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Channel: Il a osé !
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Le Choc des Titans

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Si vous avez vu L'Histoire sans fin, ce chouette film pour enfants de 1984, vous avez une bonne idée de ce à quoi ressemblent les effets spéciaux du Choc des Titans, ce gros film d'action sorti en 2010, encore que ce dernier est en réalité mille fois plus kitsch que l’œuvre de Wolfgang Petersen ou que son homonyme réalisé par Desmond Davis en 1981 avec Laurence Olivier, dont il est le remake. Le Choc des Titans nouvelle version a coûté 110 millions de dollars de plus que Clash of the Titans ancienne mouture (trente ans après, en des temps où tous les films hollywoodiens coûtent au minimum cent bâtons de plus qu'à l'époque, inflation adjusted) et pourtant il est moins bien réalisé techniquement… Je ne parle pas de mise en scène, il n'y en a pas, mais bien d'effets spéciaux et de "rendu" (quel mot horrible) visuel. Même Jason et les argonautes (1963) est à ce titre (et à tous les autres) un film plus beau et mieux fait que ce Choc des Titans en titane.


Voici donc l'Olympe tel que se le représente Hollywood en 2010 à coup de centaines de millions de dollars...

Devant ce film, pur blockbuster américain réalisé par un français qui n'a de française que sa nationalité, on se pose plus que jamais la question des potentialités de l'imagination et on se dit que l'homme semble décidément bien incapable de représenter quoi que ce soit qu'il n'ait déjà sous les yeux, se contentant en fin de compte de moduler plus ou moins ce qu'il connaît et de faire des assemblages incongrus de choses vues, ce qui nécessite et relève déjà de l'imagination à condition de s'entendre sur ce terme qui ne voudrait dès lors plus jamais se parer du sens d'invention. James Cameron est admiré pour sa capacité à "inventer un monde" dans Avatar, où il entrecroise pourtant des éléments de notre monde connu en les modifiant à peine : il a vu des perroquets multicolores voler en groupe et s'agripper à des rochers, il les a agrandis et reproduits en images numériques et le tour était joué. On peut dire la même chose de chaque "invention" de son film, des chiens sauvages fuselés comme des bagnoles de course aux chevaux avec port USB intégré en passant par les afro-indiens d'Amérique bleutés façon schtroumpfs. Ce qui n'existe pas déjà dans la faune, la flore, l'histoire et les civilisations de notre chère planète vient plus ou moins directement d'autres imaginaires, typiquement les montagnes flottantes chères à Miyazaki et à d'autres avant lui, sans parler d'un scénario qui n'est jamais que le plus ressassé de l'histoire des histoires. Mais au moins Cameron a-t-il le talent de manigancer quelque chose de visuellement interloquant, d'à peu près agréable à l’œil (c'est même à ça qu'il s'acharne non sans bonne volonté et sans réussite : plaire à l’œil histoire de cacher le vide total de son propos). Cameron tente précisément de parvenir à nous faire croire à l'impossible, à savoir que l'on assiste à la création ex nihilo d'un univers entièrement nouveau et inédit. En somme il sait faire illusion.


Le Daily Mouloud en personne dans un blockbuster hollywoodien infect, et le pire c'est qu'il est persuadé que c'est "trop la hype".

Dans Le Choc des Titans, quand il faut représenter un Dieu, et pas n'importe quel Dieu, Zeus s'il vous plaît, on a beau pouvoir soi-disant "imaginer", "inventer", "créer" ce qu'on veut de toutes pièces grâce aux images de synthèse, en tout cas tâcher de faire illusion, on se contente d'appeler Liam Neeson et de lui faire porter une hideuse armure de satin qui brille. Pour Hadès on prend un sous Liam Neeson, Ralph Fiennes, et on lui met un costume noir (parce qu'il est méchant). Remarquez s'ils parvenaient à imaginer quelque chose d'autre pour représenter les Dieux de la mythologie ce serait certainement pire encore, un spectacle encore moins recommandable dont il faudrait à tout prix éloigner nos gosses. Mais ce n'est pas le cas, le seul spectacle qui nous est offert c'est celui de deux mauvais acteurs qui cabotinent en costumes à épaulettes en se déplaçant sur un parquet vert remplacé en post-production par une image anamorphosée du ciel terrestre nuageux directement achetée au documentaliste français YAB, Yann Arthus-Bertrand, l'auteur de Ma mère vue du ciel et de Home. Nous n'aurions donc pas bougé d'un millimètre depuis les origines du cinéma, sauf à régresser à la vitesse de la lumière. A part que c'est beaucoup plus laid qu'à l'époque et que c'est interprété par des méduses humaines.


Hyôga du Cygne et Ikki du Phoenix, aka les Chevaliers du Zodiaque.

Sans parler de la réalisation confiée à un ignare heureux, un faiseur de films d'action purement débiles (on doit à Louis Leterrier les chefs-d’œuvre que sont Le Transporteur et L'Incroyable Hulk). Quand on constate au générique de fin que c'est bien Louis Le-fox-terrier qui est aux manettes du film, on pige mieux la présence au casting de Mouloud Achour du Grand Journal de Canal+, qui avait dû quémander une apparition dans le film à l'antenne auprès du réalisateur ou d'un producteur littéralement pris en otages, et qui trimballe son énorme tronche dans une ou deux séquences d'un film au moins aussi crétin que lui, revêtu d'un paillasson mythologique mais non départi de ses grosses baskets américaines qui font un petit peu tache dans le contexte du film (mais on ne lui en voudra pas trop puisqu'il a accepté de laisser son énorme casquette à visière au vestiaire, élément pourtant crucial de sa panoplie de trentenaire urbain attardé).


Poséidon en slip dans Jason et les Argonautes.

Je ne sais pas pour vous mais personnellement l'image ci-dessus m'évoque davantage un Dieu beau, impressionnant, fort, puissant et unique que les deux acteurs cireux qui font un duel de profils en dents de scies sauteuses sur l'image précédente... Quant aux effet spéciaux, les deux photos parlent d'elles-mêmes et le film de 1963 avec ses dix roubles de budget explose le film de 2010 et ses dix billions de dollars au compteur. Gaston Bachelard écrivait : "On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. (...) Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d'images aberrantes, une explosion d'images, il n'y a pas imagination." Le Choc des titans, et c'est bel et bien un choc que ce film, ne nous propose rien de tout ça, non seulement il ne forme aucune image mais il bloque l'imagination plus qu'il ne la stimule en nous balançant un visuel vu et revu, complètement éculé, et diablement moche par-dessus le marché. Si Dieu est mort et si les Dieux grecs sont morts avant lui, Louis Leterrier a utilisé beaucoup d'argent pour massacrer ce qu'il pouvait en rester, l'image, la représentation populaire.


Le Choc des Titans de Louis Leterrier avec Sam Worthington, Liam Neeson, Ralph Fiennes, Gemma Arterton et Mads Mikkelsen (2010)

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