Près de 10 ans avant Richard Stanley, un jeune allemand du nom de Huan Vu s'est attelé à l'adaptation cinématographique de La Couleur tombée du ciel, l'une des meilleures nouvelles de Lovecraft. Une tentative sérieuse et ambitieuse globalement saluée par les adorateurs de l'écrivain et même adoubée par S. T. Joshi, le plus grand spécialiste d'HPL (notamment auteur de son imposante biographie récemment traduite en français), qui est allé jusqu'à qualifier Die Farbe de "meilleure adaptation jamais faite de Lovecraft". En ce qui me concerne, je n'irai pas jusque-là, la "meilleure adaptation" reste à faire et il faut s'éloigner des textes et encore aller chercher du côté de la filmographie de John Carpenter pour trouver ce qui s'y rapproche le plus (je pense à The Thing ou L'Antre de la folie, variations plus ou moins déguisées des écrits du promeneur de Providence). Il est toutefois évident que le long métrage signé Huan Vu constitue un très bel effort qui mérite de sincères louanges.
Le scénario fait le choix payant de déplacer l'action dans le temps et dans l'espace, tirant sans doute ainsi parti des limites imposées à cette petite production. Un jeune américain, étudiant à l'université d'Arkham, part en Allemagne sur les traces de son père disparu. Là-bas, un vieil homme lui raconte la terrible histoire vécue par la famille Gärtener suite à la chute d'une météorite à proximité de leur ferme dans les années 40. Respectant le type de narration cher à Lovecraft, le film nous propose donc un récit imbriqué avec de fréquents allers retours entre le passé (années 40) et le présent (années 70). Situer le récit autour de la Deuxième Guerre Mondiale n'est pas bête car cela permet de confronter l'humanité face à son insignifiance, comme se plaisait à le faire le maître de l'horreur cosmique. On saisit ainsi le caractère supérieure de cette manifestation extraterrestre, de cette entité venue d'ailleurs qui agit aléatoirement, se fichant bien de nos conflits. Dans la même volonté d'être fidèle à l'esprit de son modèle, Huan Vu tente aussi de nous quitter sur une dernière pirouette, qui est assez difficilement compréhensible mais a au moins le mérite d'engendrer un léger trouble.
Filmé dans un noir et blanc crasseux et très contrasté, à l'exception de la fameuse couleur venue de l'espace, Die Farbe séduit d'abord par le soin apporté à la forme en dépit de moyens que l'on imagine réduits au minimum. Quand il a recours à des procédés très simples, Huan Vu atteste d'un modeste mais bien réel talent de metteur en scène et fait preuve d'une certaine inventivité pour développer une ambiance singulière. Cela passe par trois fois rien, des balancements de mise au point ou des effets d'ombres et de lumières qui nimbent le film dans une atmosphère indicible collant assez bien au récit de Lovecraft, à son lourd mystère et à sa menace sourde, diffuse, difficilement identifiable. C'est principalement pour cela que le film est agréable à suivre pour l'aficionado, on ne doute pas un seul instant de l'amour et du respect partagé par le cinéaste pour sa matière première.
En revanche, dès que Huan Vu emploie des effets spéciaux numériques, le résultat à l'écran s'avère bien moins convaincant et rend criante la petitesse du budget. On pense notamment aux quelques apparitions et manifestations de la fameuse couleur, qui prend des teintes violettes fluo d'un goût hélas assez douteux. C'est très dommage car ces scènes, qui auraient dû correspondre à des moments forts, sont par conséquent plutôt ratées et embarrassantes. On a alors bel et bien l'impression d'être devant le tout petit essai d'un réalisateur débutant, soucieux de rendre hommage à un de ses auteurs favoris et qui compte peut-être un peu trop sur notre indulgence. Notons également que certains acteurs participent aussi et bien malgré eux à cette regrettable impression d'amateurisme. Ces quelques bémols ne nous font néanmoins guère oublier que, par ailleurs, Die Farbe a une belle tenue et constitue à l'évidence une curiosité, à conseiller vivement aux lecteurs de Lovecraft.
Die Farbe de Huan Vu avec Jürgen Heimüller, Paul Dorsch et Ingo Heise (2010)