On ne compte plus les films basés sur cette idée de départ forcément dérangeante où des hommes sont réduits à l'état de gibier par d'autres, plus puissants ou fortunés, qui les traquent le plus souvent pour le plaisir. Des Chasses du Comte Zaroffà Bacurau, cela a donné une paire de grands films, d'autres beaucoup plus anecdotiques, et enfin quelques pures pertes de temps. The Hunt s'inscrit sans grande surprise dans la troisième catégorie. Il faut dire qu'avec Craig Zobel à la réalisation et Damon Lindelof au scénario, je ne m'attendais pas non plus à prendre mon pied... Le premier semble vouloir persévérer dans les petits thrillers légèrement provocateurs condamnés à faire un mini buzz à leur sortie puis à être oubliés aussitôt. On lui doit déjà Compliance. Mais si, rappelez-vous, c'est ce film basé sur un fait divers où la directrice d'un fast-food martyrisait une de ses employées soupçonnées de vol en suivant à la lettre les consignes que lui donnait un soi-disant flic par téléphone. Vous ne vous en souvenez plus ? Normal. Il a aussi réalisé Z for Zachariah mais celui-ci, on s'en tape encore plus, bien que nous gardons un souvenir plus amusé du triangle amoureux cocasse qu'y constituaient Margot Robbie, Chris Pine et Chiwetel Ejiofor. Quant à Damon Lindelof, il peut peut-être compter sur une petite chapelle de fans convaincus grâce aux séries auxquelles il a participé plus (The Leftovers) ou moins (Lost) activement, mais si l'on se penche sur ce qu'il a fait au cinéma, il y a vraiment de quoi chialer, de quoi lui interdire d'intervenir de nouveau dans le secteur (Star Trek, Prometheus). Son idée de génie, pour The Hunt, est d'avoir fait des gibiers des rednecks, des républicains, des conservateurs, bref des électeurs de Trump grosso mierdo, tandis que les chasseurs ne sont autres que des démocrates, des personnes aux idées a priori plus éclairées et progressistes. C'est ce qui explique ces commentaires que l'on peut lire en gros sur l'affiche hideuse et ridicule du film.
L'autre idée présentée comme brillante par ces quelques spectateurs que le film a réussi à foutre sur le cul, c'est de choisir de désintégrer dès les premières minutes 90% du casting, star comprise (enfin, quand la « star » s'appelle Emma Roberts, il n'y a pas de quoi non plus être traumatisé par la chose). The Hunt prend donc vite la forme d'un survival satirique aux sabots énormes dont l'héroïne est une femme assez difficile à cerner, une sorte de croisement entre Terminator et... un autiste, campée par Betty Gilpin, que beaucoup ont désigné comme la grande révélation du film ou en tout cas l'un de ses principaux atouts, ce que je ne ferai pas, même s'il est certain que l'espèce de bizarrerie de ce personnage est peut-être ce qu'il y a de plus intrigant dans tout ce cirque. Ainsi, le film se veut une allégorie fun et maligne de l'Amérique d'aujourd'hui, profondément divisée, où chaque camp se montrerait incapable de comprendre l'autre, cultiverait le mépris pour l'adversaire en le caricaturant systématiquement à outrance. Cela pourrait être bien vu si, par ailleurs, on tenait là autre chose qu'un petit truc de rien du tout, une farce de mauvais goût, où l'humour, fait de bons mots faciles, tombe le plus souvent à plat et s'accompagne d'effets gores pénibles, comme c'est désormais la règle dans ce genre de comédies horrifiques, toujours plus sanguinolentes et gerbantes. Ce jeu de massacre n'a pas grand chose d'amusant. La mise en scène de Zobel ne lui confère aucune énergie particulière et elle échoue à rendre mémorables des confrontations qui cherchent pourtant très très fort à l'être : je pense tout particulièrement au long face à face final entre notre héroïne blonde et la grande instigatrice de tout ça, jouée par la revenante Hilary Swank (qui, en réalité, n'est jamais vraiment partie, elle aligne juste les daubasses en cachette). Nous saluons les efforts des actrices, qui ont sans doute passé plus de temps en salle de sport que Craig Zobel à penser la chorégraphie et réfléchir à sa direction. En fin de compte, le film n'a pour lui que son rythme très soutenu et sa courte durée, qui permettent d'en venir à bout facilement et presque malgré soi. Car si ça avait duré un quart d'heure de plus, je n'aurai très vraisemblablement pas survécu à cette traque lourdingue. Pas de quoi regretter que cette chasse ait autant joué de malchance dans sa distribution en salles : sa sortie a d'abord été repoussée aux States suite aux fusillades de Dayton et d'El Paso avant d'être mise ici en suspend par le confinement. A la prochaine, Craig !
The Hunt de Craig Zobel avec Betty Gilpin et Hilary Swank (2020)