Quelques jours, les derniers, dans la vie d'une athlète de très haut niveau qui a pris la difficile décision d'arrêter sa carrière. Nous sommes aux JO de Tokyo et Nadia n'a que 23 ans, elle est l'une des nageuses les plus douées de son pays, le Canada, mais elle veut tourner la page, épuisée par la compétition, par son sport et par cette vie qui n'en est pas tout à fait une et qu'elle veut refaire sienne. A partir de ce point de départ que l'on pourrait craindre limité, le cinéaste québécois Pascal Plante parvient à signer un film assez original qui très vite intéresse et captive. Nous sommes d'emblée plongés en pleine compétition, immédiatement saisis par le contraste frappant qui existe entre le mal-être palpable de la nageuse vedette magnétisant l'objectif, l'ambiance agitée des Jeux Olympiques soutenue par les vivats d'un public hors-champ et la ferveur de façade des autres compétiteurs présents que l'on croise subrepticement. Tout le long, nous resterons au plus près de Nadia, dans un format d'image et un cadre presque toujours resserré sur elle, comme pour mieux cerner les hésitations, les incertitudes et tous les sentiments, contradictoires ou non, qui habitent ce personnage tourmenté, mélancolique, à un tournant de son existence. Une existence jusque-là contrainte, entièrement dédiée au sport et à la performance, que Nadia a hâte de laisser derrière elle.
Dans le rôle principal, Katerine Savard, nageuse canadienne professionnelle encore en activité, s'en tire à merveille et peut croire en une reconversion comme actrice. De brèves recherches nous apprennent que le film est très certainement nourri d'expériences qu'elle a vécues. Nous comprenons ici toute sa solitude, elle qui n'entretient que des rapports très superficiels avec ses coéquipières –à l'exception de l'une d'elles, peut-être sa seule amie. Nous percevons aussi toute sa lassitude, sa fatigue, elle qui honore très machinalement les passages obligés des athlètes récompensés, remise de médailles et interviews, après avoir nagé avec une grâce et une perfection qui ont presque, eux aussi, quelque chose d'inhumain, de mécanique. Humain, le regard du cinéaste l'est, et nous saisissons donc complètement toute la difficulté que représente le fait de tenir cette décision et d'imposer son choix d'arrêter, en dépit des sollicitations extérieures incessantes – notamment son coach, qui l'encourage à continuer – et de la peur, forcément, du grand vide que constitue la vie d'après, malgré les projets de reprise d'étude envisagés, une peur que l'on devine sans peine dans les grands yeux si expressifs de Katerine Savard.
Pascal Plante refuse donc systématiquement le spectaculaire pour se consacrer pleinement à son héroïne et au milieu qu'elle s'apprête à quitter. Ce choix s'avère intelligent, car il permet sans doute au cinéaste de se départir d'un budget que l'on imagine modeste, et très pertinent, car cela fait de Nadia, Butterfly un film de sport assez unique en son genre, précieux. En outre, malgré cette mise en scène restreinte, focalisée sur son personnage central, nous ressentons bel et bien cette intensité grisante propre à la compétition, en particulier lors de la course, survenant très tôt dans le film, qui rapporte une médaille de bronze aux quatre nageuses canadiennes. Ce sera la seule course que nous verrons, mais elle suffit amplement. C'est l'aspect psychologique qui intéresse le réalisateur, voué à sa nageuse et dont il nous montre comment l'identité et la personnalité sont pernicieusement gommées par les équipements, les sponsors et tout l'attirail officiel étouffant, omniprésent, tout autour d'elle.
Par sa façon de filmer cet environnement si singulier, de ces logements anonymes du "village olympique"à ces piscines qui se ressemblent toutes, en passant par ces longs couloirs où l'on se croise et s'ignore, nous nous mettons à espérer que Nadia s'envole loin de là, prenne définitivement le large... Pascal Plante se permet aussi quelques pointes de poésie, en jouant assez astucieusement avec le motif de l'eau, qui vient submerger le cadre lors de transitions faisant toujours sens, appuyant son propos sans lourdeur. Alors certes, le film a peut-être quelques longueurs : il y a une paire de scènes où nous avons tôt fait de comprendre où le réalisateur veut en venir, mais qui durent quand même. Nadia, Butterfly aurait gagné à être plus court, plus concis, compte tenu de son propos somme toute modeste, mais il n'en reste pas moins une petite réussite et un aperçu qui sonne terriblement vrai de la vie de ces sportifs absorbés par leur discipline depuis leur plus tendre enfance, au point de n'avoir connu que ça, prisonniers de leur talent et de leur performance, en quête d'une liberté et d'une vie normale.
Nadia, Butterfly de Pascal Plante avec Katerine Savard (2020)