Je voudrais d'abord dire un petit mot des éditions Filigranowa, sans lesquelles notre imposant dossier consacré aux films de montagnes n'aurait jamais pu être aussi exhaustif. Cette boîte spécialisée dans tout ce qui touche à la montagne, le cinéma de montagne, les films d'alpinisme et d'escalade, qui édite par ailleurs des livres et des bandes dessinées se déroulant dans l'univers de la grimpe, accomplit un travail prodigieux, je dis bien prodigieux, en nous permettant d'accomplir les plus terribles ascensions et les plus mortelles randonnées depuis notre canapé. Un travail que je qualifierai même d'indispensable et de nécessaire. Il assure en effet la préservation de documents précieux : ils le sont pour l'amateur, certes, mais aussi pour le genre humain tout entier, puisqu'ils en recensent les plus grands exploits ! Je tiens à saluer et à remercier toute l'équipe de Filigranowa... et me tiens à leur disposition s'ils recherchent quelqu'un ! Car, pour être tout à fait honnête, leur travail me paraît parfois perfectible. Les jaquettes ne sont pas toujours du meilleur goût, il faut bien l'avouer. C'est peut-être une question de moyen, mais c'est un peu dommage étant donné les documents exceptionnels qu'elles abritent parfois et les lieux remarquables qui sont toujours mis en vedette. Plus dommageable, Filigranowa commet parfois des erreurs ou des oublis, que j'explique de la façon suivante : cette boîte d'édition et de distribution doit d'abord viser à se montrer compréhensible et claire pour son public de base, le montagnard (no offense, j'ai moi-même grandi en milieu escarpé). Quitte à trahir ou négliger le cinéaste concerné... Ainsi, le titre français colporté par Filigranowa de ce documentaire de Gerhard Baur, Grandes Jorasses – face nord, est d'une extrême platitude malgré le massif nommé ; il foule du pied le choix véritable du cinéaste allemand. Le titre que celui-ci a choisi de donner à son œuvre, La Voie est l'objectif (Der weg ist das ziel, dans la langue de Shakespeare), l'éclaire d'une toute autre manière. La fin ne justifie pas les moyens puisque les moyens sont la fin elle-même, pour ces vaillants alpinistes des années 30 dont le courage et l'abnégation sont ici célébrés. Heureusement, les sous-titres traduisent bel et bien ce titre original, qui apparaît en énorme à l'écran. Mais, partout ailleurs, hélas, celui-ci est ignoré. Dommage. On aime sa direction, sa concision, sa résolution. Pour atténuer le reproche fait à cette édition-là, notons que ce qui rattrape largement le coup est que Filigranowa nous propose sur le même disque le brillant court métrage de Baur, La Décision, dont je vous ai déjà parlé.
La Voie est l'objectif est le film le plus primé de Gerhard Baur. Tourné en 1986, il nous propose une reconstitution minutieuse de la première tentative d'ascension de la redoutable face nord des Grandes Jorasses, un des plus grands défis des Alpes. Nous suivons deux munichois obnubilés par les hauteurs, Rudi Haringer et Rudi Peters, qui, en 1934, se lancèrent à l'assaut de cette gigantesque muraille de granit et de glace, après l'échec de deux de leurs amis et compatriotes. Vu le soin apporté à l'ouvrage, il n'y a aucun mal à comprendre pourquoi ce film-là a fait le buzz dans le milieu alpiniste et qu'il demeure aujourd'hui un incontournable. Gerhard Baur cherche et parvient à convoquer un sentiment de réalité et, à partir du moment où nous sommes sur les hauteurs, nous nous sentons véritablement plongés au cœur de l'action, au milieu de paysages inviolés. La caméra de Baur filme au plus près des grimpeurs, parvenant à capter des angles impossibles et à se faire invisible pour mieux nous donner l'impression d'être à leurs côtés, avec eux, collés à la paroi, dans des conditions épouvantables. L'utilisation d'un équipement d'époque et de tous les outils des alpinistes des années 30 contribue pour beaucoup à l'effet atteint. Tout cet aspect-là du film est une vraie réussite.
Quand il s'éloigne des sommets, Baur se montre un peu moins à l'aise... Le tout début du film, où nous voyons notre bande de grimpeurs se taquiner à bicyclette puis s'amuser à s'asperger d'eau de la fontaine du village flirte avec le ridicule. On peut alors regretter que les acteurs soient si mauvais. Il est cruel de le dire, mais il faut bien, c'est mon job. Dès qu'il s'agit de grimper, il n'y a aucun souci, ils se débrouillent comme des chefs, mais quand il faut jouer la comédie, c'est autre chose... Ils sont tellement gauches que l'on en vient à se demander si le coup de la tente incendiée par le réchaud à gaz n'est pas un simple accident de tournage plutôt qu'une retranscription fidèle d'un épisode réel survenu la veille de cette ascension. Je ne suis pas non plus convaincu que taper du poing par terre soit la meilleure manière de jouer la rage et la frustration... Aussi, et c'est peut-être là le plus gros reproche que je ferai à Gerhard Baur de manière générale, il y a là-dedans un penchant trop net pour la tragédie. La Voie est l'objectif n'est pas un feel good movie, c'est bien tout l'inverse. Ne vous attachez pas à ces types-là, à l'espérance de vie très limitée. Baur préfère nous montrer un échec que nous raconter l'ascension réussie, quelques mois plus tard, par le seul Rudi ayant survécu, balayée vite fait en quelques minutes pour conclure sur une note plus gaie... Dans une démarche d'historien de la montagne, Baur veut peut-être ainsi rendre hommage aux disparus, il immortalise de courageux et vaillants grimpeurs en mettant en scène leur disparition. Mais d'autres films de montagne démontrent qu'il n'y a pas besoin d'accidents mortels pour marquer les esprits et que l'on peut se montrer moins fasciné par la mort pour glorifier d'autres vertus. Malgré cela, on tient là un documentaire tout à fait recommandable, justement récompensé du Grand Prix du film de Banff (oui, ma phrase s'arrête là, Banff est une ville du Québec). J'avais envie de clore sur ce mot : Banff.
La Voie est l'objectif – Grandes Jorasses, face nord de Gerhard Baur (1986)