Ce film devrait pouvoir être délivré sans ordonnance dans toutes les pharmacies. On tient là un remède d'une efficacité radicale contre les insomnies. Dès les premières minutes, il vous enveloppe dans une ambiance feutrée qui vous prépare au sommeil le plus profond et réparateur. On ne sait pas où le film nous amène et cette désorientation, mêlée à un désintérêt rapide pour ce qui nous est montré, participe à notre endormissement. Si l'on résiste au vingt premières minutes, ce qui est déjà une belle performance, on comprend que Marielle Heller, la réalisatrice du plutôt sympathique Les Faussaires de Manhattan, nous retrace cette fois-ci l'amitié entre l'actuel entraîneur de l'Olympique de Marseille, André Villas-Boas, et l'animateur d'une émission télé pour enfants qui fut longtemps la personnalité préférée des américains, Mister Rogers, campé par l'inévitable Tom Hanks.
Tu m'étonnes que ce type-là ait eu du succès... Son show devait anesthésier les gosses un vieux coup et soulager bien des parents. C'est mortel ! Il y a quelque chose, dans la diction de Tom Hanks, dans sa manière de poser chaque mot calmement et de respecter systématiquement des blancs entre chacune de ses phrases, qui est terriblement apaisant, qui nous berce à un point... Pendue aux lèvres de sa star, la caméra de Marielle Heller est toute ramollie, on croirait mater un film d'un autre âge. Le rythme, la musique, tout est soporifique en diable, tout est là pour faire de ce film un sédatif surpuissant auquel il semble impossible d'opposer la moindre résistance.
Il y a même un pur moment d'hypnose vers la moitié du film, histoire d'achever les plus coriaces qui auraient encore un œil à demi ouvert. C'est une minute de silence, demandée par Tom Hanks et respectée au centième près par la réalisatrice. Cette scène s'achève par un travelling avant très lent vers le visage souriant et serein de l'acteur, impérial, qui, à mi-parcours, oriente son regard plein de bonté, de bienveillance, vers la caméra. Ses yeux d'un bleu si doux viennent alors transpercer notre cerveau pour mieux chatouiller l'hypothalamus et nous administrer le coup fatal. Sous le saint patronage de Tom Hanks, qui aurait encore mérité un Oscar pour cette performance littéralement hypnotique, les beaux rêves sont garantis.
Franchement, j'ai pas détesté, j'ai pioncé comme un bébé loir à poings fermés, et il n'y a rien de condamnable dans la démarche de Marielle Heller et de ses acteurs qui consiste à nous proposer un rencard en or avec Morphée. Je me suis réveillé en me sentant tout neuf, requinqué comme jamais. Pas de bol, c'était l'heure de se coucher. J'ai aussitôt fait de L'Extraordinaire Mr. Rogers mon film de chevet. Non pas parce que je le kiffe particulièrement, mais juste pour le garder sous le coude, littéralement posé sur ma table de nuit, en cas de souci, pour être sûr de bien faire mes nuits.
L'Extraordinaire Mr. Rogers (A Beautiful Day in the Neighborhood) de Marielle Heller avec Tom Hanks et Matthew Rhys (2020)