The Nightingale, Color Out of Space, Cutterhead, Dragged Across Concrete, The Beach Bum… tous ces films ont un malheureux point commun, celui de ne pas avoir été distribué dans nos salles de cinéma. Même pas pour une simple sortie technique, très limitée, ne serait-ce que pour la forme. Rien. Dans le meilleur des cas, ils ont fini par être disponibles sur une plateforme VOD ou sont sortis directement en vidéo. Malgré un Prix spécial remporté à la Mostra de Venise en 2018, une flopée de récompenses glanées en Australie et en dépit de l’accueil positif réservé à son premier long métrage, le déjà très réussi Mister Babadook, The Nightingale, précieux parangon d'un cinéma alternatif, radical et ambitieux, demeurera hélas totalement invisible par chez nous, et ne le sera jamais dans les meilleures conditions possibles. Après l’avoir enfin découvert, en catimini, grâce aux joies interdites permises par les sorties vidéos étrangères, on se dit qu’il s’agit là d’une sacrée anomalie, d’une énorme injustice, tant le deuxième film de Jennifer Kent est effectivement digne de tous les honneurs et devrait pouvoir être découvert sur grand écran.
Mais s’il vient confirmer tout le talent de la cinéaste, et bien plus encore, admettons toutefois que The Nightingale n’est peut-être pas fait pour un public non averti et qu’il constituait très vraisemblablement un pari fort risqué pour un distributeur lambda. Avec cette ténébreuse histoire de vengeance située dans la Tasmanie du début du XIXème siècle, Jennifer Kent n’y va pas avec le dos de la cuillère et il y a de quoi être sonné par toutes les horreurs qui nous attendent au programme. Celles-ci nous sont pourtant toujours montrées sans aucune complaisance, sans aucun voyeurisme et à la juste distance, mais l’on peut tout de même ressentir une sorte de trop-plein face à la violence parfois insoutenable des faits. Certains spectateurs, dans un réflexe d’auto-défense légitime et compréhensible, pourront ne pas le supporter. On ne doute cependant pas une seule seconde du réalisme historique du scénario solide écrit par Jennifer Kent, qui opère un rapprochement osé et audacieux entre le sombre destin d’une jeune irlandaise envoyée à l’autre bout du monde pour purger sa peine et placée à la merci d’un infâme officier de l’armée qui refuse de lui rendre sa liberté, et la situation de celui qui deviendra son guide et son compagnon de route, l’un de ces aborigènes de l’île opprimés, massacrés, résignés à devoir mener chez eux une guerre déséquilibrée contre les colons britanniques. On reste coi devant le portrait terrible qui nous est dressé de l’Australie naissante, baignant dans le sang et les larmes.
La réalisatrice prend son temps pour planter le décor, installer les enjeux du film et faire pleinement exister ses différents personnages, en particulier l’héroïne, dont on épouse le plus souvent le point de vue. Nous sommes donc d’autant plus sous le choc quand l’impensable survient et qu’elle assiste, impuissante, à la mort des siens. Nous comprenons forcément les motivations de cette jeune femme désormais animée par le seul désir de vengeance, par un insatiable et mortel appétit revanchard, qui se lance à la poursuite désespérée de son persécuteur à travers les forêts et le bush tasmaniens, embauchant pour cela un jeune aborigène qui doit lui servir de guide et qu’elle considérera d’abord avec la plus grande méfiance, avant que leur relation n'évolue. La réalisation de Jennifer Kent est d’une grande beauté formelle, sa mise en scène est limpide, minutieuse, elle exploite parfaitement le format choisi par un sens du cadrage indéniable, et la lumière, naturelle, est parfaitement saisie. L’image est donc resserrée, rigoureuse, à l’instar d’un récit assez long qui suit patiemment son déroulement implacable et réussit à nous tenir en alerte, sur le qui-vive, du début à la fin. Ne comptez pas sur ces quelques parenthèses oniriques surprenantes, hallucinations de l’héroïne en plein délire, pour respirer un peu d’air frais, il s’agit soit de cauchemars sordides soit de rêves éphémères qui rendent son réveil encore plus brutal. L’absence quasi totale de musique, en dehors des chants rituels aborigènes et des comptines irlandaises entonnées par la jeune femme, participe d’une même volonté immersive. Tout cela mis bout à bout pourrait être particulièrement austère et rebutant, mais le talent de Jennifer Kent est tel qu’il n’en est rien et que l’on a aucun mal à accrocher. Si Mister Babadook attestait déjà d’une belle maîtrise, la réalisatrice, en pleine possession de ses moyens, franchit un palier et nous surprend encore, traçant un chemin plus autonome, personnel, moins référencé.
La réalisatrice prend son temps pour planter le décor, installer les enjeux du film et faire pleinement exister ses différents personnages, en particulier l’héroïne, dont on épouse le plus souvent le point de vue. Nous sommes donc d’autant plus sous le choc quand l’impensable survient et qu’elle assiste, impuissante, à la mort des siens. Nous comprenons forcément les motivations de cette jeune femme désormais animée par le seul désir de vengeance, par un insatiable et mortel appétit revanchard, qui se lance à la poursuite désespérée de son persécuteur à travers les forêts et le bush tasmaniens, embauchant pour cela un jeune aborigène qui doit lui servir de guide et qu’elle considérera d’abord avec la plus grande méfiance, avant que leur relation n'évolue. La réalisation de Jennifer Kent est d’une grande beauté formelle, sa mise en scène est limpide, minutieuse, elle exploite parfaitement le format choisi par un sens du cadrage indéniable, et la lumière, naturelle, est parfaitement saisie. L’image est donc resserrée, rigoureuse, à l’instar d’un récit assez long qui suit patiemment son déroulement implacable et réussit à nous tenir en alerte, sur le qui-vive, du début à la fin. Ne comptez pas sur ces quelques parenthèses oniriques surprenantes, hallucinations de l’héroïne en plein délire, pour respirer un peu d’air frais, il s’agit soit de cauchemars sordides soit de rêves éphémères qui rendent son réveil encore plus brutal. L’absence quasi totale de musique, en dehors des chants rituels aborigènes et des comptines irlandaises entonnées par la jeune femme, participe d’une même volonté immersive. Tout cela mis bout à bout pourrait être particulièrement austère et rebutant, mais le talent de Jennifer Kent est tel qu’il n’en est rien et que l’on a aucun mal à accrocher. Si Mister Babadook attestait déjà d’une belle maîtrise, la réalisatrice, en pleine possession de ses moyens, franchit un palier et nous surprend encore, traçant un chemin plus autonome, personnel, moins référencé.
La tension est presque permanente, l’action est toujours d’une parfaite lisibilité, ce qui était la condition sine qua none pour que l’on puisse accepter de se plonger dans une telle randonnée, dans une si éreintante excursion : nous savons toujours où se situent les personnages, où ils se trouvent les uns par rapport aux autres, pour ne jamais perdre le fil de leur funeste avancée. Jennifer Kent a cependant l’intelligence de déjouer régulièrement les attentes du spectateur, de désamorcer les situations attendues. La violence éclate littéralement à l’image lors d’une seule scène, point de bascule d’un film qui prend alors le risque de s’éloigner du schéma habituel, tout tracé. Quand notre héroïne assouvit sa soif de vengeance, après s’être acharnée sur une victime elle-même hantée par un fort sentiment de culpabilité, elle se retrouve ensuite vidée, sale et répugnante, dégoûtée de la vie comme d’elle-même, ayant presque du mal à soutenir le regard incrédule de son compagnon de route, écœuré, depuis longtemps habitué aux horreurs commises sur ses terres. Jennifer Kent atteste alors d’une position morale nuancée et pertinente sur la vengeance, « œil pour œil dent pour dent », à des années lumière des scénarios douteux et terre à terre que l’on nous ressert encore trop souvent, un choix bien plus intelligent et subtil que la majorité des rape & revenge et autres revenge movies auxquels on pourrait en toute logique rattacher The Nightingaleétant donné la chronologie des événements contés. Passé cette scène cruciale, où le sang éclabousse notre héroïne aussitôt dépossédée de sa pulsion de vie, morte-vivante devenue fantôme, la poursuite se mue en errance, l’objectif de la chasse semble incertain, remis en question, et le face-à-face final ne ressemblera en rien à ce que l’on pouvait imaginer. Des éléments fantastiques s'invitent par petites touches, accompagnant le chemin de croix du personnage, pour des images et des instants fascinants que l'on croirait issus d'un conte.
La cinéaste australienne ne tombe jamais dans le sentimentalisme et la facilité, alors que l’on aimerait naïvement assister à un rapprochement et une union plus définitive entre l’héroïne et son guide aborigène. La première est incarnée par Aisling Franciosi, une actrice admirable que l’on découvre pour la première fois et qui parcourt ici un large éventail d’émotions, bien peu, il est vrai, penchant vers la joie et l’allégresse... Tour à tour fragile ou pleine de rage, brisée ou apathique, Aisling Franciosi impressionne progressivement par sa capacité étonnante à passer d’un état à l’autre en étant toujours aussi juste, crédible et convaincante. A ses côtés, Baykali Ganambarr évoque inévitablement l'inoubliable David Gulpilil, l’acteur aborigène qui endossait également un rôle de guide lors d'une traversée de l'outback australien au début du XXème siècle dans The Tracker de Rolf de Heer et que l’on avait auparavant vu, tout jeune, dans le sublime Walkabout de Nicolas Roeg puis dans La Dernière vague de Peter Weir. C’est avec une finesse similaire que le jeune Baykali Ganambarr incarne ce guide qui porte, dans son profond regard noir, à la rage et à la tristesse contenues, la lourde connaissance des crimes odieux commis par les blancs. On a aucun mal à s’intéresser à ces deux personnages, à croire en leur solidarité possible, à marcher, à trembler et à souffrir avec eux. Face à eux, le plus terne Sam Claflin ne s’en tire pas si mal en essayant d’apporter un peu d’ambiguïté dans un rôle bien plus difficile d’officier détestable seulement motivé par la volonté de monter en grade et l’espoir de rentrer ainsi plus vite au pays, quitte à tout écraser sur son passage. C’est justement là que le bât blesse, car ce personnage est si négatif que l’on a presque du mal à y croire, il cristallise quasiment à lui seul le défaut du film.
Comme je l’ai déjà évoqué, on pourra en effet légitimement regretter que la réalisatrice ait autant chargé la barque. Il y a là quelques morts cruelles et quelques crimes odieux dont on aurait peut-être pu se passer, pour un effet identique sur un public de toute façon déjà groggy. Et, bien que la toute fin soit très belle et sensée, avec ce lever de soleil qui éclaire progressivement nos deux personnages meurtris et déracinés, on se demande aussi si l’assaut final vengeur était indispensable. Mais ça ne sont là que des réserves mineures pour un film imposant qui ne manque pas de nous marquer au fer rouge. Une œuvre étonnamment riche et hardie que l’on sent être celle d’une cinéaste sûre d’elle, remontée et habitée, dont il est important de saluer tout le courage, l'ambition et l’audace de s’être attelée à un tel projet et d’avoir si brillamment su relever le défi qu’elle s’est elle-même imposé. Après avoir exploré les affres de l’horreur psychologique monoparentale dans Mister Babadook, un film à la filiation plus évidente, qui parvenait toutefois à se démarquer et qui faisait du bien au cinéma de genre en se présentant comme une alternative adulte et salutaire à la majorité des productions actuelles, Jennifer Kent a donc su changer de registre, monter en régime, tout en gardant la même démarche, clairement teintée d’un féminisme résolu auquel elle parvient à donner ici une résonance nouvelle. On a désormais hâte de découvrir ce que nous réservera la suite de sa carrière, en espérant qu'elle ne succombe jamais aux sirènes hollywoodiennes et puisse continuer à affirmer sa si belle personnalité de cinéaste.
The Nightingale de Jennifer Kent avec Aisling Franciosi, Baykali Ganambarr et Sam Claflin (2019)