Ce film, d'abord, il faut le dire, nous ne l'aurions jamais vu sur la seule foi du nom de son réalisateur. Noah Baumbach la malédiction qui, les lecteurs et lectrices de ce blog le savent peut-être s'ils nous lisent, est pour nous un traitre à la patrie cinéma. Nous avons tout simplement honni et jeté aux chiens l'essentiel de son travail. Pour mémoire, voici quelques lignes de son casier judiciaire, autrement appelé "filmographie" sur les sites peu regardant : The Pirovitch Stories, Frances Ha, Greenberg, Margot va au mariage (cliquez sur les liens pour autant de portes vers l'enfer). On a vu quasiment toute la vie et l’œuvre de ce lointain individu, que ses fans les plus revêches connaissent et défendent depuis deux ans et la sortie de Marriage Story, ignorant la liste de ses crimes (que jusqu'à preuve du contraire il n'a pas expiés). Mais, coup de bol pour lui, c'est à l'aveugle que nous avons donné une chance à son dernier bébé. Coup de bol pour nous, Marriage Story devait être le film de la (fragile et épisodique) réconciliation (il garde notre flingue sur la tempe, juste un peu décollé de la peau).
Le premier mérite de Noah Baumbach est de s'être placé (tout seul) dans l'ombre écrasante d'un classique du cinéma de ses pairs et d'être parvenu à s'en affranchir avec dignité (allez quand même relire la définition des "affranchis" dans la Rome Antique sur wikipédia, vous verrez que tout est relatif). Le film-culte choisi par Baumbach pour son remake à peine déguisé est un classique des classiques du dimanche soir placé en évidence sur les tables de chevets de toutes les stars en quête d'Oscar, un incontournable des ciné-clubs et vidéo-clubs porté par un Dustin Hoffman marchant sur l'eau, un classique instantané que Baumbach n'a pas eu peur de prendre pour modèle, au point qu'à la simple lecture du titre de son propre film, le non-cinéphile, voire le cinéphobe, sait déjà d'où il part et où il va, à quel saint se vouer et à quel pan incontournable de la culture générale universelle on fait référence : le fameux et indémodable Tootsie.
C'est en songeant à Tootsie (parfois retitré Watutsi en Afrique de l'Est) que Scarlett Johansson, actrice dont on sait le talent, a haussé son niveau de jeu, tel un Valbuena revanchard affrontant l'OM sous la chasuble de l'Olympiakos Le Pirée. Toujours plus naturelle et portée par une qualité d'expressivité rare, heureuse d'avoir quelque chose à jouer (autre que s'accroupir en spandex devant un fond vert pour cirer les pompes de Captain Américain), l'actrice donne le change à un Adam Driver en perruque et talons hauts impatient de changer de sexe. Comédie du remariage (lire les bouquins de Stanley Cavell, une véritable tuerie philosophique sur le sujet ; parenthèse à compléter plus tard car nous ne les avons pas encore lus), dans la continuité de Tootsie (pour en savoir plus sur le film de Sidney Pollack, cliquez ici), Marriage Story nous présente un couple au bord de la crise de nerfs, le mari en pleine transition et qui n'en peut plus, la femme qui en a marre, le gosse au milieu de tout ce foutoir qui en a ras-la-gueule de ses deux parents, bref, un beau bordel de scénar.
C'est la première fois que Noah Baumbach filme avec le cœur, et donc avec autre chose que ses pieds. Certaines scènes nous placent en léthargie. Un duel/duo d'acteurs au sommet. On frise la performance m'as-tu-gaulé mais non, et on ne saurait pas l'expliquer (globalement cette analyse depuis le début pêche un peu par manque de rigueur et d'arguments). Comment ne pas songer non seulement à Tootsie mais au chef-d’œuvre de Cassavetes, Opening Night, avec ces deux énergumènes venus du monde du spectacle, dramaturge et actrice, qui se mettent à nu face caméra et se déchirent l'un l'autre tout en gardant une si grande part d'humanité, voire d'amour, malgré tout (les italiques sur "malgré" valent pour clé-de-voûte de notre étude du film). On a plutôt apprécié Marriage Story. C'est une première avec Baumbach le fossoyeur du ring. Toutefois, nous n'étions pas mécontents que le film quitte les Oscar bredouille. Il y a quand même une justice qui tombe de temps en temps (contre-exemple, Dupontel, qui mérite le bagne, et dont le dernier film est aussi idiot qu'hideux, sorti multi récompensé d'une cérémonie des César où il n'était même pas entré). En cela, le premier opus non-nul de Baumbach confirme et installe définitivement Tootsie, avec son record absolu de statuettes, comme le mètre-étalon de tout le cinéma de quartier amérindien post-soixantehuitard et pré-metoo.
Marriage Story de Noah Baumbach avec Scarlett Johansson, Adam Driveret Laura Dern (2019)