Richard Stanley, Howard Philips Lovecraft, Colin Stetson, Nicolas Cage... Ces noms-là étaient faits pour se rencontrer. C'est en tout cas l'agréable impression que donne Color Out of Space, le premier long métrage réalisé par Richard Stanley depuis près de 27 ans, une adaptation de la fameuse nouvelle de H.P. Lovecraft, La Couleur tombée du Ciel, qui bénéficie de la mise en musique particulièrement inspirée de Colin Stetson et de la performance forcément débridée de l'impayable Nicolas Cage, cet acteur à l'exubérance sans équivalent dont l'arrivée dans le projet eut pour effet salutaire de débloquer sa production et de permettre enfin sa mise en chantier. Mais attention, si la réunion de ces différents noms sonne a posteriori comme une évidence et débouche effectivement sur un drôle d'objet cinématographique, tout à fait atypique et aimable, Color Out of Space est très loin d'être un chef-d’œuvre et ne pourra pas plaire à tout le monde. Éminemment sympathique et débordant de bonnes intentions, ce film réussit petit à petit par emporter l'adhésion, d'autant plus, sans doute, quand il est vu dans les meilleures conditions possibles : en ce qui me concerne, j'ai eu la joie de le découvrir à la Cinémathèque de Toulouse dans le cadre du Festival Extrême Cinéma, au troisième rang d'une belle salle bondée et remplie de spectateurs au moins aussi impatients que moi, en présence du réalisateur, qui a décidément l'air d'un type extra, venu échanger avec nous à l'issue de la séance, sous un tonnerre d'applaudissements mérité.
Assez inégal, très bizarrement foutu, souvent déconcertant, loin d'être entièrement réussi mais marqué par des fulgurances géniales, une générosité de chaque instant, des références bien assimilées, une liberté évidente et un humour de bon aloi : pas de doute possible, Color Out of Space est bel et bien un film de Richard Stanley et ce dernier n'a pas bougé d'un iota depuis que nous l'avions quitté. Tant mieux ! Le plaisir des retrouvailles avec ce cinéaste trop rare, à la patte si singulière et à la personnalité fantasque, est entier. On espère que, tel qu'il nous l'a annoncé, ce film actera bel et bien son retour et qu'il pourra enchaîner : Richard Stanley veut en faire le premier épisode d'une trilogie lovecraftienne, la prochaine nouvelle vouée à passer à sa moulinette sera L'Abomination de Dunwich, un programme réjouissant, mais fermons-là la parenthèse et revenons à nos moutons, ou plutôt, vous verrez, à nos alpagas. Color Out of Space s'avère étonnamment fidèle au récit de Lovecraft au point de reprendre les lignes les plus précieuses de l'auteur en guise d'ouverture et de conclusion, pour le plus grand plaisir des fans qui, dès les premiers mots prononcés en voix off et directement issus de la nouvelle, sont ainsi assurés qu'ils tiennent là l’œuvre d'un homme au moins autant épris qu'eux par son matériau de base. Après la brève description introductive signée Lovecraft, accompagnée de la musique d'ambiance oppressante de Colin Stetson et illustrée de quelques jolis plans des forêts profondes et mystérieuses de Nouvelle-Angleterre, le film nous présente la famille Gardner, citadins fraîchement débarqués dans la campagne d'Arkham dont le patriarche (Nicolas Cage) se lance avec enthousiasme dans l'élevage d'alpagas (!) et la mère (Joely Richardson), en rémission d'un cancer, pratique le télétravail depuis son grenier connecté. Ils sont parents de trois enfants parmi lesquels deux ados, une fille un brin gothique qui s'adonne à la magie noire et un garçon tendance geek qui aime fumer de l'herbe en douce. Tout bascule pour notre petite famille un peu trop tranquille quand, une nuit, une météorite atterrit au beau milieu de leur jardin, non loin du puits qui les abreuve en eau...
Assez inégal, très bizarrement foutu, souvent déconcertant, loin d'être entièrement réussi mais marqué par des fulgurances géniales, une générosité de chaque instant, des références bien assimilées, une liberté évidente et un humour de bon aloi : pas de doute possible, Color Out of Space est bel et bien un film de Richard Stanley et ce dernier n'a pas bougé d'un iota depuis que nous l'avions quitté. Tant mieux ! Le plaisir des retrouvailles avec ce cinéaste trop rare, à la patte si singulière et à la personnalité fantasque, est entier. On espère que, tel qu'il nous l'a annoncé, ce film actera bel et bien son retour et qu'il pourra enchaîner : Richard Stanley veut en faire le premier épisode d'une trilogie lovecraftienne, la prochaine nouvelle vouée à passer à sa moulinette sera L'Abomination de Dunwich, un programme réjouissant, mais fermons-là la parenthèse et revenons à nos moutons, ou plutôt, vous verrez, à nos alpagas. Color Out of Space s'avère étonnamment fidèle au récit de Lovecraft au point de reprendre les lignes les plus précieuses de l'auteur en guise d'ouverture et de conclusion, pour le plus grand plaisir des fans qui, dès les premiers mots prononcés en voix off et directement issus de la nouvelle, sont ainsi assurés qu'ils tiennent là l’œuvre d'un homme au moins autant épris qu'eux par son matériau de base. Après la brève description introductive signée Lovecraft, accompagnée de la musique d'ambiance oppressante de Colin Stetson et illustrée de quelques jolis plans des forêts profondes et mystérieuses de Nouvelle-Angleterre, le film nous présente la famille Gardner, citadins fraîchement débarqués dans la campagne d'Arkham dont le patriarche (Nicolas Cage) se lance avec enthousiasme dans l'élevage d'alpagas (!) et la mère (Joely Richardson), en rémission d'un cancer, pratique le télétravail depuis son grenier connecté. Ils sont parents de trois enfants parmi lesquels deux ados, une fille un brin gothique qui s'adonne à la magie noire et un garçon tendance geek qui aime fumer de l'herbe en douce. Tout bascule pour notre petite famille un peu trop tranquille quand, une nuit, une météorite atterrit au beau milieu de leur jardin, non loin du puits qui les abreuve en eau...
Admettons que Color Out of Space est peut-être un peu long, ou en tout cas laborieux, à démarrer. Richard Stanley n'est sans doute pas le plus à l'aise pour mettre en scène des séquences... normales. Cet homme-là doit être trop perché pour filmer efficacement les scènes d'exposition indispensables. On ne sait pas trop sur quel pied danser durant les premières minutes. Richard Stanley déploie d'emblée un ton déconcertant qui nous demande un petit temps d'adaptation nécessaire. C'est à partir du moment où tout se dérègle pour de bon que l'on peut se laisser aller complètement, goûter aux joies de l'horreur psychédélique, apprécier l'humour très particulier du film et ne plus tiquer à ses défauts évidents, qui passent alors définitivement au second plan. Les meilleures scènes sont celles qui parviennent miraculeusement à concilier cet humour très noir ou absurde à une horreur vraiment dérangeante car poussée assez loin et jouant sur différents tableaux, à la fois purement visuelle et psychologique. Le meilleur exemple de cette juxtaposition heureuse de tons qui me vient à l'esprit est sans conteste cette scène terrible durant laquelle Nicolas Cage qui, découvrant à la télé la retransmission de son interview loufoque donnée à la chaîne régionale le matin même, se plaint de la tronche qu'il se paye à l'écran tandis que sa femme prépare le repas en découpant des carottes dans la cuisine (c'est jamais une bonne idée de découper ainsi des légumes dans un film d'horreur, le couteau utilisé est toujours disproportionné et, en général, il y a au moins un doigt qui y passe...). A l'aide efficace d'une nappe sonore allant crescendo, la tension monte rapidement via un montage alterné très simple mais bien mené entre des gros plans sur le couteau se rapprochant de façon de plus en plus menaçante des doigts de la maman et des plans du salon où un Nicolas Cage, irrésistible, se lamente de son allure et plus particulièrement de ses cheveux, pour une blague méta tout à fait bienvenue, lui dont les drôles de tignasses qu'il arbore de film en film sont régulièrement moquées sur les réseaux. Le plus petit de la famille finira par faire le lien entre les deux actions en allant voir sa mère dans la cuisine, pour un dénouement forcément saignant. Le suspense et le comique font ici très bon ménage, ce qui place le spectateur dans une situation inconfortable et réjouissante. D'autres scènes proposent le même mélange de registres pour un effet à la fois jubilatoire et déconcertant que l'on peut tout à fait juger fidèle à l'esprit de Lovecraft tant le style paroxystique de ce dernier, se plaisant à la surenchère et volontiers excessif dans son écriture, offre bien souvent une impression identique : on peut s'amuser et trembler à la lecture de ses plus grands textes. En fin de compte, si l'on devait chipoter, la seule entorse notable à l'esprit d'HPL c'est cet exemplaire du Necronomicon, d'apparence tristounette, qui ne devrait pas pouvoir traîner négligemment dans la chambre d'une ado...
La petite famille se désintègre donc progressivement sous nos yeux sous l'influence pernicieuse de la couleur tombée du ciel, chacun tombant à sa manière dans la folie et Richard Stanley de se lâcher autant qu'il peut, avec parfois quelques loupés, certes, mais une générosité délirante telle qu'on ne peut que s'incliner et assister, béat, au spectacle amusant de la dégénérescence totale des lieux et de ses habitants. Point crucial attendu et inévitable d'une adaptation de cette nouvelle : la représentation de ladite couleur et de ses diverses manifestations. Malgré un budget très modeste, force est de constater que Richard Stanley s'en tire avec les honneurs et nous propose quelques passages de toute beauté, où l'on en prend littéralement plein la yeux et les oreilles (si cela avait été techniquement possible, nul doute que le réalisateur en aurait aussi voulu à notre odorat puisque Nicolas Cage se plaint d'une odeur répugnante dès la découverte de la météorite maudite). Stanley fait en effet le choix risqué, mais encore une fois payant, d'y aller à fond. C'est le plus souvent réussi et cela donne lieu à quelques très bonnes trouvailles, en particulier cette idée des déformations de l'image, comme si la pellicule était malmenée, aspirée, brouillée par des interférences avec l'entité extraterrestre indiscernable, ce qui culmine lors d'un final dément. La transformation progressive du paysage autour de la maison, sous l'influence néfaste de la météorite, constitue également un spectacle plaisant : la végétation est de plus en plus luxuriante avec des fleurs étranges et des lianes envahissantes qui surgissent du sol et dont les couleurs sont des déclinaisons du pourpre électrique venu de l'espace.
On est surpris aussi de découvrir progressivement à quel point le film s'enfonce dans l'horreur la plus crue. Richard Stanley, comme bien d'autres réalisateurs qui se sont essayés avant lui à l'exercice périlleux d'adapter Lovecraft (Brian Yuzna et Stuart Gordon en particulier, auxquels on peut quasiment ajouter John Carpenter si l'on prend le cinéma lovecraftien au sens large), verse carrément dans le body horror lorsque le film monte d'un cran dans l'épouvantable. Il fait alors l'heureux choix des effets spéciaux artisanaux, employés aussi souvent que possible. La plus affreuse monstruosité qui nous est montrée, que je fais attention de ne pas vous révéler pour ne rien vous gâcher et parce qu'elle est précisément indicible, prend ainsi une forme très soignée, pour un effet de dégoût garanti dont on peut de nouveau estimer qu'il se rapproche de très près de l'effet que produit la lecture des descriptions méticuleuses de l'écrivain de Providence. Au-delà de ça, l'intelligence du cinéaste est aussi d'avoir considérer l'univers lovecraftien dans son ensemble. Loin de faire partie de ceux qui cherchent d'abord à coller au plus près du récit, en allant par exemple jusqu'à le resituer dans les années 30, ou qui ignorent plus ou moins volontairement ce qui a déjà été fait au cinéma comme ailleurs à partir de cette même source d'inspiration, Richard Stanley démontre sa connaissance de Lovecraft et de son influence en ne tombant jamais dans les images attendues et déjà vues (d'où les alpagas !), et en lui adressant aussi des pieds-de-nez malins. Cela passe par des choix aussi simples qu'intelligents, comme une place assez importante laissée aux personnages féminins ou encore l'attribution railleuse du nom de l'écrivain à l'un des personnages, le narrateur (Elliot Knight), un jeune étudiant noir de l'université de Miskatonic. On note également de nombreux clins d’œil appuyés à The Thing, que Stanley doit justement considérer comme ce qui s'est fait de mieux en termes de déclinaison lovecraftienne au cinéma. Ces références n'apparaissent jamais gratuites ou simplement là pour satisfaire le spectateur et s'assurer de sa complicité, non, elles s'incluent dans une démarche cohérente et participent au fonctionnement d'un film tout à fait conscient de ce à quoi il s'attaque.
Un mot sur l'inévitable Nicolas Cage, dont aurait légitimement pu craindre qu'il transforme le projet en une vaste farce, en une de ces séries b qu'il semble affectionner particulièrement et qu'il enfile comme des perles à son interminable filmographie. L'acteur apparaît ici comme le choix idéal, comme l'homme de la situation. Richard Stanley se sert parfaitement de lui : sa folie et son côté imprévisible sont mis au service du récit et non l'inverse (comme cela pouvait être le cas dans Mandy, autre trip horrifique psychédélique produit par SpectreVision). De manière très inattendue, Nick Cage campe un excellent personnage lovecraftien, dont la folie ou la mort sont les seules issues possibles. La star a bien quelques moments qu'il fait totalement siens, des courtes scènes où il se lâche de façon très outrancière ou des répliques peut-être improvisées qu'il sort comme nul autre ne l'aurait fait, autant de passages qui pourraient d'ailleurs trouver une place de choix dans les nombreuses compilations des coups d'éclat de l'acteur montées par ses fans qui existent déjà sur youtube, mais cela fait toujours sens avec la folie grandissante de son personnage et du film tout entier. Il y a quelques moments hilarants, qui s'ajoutent avec harmonie à la folie de l'ensemble : il faut voir Nicolas Cage servir fièrement son cassoulet à ses enfants, parler avec amour de son modeste troupeau d'alpagas, "l'animal du futur", les traire avec soin et boire leur lait. Il faut le voir péter les plombs dans sa bagnole qui ne démarre pas, "the car is not happening", goûter ses fruits pourris et les jeter rageusement, "slam dunk !", puis, d'un seul coup, retomber comme un soufflé et se montrer tendre et affectueux avec son interlocuteur incrédule. Ce type-là est au moins aussi atteint que son cinéaste. Dick et Nick, il était évident qu'ils ne pouvaient que bien s'entendre !
Richard Stanley dit avoir puisé dans son histoire personnelle, celle de sa propre famille, ce qui peut laisser songeur quand on voit ce qu'il advient de chacun d'eux à l'écran. On ne doute pas cependant de l'aspect intime de la chose tant il parvient effectivement à insuffler une part indéniable d'horreur psychologique à son film par des évocations, explicites ou implicite, au cancer de la mère. Tout ça n'est pas du chiqué. Se confiant à nous à l'issue de la projection, Richard Stanley nous a raconté que Lovecraft était l'auteur préféré de sa défunte mère, morte d'un cancer bien avant le tournage du film. Elle lui lisait les nouvelles pour qu'il s'endorme quand il était petit (on voit ce que ça a donné...) avant que, bien des années plus tard, les rôles ne s'inversent et que Richard Stanley les lui lise à son chevet, pour lui offrir un peu de réconfort. Il eut le temps d'annoncer à sa mère qu'il allait réaliser une adaptation, mais celle-ci, connaissant peut-être les nombreux projets malheureusement avortés de son fils, n'y crut pas une seconde. En y mettant autant de cœur, notre cinéaste fou a signé un vibrant hommage à l'écrivain ainsi qu'à sa mère, une œuvre riche qui porte son empreinte, reconnaissable entre mille. Alors certes, le film, branlant, cahoteux, aurait pu être raccourci et mieux construit, on se demande ainsi pourquoi le cinéaste s'éloigne régulièrement de la ferme et refuse ainsi le pur huis clos, au détriment de la tension et de la tenue du récit. Certains personnages n'apportent pas grand chose, quand bien même ils sont au demeurant amusants (je pense surtout à Ezra, l'original qui vit dans sa cabane au fond des bois, paraît-il inspiré d'un pyrénéen qui enregistrerait les sons extraterrestres – ce que l'on a aucun mal à croire) et quelques effets spéciaux, parmi ceux réalisés en CGI, s'avèrent moins réussis. Mais au diable ces petites réserves, ce ne sont là que des bémols qui finissent complètement noyés par le généreux torrent de folie et d'horreur co(s)mique que laisse se déverser sur nous Richard Stanley, dont nous saluons le retour fracassant avec toute notre sympathie. Vivement la suite !
Color Out of Space de Richard Stanley avec Nicolas Cage, Joely Richardson, Madeleine Arthur, Q'orianka Kilcher et Tommy Chong (2019)