Il y a de quoi craindre le pire à la vue de cette affiche baveuse et de l'étiquetage Sundance, où le film a tout raflé l'an passé, si bien mis en évidence. Mais, ragaillardi par mes dernières excursions dans ce que l'on nous présente comme la crème actuelle du cinéma indépendant américain (Sound of Metal, The Nest, Nomadland...), je me suis tout de même risqué devant Minari, cinquième long métrage du cinéaste coréano-américain Lee Isaac Chung, le premier qui lui permet d'éclore aux yeux du grand public. Et je ne le regrette pas car il n'y a vraiment rien de bien méchant là-dedans, au contraire. Exercice autobiographique empreint de simplicité, nappé d'une joliesse légère et sensée, jamais agaçante ou forcée, Minari nous dépeint une période décisive de la vie familiale du réalisateur. Au début des années 80, alors qu'il est âgé de huit ans, sa petite famille emménage en Arkansas sous l'impulsion de son père, optimiste et ambitieux, qui veut faire de leur modeste bungalow planté au milieu des champs une ferme lucrative et pionnière. L'idée est de cultiver les fruits et légumes de leur pays d'origine, la Corée, pour répondre à la demande croissante des immigrés asiatiques, toujours plus nombreux. L'opération s'avèrera bien plus compliquée que prévu et le couple, déjà vacillant, formé par les parents du cinéaste, sera mis à rude épreuve. L'arrivée de la grand-mère maternelle va à la fois pimenter et adoucir l'ambiance au sein du foyer...
Encore sous l'influence trompeuse de cette affiche rose bonbon et des images dégoulinantes de lumière et de bonheur qui accompagnent le film sur internet, je m'attendais à une effusion de bons sentiments, persuadé que tout cela allait aboutir, sans surprise, au succès final de l'entreprise du père, que quelques embûches inévitables, une à une surmontées, ne rendraient que plus triomphal. Jusqu'au bout, je m'attendais à le voir arroser toute l'Amérique de sa superbe marchandise exotique. En bref, je croyais ferme en un gros feel good movie, en une success storyéclatante... Tu parles ! Le choses se passent si mal que l'on se demande bien comment cela va se terminer. C'est l'occasion pour le cinéaste d'illustrer les valeurs familiales en nous rappelant que, face aux difficultés, mieux vaut se serrer les coudes, former une famille solidaire, rester un couple uni... Le propos est simple mais Lee Isaac Chung a le mérite de le poser sans lourdeur, avec une sincérité évidente.
"To all the grandmas" peut-on lire, si l'on est suffisamment attentif, lorsque déroule le générique de fin. En nous dépeignant ce personnage de grand-mère espiègle et aimante qui joue un rôle clé, dans cette étape cruciale de leur existence, pour maintenir l'union familiale, Minari est en effet un fort bel hommage de Lee Isaac Chung à son aïeule, vue à travers les yeux de l'enfant qu'il était alors. Il nous montre le revirement qu'il a lentement opéré : d'abord réticent à la venue de sa mamie et longtemps méfiant à son égard, il finit par l'adopter et l'aimer définitivement. A travers cette évolution, le réalisateur lucide dresse le portrait juste d'un enfant de cet âge-là. Très mignon en apparence (le petit est à croquer, il faut l'avouer), il peut parfois se comporter comme un sacré sale gosse auquel on collerait volontiers une paire de baffes. En bref, c'est un vrai petit garçon, souvent égoïste, volontiers roublard, capable de douceurs ou de quelques crasses mais, en fin de compte, assez attachant.
Le cinéaste se souvient... Il n'a pas oublié que, enfant, quand il découvrait, à son réveil, avoir fait pipi au lit, il retirait piteusement le slip kangourou qui lui faisait office de pyjama, puis le planquait sous son matelas, pour que sa mère ne se doute de rien... et finisse par découvrir cela bien plus tard. Il se rappelle aussi que, suite à l'emménagement de sa grand-mère, celle-ci avait convaincu sa mère de lui faire ingurgiter chaque matin une mixture noirâtre et peu ragoûtante supposée le revigorer, lui qui avait un souffle au cœur et la santé fragile. Comme il détestait cela, il a un jour remplacé ladite mixture par sa propre urine, avant de tendre aimablement le gobelet à sa mamie... Quelques affaires de pipi dont il n'y a pas forcément de quoi être fier. Mais, si on a un peu de talent, on peut raconter ces choses-là joliment, avec sensibilité. Minari est un récit d'enfance fait d'anecdotes, de détails, de saynètes, largement basés sur les propres souvenirs du cinéaste et dont on ne doute guère de l'authenticité. Certaines vignettes, quelques moments, plus ou moins fugaces, toujours très simplement capturés, sentent le vécu et résonnent facilement en l'enfant que l'on a tous été : cela participe pour beaucoup à leur espèce de charme discret, qui opère sans fracas mais opère bel et bien. Le film terminé, je me suis surpris à constater que je n'avais pas passé un mauvais moment devant cette parenthèse agréablement partagée. Les apparences sont donc trompeuses, car Minari n'a guère les travers du bulldozer indé tant redouté, mais a de vraies qualités, modestes mais louables. C'est un film agréable, sincère et, ma foi, assez délicat.
Minari de Lee Isaac Chung avec Steven Yeun, Han Re-Yi, Yoon Yeo-jeong et Alan S. Kim (2020)