfants. Il va ainsi mettre en place une mascarade visant à leur louer la beauté de la France (= la Touraine des châteaux) tout en leur trouvant des opportunités de travail impossibles à refuser. Devant leur hésitation, il leur tiendra même un discours mémorable commençant par "Bon, vous avez tous voté Macron..." et vantant les transformations réalisées et à venir de cette France qui, bon, sans doute n'allait pas bien, mais qu'on est en train de remettre sur ses pieds, n'est-ce pas. Philippe de Chauveron, le réalisateur et co-scénariste du film, se fait ici conseiller spécial à l’Élysée en proposant de compléter le macronisme classique par un chauvinisme qui peut-être lui manquait. Cette incursion sur les terres habituellement réservées aux souverainismes (insoumis ou racistes) ne manquera pas de combler tous ces start-uppers et autres bourgeois athées fanatiques d'un "nouveau monde" dans lequel, non seulement les métropoles seront devenues smart, mais en prime les campagnes pourront être investies par le coworking, les fermes à serveurs et autres réunions marketing chicos.
Seule ombre au tableau, cette France terre d'accueil (des investisseurs, pas des migrants - Clavier se donnera d'ailleurs tout le mal du monde pour faire en sorte que l'Afghan qui s'occupe gratuitement de tondre son jardin rentre chez lui de son plein gré), cette France terre d'accueil donc, reste soumise à tout une batterie de pathologies directement héritées du consumérisme, à commencer par l'addiction au cul, dont les chroniques sont nombreuses ces dernières années, du Shamede Steve McQueen au Fleabagde Phoebe Waller-Bridge. Love Addict apporte fort heureusement de quoi résoudre ce petit souci qui touche de près le petit Kev, inlassable bzzzzeur de tout ce qui passe à sa portée. C'est que ça commence à pas mal gonfler ses employeurs... Non pas tant d'ailleurs qu'il bzzzze ses collègues, mais surtout qu'il bzzzze aussi la femme du boss, ses filles, etc. Blacklisté dans le métier, Kev finit par trouver un type qui, bien qu'il connaisse sa réputation et sa pathologie, et bien qu'il soit marié à une bombasse un poil nympho, est quand même prêt à l'embaucher, à condition qu'il passe le test de rencontrer ladite bombasse et ne la bzzzz pas. Drôle de conception du mariage et du business, mais passons. Pour sauver sa carrière, Kev va faire appel à une boîte unique en son genre (disons plutôt : première sur le marché français), une société de "minders" (maïndeurz). Ces reconvertis de la psychanalyse ou du bodyguarding offrent en effet un service disruptif : ils suivent H24 leurs clients et les empêchent de réaliser leurs différentes pathologies. Ils ne soignent pas : ils "aident". Kev se fera donc "aider" par une psy radiée du barreau qui l'empêchera de bzzzzer tout ce qui passe, à commencer par la femme du patron, quitte à finir par le bzzzzer elle-même, mais attention pas n'importe comment : ça se finira en véritable "amour". Merci donc à Franck Bellocq, réalisateur et co-scénariste de ce film pour cette idée si utile au macronisme et que ce bon vieux Cyrulnik n'aura pas suffi à faire éclore : rien ne sert de changer le monde qui produit de telles pathologies. Rien ne sert même de soigner les gens atteints. Il suffit de leur faire payer chèrement des personnal bodyguards qui minderont (traduction littérale : prendront soin ou feront attention) à leur place. On pourra ainsi continuer de partir en vrille gaiement en même temps que le monde et reporter la responsabilité de ses actes (qu'il s'agisse de bzzzer tout ce qui passe ou de foutre le feu partout où l'on passe) à ces minders qui, alors, n'auront pas fait leur taf correctement. La France de demain s'annonce ainsi radieuse.
Mais à quoi ressemble-t-elle cette France-là ? Arrêtons-nous un instant sur un aspect non-négligeable de ces deux films, à savoir le rôle dévolu aux femmes. Dans les deux films, les femmes sont dépressives (la femme de Christian Clavier, l'une de ses filles), des connasses (la mère de Mélanie Bernier), des potiches (Frédérique Bel, Julia Piaton), ou alors elles tombent sous le charme irrésistible d'un ado post-pubère et poly-baiseur (Mélanie Bernier). Lorsque les quatre gendres du notaire retraité Clavier décident de quitter la France pour "réussir" ailleurs, les quatre filles acceptent direct. Lorsque les quatre gendres finissent par décider de s'installer en bord de Loire, les quatre filles s'y plient, au prix de leurs jobs, de leurs rêves et pour certaines, en acceptant de vivre leur pire cauchemar.
L'une a vendu son appartement parigot de luxe et va devoir (horreur) s'installer dans un palace chinonais plutôt que dans une villa chinoise. L'autre a appris l'hébreu pour rien. |
De même, le personnage fantomatique incarné par Mélanie Bernier dans Love Addict, psychanalyste ratée reconvertie (grâce à un ami, un mec, blanc) en "mindeuse", va errer d'ex idiot en mec nympho, lequel n'aura que très peu de mal à la convaincre de sa puissance virile. Il suffira pour cela de lui montrer ses pecs, de la rendre jalouse en étant dragué par une journaliste chaudasse, ou de danser avec elle sur du Grease, parce qu'elle adore Grease. On pouvait anticiper cependant un écart à ce schéma dans la mesure où la nouvelle mouture du film de France (Make France Great Again flicks) de Philippe de Chauveron était supposée mettre en scène un mariage homosexuel lesbien entre deux ivoiriennes. Cependant, on devra se contenter d'environ cinq minutes de scènes autour de cette péripétie, avec un accent largement mis sur le papa ivoirien dépité de l'homosexualité de sa fille pourtant "bien éduquée". Il est vrai qu'une scène nous montre l'une des deux fiancées danser seule dans sa chambre en remerciant Christiane Taubira. Nous laissons au lecteur-spectateur le soin de juger de cette scène qui nous a paru être un goof, mais que l'on pourrait interpréter tant au premier qu'au second degré.
"Merci Taubira, je sais pas qui tu es mais grâce à toi je vais me marieeeeeer..." |
On n'aura donc plus aucune raison de se plaindre, du côté de la Défense, de la franchouillardise campagnarde des autres ou de ses propres addictions. Le cinéma du régime, enfin actif à plein, vient de nous offrir non seulement des justifications de la doctrine macroniste, mais bien des prolongements innovants ouvrant sur de nouveaux marchés en guise de rustines à un néolibéralisme raciste et sexiste, malade de lui-même et menaçant chaque jour de s'effondrer tant il pue la mort.
Love Addict de Franck Bellocq avec Kev Adams, Mélanie Bernier et Marc Lavoine (2018)
Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu ? de Phillipe de Chauveron avec Christian Clavier, Chantal Lauby et Ary Abittan (2019)