Vous vous souvenez de Sils Maria d'Olivier Assayas ? Nope ?... Mais si ! Ce film où Kristen Stewart et Juliette Binoche faisaient de la rando dans les Alpes et allaient admirer les nuages serpenter dans les vallées ! Toujours pas ?! Bref. Dans les méandres métadiscursifs vertigineux issus du cerveau dérangé d'Assayas, Chloë Grace Moretz incarnait une starlette hollywoodienne en plein boom, sur le point de jouer dans un film d'auteur européen aux côtés de notre Juliette Binoche nationale. Cette dernière, pour mieux connaître sa future partenaire, allait voir par curiosité l'un de ses derniers films en salle. Elle découvrait alors, stupéfaite et hilare, une caricature de blockbuster américain : un film de SF abscons, décérébré et grotesque dont elle ne comprenait strictement rien, où la jeune vedette jouait (fort mal) une héroïne à laquelle rien ne résistait. Eh bien Shadow in the Cloud, c'est un peu ça. La prophétie du devin Assayas, qui ne prenait certes pas un très grand risque en imaginant son actrice dans ce genre de productions, s'est réalisée. La réalité a rejoint la fiction. Ou plutôt, les deux fictions ont fait corps, les étoiles se sont parfaitement alignées dans ce que l'on nommera dorénavant l'Olivier Assayas Universe.
Shadow in the Cloud est donc l'amusante parodie d'Assayas, à quelques détails près... Il ne s'agit pas d'un infâme blockbuster US au budget faramineux mais d'une plus modeste production en grande partie néo-zélandaise. C'est une série B dont la sortie n'a pas pu se faire en fanfare dans nos salles, en raison du contexte sanitaire, et qui a plus logiquement fini sa course sur ces plateformes VOD auxquelles elle semblait destinée. C'est enfin un véhicule pour sa jeune actrice blonde, jusqu'à présent plus souvent cantonnée aux rôles d'adolescentes, qui lui permet d'affirmer sa maturité et sa féminité en incarnant une véritable héroïne de films d'action : une aviatrice qui n'a pas froid aux yeux doublée d'une mère désireuse de sauver la vie de son bébé, envers et contre tous.
Le scénario, au sous-texte féministe brouillon qui le rend à peine sympatoche, est un foutoir complet. Bavard à un point agaçant dans sa trop longue première partie, il accumule ensuite les incohérences et les absurdités. Évidemment, la vraisemblance n'est pas ce que l'on attend d'un tel film, où une hideuse bestiole ailée et griffue s'en prend à un avion de chasse en pleine Deuxième Guerre Mondiale. Mais il est tout de même déconcertant de voir les réactions, ou plutôt l'absence de réaction et du moindre étonnement, des uns et des autres à la vue de cette vilaine chose agressive qu'ils prennent pour un gremlin en raison de cette légende, soutenue par les spots de propagande de l'époque (l'un des plus connus ouvre d'ailleurs le film), qui attribuait les avaries de l'aéronautique militaire des Alliés aux méfaits de ces créatures imaginaires et malfaisantes (une légende déjà exploitée dans un épisode mémorable de la série La Quatrième dimension, Cauchemar à 20 000 pieds).
Mais si on a la curieuse impression que le scénar a été écrit en mode cadavre exquis lors d'une soirée trop arrosée (ou pas assez...), c'est peut-être parce qu'il a connu une gestation très particulière. Le maudit texte est passé de mains en mains après une première version signée Max Landis (fils de John), accusé entre temps par plusieurs femmes de harcèlements sexuels répétés (père et fils cumulant à eux deux un beau CV). C'est finalement Roseanne Liang, aussi à la réalisation, qui y a apporté la touche finale, révisant tout le récit à la lueur du casier judiciaire de son premier auteur, faisant de son film un réquisitoire à peine déguisé contre la masculinité toxique. La démarche est honorable, l'intention est bonne, mais le trait est hélas trop lourd, maladroit et force est de constater qu'à l'écran, cela ne fonctionne pas complètement. On a pigé la métaphore, on a compris où réside la véritable monstruosité et contre quoi il est le plus important de lutter, mais ça n'est pas brillant pour autant, loin de là.
Admettons cependant qu'il est plutôt plaisant de voir la frêle Chloë Moretz donner une leçon à ses compagnons d'infortune, à la virilité mise à mal, avant d'administrer une terrible rouste au pauvre gremlin qui, en plus des ennemis de l'Axe, leur menait jusque-là la vie dure. Une créature disgracieuse que nous prendrions presque en pitié quand, à la toute fin du film, notre impitoyable héroïne la défonce sans sommation après l'avoir trainée dans la boue en la tirant par la queue : une vraie humiliation. Aussi, le film a un rythme trépidant et nous réserve sont lot de situations tellement too much qu'elles en deviennent captivantes : il faut voir Moretz accomplir des acrobaties aériennes impossibles en portant en bandoulière l'espèce de cartable contenant son bébé (un cartable qui devrait déborder de rejets corporels en tout genre...). La BO très électro qui, pour le meilleur, ressemble à un hommage trop appuyé à John Carpenter et, pour le pire, à un pur instrument de torture auditive, apporte également son petit charme à l'ensemble. Mais ne vous y trompez pas, si Shadow in the Cloud est une toute petite chose amusante comme il en sort finalement pas tant que ça, ça ne vaut vraiment pas cher et je ne vous le recommande pour rien au monde.
Shadow in the Cloud de Roseanne Liang avec Chloë Grace Moretz et des guignols (2020)