Vu son sujet, un batteur de metal ex-toxicomane perd progressivement l'audition et ne peut plus assurer le duo qu'il forme avec sa petite-amie, mettant ainsi son couple en péril, on pourrait très légitimement craindre que le premier long métrage de Darius Marder nous colle un cafard monstrueux, en se vautrant sans vergogne dans le pathos, et qu'il nous foute à cran rapidos, en cédant à la complaisance facile. Le fait est que Darius Marder aborde de manière très frontale ce bon gros drame qui tache, il nous invite même à le vivre aux premières loges, en nous mettant régulièrement à la place de ce jeune batteur qui devient sourd, dans sa tête. Le cinéaste s'appuie pour cela sur un travail aussi simple que précis mené sur le son et son montage, pour un résultat véritablement saisissant qui ne peut guère laisser indifférent. Dans des conditions idoines, nul doute que ce film, qui fut très chaleureusement accueilli outre-Atlantique, doit pouvoir se vivre comme une drôle d'expérience.
Malgré cette volonté immersive et un scénario qui ne ménage personne, Darius Marder évite, parfois de justesse, de tomber dans les lourdeurs larmoyantes. Il peut également compter sur un acteur irréprochable, Riz Ahmed, très juste, crédible, son regard intense et ses yeux immenses nous touchent souvent en plein cœur. On veut voir son personnage effectuer les bons choix, remonter la pente, ce qui implique nécessairement qu'il fasse le deuil de sa vie passée et qu'il accepte sa nouvelle condition. A ce propos, Sound of Metal se présente d'ailleurs comme un beau film sur le handicap et son acceptation. Avec tous ces atouts en poche, on comprend aisément que l'Académie des Oscars n'y ait pas été insensible (deux statuettes remportées sur six nominations lors de la dernière cérémonie et, pour une fois, ces récompenses n'étaient, à mon sens, pas volées).
Sound of Metal trouve son origine dans un documentaire inachevé de Derek Cianfrance, un cinéaste proche de Darius Marder puisque celui-ci avait co-signé le scénario de l'à-moitié réussi The Place Beyond the Pines. C'est Cianfrance lui-même qui aurait demandé à Marder de reprendre le projet, d'en faire son propre film. On y retrouve effectivement une approche et un style similaires, sans doute modelés par des influences communes, puisque l'on pense inévitablement aux prestigieux modèles du cinéma américain des années 70. Pas encore convaincu par le réalisateur de Blue Valentine, dont je n'ai toutefois pas vu la série I Know This Much Is True mais dont les excès antérieurs m'avaient laissé de côté, j'ai l'impression, face à ce premier film enthousiasmant, que le poulain a su trouver un équilibre que son mentor n'a jamais fait qu'effleurer.
En guise de conclusion, je me dois d'ajouter en toute honnêteté que si ce film m'a pas mal remué, c'est aussi parce qu'il aborde l'une de mes plus grandes peurs : la perte de l'audition. En effet, en raison d'une hypersensibilité de mes écoutilles, je suis un accro aux coton-tiges et autres ustensiles susceptibles de s'insérer dans mes conduits et d'aller chatouiller mes tympans (avec un goût particulier pour ces bouchons de stylos Bic qui courent les rues au bureau). C'est une véritable addiction, qui me conduit souvent chez l'ORL, pour des otites régulières. Si je parvenais à décrocher, cette peur deviendrait totalement infondée. Cela ne dépend que de moi. Mais mes oreilles sont une zone si érogène que j'ai parfois du mal, sur les coups de 21h-22h, à résister à l'appel du coton-tige... D'ailleurs, je m'en étais tapé un bon juste avant de lancer ce film. Peut-être suis-je désormais vacciné ?
Sound of Metal de Darius Marder avec Riz Ahmed, Olivia Cooke et Paul Raci (2020)