C'est long 2h22, surtout en compagnie de deux vieux croulants. Je pense que cela aurait pu durer deux fois moins longtemps (voire juste un quart d'heure), Gaspar Noé aurait quand même eu le temps de caler ses deux idées et de nous faire compatir avec ce couple en fin de vie. Son idée du split screen n'est pas mauvaise, en soi, elle a du sens, mais je ne la trouve pas toujours bien pensée (pourquoi le split screen persiste quand on quitte temporairement le duo Argento/Lebrun ?) et très facile, finalement. On sent le cinéaste regarder son propre dispositif avec un petit sourire, très satisfait de lui-même. Le duo d'acteurs est irréprochable, les approximations d'Argento en français collent bien à la situation et le choix de l'improvisation porte ses fruits en procurant un sentiment de vérité assez saisissant par moments. M'enfin, tout ça me laisse tout de même bien circonspect. Après le succès retentissant d'Amour, auquel Vortex ressemble évidemment, force est de constater que cela paye drôlement bien de s'intéresser ainsi à la mort, vu l'accueil critique et les récompenses dont a bénéficié Gaspar Noé…
...un succès à nuancer, vu le nombre d'entrées ridicule, m'indique-t-on en coulisse. Mon regard était sans doute biaisé par ma propre expérience toulousaine : un dimanche après-midi grisâtre, ma compagne et moi allions au ciné pour une séance programmée pile au même moment que l'avant-première de Vortex en présence de Gaspar Noé. Il y avait un monde de dingue, j'avais jamais vu ça, et principalement des jeunes. La file d'attente s'étendait sur toute la rue et même au-delà. L'effervescence était telle que nous avions des difficultés à nous frayer un chemin vers notre propre salle. Et en essayant de me faufiler dans le ciné par des voies détournées, quitte à contourner les cordons de sécurité spécialement mis en place pour contenir toute l'excitation autour de cet événement grandiose, j'ai failli percuter à deux reprises Gaspar Noé himself ! Il avait son fameux bonnet, son bouc et son regard fuyant, mais il ne m'a pas eu l'air si antipathique. Il y en a bien d'autres qui, dans une telle situation, m'auraient au moins lancé un regard noir. Je n'avais rien à faire là et ce n'est pas à une mais à deux reprises que j'ai été à deux doigts de le percuter de plein fouet par inattention. Cela m'a aussi fait réaliser à quel point sa fanbase est relativement jeune, ou en tout cas que je pourrais carrément y correspondre… Sauf que non. Repenser à cette interminable file d'attente et à toute cette ambiance bouillonnante m'amuse encore plus après avoir vu le film. Un tel enthousiasme pour ça !
A posteriori, je crois qu'il s'agissait de ma plus intense interaction avec une vedette internationale d'une telle envergure depuis mon échange de regard avec le serial buteur Lilian Laslandes lors d'un mémorable TFC-Bordeaux (score final 0-3) de la saison maudite 98-99 (celle qui vit le sacre des Girondins au détriment de l'armada phocéenne coachée par Courbis et comptant dans ses rangs Köpke, Lolo Blanc, Pirès, Duga, Florian Maurice et toute la fine clique, équipe qui avait évidemment ma préférence et à laquelle le titre aurait dû être décerné d'office le soir d'un Montpellier-OM gravé dans toutes les mémoires de footix). J'ai le sentiment d'avoir réellement touché du doigt la vraie personnalité de Gaspar Noé, sa nature profonde, celle qu'il tente en vain de nous dissimuler derrière son crane si lisse, sa moustache épaisse et son regard torve, pour essayer de passer pour un artiste ténébreux et torturé. Sa personnalité est en réalité douce et bienveillante, apaisée. Je n'aime pas ses films, mais il ne mérite peut-être pas que j'en parle ainsi, avec une telle négligence, je me rattrape donc en affirmant que Gaspar Noé me semble être une personne recommandable et sympathique, d'agréable et saine compagnie.
Je repense, enfin, au titre du film, Vortex. Ok, ça claque. Un seul mot, qui se termine en x, comme le précédent Noé, Climax, y'a pas à dire, ça sonne ienb, et c'est important pour ce cinéaste, à l'évidence. Mais après avoir vu le film, je lis vortex et je le prends au pied de la lettre : cela m'évoque tout simplement le tourbillon de la chasse d'eau, de ces chiottes dans lesquels Françoise Lebrun, ne sachant plus ce qu'elle fait, vide la poubelle, puis balance les écrits de travail d'Argento, ces chiottes banales et laides devant lesquels Lebrun finit aussi par passer un long moment, pour y jeter tous ses médocs, s'amusant ensuite à mélanger le tout, dans un tourbillon orangeâtre sordide et peu ragoûtant. Je lis Vortex et je pense donc à des chiottes. Et je me dis que ce titre-là ne claque pas tant que ça, finalement.
Vortex de Gaspar Noé avec Françoise Lebrun, Dario Argento et Alex Lutz (2021)