Gros plan sur Hossain Sabzian, c'est bien l'image que l'on gardera du film. Quant au son, ce sera celui de sa voix. Calme, presque monotone, elle raconte et se justifie. Vrai-faux documentaire sur un homme arrêté, accusé de s'être fait passer pour un cinéaste connu auprès d'une famille bourgeoise, le film met en scène son propre auteur, Kiarostami, parti à la rencontre du prévenu puis autorisé à filmer les minutes de son procès en gros plan, voire même à devenir, peu ou prou, son avocat, prenant la parole en alternance avec le juge pour l'interroger, dirigeant non seulement le film mais la réalité. Et les protagonistes du drame de jouer leur propre rôle, y compris dans des reconstitutions (l'arrestation, en deux temps, au début et à la fin du film, en manière de champ-contrechamp, ou la rencontre initiale entre Hossain Sabzian et la mère de la famille abusée, dans un bus, où pour la première fois l'imposteur déclare avec aplomb être le réalisateur du film Le Cycliste, Mohsen Makhmalbaf), si toutefois l'histoire est bel et bien vraie. On sait le goût de Kiarostami pour les pistes brouillées.
Mais à vrai dire peu importe, la seule vérité qui compte est dans le visage de cet homme qu'il filme, dans les raisons qu'il donne à ses actes. Et dans un film qui mêle rigueur du dispositif et simplicité des sentiments (on est plus ici dans la veine d'un film comme Ten que dans la beauté des espaces et l'ampleur poétique de films comme Le Goût de la ceriseou Le Vent nous emportera), Kiarostami exprime, comme à son habitude, toute l'humanité au cœur de son cinéma quand Hossain Sabzian explique, y compris quand les faits semblent lui donner vaguement tort, qu'à aucun moment il n'a voulu escroquer la famille dupée, encore moins en profiter pour leur soutirer de l'argent ou les cambrioler, qu'il n'a fait tout cela que par amour du cinéma, d'une part – quelle plus grande preuve d'amour pour un artiste que devenir l'artiste lui-même, au point de commencer les repérages d'un futur tournage dans la maison et d'entamer les répétitions avec le fils de famille promis à être la vedette d'un film virtuel –, mais aussi, et surtout, pour s'extraire d'une situation sociale pathétique. Désœuvré, divorcé, sans le sou, Hossain Sabzian dit que pour une fois on le regardait avec admiration, on l'écoutait, on l'estimait, et qu'il y avait largement de quoi se sentir grisé à être entendu, ou ne serait-ce que respecté. Et que dire, en matière d'humanité, de l'ultime séquence du film, dont je ne dévoilerai rien, et de la dernière réplique, parmi les plus mémorables que je connaisse...
Close-up d'Abbas Kiarostami avec Hossain Sabzian et Mohsen Makhmalbaf (1990)