J'ai enfin vu la bombe gore de cette année de cinéma d'horreur 2022. Le gore, ça n'a jamais trop été mon truc, mais je suis toujours curieux de découvrir les derniers phénomènes horrifiques et ce film-là a fait le buzz chez les aficionados, depuis sa diffusion dans des festivals spécialisés, l'an passé, jusqu'à sa distribution en salles dans l'Hexagone, cet été. Je peux aisément comprendre que The Sadness ait comblé les amateurs, voire au-delà, par son jusqu'au-boutisme forcené et sa façon opportune de s'inscrire dans notre société marquée par le COVID et le confinement. Décrivant une pandémie virale qui transforme les individus en zombies mutants aussi véloces que cruels, avides de chair humaine et de sexe, The Sadness apparaît comme le premier film d'horreur post-Covid ayant connu un tel succès. En dehors de ce grand huit sans temps mort, de cette virée cauchemardesque et sanguinolente que nous propose le cinéaste canadien Rob Jabbaz dans les ruelles et les couloirs du métro de Taïwan, ce qu'il y a de plus intéressant là-dedans, c'est le don qu'a ce fichu virus de laisser d'un seul coup exploser les plus atroces pulsions d'une population malade et frustrée. Rien d'étonnant à voir une petite troupe de zombies se délecter à plusieurs des tripailles d'un pauvre quidam fraîchement zigouillé, plus surprenant est d'assister à une partie à trois entre mutants ou à un viol particulièrement brutal au détour d'une rue... Sachez que tous les orifices sont exploités par les individus atteints du virus et que si le pire reste hors champ, pas grand chose, en réalité, n'est laissé à notre imagination.
Rob Jabbaz place le curseur assez loin en termes de violence, de cruauté et d'horreur malsaine. Heureusement, la débauche d'hémoglobine écarlate (chaque individu est donc un ballon de baudruche gorgé de sang n'attendant qu'à exploser et arroser son monde) permet immédiatement un décalage presque comique bienvenu. Une incongruité particulièrement frappante lors de la scène intense de la rame de métro, dont la sauvagerie des actes perpétrés est comme atténuée par l'excès des effluves sanguines qui aspergent et manquent d'inonder tous les malheureux passagers. Comme de nombreux prédécesseurs qui ont œuvré dans le genre, Rob Jabbaz fait donc dans la plus terrible surenchère, sans toutefois se placer dans la parodie, loin de là. C'est le premier degré qui prime ici, le gore exagéré s'apparente plutôt à un choix purement visuel. Ce film tache, nous en retenons cette couleur, son rouge crasseux, si envahissant et débordant. A ce titre, il faut saluer le travail des artisans derrière les effets spéciaux : quelques passages s'inscrivent dans la plus noble tradition du genre. Non, très franchement, je pige que ce film-là ait conquis sont petit monde...
En ce qui me concerne, il m'en faut tout de même bien davantage pour m'enthousiasmer sincèrement. Le carnage devient hélas vite répétitif et long. Le sang et la frénésie ne suffisent pas. Et je regrette que le film ne soit que ça, malgré l'originalité et la pertinence du contexte choisi. D'autant plus qu'il y a aussi quelque chose d'intéressant, au tout début du film, qui hélas ne dure pas, dans la manière de mêler l'intimité du couple, que l'on croit confiné dans son petit appartement et dont on suivra ensuite les destins séparés en parallèle, à la menace d'une catastrophe généralisée de plus en plus palpable, qui se répand rapidement dans les rues de la ville, amenant un chaos barbare. Une voie que Rob Jabbaz délaisse rapidement, au profit d'un spectacle certes déconcertant par son caractère sauvage et outrancier, mais finalement très programmé, dont la radicalité paraît même facile et accessoire. Après un premier tiers plutôt bien mené, le film donne ainsi l'impression de patiner dans toutes les flaques de sang vomies en cours de route, et l'on chemine de façon très prévisible vers un final au nihilisme peu surprenant, prémâché. Restent peut-être quelques situations et images franchement malaisantes, des idées de détraqué avec lesquelles nous n'aurions pas pensé flirter d'aussi près. Cela suffit à sortir du lot aujourd'hui, certes, mais cela ne suffira sans doute pas à marquer réellement nos mémoires de cinéphages. Pas la mienne en tout cas.
The Sadness de Rob Jabbaz avec Regina Lei et Berant Zhu (2021)