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La Fille de Ryan

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La Fille de Ryan est ressorti en version restaurée en 2013 et fut cette année-là diffusé au festival de La Rochelle, dont j'avais parlé ici et . Je n'avais malheureusement pas pu le voir à l'époque. C'est chose réparée sept ans plus tard. Et le regret de ne pas l'avoir découvert sur grand écran dans la belle salle de la Coursive n'en est que plus grand. Ce devait être quelque chose... Tourné en 1970 par David Lean, Ryan's daughter ne lui valut qu'un succès mitigé après les immenses triomphes du Pont de la rivière Kwai, de Lawrence d'Arabie et de Docteur Jivago, au point que le cinéaste britannique ne tourna plus qu'un film ensuite, quatorze ans plus tard, Sur la route des indes, d'après E.M. Forster. On se demande, en voyant un tel film aujourd'hui, comment il put être boudé en son temps. 




La Fille de Ryan, d'une durée de 3h25 (une dizaine de minutes de moins si l'on passe l'ouverture, l'entracte et la clôture, les trois pauses musicales habituelles de ces longues fresques de l'époque), nous raconte l'histoire du personnage éponyme, Rosy Ryan (géniale Sarah Miles), fille du tavernier de Kirrary, un petit village de la péninsule de Dingle en Irlande, éprise de l'instituteur local, Charles Shaughnessy (Robert Mitchum), de quinze ans son aîné, puis, après leur mariage, insatisfaisant pour la jeune femme, amoureuse encore, d'un jeune officier anglais récemment blessé sur le front belge et traumatisé par son expérience du combat, Randolph Doryan (Christopher Jones), nommé en cette année 1916 au commandement d'une garnison anglaise surveillant la région alors chahutée par la guerre d'indépendance tandis que Tim O'Leary (Barry Foster), figure de la résistance irlandaise, est de retour au pays pour organiser un trafic d'armes. 

 



C'est un de ces rares films où rien, pas une scène, n'est en-dessous des autres. Chaque séquence possède une couleur bien à elle, une force particulière, et compte absolument, y compris celles qui semblent moins vitales au récit. Je pense par exemple à ce long dialogue entre l'officier anglais fraîchement débarqué sur la côte et son sous-fifre qui l'accueille et lui avoue petit à petit sa lâcheté et son immense peur à l'idée de rejoindre le front en Europe. C'est une scène qui ne fait pas particulièrement progresser le récit, mais qui dit beaucoup de choses, et la richesse du dialogue, le jeu des comédiens, la précision du montage, ce qu'elle dit des hommes et de la guerre, avec une simplicité désarmante, et que l'on entend rarement aussi bien, en font une scène forte.  


 


Et c'est sans parler de moments plus importants pour les personnages principaux, celui où Rosy accueille le professeur Shaughnessy de retour d'un congrès d'instituteurs, au début du film, la scène où la jeune femme déclare sa flamme à son aîné dans la salle de classe où il fut son enseignant, celle de leur nuit de noces, pour le moins grinçante, le coup de foudre de Rosy et de l'officier Doryan dans la taverne déserte, après une réminiscence traumatique, et plus tard, lors d'une sortie scolaire à la plage, ce moment où l'instituteur suit des traces de pas suspectes sur le sable, l'imagination en ébullition. Mais il faudrait toutes les citer.




David Lean offre ici le grandiose, avec des plans d'ensemble sidérants de majesté, quand il filme les côtes d'Irlande et l'océan comme il filmait le vaste désert de Jordanie huit ans plus tôt, et l'épique, lorsque, dans la lignée des grandes chevauchées dans le désert et des gigantesques batailles à cheval, il réalise une incroyable séquence de tempête où tous les villageois et toutes les villageoises viennent en aide au rebelle Tim O'Leary et se démènent comme des diables pour faire ce qu'ils savent parfaitement faire, braver les éléments et pêcher, sauf que la récolte consiste cette fois en des caisses d'armes et de bâtons de dynamite qui serviront la révolution. Mais le film mêle ce souffle digne de Lawrence d'Arabie au portrait d'une jeune femme, à la peinture précise de sentiments naissants, à l'intimité bouleversante du couple (l'officiel et l'illégitime, observés avec la même sincérité, la même tendresse), à la complexité des sentiments de ses personnages, tous touchants et aimés par celui qui les met en scène. Car au-delà du triangle amoureux, David Lean peint d'autres caractères passionnants, en particulier ceux du père Collins (Trevor Howard), de Ryan (Leo McKern), le père de Rosy, tiraillé entre l'amour pour sa fille et la cause révolutionnaire, ou Michael (John Mills), l'idiot du village, fou amoureux de Rosy, boitant comme son rival l'officier et martyrisé par ses pairs. 

 


On retrouve donc à la fois l'immensité de paysages vivants, la côte irlandaise sublimée tout au long du film, ainsi que le souffle épique de l'Histoire, la communauté en mouvement pour la révolution, et le drame minuscule d'un amour impossible (une irlandaise ne pouvant s'amouracher d'un officier anglais, et les villageois auront tôt fait d'y remédier), traité avec la même subtilité que dans un bref mélodrame et vrai chef-d’œuvre tel que Brève rencontre, tourné par le même David Lean en 1945, qui racontait de la plus belle des façons la tentation d'une femme mariée, aimant son époux mais soudain éprise d'un homme de passage dans un hall de gare, amant incarné d'ailleurs à l'époque par le même Trevor Howard qui joue ici le curé du village et confident de Rosy. Et la finesse du scénario est égale, où l'on retrouve des personnages dignes et intelligents, qui pourraient s'en tirer plus simplement si la société et l'Histoire ne venaient pas se fracasser sur eux.

 


 
Et Rosy cède à la tentation, ce qui donne l'occasion à David Lean de tourner une autre scène magnifique, comme une parenthèse dans le film, une rupture, où Rosy et l'officier Doryan achèvent une promenade à cheval dans un bois, dont ils franchissent la frontière avec solennité, dans un mélange de peur et de désir, pénétrant un lieu autre, fermé au monde, secret, et s'y enfonçant, lieu que le cinéaste filme avec désir et attention, accordant de l'intérêt aux moindres détails (feuilles, rosée, mousse, souffle des chevaux), lesquels passent au premier plan et participent de la sensualité de l'instant. 
 
 

 
La mise en scène de cette étreinte interdite, qui conjugue géographie amoureuse et pulsation érotique du sous-bois, rappelle le travail de Pascale Ferran dans le formidable Lady Chatterley (à ceci près qu'ici Rosy découvre le plaisir auprès de l'officier anglais estropié quand Conny délaissait un mari du même acabit pour rejoindre le garde-chasse Parkin dans la forêt). Devant cette scène, on se demande pourquoi David Lean n'a jamais tenté d'adapter un texte de son compatriote l'écrivain D.H. Lawrence, avant de se raviser, puisque manifestement, dans cette séquence étonnante, il l'a un peu fait, et d'une bien belle façon.

 

La Fille de Ryan de David Lean avec Sarah Miles, Robert Mitchum, Christopher Jones, Barry Foster, Trevor Howard, Leo McKern et John Mills (1970)


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