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Cannes 2013 - Notes sur un début de festival

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Notre collaborateur Simon était à Cannes en ce début de festival et a couvert le festival pour nous. Il nous présente aujourd'hui son bilan sur la première moitié du festival avec des notes sur une quinzaine de films dont sept titres de la Sélection Officielle, un titre sélectionné à Un certain regard et deux à la Semaine de la critique. Mais laissons-lui la parole sans plus tarder :




A l’annonce de la sélection officielle il y a quelques semaines, certains se sont inquiétés de l’absence de potentielles découvertes, du peu de place donnée aux jeunes cinéastes et du retour perpétuel des mêmes noms, membres d’une chapelle qu’il est bien difficile d’intégrer quand on n’a pas déjà fait ses preuves avec plusieurs films dans les sélections parallèles. C’est en effet dommage, et c'est la marque d’un manque d’audace aussi bien que de l’obligation, un peu fatigante, de montées des marches glamour, mais l’espoir d’une compétition de haute tenue entre ces grands noms pouvait atténuer la déception. Les 7 films en compétition que j’ai pu voir jusqu’alors donnent plutôt raison aux esprits chagrins : s’il y a bien évidemment déjà eu de belles choses chez certains « habitués » (Jia Zhangke, Arnaud Desplechin, Alexander Payne) et s’il y en aura d’autres dans les jours à venir (Haroun, Kechiche, Gray, Des Pallières, Jarmusch ?), aucun vrai choc n’est encore à signaler, et surtout plusieurs ratages intégraux interrogent sur les critères de sélection de l’équipe de Thierry Frémaux, dont on sait qu’elle reçoit et visionne plusieurs milliers de films...




Comment expliquer la sélection en compétition de Shield of Straw, de Takashi Miike, déjà présent il y a deux ans avec le poussif Hara-Kiri, mort d’un samouraï ? Peut-être que la nécessité d’étoffer le contingent asiatique, notamment suite au retrait tardif du prometteur Transperceneige de Bong Joon-ho (sur décision du comité, du réalisateur ou parce que le film n’était pas prêt ?) y est pour quelque chose. Quoi qu’il en soit, ce polar narrant le transfert d’un assassin pédophile du sud du pays à Tokyo, dont la tête est mise à prix par le grand-père de sa dernière victime à hauteur d'un milliard de yens, est extrêmement mauvais : entre quelques scènes d’action pas particulièrement palpitantes s’étendent de longs tunnels de dialogues distillant une psychologie de bas étage, alors que l’intrigue à la fois banale et échevelée se déroule péniblement.




Une épreuve, mais peut-être pas autant que celle que constitue le visionnage de Borgman, nouveau film du hollandais Alex van Warmerdam, à qui on devait le remarqué Les Habitants, qui date quand même de 1992. Borgman raconte l’irruption dans la vie d’une jeune famille bourgeoise d’un homme étrange, barbu et dépenaillé, qu’on voit au début du film sortir d’une tanière où il se terrait avec quelques autres individus, dans la forêt, chassés par des hommes armés. Si un certain mystère se dégage de cette première séquence, il laisse vite la place à de l’exaspération devant cette déclinaison racoleuse et ridicule du Théorème de Pasolini, où sexe, violence et surnaturel s’empilent dans une espèce de charge anti-bourgeoise sensationnaliste. Van Warmerdam joue au plus malin et le résultat est extrêmement déplaisant, évoquant un peu l’irritation ressentie devant La Chasse de Thomas Vinterberg, également en compétition l’an dernier.




Dans une moindre mesure, la présence de Jeune et jolie de François Ozon en compétition est également une énigme, surtout lorsqu’on sait que le nombre de places dans le contingent français est limité, et que beaucoup d’autres œuvres françaises plus excitantes sont au programme des sélections parallèles. Si Jeune et jolie est moins pire que bien d’autres films d’Ozon descendus dans ces pages, et si son sujet pouvait exciter (une jeune fille de 17 ans découvre l’amour physique et décide de se prostituer « pour le plaisir »), il évoque davantage la joliesse aseptisée et creuse du Sleeping Beautyde Julia Leigh que la crudité des premiers films de Catherine Breillat. On se demande tout au long de ce film à quoi bon : l’opacité du personnage d’Isabelle (interprétée par la jeune Marine Vacht, sur laquelle beaucoup de monde s’émerveille mais qui en mouvement m’évoque personnellement moins Laetitia Casta qu’une version juvénile et toute en os de Maïwenn le Besco) n’est pas un problème, mais Ozon ne semble jamais vraiment porter un vrai regard sur elle, aucun amour du personnage ne se dégage de sa clinquante et plate mise en scène. Les parents (Géraldine Pailhas et Frédéric Pierrot) ne sont que des figures naïves et grotesques qui participent de la vanité du film. Finalement le personnage le plus intéressant est celui du petit frère d’Isabelle, qui à 11 ans découvre lui aussi la sexualité, la sienne et celle de sa sœur, à qui il voue une admiration fraternelle parfois teintée d’ambiguïté amoureuse. Probablement la partie la plus originale et intime de ce film par ailleurs peu intéressant, à défaut d’être totalement désagréable.




Au rayon des réussites relatives, Le Passé, le nouveau film d’Asghar Farhadi dont on se demandait bien comment il allait assumer la succession du triomphal Une séparation. La curiosité était d’autant plus forte devant sa décision de tourner son nouveau film en France avec des comédiens français. L’histoire, à la fois simple et à entrées multiples, suit trois personnages principaux, une femme prise entre son ex-mari iranien, dont elle est depuis longtemps séparée mais pas encore divorcée, et son nouveau compagnon, dont la femme est dans le coma depuis plusieurs mois. Tous ces gens ont aussi des enfants, parfois de mariages précédents. Tous sont à fleur de peau et ont beaucoup de problèmes. Il faut avouer que le film a des défauts évidents (dont certains étaient à mon avis déjà présents dans Une Séparation, qui ne me compte pas parmi ses admirateurs inconditionnels) : en premier lieu une abondance de dialogues qui fait tomber le film dans une certaine surécriture, une intrigue qui vire dans la deuxième partie au whodunnit et étire inutilement le film en longueur, mais aussi un certain côté « vase clos », une désagréable impression de voir des personnages enfermés dans leur monde et leurs soucis, et que le film manque d’ouverture, de respiration et d’ampleur. C’est paradoxal car ça participe aussi d’un des points forts du film (en plus de la qualité de l’interprétation) : une indéniable qualité de regard, grâce à une mise en scène discrète mais immersive qui fait exister les personnages très fort. Ce qui faisait déjà le prix d’Une séparation, réussite plus évidente qui avait aussi pour lui ses étonnantes qualités documentaires auprès du public étranger. Le Passé est un bon film imparfait.




Nebraska, d’Alexander Payne, ne sera projeté que jeudi mais j’ai pu le voir un peu en avance. Il s’agit d’un road-movie à deux à l’heure (oui, on pense souvent à Une histoire vraie de Lynch), la balade d’un homme d’une trentaine d’années un peu loser (Will Forte) et de son père (Bruce Dern), vieil homme qui perd un peu la boule et se persuade qu’il a gagné 100.000 dollars à la loterie. Il convainc donc son fils, qui n’est pourtant pas dupe, de partir du Montana pour le Nebraska retirer son prix. Ce voyage sera l’occasion pour le fils d’entraîner son père sur les lieux de son enfance, où une partie de sa famille vit encore. Filmé dans un beau noir et blanc, Nebraska a les qualités des précédents films de Payne, en premier lieu une mise en scène élégante et une douceur de ton non dénuée de cruauté, une douce mélancolie teintée d’humour. Il est d’autant plus dommage que l’émotion soit parfois un peu noyée sous les flots de musique, et que la fin du film vire au sentimentalisme à outrance, ce qui jette un petit voile sur ce joli film au classicisme discret.




Il en est un autre qu’on attendait moins sur le terrain du classicisme, c’est Arnaud Desplechin, dont le Jimmy P., psychanalyse d’un indien des plaines, avec Mathieu Amalric et Benicio Del Toro, s’annonçait très excitant. Et si le résultat est en effet très beau, la grande économie de moyens et certains procédés très « hollywoodiens » (notamment l’usage de la musique) étonnent. Le film, situé à la fin des années 40, relate donc la psychanalyse de l’indien d’Amérique James Picard (Del Toro), vétéran traumatisé de la seconde guerre mondiale, par Georges Devereux (Amalric), un psychothérapeute qui se clame français mais laisse entendre lors d’une réplique qu’il serait en fait plutôt originaire d’Europe de l’est (Amalric s’en donne à cœur joie sur les accents). Par la force des choses et de son sujet, le film est extrêmement bavard et, il faut bien le dire, parfois un peu ennuyeux lors de certaines scènes dont les dialogues s’étirent à l’extrême. Il finit tout de même par emporter le morceau, d’abord grâce à la qualité de son interprétation (Del Toro notamment est génial, dans un rôle aux petits oignons qui pourrait lui rapporter le prix d’interprétation), mais surtout grâce à la douceur et à la bonté du regard de Desplechin sur ces deux personnages. C’est là que la forme très classique du film, si elle ne laisse pas de surprendre et de décevoir de prime abord, trouve tout son sens. Et lorsque Desplechin nous embarque dans les rêves torturés de Jimmy, il lâche enfin délicatement la bride, nous offrant des visions à la fois étranges et épurées, dépouillées, nous prouvant qu’il reste un grand metteur en scène.




Finalement, le meilleur film de la compétition que j’ai pu voir est celui de Jia Zhangke, A Touch of Sin. Extrêmement ambitieux et sombre, il témoigne en 4 histoires de la violence impitoyable qui frappe la Chine contemporaine, celle de la « croissance harmonieuse », et en particulier les plus modestes, souffrant quotidiennement de conditions de travail lamentables (insécurité, absence de couverture sociale, iniquité des salaires…), de l’inflation des prix des logements, et de la violence morale et physique qu’exercent les classes dirigeantes et gouvernantes, en réponse à d’éventuelles velléités d’insurrection ou non. Ce retour du cinéaste chinois à la fiction, après le documentaire I Wish I Knew, est d’une ampleur impressionnante. Quatre histoires glaçantes (dont la première et la dernière sont reliées par un personnage), que Jia Zhangke a écrites après avoir compilé des tonnes de coupures de presse relatant des faits divers, et mises en scène avec un mélange de retenue et de rage brute. Les paysages, qu’ils soient campagnards ou urbains, sont autant d’étendues rugueuses et hostiles où la violence est quotidienne, admise, ignorée (dans une des histoires, le personnage principal devient fou et flingue une femme en pleine rue, au milieu d’une foule indifférente qui passe son chemin l’air de rien). Les éclats de violence sont remarquables, Jia Zhangke n’hésitant pas à convoquer certains cinémas de genre (film de samouraïs, film noir américain…) tout en conservant une grande sécheresse, évitant ainsi tout phénomène de jubilation devant ces vengeances des sans-grades sur leurs oppresseurs. Un film éprouvant et peu aimable, mais un grand film. 




Voilà pour la sélection officielle jusqu’à présent, qui semble donc confirmer que pour d’éventuelles découvertes, il faudra regarder ailleurs, dans les sélections parallèles. Pour ma part il y en a eu deux, les deux à la Semaine de la critique, et les deux réalisées par un duo de cinéastes : d’abord Salvo, premier long-métrage des italiens Fabio Grassadonia et Antonio Piazza. Un joli film noir qui raconte la rencontre d’un tueur de la mafia sicilienne avec la sœur aveugle d’une de ses victimes, qui retrouve miraculeusement la vue au moment du meurtre. Le film, qui se déroule dans les paysages crasseux et désolés de la banlieue de Palerme, a le grand mérite de tenir jusqu’au bout son parti pris de noirceur et de sécheresse, tout en laissant la violence hors champ. Le travail sur le son est très beau et rend d’autant plus prégnant le personnage de la sœur aveugle et son rapport au monde extérieur. Celui sur le temps l’est également, le découpage très lâche laissant les plans s’étirer, y compris lors des scènes d’action dont la plus belle est un vertigineux plan-séquence en intérieur qui voit les deux personnages se « rencontrer » pour la première fois. Si l’aspect fermé et monolithique du tueur Salvo (très impressionnant physiquement) frôle parfois la caricature, la relation qui se tisse lentement entre les deux personnages est surprenante et culmine dans une dernière scène très émouvante.




La deuxième découverte est argentine et se nomme Los Dueños, de Agustin Toscano et Ezequiel Radusky. Le film se déroule dans une propriété de la campagne argentine, que deux hommes modestes entretiennent à l’année. Quand les riches propriétaires sont absents, ils s’introduisent dans la maison, se servent dans le frigo, dorment dans les grands lits, regardent des DVD. Ils « jouent aux riches » et en jouissent autant qu’ils s’en amusent. Mais quand la fille aînée du propriétaire, Pia, débarque pour y passer quelques jours, tout va être bouleversé. Un film cynique, tendu, discrètement « lutte des classes » et plutôt réjouissant, où tensions sociales et sexuelles se rejoignent avec autant d’humour que de suspense. Une bonne surprise, qui n’a pas encore de distributeur en France.

Les sélections parallèles offrent aussi leur lot de (très) mauvais films : ainsi Fruitvale Station, premier film américain de Ryan Coogler et Grand Prix à Sundance (festival qui ne cesse donc de dégringoler), se sert d’un fait divers qui a fait grand bruit aux États-Unis (l’assassinat d’un jeune noir par la police à Oakland le 1er de l’an 2009) pour livrer un drame au mieux maladroit, au pire atrocement manipulateur. Très mauvais aussi, le bien nommé Ugly, polar indien et hystérique de Anurag Kashyap (auteur de Gangs of Wasseypur l’an dernier) ; ou bien encore l’insupportable A Strange Course of Events, merdouille verbeuse de Raphaël Nadjari.

Déception plus relative mais inattendue, le nouveau film de Claire Denis, Les Salauds, dont l’extrême noirceur vire vite à l’absolument sordide, ce que ses indéniables qualités plastiques ne peuvent totalement rattraper, d’autant que le propos du film reste tout à fait mystérieux, pour ne pas dire douteux. Même les Tindersticks, encore une fois à la musique, n’y peuvent rien.




Je dois avouer pour finir que mon plus beau moment de ce début de festival est à mettre au crédit d’un film dont je n’ai pu voir que la première heure pour obligations professionnelles, c’est le film d’Alain Guiraudie, L’Inconnu du lac. Une heure lumineuse, drôle, touchante, excitante (pourtant les gros et les moustachus qui se sucent la bite en temps normal c’est pas mon truc), simplement mais merveilleusement mise en scène, idéale quoi. Une heure que j’ai extrêmement hâte de revivre et de compléter par la deuxième, qui est paraît-il « hitchcokienne », qualificatif on ne peut plus galvaudé mais que je crois Guiradie assez audacieux et talentueux pour honorer. On en reparle à coup sûr ici aux alentours du 12 juin, date de sa sortie en salles.


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