Alex Ferguson a dit un jour : « Donnez-moi 10 bouts de bois et Zinédine Zidane et je gagnerais la Ligue des champions. ». J'ai toujours kiffé cette citation. Je l'utilise souvent au boulot quand je me trouve en difficulté, et ça n'a strictement aucun effet, mais ça comble un peu, ça me permet de garder la tête haute. Bref, tout ça pour dire que, de son côté, Chloé Zhao aurait très bien pu affirmer aussi : « Donnez-moi 10 bouts de bois et un cheval et je torcherais un bon film. » Car, dès son premier long métrage, Zhao sublimait les chevaux sauvages, la nature splendide du Dakota et, surtout, ses véritables habitants : les indiens de la réserve de Pine Ridge. La déclinaison de cette fameuse citation footballistique est donc peu justifiée, voire totalement caduque.
Chloé Zhao s'intéresse tout particulièrement à deux jeunes, frère et sœur (incarnés par des acteurs superbes, John Reddy et Jashaun St. John, qui semblent quasiment jouer leurs propres rôles et donnent d'ailleurs leurs véritables prénoms à leurs personnages). Le premier, en passe de terminer le lycée, a des envies d'ailleurs : il souhaite quitter la réserve pour suivre sa petite-amie à Los Angeles, où celle-ci continuera ses études. Quant à la sœur, très attachée à son grand frère, elle mène sa petite vie tranquillement, apprenant petit à petit à faire sans son aîné, se préparant à la séparation fatidique malgré toute la peine qu'elle lui procure. La mort accidentelle de leur père va quelque peu changer la donne et remettre en question les plans du frangin...
La cinéaste pose un regard très tendre et attentif sur ces jeunes personnages rapidement touchants, portés par leurs rêves et leurs espoirs, plus ou moins tus et assumés. Comme vous pouvez l'imaginer, ce qui compte ici, ce n'est pas vraiment l'intrigue. Chloé Zhao s'attache surtout à capturer, dans un style chatoyant, quasi naturaliste, qu'elle peaufinera encore avec The Rider et des motifs visuels que l'on y retrouvera, l'ambiance d'un lieu si particulier, et à dresser, avec une délicatesse rare, le portrait de cette communauté laissée à la marge. Et, mine de rien, Chloé Zhao embrasse le "sujet" de manière assez complète, entre guillemets car sa grande réussite réside justement dans le fait que l'on a jamais l'impression d'être face à un film à "sujet", lourd, à la cause de ceci ou cela. On a plutôt l'impression d'être devant un documentaire presque immersif, à peine scénarisé, sur la situation de la communauté indienne, où la vie suit son cours, la splendeur des paysages contrastant avec les difficultés de tous.
La réalisatrice aborde en effet de nombreux thèmes, de l'histoire de la réserve de Pine Ridge, subtilement évoquée par le biais des paroles d'une chanson rappée par un indien spécialiste du tatouage (sympathique personnage qui transmet à sa manière la culture de son peuple), à l'alcoolisme des indiens et ses terribles conséquences (à ce propos, il ne nous est pas explicitement dit, et c'est mieux comme ça, que la boisson est à l'origine de la mort du père, mais on peut le supposer). Dépeint avec moins de tact, d'intelligence et de sensibilité, ce tableau aurait pu peser des tonnes et nous plomber ; en réalité, ce premier film est une œuvre pleine de grâce et de beauté, qui marquait donc les premiers pas d'une cinéaste très douée. Les Chansons que mes frères m'ont apprises, c'est aussi un bon moyen mnémotechnique pour réviser l'accord du participe passé : quand celui-ci est placé avant le verbe, on accorde. Mes frères m'ont appris quoi ? Les chansons. Donc on accorde. Et le premier film de Chloé Zhao est très chouette, c'est d'accord ?!
Les Chansons que mes frères m'ont apprises de Chloé Zhao avec John Reddy, Jashaun St. John et Taysha Fuller (2015)