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Channel: Il a osé !
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Restless

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On pourrait, en y regardant trop vite, prendre ce film pour un énième produit du cinéma américain indépendant "à-la-Sundance", plein de bons sentiments, légèrement niais sur les bords, bourré à craquer de musique cool posée sur des chromos anesthésiants, avec un zeste de mignonne fantaisie et la dose indispensable de triste aphasie. Sauf que Restless est l'anti-Like Crazy, l'anti-Terri et l'antidote à tous ces films qui n'ont d'indépendant que leur production en-dehors du cadre des grands studios, leur manque de moyen et l'absence de Sandra Bullock et Chris Evans en têtes d'affiche (voire la présence au casting de freaks notoires aux trajectoires forcément attristantes), mais qui sont, en dehors de ces considérations, de parfaits films académiques asphyxiés, manquant de vie et de liberté, dépourvus de la patte d'un auteur singulier et de tout projet esthétique notoire. Parce qu'il s'inscrit dans une grande œuvre cohérente et parce qu'il appréhende le genre avec distance, Restless est supérieur à un film somme toute agréable tel que Lonesome Jim, le haut du panier de la tendance Sundance. Si l'on ne s'en tient pas au seul projet du film et que l'on en juge plus en détail par le traitement qu'il fait de son sujet ou par le simple travail de mise en scène de Van Sant, on est loin d'un certain cinéma indépendant contemporain vaguement sympathique et parfaitement inoffensif, lénifiant et inconscient de ses propres limites. Pour peu que l'on veuille bien accepter de voir Restless comme un nouveau jalon dans la tendance plus académique de Van Sant, avec ce que cela comporte d'investissement conscient et intelligent du cliché et du sentiment, alors il y a de bonnes chances d'être ému par ce film comme on ne le sera jamais par ceux pré-cités.



Restless est profondément touchant, et en ce qui me concerne cela suffit presque. Cela me suffit pour une raison simple, c'est que Van Sant est formidablement capable de nous émouvoir aussi sobrement qu'intelligemment, en plongeant complètement et avec sincérité dans le genre très balisé du drame romantique. On sait que le cinéaste admire l'art cinématographique dans son spectre le plus large, de l'abstraction expérimentale au mélodrame hollywoodien grand public, et qu'il aime à naviguer d'un bord à l'autre sans mépris ni condescendance pour le plus "facile" des deux extrêmes. Aussi assume-t-il un style conventionnel jusque dans ses clichés quand il se laisse aller à tourner un film "mainstream" (Will Hunting, A la rencontre de Forrester, etc.), et il le fait avec une simplicité entière, pour son plaisir et pour celui du spectateur qui voudra bien se prêter au jeu. Pour cela il faut accepter cette séquence musicale au milieu du film, ce "syntagme en accolade" (je reprends là une expression de ce cher Christian Metz, qui mettait dans ses livres le soleil qu'il n'avait pas dans son blaze), où les personnages courent, s'amusent, s'aiment et jettent des pierres sur les trains de marchandises en souriant. Par une série de plans rapides baignés d'une musique tendre, ces séquences sont censées signifier rapidement le passage du temps et la répétition d'une série de gestes favorisant le plus souvent la naissance d'un sentiment. Van Sant investit le genre et le respecte au point de tourner ce type de séquence facilement insupportable, mais il peut se le permettre parce que tout ce qui précède et suit cette scène est d'une délicatesse et d'une qualité telle qu'elle n'apparaît pas au spectateur comme le couronnement d'une entreprise d'endormissement généralisée vouée à produire de la confiture cérébrale en quantité. Car il y a de très belles idées qui parcourent l'avant-dernier film en date du cinéaste, basé sur son thème obsessionnel, celui d'une jeunesse fauchée en plein essor, et narrant la rencontre entre Enoch (Henry Hopper), un jeune homme bien vivant obsédé par la mort, et Annabel (Mia Wasikowska), une jeune femme mourante qui ne voudrait que vivre, rencontre marquée par l'intervention du fantôme d'un kamikaze japonais qui vient apporter une forme de légèreté mélancolique au film. Ces purs personnages de fiction, invraisemblables mais pleins d'humanité et profondément touchants, ainsi que le traitement légèrement décalé du récit ne manquent pas d'évoquer un film comme Trust Me de Hal Hartley. Mais c'est dans la mise en scène au plus près des corps, prompte à jouer de l'organisation de l'espace et à créer des configurations frappantes, que Van Sant élève son propos et son spectateur par la même occasion.



Et puis le film comporte deux séquences particulièrement réussies et mémorables. D'abord celle où les personnages se retrouvent dans un petit cabanon après la fête d'Halloween et où Van Sant, rarement porté sur l'intimité amoureuse des corps (alors qu'on trouve dans son œuvre plusieurs scènes consacrées à une intimité plus strictement sexuelle, du rapport trivial de Mala Noche interrompu par la quête d'un tube de vaseline à la courte et triste première fois d'Alex dans Paranoïd Park en passant par les arrêts sur images de My Own Private Idaho), tourne une scène sinon érotique du moins étonnamment sensuelle et émouvante, faisant un usage extraordinairement sensible du gros plan et du flou qui embrassent le grain de la peau. Et puis il y a surtout cette séquence géniale où Enoch vient retrouver Annabel chez elle et la découvre allongée sur le sol, agonisante. Le jeune homme prend sa jeune amie dans ses bras et recueille ses dernières paroles quand celle-ci se relève soudain, éteint le magnétophone qui diffusait la mélodie bien pathos de la scène et reproche à Enoch de ne pas avoir respecté le scénario archétypal qu'ils avaient pré-écrit ensemble. Avec cette scène Van Sant nous dit qu'il est parfaitement conscient de tourner une romance, un drame sentimental, un mélo, de convoquer de grandes émotions sur une histoire d'amour tragique, mais qu'il le fait comme on joue un jeu, sans être totalement dupe bien qu'en y croyant à fond. Et il est tout aussi capital de ne pas se laisser berner par les engrenages de ce jeu facile mais dangereux que d'y croire à cent pour cent, de marcher dans la combine, pour que l'entreprise rodée et quasi-mécanique du drame romantique fonctionne à plein. Van Sant nous demande par conséquent la même croyance tout en nous mettant à relative distance via un traitement particulièrement intelligent du film de genre a priori académique. C'est cette conscience - inscrite à même le film - de son médium, concomitante à son appropriation sincère, qui confère à Restless un charme particulier et le sort allègrement de la mêlée, dès lors qu'il échappe à un académisme affiché et accède à la poésie. Van Sant s'extrait du carcan du "film romantique" pour tendre vers le Romantisme, celui de l'amalgame mélancolique et teinté de fantastique du morbide et du sublime, de la finitude et de la grâce (sur ce sujet il faut lire la critique du film par le grand Dominique Païni dans les Cahiers du Cinéma de septembre 2011, où il convoque autant Baudelaire que Shelley). Partant, il ne reste plus qu'à être touché - et le film agira ou non au cas par cas - pour estimer Restlessà sa juste valeur et l'aimer simplement comme le film simple qu'il est.


Restless de Gus Van Sant avec Mia Wasikowska, Henry Hopper et Ryo Kase (2011)

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