En septembre de l'an passé les éditions Wild Side nous ont donné l'occasion de découvrir un film magnifique et important de 1968. Notre bon Simon a tout particulièrement aimé le film de Frank Perry et nous livre sa critique en direct de son smart-phone :
The Swimmer est longtemps resté méconnu, dans l’ombre des quelques films considérés comme les fers de lance du Nouvel Hollywood (Le Lauréat, Easy Rider…), avant lesquels il a pourtant été tourné. Grâce à une belle édition DVD chez Wild Side, le film devrait enfin retrouver le statut qu’il mérite auprès des cinéphiles français : celui d’un chef-d’œuvre d’une liberté et d’une audace narrative et esthétique folles, annonciateur de la parenthèse enchantée d’une quinzaine d’années que va traverser le cinéma américain. Le film brille d’abord par l’originalité de son postulat de départ, adapté d’un roman de John Cheever : un été, dans un quartier résidentiel campagnard et huppé du Connecticut, un homme à moitié nu décide de « rentrer chez lui » en passant par les différentes piscines du voisinage, cet enchaînement de piscines qu’il voit comme une rivière, qu’il nomme Lucinda, du prénom de sa femme. He’s swimming home. Il faut voir ce prologue : des branchages, des feuillages, des animaux sauvages saisis à la volée, par des petits plans rapides ou en travelling. Et tout à coup Burt Lancaster, alors âgé de 53 ans, corps musculeux et cramé de soleil, vêtu de son petit caleçon de bain, qui marche rapidement dans ces sous-bois, filmé de dos, arrive dans un premier jardin et plonge dans cette première piscine. On ne sait absolument pas d’où il arrive, d’où il sort, ça pourrait être du bois lui-même, de la terre. Le mystère et la puissance qui se dégagent de cette première scène ne nous lâcheront plus jamais.
The Swimmer est longtemps resté méconnu, dans l’ombre des quelques films considérés comme les fers de lance du Nouvel Hollywood (Le Lauréat, Easy Rider…), avant lesquels il a pourtant été tourné. Grâce à une belle édition DVD chez Wild Side, le film devrait enfin retrouver le statut qu’il mérite auprès des cinéphiles français : celui d’un chef-d’œuvre d’une liberté et d’une audace narrative et esthétique folles, annonciateur de la parenthèse enchantée d’une quinzaine d’années que va traverser le cinéma américain. Le film brille d’abord par l’originalité de son postulat de départ, adapté d’un roman de John Cheever : un été, dans un quartier résidentiel campagnard et huppé du Connecticut, un homme à moitié nu décide de « rentrer chez lui » en passant par les différentes piscines du voisinage, cet enchaînement de piscines qu’il voit comme une rivière, qu’il nomme Lucinda, du prénom de sa femme. He’s swimming home. Il faut voir ce prologue : des branchages, des feuillages, des animaux sauvages saisis à la volée, par des petits plans rapides ou en travelling. Et tout à coup Burt Lancaster, alors âgé de 53 ans, corps musculeux et cramé de soleil, vêtu de son petit caleçon de bain, qui marche rapidement dans ces sous-bois, filmé de dos, arrive dans un premier jardin et plonge dans cette première piscine. On ne sait absolument pas d’où il arrive, d’où il sort, ça pourrait être du bois lui-même, de la terre. Le mystère et la puissance qui se dégagent de cette première scène ne nous lâcheront plus jamais.
Car si aucune explication psychologique du projet de Ned Merrill ne nous est donnée au départ, ce trajet de jardin en jardin, de piscine en piscine, raconté comme un véritable road-movie (comme souligné dans le très bon livre de Bernard Benoliel et Jean-Baptiste Thoret sorti l’an dernier, Road-Movie USA), n’est autre qu’un voyage vertigineux dans le passé d’un homme. Au fil de ce voyage, au gré des rencontres ou des retrouvailles, on comprend que Ned revient dans le quartier après une longue absence. On comprend vite aussi, par quelques allusions dans les dialogues, qu’il refoule quelque chose, lié à sa famille, sa femme et ses deux filles. Si les premiers voisins rencontrés semblent tiquer mais font la sourde oreille, préférant accueillir Ned avec ferveur, chaque nouvelle séquence mettra en lumière de façon plus claire les profondes failles intérieures du personnage, et chaque nouvelle rencontre sera moins chaleureuse, et plus impitoyable pour Ned. L’enthousiasme factice du début culmine dans sa rencontre à la fois sensuelle et malsaine avec l'ancienne baby-sitter de ses filles, qui a bien grandi, et cette incroyable scène où ils courent tous deux sur un parcours d’obstacles équestre, filmés au ralenti (et qui m’a rappelé la scène d’enthousiasme enneigé à la fois sublime et ridicule de Ryan O’Neill et William Holden, dans le beau Deux hommes dans l’ouest de Blake Edwards). A la fin de cette scène, après avoir sauté un obstacle, Ned se blesse au genou. C’est le début de sa chute. Tout à coup son âge le rattrape, et le corps et le visage d'un extraordinaire Lancaster, à la fois toniques et fragiles, musculeux et ridés, sont les véhicules idéaux de cette impression, comme étaient idéaux le corps et la tronche cassée et refaite de Stallone dans Rocky Balboa. Désormais Ned boîtera, sa grande silhouette se voûtera imperceptiblement, il se mettra à frissonner de froid... Sa belle détermination est érodée et son utopie se désagrège lentement, peut-être est-il déjà en train de mourir ?
Car le film est aussi la critique acerbe d’un certain mode de vie américain, qui avait connu son apogée dans les années 50, un mode de vie centré sur la consommation à outrance et des codes moraux hypocrites, et désormais en perdition. La trajectoire de Ned en est une parabole, mais Frank Perry inclut aussi dans le film des scènes ouvertement outrancières, où des personnages bourgeois festoient bruyamment en mangeant du caviar à la cuillère, où une population plus modeste s’entasse dans une piscine sur-chlorée, dans laquelle Ned se fraye un chemin après s’être fait humilier par le guichetier à l’entrée, qui l’oblige plusieurs fois à nettoyer ses pieds sales et blessés… Cet aspect satirique est bien présent, mais ne prend pas le dessus sur l’essentiel : le portrait d’un homme et de sa chute. Si, pendant une grosse heure, le film impressionne et réjouit par la singularité de son dispositif, par son audace et ses innombrables qualités formelles, en bout de course il bouleverse. D’abord avec cette scène où Ned retrouve son ancienne maîtresse (celle-là même dont il ne se rappelait plus l’existence lorsque, au début du film, il récapitulait à haute voix le trajet qui allait le mener chez lui). La confrontation met en lumière la complexité de leur relation passée, la façon dont elle a souffert par sa faute, comme c’est maintenant lui qui a besoin d’elle, qui a besoin de quelqu’un. Une séquence cruelle et déchirante qui, apprend-on dans le très bon bonus du DVD par le sus-cité Jean-Baptiste Thoret, a été tournée par… Sydney Pollack, suite au départ de Franck Perry pour divergences avec la production. Et chose plus étonnante : c’est Barbara Loden qui jouait initialement le personnage de la maîtresse, avant que Lancaster exige de retourner la scène, car Loden était trop puissante et trop magnétique à son goût. Pollack retourna donc la scène avec la belle Janice Rule, qui est très bien aussi.
Puis l’émotion suscitée par le film culmine avec cette dernière scène, que je ne raconterai pas ici pour ceux qui voudront découvrir le film, mais où Perry, sans mots mais avec sa seule caméra, traduit de façon admirable l’état mental d’un personnage qui se sera révélé et littéralement transformé sous nos yeux, au fil de son voyage : d’abord pure figure, à la fois puissante, décidée et mystérieuse, il (re)-devient cet homme brisé par le chagrin et sombrant dans la folie. Une dernière scène incroyablement puissante, à l’image de ce film tout entier, un film réellement important que tout amateur du cinéma américain des années 60-70 doit voir d’urgence.
The Swimmer de Frank Perry avec Burt Lancaster, Janet Landgard et Janice Rule (1968)