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Victoire sur l'Annapurna

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Intriguant documentaire d'une cinquantaine de minutes réalisé par Marcel Ichac en 1953, qui nous narre l'exploit accompli par Maurice Herzog et Louis Lachenal en 1950 : la conquête du plus haut sommet de l'Annapurna, culminant à 8091 mètres. Intriguant pour plusieurs raisons. D'abord par ses choix narratifs. Très bavard (dire, mais nous en reparlerons, que le commentaire reproche aux orientaux d'aimer palabrer...), le film est accompagné d'une voix-off permanente (ainsi que de musique), que se partagent un narrateur sans réelle identité, expliquant les images en disant "nous" et parlant à la 3ème personne des individus, y compris du cinéaste qui accompagne l'expédition, et le héros de l'aventure, Maurice Herzog, principal auteur de l'ascension, qui se voit offrir cette même voix au début et à la fin du film où il apparaît sur le Mont Blanc et, nous regardant à travers la caméra, s'adresse à nous en postsyncro pour nous dire qu'il en a réchappé par miracle et qu'il continue à faire de l'escalade sans ses doigts ni ses orteils, laissés sur l'Annapurna.
 
 

 


Intriguant aussi parce que le film consacre une bonne partie de sa durée aux étapes de l'expédition qui encadrent l'ascension proprement dite. Plutôt classique dans le genre pour ce qui concerne les préparatifs et l'arrivée jusqu'au pied de la roche. Puis vient la grimpe elle-même évidemment, encore heureux. Et si le moment graal de l'aventure, l'arrivée au sommet, n'est ici pas filmée, réduite à une photo prise tout là-haut de Maurice Herzog avec son piolet, photo filmée à côté dudit piolet auréolé du drapeau français, de beaux panoramiques détaillant le profil de la montagne et les plans de bataille des cordées d'assaut avec force commentaire explicatifs sont appréciés. Mais, plus rare et plus remarquable, Marcel Ichac accorde une bonne place aux étapes qui suivent l'accession au sommet : long et périlleux retour des membres de l'équipée passant non seulement par les camps de base successifs mais filmé encore jusqu'au village népalais où tout a commencé.




Il n'est pas anodin que le retour soit si scrupuleusement filmé et montré. C'est que la descente est incroyable elle aussi, peut-être plus que la montée. Et c'est là que Victoire sur l'Annapurna est intriguant une troisième fois : dans cette dernière partie fascinante qui tend à la fois à nous conforter dans un sentiment de respect total face à l'héroïsme des protagonistes, et à quelque peu contredire le titre du film et son projet global d'hommage aux vainqueurs. Il y a en effet de quoi ébrécher les statues des héros Herzog et Lachenal, sans rien leur retirer de courage, d'ambition ou de réussite. Mais voir les deux champions de l'Annapurna redescendre vidés, tout penauds, raides comme des piquets, soutenus sous les épaules par des sherpas, puis trimballés jusqu'au village sur le dos des mêmes sherpas sans qui ils seraient sans aucun doute morts très vite, absolument vaincus par la montagne, finit par retirer un peu de superbe à nos deux compères bientôt amputés des crayons et emportés vers de lointains hôpitaux susceptibles de les sauver in extremis. Il ne s'agit pas de dire qu'ils auraient dû tout faire à deux et seulement à deux et revenir vivants et en pleine forme pour mériter les louanges, simplement que le film laisse bien percevoir le prix de leurs lubies, et nous montre clairement ce que l'on sait mais que d'habitude l'on préfère dissimuler, à savoir que si les médailles leur seront revenues, ils ne furent pas les seuls à payer l'addition.





De la superbe, le film en donne en revanche, et à revendre, aux coolies et sherpas que nos braves aventuriers se sont payés moyennant quelques piécettes, finalement mille fois plus méritants, courageux et héroïques que nos braves pionniers de la grimpe. On voit tout au long du documentaire ces pauvres diables porter, dans les contreforts du Népal, des charges de plus de 40 kilos (un gamin, qui a l'air de porter un petit bagage, se fait tancer, avant qu'on s'aperçoive qu'il porte 50 kilos de films et de matériel cinématographique), sur des terrains abominables, tandis que leurs "seigneurs" font le chemin sans rien sur le dos et en partie à cheval,  on les voit faire grève cinq minutes au grand étonnement de ces messieurs, puis se remettre en route, convaincus par l'un d'entre eux qui leur rappelle qu'ils ont signé d'une empreinte du pouce, et on voit certains d'entre eux rester aux côtés de ces tarés d'occidentaux pressés de se rendre inutilement au sommet de la montagne tueuse avant la mousson, au mépris du froid glacial, de la lumière aveuglante, des avalanches permanentes et du reste (il faut voir les regards que lancent parfois les sherpas, complètement sidérés par ce dans quoi ils se retrouvent emportés). Et le commentaire, bien d'époque, au mieux colonialiste, au pire raciste, se rit de ces locaux râleurs et palabreurs sans qui nul exploit, nul record, nulle survie n'aurait été seulement pensable... 
 
 


 
Certains passages en deviennent fous, à les découvrir aujourd'hui. Comme quand un coolie dit qu'il a reçu assez d'argent jusque là (4 roupies) et qu'il ne veut pas risquer sa vie en allant plus loin alors qu'il a largement assez de sous avec ça, et que le commentaire se fend d'un bon : "mystère de l'âme indienne..." qui n'en laisse planer aucun sur l'âme occidentale. Sans parler de cette scène, plus tôt dans le film, où la compagnie traverse une première fois, à l'allée, un pont précaire fait de menus branchages au-dessus d'un torrent déchaîné, tandis que le narrateur exprime l'inquiétude des blancs de bien voir passer tous leurs bagages sans qu'aucun ne manque, puis évoque, l'air de rien, ce coolie tombé à l'eau avec son barda, en précisant qu'il a été repêché plus loin (ce dont on doute un brin), avant d'ajouter que le caméraman s'est ensuite concentré comme jamais pour ne pas rater une autre "chute spectaculaire". 




Mais encore, à la fin du film, quand les héros aveugles, manchots, alités et au bord de la mort atteignent enfin le village, sur le dos robuste de leur sherpa descendant les seules marches d'escaliers, certes peu rassurantes, du parcours, quand le commentateur parle gaiement des porteurs qui "courent" sur ces distances "oublieux des 100 kilos sur leurs épaules", chargés comme des foutues mules, ces hommes charitables voient enfin le bout de leur calvaire et de leurs prouesses (porter des poids morts humains à dos d'homme depuis le 1er camp de base, à plus de 6000 mètres, jusqu'au village dans la vallée sur des terrains impossibles, au-dessus de torrents terribles, sur de pauvres passerelles de planches pourries ou agrippés à des falaises au-dessus du vide) qui semblent plus dignes d'hommages que l'escalade assistée des deux fadas qui s’enorgueillissent de pouvoir encore se faire le Mont Blanc quand leurs maudits sherpas sont peut-être déjà morts de fatigue après s'être cassé le dos pour eux dans l'espoir de difficilement nourrir leur famille. 


Victoire sur l'Annapurna de Marcel Ichac avec Maurice Herzog et Louis Lachenal (1953)

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