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Channel: Il a osé !
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Tangerine

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Alors que The Florida Project vient de sortir sur nos écrans, accompagné d'une très bonne presse, il était temps de s'intéresser au précédent long métrage du cinéaste américain Sean Baker : Tangerine. Réalisé en 2015 et couronné d'un prix au festival de Deauville la même année, Tangerine nous narre les mésaventures de deux amies prostituées transgenres lors d'une journée de Noël particulièrement mouvementée dans les longues rues ensoleillées de Los Angeles. Sin-Dee Rella (Kitana Kiki Rodriguez) vient de sortir d'un mois passé en taule et retrouve son amie Alexandra (Mya Taylor). Celle-ci lui apprend accidentellement que son petit-ami, le proxénète Chester, l'a trompée avec une autre pendant son absence. Remontée comme une pendule, Sin-Dee décide alors de mettre la main sur la coupable et de régler ses comptes avec Chester.





Le style du film pourra peut-être en rebuter certains d'entrée de jeu. Sean Baker installe immédiatement un rythme soutenu et filme au plus près de ses personnages, avec une caméra très mobile embarquée dans les rues de Los Angeles à l'allure de ses personnages. Tangerine a la particularité d'avoir été tourné à l'aide de trois iPhone 5s, c'est d'ailleurs surtout pour cette raison que l'on parlait du film à sa sortie. Pourtant, Sean Baker dépasse totalement cette sorte de pari technique, qui donne en outre un résultat très intéressant à l'écran. Contrairement à ce que l'on aurait pu craindre, sa mise en scène est très fluide et ne tombe jamais dans les affres d'une réalisation désireuse de développer une tension en multipliant les mouvements inutiles, saccadés et tremblotants. On pourrait d'ailleurs pratiquement ignorer que le film a été tourné avec des iPhones, quand bien même cela donne à Tangerine une couleur et une lumière assez uniques.





Et peu importe le matériel utilisé tant que le regard porté sur les personnages est si juste. Ce qui séduit dans Tangerine est en effet la façon qu'a Sean Baker de nous montrer ces deux prostituées : leur belle et véritable amitié, leurs émotions en dents de scie et leur environnement un brin craignos... A ce propos, rares sont les films qui nous donnent autant l'impression d'être plongé dans la réalité de la ville de Los Angeles et d'avoir bel et bien arpenté ses rues en long et en large. On est frappé par l'authenticité et la fraîcheur qui se dégagent de cette œuvre vierge de toute condescendance et de complaisance mal placées. Sean Baker filme à la bonne hauteur, à la bonne distance, et ne juge à aucun moment ses personnages, incarnés par des acteurs étonnants. Sa mise en scène et sa posture rappellent en cela celles adoptées par Nicolas Winding Refn quand il nous immergeait en plein Copenhague interlope dans sa brillante trilogie Pusher.





Nous suivons également la journée d'un conducteur de taxi arménien, sincèrement épris de l'une des prostituées, et cet homme, si humain et crédible dans son errance sexuelle et ses déboires familiaux, nous est rendu presque attachant. Le film de Baker, dont les 88 petites minutes passent à toute vitesse, atteint son apogée dans sa conclusion, lorsque tous les personnages se retrouvent au Donut Time, le repaire du proxénète. Là encore, le cinéaste a le talent de ne pas en faire trop, de rester dans cet équilibre précieux jusqu'au bout, avec un humour très appréciable. On ressort de là assez touché par cette histoire, en ayant hâte de découvrir le film suivant de Sean Baker, nouveau nom à suivre du cinéma indé américain. 


Tangerine de Sean Baker avec Kitana Kiki Rodriguez, Mya Taylor, James Ransone, Mickey O'Hagan  et Karren Karagulian (2015)

Jumanji : Bienvenue dans la jungle

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Un vrai cinéphile ne regarde pas souvent les bandes-annonces, car il sait qu'elles sont le plus souvent trompeuses (dans le bon sens comme dans l'autre), gâchent généralement le plaisir de la découverte en résumant le film de A à Z, et ne sont pour tout dire, par les temps qui courent, qu'un ramassis de merde. Mais parfois le vrai cinéphile ne peut pas se retenir, est incapable de s'en empêcher. Comment résister à l'envie de se faire le trailer de Yumanyi 2 aka Yumanyi : Bienvenue dans la jungle, quand on tient le premier du nom pour un chef-d’œuvre du jeu de plateau à l'allemande ? Donc le vrai cinéphile regarde cette bande-annonce. Et le même vrai cinéphile pleure une fois qu'il l'a regardée, pendant des heures, en position du fœtus, par terre, avec une photo ou une statuette de Robbie Williams serrée contre le cœur.


Jumanji : Bienvenue dans la jungle de Jake Kasdan avec The Rock, Jack Black et Kevin Hart (2017)

Brawl in Cell Block 99

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C'est peu de dire que l'on attendait avec impatience le nouveau film de S. Craig Zahler, lui qui avait déjà laissé entrevoir de si belles et précieuses qualités dans son premier long-métrage, le western horrifique Bone Tomahawk. Le cinéaste, dont l'ambition n'est visiblement pas de plaire à tout le monde, persévère dans le cinéma de genre : il signe avec Brawl in Cell Block 99 un film de prison particulièrement violent et âpre, en s'affirmant même encore davantage dans la série b (rien de péjoratif ici), louchant du côté du cinéma d'exploitation des années 70 et donnant presque à son dernier bébé des allures de film "grindhouse" pleinement assumées. Brawl in Cell Block 99 nous propose d'assister à la descente aux enfers d'un personnage impressionnant et impassible campé par un Vince Vaughn que l'on avait tout simplement jamais vu comme ça. L'acteur, capable d'évoluer dans tous les registres, incarne ici Bradley Thomas, un grand costaud au crâne rasé et tatoué d'un énorme crucifix, fier d'arborer un drapeau américain devant sa porte.





Si vous comptez voir le film, vous pouvez peut-être zapper ce paragraphe, mon bref résumé de l'intrigue. S. Craig Zahler prend encore une fois son temps pour développer son scénario et dévoiler ses cartes ; j'ai découvert le film en n'en sachant rien et c'était d'autant plus appréciable ! Première scène : Bradley Thomas (Vince Vaughn donc) se fait licencier puis apprend, en rentrant chez lui, que sa femme (Charisma Carpenter) voit quelqu'un d'autre. Malgré cela, le couple décide de se donner une deuxième chance en essayant de nouveau d'avoir un enfant, tandis que Bradley gagnera sa vie en transportant de la drogue pour son pote Gil (Marc Blucas). 18 mois plus tard : Bradley est devenu un homme de confiance pour transférer la came et vit dans une belle et grande maison avec sa femme qui est à 3 mois d'accoucher. Hélas, suite à un transfert de drogue qui a mal tourné (excellent passage à la tension palpable), il se retrouve en prison moyenne sécurité (vous saisirez la nuance...). Une fois incarcéré, un mystérieux visiteur (Udo Kier) apprend à Bradley que sa femme est menacée et celui-ci n'a d'autre choix que de provoquer son transfert en prison haute sécurité pour mettre la main sur un autre détenu afin de sauver sa famille.





Âmes sensibles, s'abstenir ! Le nouveau film de Craig S. Zahler est particulièrement tendu, proposant même quelques éclats visuels d'une violence sans concession dans sa dernière partie, tout à fait à l'image de son précédent long métrage, Bone Tomahawk, qui, après une lente et longue construction, nous proposait une conclusion brutale et gore. Ces images choc, ces détails sordides, participent ici à l'espère d'humour très particulier du film, présent tout le long. Dès les premières minutes, une tension sourde suinte de l'écran, parfaitement véhiculée par le colosse Vince Vaughn qui met ici toute sa carrure (il mesure près de 2 mètres et là, ça se voit !), sa présence physique, au profit d'un personnage calme, à la rage contenue, mais que l'on sent susceptible d'exploser à tout moment. A l'image, S. Craig Zahler choisit de donner un teint bleu-gris à ses scènes d'extérieur de jour, un choix a priori discutable mais efficace puisque l'on a d'emblée une sensation d'enfermement, augurant de l'avenir tout tracé du personnage principal. On suit Vince Vaughn de très près et quand Zahler le filme de dos, on repense inévitablement à Mads Mikkelsen dans l'excellent deuxième volet de la trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn, dans lequel l'acteur danois avait également la boule à zéro avec un tatouage, "RESPECT", plutôt ironique là aussi, gravé à l'arrière du crâne. Clin d’œil volontaire ou non, on ne peut pas trop l'affirmer, une chose est sûre : les deux films déploient une intensité similaire et ne dévient jamais de leur sombre ligne, dressant le destin d'un homme irrémédiablement poussé dans les ténèbres (avec une issue bien plus heureuse chez NWR).





L'ambiance à couper au couteau de Brawl in Cell Block 99 est donc particulièrement lourde et réussie. S. Craig Zahler atteste des mêmes qualités que dans l'excellent Bone Tomahawk. Il y a là un talent rare pour faire exister des personnages, pour écrire des dialogues soignés (je pense notamment à l'interrogation policière avant la première incarcération, avec nombre de répliques bien trouvées, parfois même trop écrites et préparées), pour prendre son temps à développer et construire patiemment son film afin de mieux préparer aux scènes marquantes. Le réalisateur gère en effet parfaitement ses temps forts et ses moments plus tranquilles. Il se révèle un cinéaste d'action hors pair, filmant étonnamment bien les bagarres, à des années lumière du pénible surdécoupage en vogue dans la plupart des productions actuelles. Chez lui, la violence est sèche, brutale et expéditive. Ces scènes, toujours très lisibles, diffusent une adrénaline contagieuse et nous cramponnent à nos fauteuils. Vince Vaughn, très intimidant, y est d'une efficacité redoutable. On ne sait pas s'il a fallu beaucoup d'entraînement à l'acteur mais le résultat à l'écran est bluffant, fluide et naturel. On a mal pour ceux qui croisent sa route, les bruitages de membres fracturés sont d'ailleurs éprouvants (on se souvient qu'un soin particulier avait également été apporté à la bande son glaçante de Bone Tomahawk). Notons aussi que le casting nous propose quelques agréables surprises, avec deux tronches bien connues que l'on est contents de revoir : Don Johnson, parfait en directeur de prison à poigne, le cigare au bec, et le revenant Udo Kier, glacial dans un rôle indiqué au générique comme celui du "placid man" qui lui va évidemment comme un gant.





Dès lors que Vince Vaughn met les pieds dans sa première prison, nous nous sentons coincés avec lui pour sept longues années de taule. A travers quelques petits détails bien choisis, Zahler semble nous décrire de façon réaliste l'univers carcéral jusqu'à ce que son film prenne une tournure "bis" plus franche quand le personnage débarque à Redleaf, la prison haute sécurité réservée aux plus dangereux détenus. Le film, qui se tenait jusque-là très bien, délaisse alors un peu en cohérence (nous avons un peu plus de mal à y croire) ce qu'il gagne en termes de sensations fortes. En quelque sorte, Zahler paraît abandonner le réalisme et l'ambiance pour l'action et l'effroi, insistant sur le calvaire de son personnage et montant la violence de quelques crans. Brawl in Cell Block 99 s'effiloche encore un chouïa dans sa conclusion, quand bien même celle-ci nous scotche encore plus à notre fauteuil, à l'image de Bone Tomahawk, qui faiblissait quelque peu sur sa fin. Il est d'ailleurs amusant de constater à quel point les deux films se ressemblent, nous proposent un parcours similaire, sans pour autant donner l'impression de se répéter.





Au bout du compte, même si le film a de menus défauts et s'effrite quelque peu dans son dernier tiers, on ne peut que saluer de nouveau le travail d'orfèvre de S. Craig Zahler, qui nous a une fois de plus mis au tapis et confirme tous les espoirs placés en lui. Nul doute que l'on tient là l'un des films les plus terribles de l'année passée, "terrible" dans tous les sens du terme : on en ressort assez secoué, sous le choc, chancelant. L'artiste multi-facettes qu'est Zahler (il a écrit quelques polars, dont certains sont parus chez Gallmeister, et il est un musicien confirmé qui a composé lui-même les excellents morceaux qui constituent la BO du film) est actuellement en train de finir de mettre en boîte son prochain film, Dragged Across Concrete, dont il a bien sûr signé le scénario. Un nouveau thriller où Vince Vaughn partagera l'affiche avec nul autre que Mel Gibson. Connaissant le potentiel colérique de la star sur le retour, on a vraiment HÂTE de voir le résultat ! En attendant, S. Craig Zahler entre définitivement dans mon panthéon personnel. Il l'ignore mais il a un pied-à-terre assuré dans un joli coin du Sud de la France...


Brawl in Cell Block 99 de S. Craig Zahler avec Vince Vaughn, Charisma Carpenter, Don Johnson, Udo Kier et Marc Blucas (2017)

The Naked Kiss

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The Naked Kiss, incompréhensiblement retitré Police Spéciale en France, frappe d'emblée. Dès les premiers plans, le spectateur se prend des beignes, et c'est l'héroïne du film, Kelly (Constance Towers) qui les lui file. Enfin une affiche de cinéma qui mériterait cette sempiternelle accroche : "Le film coup de poing !" (je n'ai jamais pigé pourquoi tant de de distributeurs et de critiques font de la pub pour ce film, Coup de poing... passons). Kelly passe d'ailleurs une bonne partie du reste du film à distribuer les mandales, et tout le monde y passe ou presque, de son mac, un salaud qui lui doit de l'argent et lui a rasé le crâne, à Cathy, la mère maquerelle du patelin où elle atterrit trois ans plus tard, et jusqu'à son quasi-futur-mari. Ex-prostituée en quête de rémission, trouvant son bonheur dans un centre médical et éducatif d'aide aux enfants handicapés, Kelly ne se laisse pas faire, et tabasse si besoin tout ce qui la menace, menace d'autres femmes ou menace les fillettes dont elle s'occupe. La scène d'introduction pose donc le personnage sans détour et sans préambule, avec une force folle. Kelly y roue son proxénète de coups de godasses, perd sa perruque, récupère son argent puis se recoiffe, se recompose un visage, se réinvente, devant un miroir, le temps du générique.




Film féministe, The Naked Kiss montre la lutte d'une femme pour s'émanciper du joug masculin et du poids du regard de la société patriarcale sur les prostituées déclassées. Parfois foutraque, semblant maladroit, surtout dans sa première partie, avec ce montage en forme de sauts de cabri dans un récit hyper-brut et sans transitions, le film trouve tout de même son rythme et dégage rapidement une puissance pas banale, malgré quelques ficelles dirons-nous épaisses (la longue scène où les enfants chantent avec Kelly, que j'aime beaucoup mais qui peut peser, ou le finale devant la prison). Des scènes plus particulièrement maîtrisées surgissent et marquent, comme ces plans où Kelly est muselée à l'image par l'ombre d'un barreau de sa cellule alors qu'elle tente d'interpeller une enfant victime de viol. L'espèce de brutalité rageuse du cinéaste, trouvant un écho dans le personnage si charismatique incarné par la puissante Constance Towers, emporte le tout.




On pourrait aussi s'interroger sur les fantômes d'un film dont l'héroïne apparaît crâne rasé, qui se bat pour aider des enfants handicapés et mettre au jour ce que la bonne société fortunée, ici incarnée par un parvenu pédophile, se permet dans l'omerta générale, quand son auteur, Samuel Fuller, fait partie de ceux qui ont filmé la libération des camps de concentration et d'extermination nazis. Quoi qu'il en soit, reste un film réalisé en 1964 qui laisse aux femmes le soin d'empoigner leur destin, dont l'héroïne ne cède pas longtemps au charme d'un mariage avantageux ayant tout du pacte faustien (très belle scène où Grant diffuse à Kelly un film de ses vacances à Venise pour transformer son sofa en gondole et l'embarquer dans une idylle chimérique). The Naked Kiss remet en cause les codes (Kelly ne peut pas digérer que Grant la qualifie "d'anormale") et les silences d'une société oppressive, et remet un peu de la marge (la femme marquée, les enfants handicapés devenus, sous la garde de cette dernière, une bande de pirates) au centre, avec cette poigne caractéristique de son auteur.


The Naked Kiss de Samuel Fuller avec Constance Towers, Michael Dante, Anthony Eisler et Virginia Grey (1964)

Lucky

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Lucky est le tout premier long métrage que réalise John Carroll Lynch, un acteur dont vous connaissez forcément la grosse tronche puisqu'il incarne le fameux tueur du Zodiacchez David Fincher (spoiler). C'est un abonné des seconds rôles, nous l'avons également aperçu chez Marty Scorsese dans Shutter Island (il prêtait ses traits, ou plutôt le sommet de sa caboche, à l'île elle-même), Clint Eastwood pour Gran Torino (il était la célèbre bagnole), Woo pour Volte Face, Bill Friedkin pour Bug, mais aussi dans Crazy, Stupid, Love, Hesher, Paul, Fargo et chez ma cousine pas plus tard que le week-end dernier pour tirer les rois. En bref, sans être véritablement connu, il nous est très familier. On se souvient facilement de lui parce qu'il mesure environ 2 mètres de pied en cap et le tiers de cette vaste étendue est composé de sa gigantesque tronche en forme de ballon de rugby gonflé à bloc. John Carroll Lynch a une longue expérience derrière lui, acquise auprès de prestigieux cinéastes, et c'est fort de celle-ci et d'un carnet d'adresses bien garni qu'il a pu passer derrière la caméra (il a pour cela dû se baisser, ce qui lui a valu un sacré mal de dos) et obtenir la participation des plus grands. Car avant d'être le premier film de John Carroll Lynch (aucun lien de parenté avec David Lynch bien que celui-ci apparaisse ici), Lucky est d'abord la dernière apparition du légendaire et regretté Harry Dean Stanton.




John Carroll Lynch et les scénaristes qui ont écrit Lucky doivent être des fans véritablement amoureux du grand Harry Dean Stanton parce qu'ils lui ont taillé un film sur mesure. Une œuvre entièrement conçue pour sa vedette, ça n'est finalement pas si fréquent que ça. L'acteur porte ce film sur ses frêles épaules, il en est la grande attraction, tout tourne autour de lui et de son personnage qui doit faire face à la fin de sa vie. Lucky apparaît ainsi comme une jolie porte de sortie pour un acteur qui aura marqué, de par son allure unique, sa présence fascinante et son charisme si singulier, le meilleur du cinéma américain depuis la fin des années 60. Nous assistons au quotidien de ce vieil homme solitaire de 90 ans, aux habitudes bien huilées, ritualisées, et à la personnalité appréciée. Sans toutefois atteindre ce niveau, nous pensons un peu au Patersonde Jim Jarmusch devant l'espèce de poésie du quotidien que semble rechercher John Caroll Lynch et qu'il parvient à toucher du doigt à plus d'une reprise. Nous suivons Harry Dean Stanton dans ses journées : d'une démarche de cowboy tranquille, il amène sa silhouette longiligne dans un diner où il a sa place attitrée, dans une supérette dont il connaît bien la tenancière latina, dans son canapé d'où il suit un jeu télévisé et téléphone à un mystérieux et vieil ami, puis dans un bar où il retrouve sa bande, à commencer par un David Lynch très affecté par la disparition de sa tortue terrestre bicentenaire, nommée Président Roosevelt. Un rendez-vous chez le toubib suite à une chute soudaine lui fait prendre conscience de sa mort prochaine et inéluctable...




Le film fait sa vie tranquillement au même rythme que Lucky (le sobriquet du personnage campé par Harry Dean Stanton), il est joliment rythmé par les mélodies à l'harmonica jouées par l'acteur. Les diverses rencontres que fait Lucky nous offrent des moments plus ou moins savoureux, qu'ils soient musicaux, dialogués, teintés d'humour ou chargés d'émotions. On retient tout particulièrement cet échange avec un vétéran de la Deuxième Guerre Mondiale joué par Tom Skerritt (c'est d'ailleurs la première fois, depuis Alien, que les deux acteurs sont réunis à l'écran) et cet autre passage poignant accompagné par la sublime chanson de Will Oldham, "I See a Darkness", interprétée par Johnny Cash. Certains dialogues, s'ils étaient traduits en français, passeraient pour de très vilaines élucubrations dignes d'ados découvrant le monde. Mais, dans la bouche de tels acteurs, et prononcés avec un tel talent, ils réussissent à passer pour des réflexions philosophiques assez profondes et justes sur la mort et la vie en général. C'est simple mais ça fonctionne. Le film fait mouche lorsque Harry Dean Stanton énonce calmement un monologue existentiel face à ses amis du bar, incrédules devant la nouvelle lucidité de leur mascotte. Il nous émeut aussi lors de sa conclusion, quand l'acteur star, après avoir contemplé un grand cactus qui lui ressemble, cabossé, abîmé et que l'on imagine au moins aussi vieux que lui, adresse un ultime regard caméra doublé d'un beau sourire à nous autres spectateurs, forcément touchés de le voir partir ainsi. En somme, ce joli et modeste petit film est un hommage sincère à un acteur adoré des cinéphiles, qui nous manquera beaucoup. 




Lucky de John Carroll Lynch avec Harry Dean Stanton, David Lynch, Tom Skerritt et Beth Grant (2017)

Moonlight

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J'ai voulu profiter du festival Télérama pour revoir La La Land avec un pote dealer sorti de sa banlieue difficile mais on s'est trompé de salle pour tomber sur Moonlight de Barry Jenkins. En voyant la première scène, on s'est dit "cool, un film de gangsta dealer, c'est carrément pour nous !" Le film est assez beau mais mon pote était un peu gêné : surement qu'il s'identifiait un peu trop au personnage gay et peut-être qu'il découvrait enfin une nouvelle part de sa sexualité... Bref. Il a passé la séance à vendre son shit dans la salle et à répondre au téléphone. Il a saoulé tout le monde mais il a fini par amasser en beau petit pactole et en sortira peut-être un peu plus ouvert. C'était en tout cas une très belle expérience de cinéma vécue à ses côtés. J'ai ainsi pu cocher un nouvel Oscar du Meilleur Film à mon tableau de chasse, il ne m'en reste plus que 85 à voir.




Le film de Barry Jenkins est construit en trois parties, comme toute dissertation d'un élève sérieux et appliqué. Chacune d'elle est consacrée à un période-clé de la vie du personnage principal : l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte (cf. l'affiche, qui parvient à fondre les tronches successives du personnage aux trois stades de sa vie pour un résultat véritablement bluffant). Enfant et ado, le pauvre Chiron est constamment humilié par ses camarades et n'est pas beaucoup plus heureux à la maison puisque sa mère, qui l'élève seule, est une véritable toxico. Le sympathique dealer du coin (incarné par le charismatique Mahershala Ali) finit donc par prendre le garçon sous son aile et lui propose un refuge chez lui, auprès de sa délicate compagne (Janaelle Monàe). Bien que les épisodes de violence subis par le garçon soient trop attendus, le cinéaste a le mérite de nous montrer tout ça sans en faire trop, sans tomber dans le pathos, en nous livrant un film assez silencieux, au rythme lent, qui épouse toujours le point de vue de son personnage auquel il colle aux basques.




Malheureusement, c'est là aussi la grosse limite du film. Barry Jenkins semble obnubilé par la retenue, la distance, et tout cela paraît finalement assez superficiel. A force de nous montrer un jeune homme qui tâtonne, qui s'ignore, qui chasse sa réelle personnalité et ne s'accepte pas tel qu'il est, Moonlight fait de même et, si Barry Jenkins fait aussi preuve d'une certaine finesse, son film ne touche jamais autant qu'il devrait, condamnée à une pudeur trop stricte, à une sobriété trop affichée. C'est dommage, car Moonlight dégage une certaine sincérité, voire une simplicité, tout à son honneur, et nous aurions aimé nous emballer davantage. Les acteurs sont tous excellents (même si Naomie Harris, la maman, est rude à supporter, ce qui est sûrement dû à son personnage), à commencer par ceux qui incarnent successivement Chiron. Barry Jenkins a aussi un vrai talent pour filmer les couleurs, la lumière et l'ambiance de la nuit en Floride. C'est surtout cela que l'on retiendra de Moonlight, qui porte finalement bien son nom.


Moonlight de Barry Jenkins avec Alex R. Hbbert, Ashton Sanders, Trevante Rhodes et Mahershala Ali (2016)

3 Billboards : Les panneaux de la vengeance

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Après In Bruges et Seven Psychopaths, il était encore possible de croire que Martin McDonagh avait du potentiel et qu'il parviendrait sans doute un jour à l'exploiter pleinement, à trouver la bonne formule, le juste équilibre, pour briller enfin aux yeux du grand public. Étant donné les très bons échos qui accompagnent la sortie de Three Billboards Outside Ebbing, Missouri, et les prix qui commencent à s'accumuler dans son sillage, on pouvait penser que c'était sans doute celui-ci, le film de la confirmation tant espéré pour le cinéaste britannique. Hélas, on avait tout faux ! 3 Billboards confirme au contraire les travers déjà connus, les capacités limitées et même l'orgueil déplacé d'un réalisateur pour lequel la balance penche désormais très nettement du mauvais côté. A tel point que l'on se demande à présent si on ne s'était pas trompé depuis le début. Rappelez-vous...




Lors de la découverte d'In Bruges (réintitulé quant à lui Bons Baisers de Bruges, Martin McDonagh n'étant jamais gâté par les versions françaises de ses titres), il y avait l'effet de surprise et le plaisir, toujours très appréciable, de tomber par hasard sur un film sympathique dont on attendait strictement rien, voire que l'on lançait avec un brin de méfiance. Un simili Tarantino, mêlant les gangsters et l'humour, les coups de feu aux répliques drôlatiques, on en a vu passer quelques-uns, et on en méprise presque autant. Mais In Bruges parvenait joliment à se détacher de cette lourde association, à trouver une vraie originalité. L'humour souvent absurde et le ton assez singulier du film étaient ainsi parvenus à nous charmer. Les personnages principaux étaient rendus attachants par d'excellents acteurs, formant un casting original : Colin Farrell, Brendan Gleeson et Ralph Fiennes, très cools, avaient l'air de s'amuser aussi, heureux d'être là, inspirés par un scénario étonnant. En bref, In Brugesétait une bonne petite surprise qui nous emplissait de sympathie et d'espoir à l'égard de Martin McDonagh. On ignorait alors que l'on venait déjà de voir son meilleur film !




On avait en effet pas mal déchanté devant Seven Psychopaths et sa ribambelle d'acteurs encore plus impressionnante, jugez du peu : Christopher Walken, Colin Farrell, Sam Rockwell, Woody Harrelson, Tom Waits et, à des fins purement décoratives, Olga Kurylenko et Abbie Cornish (Martin McDonagh ayant un goût prononcé pour les très jolies filles, qu'il place généralement dans les bras d'hommes bien plus âgés...). Tous venaient faire leurs petits numéros avec plus ou moins de talent dans un salmigondis supportable mais fonctionnant beaucoup moins bien avec, toujours, ce mélange de genres et de registres cher à McDonagh. C'était clairement raté mais il y avait tout de même là-dedans une originalité et une ambition méta qui ne donnaient pas envie de tomber sur le film et son auteur à bras raccourcis, mais plutôt de rester bienveillant à son endroit, de saluer l'essai manqué en espérant qu'il réussisse au prochain coup. Déjà couronné aux Golden Globes, quasi unanimement salué par la critique et bien parti pour rafler quelques Oscars, 3 Billboards donnait des raisons d'y croire. Malgré 10 ans d'expérience en tant que blogueur ciné derrière moi, avec toutes les désillusions et les déceptions qui vont avec, je suis encore naïf...




Cette fois-ci, Martin McDonagh s'aventure du côté du mélo, du drame familial, ce qui explique peut-être ce succès plus large. Il nous narre le désir de justice d'une mère (Frances McDormand), très remontée contre une police qu'elle juge inefficace après le viol et le meurtre de sa fille, toujours irrésolu. Elle tente donc de secouer son petit monde en affichant trois panneaux gigantesques à la sortie de la ville, qui attirent les médias et apostrophent directement le shérif, campé par un Woody Harrelson atteint d'une maladie incurable. Martin McDonagh nous sert sa petite recette habituelle mêlant le sérieux à l'humour à travers des situations absurdes et quelques répliques bien senties, le tout servi par des acteurs de talent dans la peau de personnages haut en couleurs (empruntant même aux frères Coen leur actrice fétiche, Frances McDormand, lui que l'on plaçait déjà naturellement dans leur voisinage cinématographique).




En situant son film dans le sud des États-Unis, Martin McDonagh en profite pour égratigner, très gentiment, l'Amérique, son racisme, son homophobie et la débilité profonde de certains de ses habitants. Dans ce domaine-là, il réussit plutôt bien et son film s'avère plus d'une fois amusant. Remarquons tout de même que tout cela reste très inoffensif et qu'il filme avec empathie son flic raciste et ultra violent en quête de rédemption. McDonagh est nettement moins à l'aise quand il s'agit de nous faire croire en la détresse de son personnage principal, pourtant solidement campé par une Frances McDormand irréprochable. Il nous livre ainsi un flashback totalement inutile et d'une lourdeur inouïe, nous retraçant le dernier échange de la mère avec sa fille, avant que celle-ci ne soit retrouvée morte : se disputant pour une histoire de clés de bagnole que la maman refuse de lui octroyer, la gamine finit par gueuler "Eh ben j'espère que je vais me faire violer et que tu seras contente !", et la mère de répondre "Ouais c'est ça, fais-toi violer !"... Quelle finesse.




McDonagh chausse régulièrement ses plus gros sabots pour essayer de nous émouvoir et choisit de rompre parfois très brutalement le ton de son film, quitte à ce que cela paraisse bien artificiel. Lors d'une scène d'interrogatoire a priori légère et humoristique, le chef de la police joué par Woody Harrelson, après avoir débité des dialogues plutôt marrants, se met ainsi à tousser du sang au visage de Frances McDormand, pour mieux nous rappeler qu'il n'en a plus pour très longtemps. Il n'y a rien à faire, ça ne fonctionne pas. On a l'impression que le réalisateur nous prend pour de très jeunes enfants, encore capables de passer du rire aux larmes dans la seconde.




Trop désireux de nous surprendre coûte que coûte, Martin McDonagh a écrit un scénario bancal dont les péripéties successives apparaissent bien trop grossières. Nous ne croyons pas en ces personnages, pour la plupart égoïstes et peu aimables, ni en leurs revirements successifs. Celui joué par Sam Rockwell, plutôt bon dans un rôle ambivalent, cristallise bien ce problème : comment croire en ce flic totalement crétin qui découvre d'un seul coup qu'il peut être un peu moins con à la lecture des recommandations posthumes du shérif ? Et comment rire aux facéties de cet énergumène d'une connerie abyssale que McDonagh filme presque en héros ? Tantôt tout juste drôle, tantôt pleinement haïssable, on finit par se moquer d'un personnage si peu crédible, malgré tous les efforts d'un acteur doué auquel l'Oscar tend les bras.




Côté mise en scène, Martin McDonagh ne fait pas non plus dans la dentelle... Quand il se lâche et nous sort un plan séquence en caméra portée où il suit ce con de flic emporté par sa colère et son goût irrésistible pour la violence, le tout accompagné par les envolées vocales de Jim James poussées à plein volume, on est presque mal à l'aise et on a envie de dire au réalisateur "Mec, relax, ça pèse des tonnes tout ça...". Pour le reste, le cinéaste britannique ne prend aucun risque et filme ma foi très platement, sans réelle inspiration, sans aucune fulgurance (à moins que l'on nomme ainsi l'apparition, hideuse, de la biche numérique). Si la vision de ce film n'est pas une souffrance et qu'elle reste passablement divertissante, elle vient saper tous les espoirs jadis placés en Martin McDonagh, dont on connaît désormais bien la formule et ses limites. On retrouve dans 3 Billboards les (petites) qualités et les (gros) défauts habituels du réalisateur, définitivement plus doué dans l'humour et qui devrait peut-être s'y cantonner. Ce serait encore un sacré hold-up si ce film-là remportait les Oscars et compagnie. Un de plus, me direz-vous. 


3 Billboards : Les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh avec Frances McDormand, Sam Rockwell et Woody Harrelson (2018)

Pentagon Papers

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C'était il y a dix piges, mon dernier Spielberg en salle... Dix ans se sont écoulés depuis la catastrophe Indiana Jones et le royaume du crane de cristal. Dix ans de mitard, c'était un moindre mal après cette infection de film. Mais on est en 2018, de l'eau a coulé sous les ponts des espions, on va dire qu'il y a prescription. Voir tonton Spielby, ce type en or, cent mille carats, que je considère depuis toujours comme mon oncle, promener sa tronche sur toutes les chaînes de la petite lucarne, assurant la promo de son nouveau film avec sa bonhommie naturelle, a pas mal aidé, j'avoue. Tonton a notamment été extraordinaire chez ce zonard de Yann Barthès, parvenant à répondre à des questions plus débiles les unes que les autres sans se départir de sa belle humeur et de son sourire ravageur, et même mieux, à analyser dans un plan en trois parties improvisé une séquence pseudo-amusante ô combien embarrassante, "les infos du jour en silence", vraisemblablement mise en boîte par un stagiaire de 3ème démotivé, alors que face à ce magnéto merdique tout être humain banal se serait immolé par le feu... Quel type. Tonton a vraiment été extraordinaire. J'ai donc daigné bougé mon cul vers un grand écran, et je ne regrette pas ma poignée d'euros.




Ce qu'il faut dire d'abord, c'est que l'oncle n'a toujours rien paumé de son savoir-faire et de son efficacité. On s'enfile les deux heures de Pentagon Papers sans broncher, vissé au fauteuil, chopé au colbac et le cigare au bord des lèvres. Tout cela est d'une maîtrise ès cinématographie et d'une rigueur technique à se tuer. C'est simple, mon oncle réinvente le langage audiovisuel plan après plan, nous rappelant à chaque cut les différents cadrages possibles et imaginables, avec un brio et un sérieux dont peu sont capables (on citera, parmi les rares équivalents, John Sturges, qui sut nous donner une leçon de mise en scène dans La Grande évasion, dont voici quelques photogrammes célèbres). Rayon qualités, nous avons dit les principales : un rythme sans faille et une réalisation aux petits oignons pour un de ces films sur le journalisme comme les Américains savent les faire et qui n'oublie pas d'envoyer quelques répliques à la tronche de cette enclume de Trump. Quoi d'autre ? Sinon que les acteurs sont comme toujours parfaitement dirigés. Hanks, à l'aise comme papa dans maman, joue littéralement en pantoufles. Et Streep Meryl déroule, file droit sur l'autoroute de l'acting sans toucher au volant, en piquant parfois un somme, sans jamais dévier de sa trajectoire, sans même se soucier du compteur qui défile pour notre plus grande satisfaction. Du velours.




Si je devais quand même relativiser ce panégyrique, et quitte à me faire du mal, car je ne rêve que de dérouler un tapis rouge à mon oncle Spielb', depuis Hollywood Boulevard direction mon propre cul en traversant la Manche, on pourrait peut-être quand même s'interroger sur ce grand art, cette facilité à enchaîner les valeurs de plans et à diriger son petit monde pour mieux placarder le spectateur consentant à son siège. Le vieux Steven a une telle maîtrise de son outil qu'il en oublie (depuis pas mal de temps déjà) de se surprendre lui-même et de laisser grincer, couiner, sa machine ultra-huilée. Tout cela file, comme sur du beurre, mais on aimerait presque que parfois le temps s'arrête, qu'une scène, tirée par les cheveux pour sortir du moule, vienne dévier un brin le film de sa course téléguidée. Alors, certes, tonton semble avoir réécrit quelques séquences avant la sortie du film, sous l'influence de l'affaire Weinstein et pour prendre position dans ce qui se veut un film clairement féministe. Bien. Mais c'est au point d'y aller à la truelle sur les dernières séquences. Au dialogue entre Ben Bradley (Hanks) et sa femme, où cette dernière lui ouvre les yeux quant au courage de Katharine Graham, succède celui entre Graham (M. Streep) et sa fille, à propos de sa prise de fonction difficile dans un monde patriarcal, puis la courte scène au tribunal où une stagiaire du gouvernement cire les pompes de la même Katharine G., juste avant la descente des marches du tribunal où Katharine Golden Graham est adulée par un défilé de jeunes filles béates d'admiration. En soi, bonne nouvelle, le film est bien de son temps, mais, sur la fin, c'est un poil lourdingue. A l'image, plus globalement, de l'ensemble de cette dernière partie du film, qui en fait un peu trop, à coups d'orchestre symphonique et de lumière diffuse, en contradiction avec le propos du personnage de Tom Hanks disant "Pas de triomphalisme !" en réaction au verdict de la cour.




On aurait pu espérer percevoir plus sensiblement les années écoulées entre le vol des documents classés "secret défense" et leur publication, les mois passés pour les journalistes du Times à lire et à recouper ces milliers de pages de rapports annonçant très tôt la défaite inéluctable de l'Oncle Sam, la tension et la pression subies par tous ces journalistes, ceux du Times puis ceux du Post, détenant des informations confidentielles, une véritable bombe à retardement pour le gouvernement soucieux de les récupérer. Sans parler du dilemme terrible auxquels font face Katharine Graham et son équipe. Bien sûr, les questions sont posées : la peur de faire couler le journal, de trahir la confiance des puissants (le personnage de McNamara n'est d'ailleurs pas assez exploité !), de finir en prison, de mettre en danger les soldats sur le terrain ou la sécurité nationale sur le territoire, etc. Mais ce choix cornélien, publier ou non les dossiers secrets du gouvernement sur le Vietnam, est un peu vite balayé (notamment pour ce qui concerne Ben Bradlee, soit Tom Hanks, presque trop sûr de lui) et réduit à la question (néanmoins fondamentale et passionnante) de la prise de pouvoir effective de Katharine Graham sur les financiers mâles qui essaient de la convaincre de se coucher. Perdre un peu de temps pour développer ces questions et cette tension était un risque, celui de gripper la mécanique si parfaitement rodée d'un film qui tourne tout seul et qui tourne bien, mais ce risque était à prendre. Allez, on n'en veut pas trop à tonton, qui a le mérite d'avoir fait le jour sur une affaire peu connue (contrairement à celle du Watergate, qu'elle annonce) et de l'avoir fait avec ce tour de main qu'on lui connaît.


Pentagon Papers de Steven Spielberg avec Meryl Streep, Tom Hanks, Alison Brie et Sarah Paulson (2018)

Last Flag Flying

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Le scénario du nouveau film de Richard Linklater s'inspire du roman Last Flag Flying de Darryl Poniscan, qui est la suite d'une œuvre précédente de l'écrivain, The Last Detail, adaptée au cinéma en 1974 par Hal Ashby. Je voue une admiration particulière pour le film de Hal Ashby, qui est l'une des perles du Nouvel Hollywood et un film qui, à chaque vision, parvient toujours à m'envoûter délicatement, de par sa beauté discrète et sa douce poésie. J'étais donc très curieux de découvrir le film de Richard Linklater, qui se présente plutôt comme sa "suite spirituelle". Le cinéaste texan ne reprend pas les personnages de 1974 mais en propose une sorte de déclinaison en nous narrant les retrouvailles de trois anciens marines ayant servi dans la même unité au Vietnam, de nouveau amenés à faire un bout de route ensemble. Nous sommes en 2003 et l'un d'eux, interprété par Steve Carell, vient de perdre son fils en Irak. Il demande alors à ses deux anciens amis, Bryan Cranson et Laurence Fishburne, de l'accompagner à ses funérailles et c'est ainsi que commence un road movie tout à fait anodin, à des années lumières de tout ce qui faisait le charme si précieux et singulier du chef d’œuvre de Hal Ashby.




Pour ne pas être trop rude et injuste à l'égard de Richard Linklater, il faudrait limiter au maximum la comparaison. Mais comme il est difficile de ne pas penser au tact et à la délicatesse de Hal Ashby quand on subit, dès les premières secondes, les lourdes manières d'un Richard Linklater qui n'est en rien son héritier mais seulement un bien mauvais élève ! C'est à se demander si Linklater a bien vu et revu le film de Hal Ashby puisqu'il n'en a retenu aucune leçon alors qu'il vise clairement à s'inscrire dans ses pas. Dès la première image, la musique vient nous dicter nos émotions et appuyer le ton tristounet lourdement annoncé. Tandis que Hal Ashby ponctuait son œuvre d'airs militaires ironiques puis d'une marche funèbre sublime signée Johnny Mandel, Richard Linklater nous impose une mélasse sonore qui semble venir boucher les trous quand il filme des trains entrer en gare et qu'il suit les allés et venues des trois vétérans. Alors qu'un doux voile mélancolique drapait, au fil des minutes, l’œuvre de Hal Ashby, rien ne se passe chez Linklater, dont nous subissons mollement le scénario insipide. Arrêtons donc là la comparaison.




Pour fonctionner, Last Flag Flying aurait dû reposer sur trois personnages suffisamment forts et attachants, campés par des acteurs inspirés et agréables. Il n'en est rien. Nous n'avions pourtant que des a priori positifs sur Steve Carell, Bryan Cranston et Laurence Fishburne. Force est de reconnaître que le premier, dont on croyait le potentiel immense, et ce quel que soit le registre, nous fait ici douter. Il joue la tristesse en se tenant prostré, de la première à la dernière seconde. Son jeu paraît beaucoup trop maîtrisé et calculé pour laisser poindre la moindre émotion, on le sent dans chacune de ses expressions, de ses attitudes, et dans toutes les modulations de sa voix. Lorsqu'il ne peut s'empêcher de rire aux idioties de Bryan Cranston et qu'il parle d'une petite voix cassée, très aiguë, brisée par le chagrin, on ne peut s'empêcher de revoir l'inoubliable Brick Tamland d'Anchorman ! C'est assez gênant... Laurence Fishburne prête quant à lui ses traits à un vétéran devenu pasteur, ravi d'avoir trouvé Dieu, et l'on se demande bien comment un tel homme peut supporter l'alcoolo pénible joué par Bryan Cranston, de loin le plus problématique du trio.




Ces trois personnages auprès desquels nous passons deux longues heures apparaissent finalement très pauvres, mal écrits. Richard Linklater a l'air de se désintéresser de l'homme endeuillé joué par Steve Carell. Il laisse bien plus de place aux diatribes et à l'insolence du difficilement supportable Bryan Cranston, dont on ne réussit jamais à apprécier le franc parler et le dynamisme, lui qui est pourtant le seul vrai moteur du trio. On en vient à se poser des questions sur l'acteur Bryan Cranston, que l'on appréciait en papa un brin débile dans Malcolm et qui était sans doute impeccable dans Breaking Bad (une série que nous n'avons pas suivie), mais qui semble avoir à un mal fou à se rendre appréciable au cinéma (il n'y a qu'à jeter un coup d’œil à sa filmographie pour choper le cafard). Aucune alchimie particulière ne se dégage des trois acteurs, même lors de ces scènes où Richard Linklater nous fait perdre notre temps à les voir s'époumoner sur des anecdotes trop fabriquées de leur passé commun dans l'armée.




L'action du film se déroule en 2003. Les personnages assistent, par la télévision, à la capture de Saddam Hussein et font donc leurs petits commentaires. On a ainsi droit à l'inévitable discours de Richard Linklater sur la guerre en Irak, principalement véhiculé à travers le personnage désenchanté et amère de Bryan Cranston. Ces anciens militaires vétérans du Vietnam avaient tout compris dès 2003 et avaient déjà un regard critique plein de lucidité sur l'occupation américaine en Irak. Richard Linklater croit placer des bons mots, il manque surtout de finesse et de crédibilité. Son propos univoque sur la guerre et ce qu'en fait le gouvernement américain, le traitement réservé aux soldats et compagnie, tout cela se voit venir à des kilomètres. Comme nous sommes à l'orée du XXIème siècle, on assiste également à la découverte d'internet. Aucune drôlerie n'émane du décalage entre les personnages vieillissants et ces nouvelles technologies qu'ils essaient tant bien que mal d’apprivoiser. Nous avons droit à une scène surréaliste durant laquelle nous voyons nos trois vieux découvrir les joies du téléphone portable et s'en acheter un chacun en boutique. C'est merveilleux.




Lors d'un long dialogue entre Cranston et Fishburne dans la cabine du camion, le premier asticote le second au sujet d'un morceau de rap diffusé à la radio qu'il juge ridicule et dont l'auteur, Eminem, est pourtant un blanc. Passionné de musique populaire en tout genre, Richard Linklater place alors quelques répliques qu'il doit croire géniales et il s'imagine sans doute qu'elles vont faire mouche (peut-être contenteront-elles en effet son petit fan club déjà acquis à sa cause), mais ça paraît à côté de la plaque et sans intérêt. Ce passage tout à fait anodin parmi tant d'autres contribue simplement à rendre trop long ce film dénué de rythme. On se dit que 30 minutes auraient facilement pu être coupées au montage, voire 124 avec un peu plus de zèle. Nous ne rions jamais devant Last Flag Flying. Nous ne sommes guère émus non plus. Nous attendons que ça passe, sans être particulièrement agacés, certes, mais comme hypnotisés par un nuage de platitude. En fin de compte, ça n'est pas dans la lignée du grand film de Hal Ashby que s'inscrit Richard Linklater mais plutôt dans celle de ces trop nombreux drames intimistes ratés qui ont fleuri dans le cinéma indépendant américain suite à la guerre en Irak. Un véritable trou noir dans ma vie de cinéphile et dans ma vie tout court.


Last Flag Flying de Richard Linklater avec Steve Carell, Bryan Cranston et Laurence Fishburne (2018)

Bilan 2017

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1. The Lost City of Z, de James Gray





3. Le Jour d'après& Yourself and Yours de Hong Sang-soo 


5. Brawl In Cell Block 99, de S. Craig Zahler


6. Certain Women, de Kelly Reichardt


7. Good Time, de Ben et Joshua Safdie


8. Barbara, de Mathieu Amalric




10. Wind River, de Taylor Sheridan
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15. Dunkerque, de Christopher Nolan


Ce qui vous sautera aux yeux d'emblée ce sont bien sûr ces points de suspension qui séparent Dunkerque du reste du classement. Clin d’œil au film, puisque ces "..." incarnent la Manche sous forme typographique. Mais ils sont surtout là pour intégrer Christopher Nolan vaille que vaille à ce classement et le réhabiliter. Nous prouvons ainsi notre mansuétude : ce n'est pas donné à tous les dangereux malades d'inviter à leur table celui qu'ils ont tant recherché pour le larder de coups de poignard. Ces trois points auront aussi pour vertu de nous inciter à regarder d'autres films de 2017 afin de découvrir, avec vous, au fil des siècles à venir, quels seront ces fameux 4 films manquants (les numéros 11 à 14) prêts à compléter le meilleur du cinéma en 2017. 




Nous avons déjà pensé à d'autres candidats : Jackie (pour le plaisir de revivre l'attentat entre deux gros plans sur le visage de Natalie Portman), Split (dont les cinq dernières minutes sont certes le meilleur moment de cinoche de l'année mais ne forment qu'un très court métrage), We Blew It (de notre ami Jean-Baptiste Thoret, que l'on peut appeler notre padawan, pour les nombreux conseils qu'on lui a distillés et la trajectoire cinéphilique que nous avons su lui suggérer : il nous doit tout, ou presque), Lucky (qui a juste été prononcé à la cantonade, n'ayant de toute façon aucunement sa place dans un top), John Wick 2(qui souffre de ne pas former qu'un seul long métrage avec le premier du nom, soit une fusillade de 4h sans interruption : le pied), Après la Tempête (car Kore-eda est un habitué de nos classements, mais faut pas pousser, un film de 2h30 en pilote automatique dont le scénar n'est qu'un pot très pourri des quatre précédents, ce n'est pas très sérieux, Kore...).




Hommes de lettres par nature, intéressons-nous, une fois n'est pas coutume, aux chiffres ! Année faste pour nous : beaucoup de films vus et critiqués, car nous avons su profiter d'une situation professionnelle un peu plus stable (autrement appelé "une planque"). Payés à rien foutre, nous avons vu 2022 films cette année, à raison de 10 films par jour grosso modo. Soit :
  • 8 films vus en salles de cinéma
  • 2021 vus à la télévision (merci l'offre TCM cinéma gratuite en janvier 2018 avec Free)
  • 665 films vus en dormant
  • 56 films vus sur un téléphone en allant au boulot
  • 48 films vus en salles quelconque (id est : chez nous le plus souvent)
  • 6,5 films vus en avion
  • 12 films vus dans le train
  • 27 films vus au volant de la voiture (et on déconseille à tout le monde de nous imiter, surtout sur les routes en épingles à nourrice qui mènent dans le Queyras, et qu'on a parfois coupées tout droit)
  • 10670 films téléchargés (hors porno)
  • 1 film vu sous forme de dvd emprunté à nos parents (le Kaurismaki)

    Attention ! Si vous faites le total, si vous recoupez les chiffres, ça ne pourra en aucun cas faire un compte rond. En effet, certains titres se recoupent. On a par exemple vu Certain Women sur un téléphone, au volant et en dormant (mais il nous a beaucoup plu, malgré la facture chez le garagiste pour remettre la bagnole à l'endroit). Vous vous interrogez peut-être sur le demi-film vu en avion. L'explication est simple : le voyage Toulouse-Bordeaux n'est pas assez long. On a bien insisté pour rester dans l'habitacle pour finir Jeannette auprès des contrôleurs aériens, mais on nous a dit de sortir de là fissa.


    George Washington

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    Cela faisait bien longtemps que je voulais voir George Washington, le premier long métrage du cinéaste américain David Gordon Green, auteur, à ses débuts, de quelques films indépendants très remarqués, à l'image du très chouette L'Autre Rive (dont je vous avais parlé avec un vif enthousiasme avant d'être immédiatement douché par les miteux Snow Angels et Joe, sans parler du très anecdotique Prince of Texas). A sa sortie, très confidentielle, en 2001, son premier film a également été accueilli à bras ouvert par les critiques US et a reçu son lot de prix et de nominations. Il nous propose de suivre le quotidien d'une petite bande de jeunes noirs dans une ville désolée du sud des Etats-Unis pendant un été marqué par un accident terrible après lequel chacun devra apprendre à vivre.




    Peut-être ai-je trop vu de films de ce genre, peut-être m'en suis-je lassé et peut-être aurais-je été totalement séduit par celui-ci si je l'avais vu il y a 10 ans. A mes yeux, George Washington porte, en germe, toutes les limites du cinéma de David Gordon Green, qui se révéleront au grand jour dans ses films suivants. Un cinéaste qui se regarde beaucoup filmer, qui croit peut-être un peu trop au pouvoir de fascination qu'exerce ces plongées dans l'Amérique profonde sur ses spectateurs et qui, finalement, n'a pas tant de choses que ça à dire et à montrer.




    Et pourtant, il y a de quoi être sous le charme. La photographie signée Tim Orr (mentionné dès le premier panneau du générique final aux côtés du réalisateur/scénariste, comme pour souligner son importance) est de toute beauté et participe à nous installer dès les premières minutes auprès de ces jeunes, dans la moiteur et la langueur estivales de leurs déambulations et de leurs journées sans but. Les cadres léchés, attentifs aux visages des acteurs tous irréprochables, et la mise en scène très appliquée de David Gordon Green évoquent encore une fois les premiers films de Terrence Malick, eux aussi empreints de cette saveur particulière du southern gothic, de cette lumière singulière. La scène dudit accident, moment charnière du film, est un passage bien négocié par le cinéaste, qui parvient parfaitement à nous faire ressentir cet étrange malaise suscité par ce basculement inattendu.




    En bref, tous les ingrédients semblent bel et bien réunis pour se laisser agréablement porter et, au bout du compte, pour s'enthousiasmer sans réserve pour une nouvelle pépite du cinéma indépendant américain. Mais, progressivement, je me suis désintéressé de tout ça. La voix off du petit garçon nous accompagnant dans l'histoire m'a paru de plus en plus affectée, superflue, pénible. Le film m'a semblé manquer d'humilité, chichiteux, ne réussissant pas à véritablement capter cet état de douce ou amère mélancolie, typique de l'adolescence, qu'il développe avec superficialité, comme si c'était acquis. David Gordon Green ne réussit guère à donner vie à des personnages marquants, à dresser des portraits prégnants d'adolescents forcément familiers et évocateurs. Même le personnage principal, dont le surnom fait office de titre, et qui doit gérer sa culpabilité puis un statut de héros inattendu, ne passionne jamais. Laborieux et frustrant, George Whasington n'est tout de même pas un mauvais film, mais j'ai dû trop en voir des comme ça, et je ne suis guère étonné du tournant nauséabond pris par la carrière de son réalisateur par la suite.


    George Washington de David Gordon Green avec Candace Evanofski, Donald Holden et Paul Schneider (2000)

    Colombiana

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    Une merde de chien avec un cancer du colon a un meilleur aspect que ce ruban de pellicule... En réalisant ce film, Olvier Megaton (?) s'est délesté d'un gros colombi(a)n(a). On sait tous très bien qu'Olivier Mégaton n'est que le pseudonyme de celui qui est derrière ce désastre volontaire. Cet homme doté d'un surpoids dont il n'arrive pas à se débarrasser, d'une beubar d'une semaine pour se sentir plus viril, et surtout d'un talent aux oubliettes depuis belle lurette. Je trouve ça toujours étonnant que des "star hollywoodiennes" (j'utilise des guillemets parce qu'avec l'actrice na'vi Zoé Saldana on galvaude le terme) viennent se livrer pieds et poings liés au cœur d'un massacre toujours orchestré de main de maître par Luc Besson, sous couvert d'un pseudo. "Vengeance is beautiful" ? Nawak...


    Colombiana d'Olivier Megaton avec Zoe Saldana et Amanda Stenberg (2011)

    The Cloverfield Paradox

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    Netflix a cru nous faire une jolie surprise en sortant le nouveau film de la saga Cloverfield quelques heures seulement après avoir diffusé sa première bande-annonce lors du Super Bowl. Il y avait en effet de bonnes raisons de frétiller d'impatience et de regarder en vitesse ce nouvel épisode qui fait suite à deux films plutôt intéressants qui explorait chacun de manière assez originale des genres différents, en s'inscrivant dans un même univers, dévoilé peu à peu. Cloverfield premier du nom est l'un des rares found footageà être réellement efficace, il constituait un film catastrophe assez bas du front mais, pour les amateurs, une expérience qui valait la peine d'être vécue. 10 Cloverfield Laneétait quant à lui un thriller en huis clos magnifié par son actrice principale et une conclusion ma foi très réussie. Qu'allait donc nous réserver la suite ?




    A y regarder de plus près, si nous étions dénués de tout a priori négatifs, on pouvait tout de même nourrir quelques doutes... A la réalisation de The Cloverfield Paradox, un inconnu nommé Julius Onah qui, après quelques recherches menées sur internet, s'avère être un jeune cinéaste au statut envié puisque régulièrement cité dans d'obscures listes recensant les metteurs en scène américains à suivre et sur le point d'exploser. A l'écriture, Oren Uziel, qui travaille sur une histoire initialement intitulée God Particles depuis des années mais dont on ne sait rien d'autre. Et à la production, fidèle au poste, JJ Abrams, dont on pourrait penser qu'il est le vrai cerveau de l'entreprise. Or, force est de constater, après quelques minutes de film seulement, que de cerveau, il n'y en a pas !




    Le triste JJ Abrams a simplement dû signer le chèque permettant la mise en branle de cet abject projet et, par la même occasion, l'arrêt de mort de la saga. Dénué de la moindre imagination et nous proposant une mise en scène exécrable digne d'un très mauvais téléfilm, Julius Onah a effectivement explosé et perdu illico son statut de jeune réalisateur under the rader pour gagner les rangs trop bien garnis des purs zonards à éviter absolument. Quant au scénariste, dont la place est en détention provisoire ou en hôpital psychiatrique, il serait le premier à être poussé vers l'échafaud tant son script infâme dégage une odeur de pet dégueulasse.




    Essayons de faire bref : nous sommes donc dans un futur indéterminé et la Terre, en proie à une crise énergétique sans précédent, est dans une merde noire, au bord d'un conflit mondial qui pourrait acter la fin de l'humanité. Pour sauver la situation, des scientifiques et des techniciens issus des pays les plus influents du moments (Russie, Allemagne, Grande-Bretagne, USA, Chine, Brésil et... Irlande) sont envoyés en mission sur une station spatiale en orbite autour de la planète bleue afin de créer une source d'énergie inépuisable à l'aide d'un accélérateur de particules géant. Malgré les mises en garde d'un illuminé assurant que l'utilisation de l'accélérateur pourrait engendrer des catastrophes spatio-temporelles inédites et irréversibles, tout ce petit monde s'active pour réussir enfin le lancement de la machine. C'est alors qu'une surcharge se produit suite à laquelle les scientifiques découvrent avec stupeur que la Terre a tout bonnement disparu des radars. D'autres événements étranges vont alors se produire au sein de la station, mettant en danger l'ensemble de l'équipage.




    Ce n'est pas pour m'envoyer des fleurs, mais sachez que je raconte beaucoup mieux que Julius Onah et son scénariste dont l'horrible rejeton, d'une laideur et d'une bêtise étonnantes, est un supplice du début à la fin. D'emblée, on essaie de nous intéresser à des personnages qui n'existent à aucun moment, d'infects clichés ambulants. On s'amusera de la perfidie du Russe, forcément le plus infréquentable de la bande. On pleurera aux répliques supposées être humoristiques de l'irlandais incarné par le très pénible Chris O'Dowd, notamment quand toute la fine équipe se rend compte que la Terre a disparu (ce qui donne des dialogues épouvantables et grotesques comme "La Terre ne peut pas disparaître aussi facilement...", "Je t'assure, j'ai vérifié deux fois, je ne la retrouve plus", "T'as bien cherché partout, t'es sûr ?", "La Terre a juste putain de disparu !" ; il faut vraiment entendre tout ça pour y croire). On sera rapidement fatiguer par les péripéties de plus en plus débiles auxquelles doivent faire face les membres de l'équipage. Devant ce vaste n'importe quoi, on se demande même s'il ne s'agit pas là d'un film ouvertement comique, d'une sorte de parodie, d'un délire entre potes, d'une blague qui a mal tourné ou que sais-je.




    Le scénario est si idiot et prévisible dans sa bêtise qu'il annihile tout espèce d'intérêt que l'on pouvait avoir pour la franchise Cloverfield, et celle-ci aura bien du mal à s'en relever. Des univers parallèles sont ainsi sordidement mêlés par l'arrogance humaine, l'humanité faisant appel à une technologie qu'elle ne maîtrise pas pour sortir d'une impasse vers laquelle elle a foncé tête baissée, pour se dépêtrer d'une situation qu'elle a elle-même provoquée. Mais, là encore, je vais bien trop loin, le film ne développe aucun discours, aussi basique soit-il, ressemblant à ça, il ne propose aucune de ces critiques et mises en garde traditionnellement véhiculées par les récits de science fiction. C'est cette faille créée entre des univers parallèles qui aura donc notamment entraîné l'apparition d'une bestiole immense défonçant tout sur son passage. Avant de déclencher l'ultime essai de l’accélérateur de particules, l'un des tocards de la station prévient pourtant tout le monde dans un éclair de lucidité, il lève le doigt poliment et déclare "Au fait, vous savez que si l'accélérateur de particules dysfonctionne, on peut peut-être ouvrir une faille entre des dimensions parallèles, et faire venir des créatures, des monstres venus d'ailleurs ? Ouf non ? J'dis ça j'dis rien !".




    En réalité, on tient là une sorte de croisement bâtard entre des films qui étaient déjà eux-mêmes de sacrées merdes. On pense ainsi aux derniers immondices impardonnables de Ridley Scott, Prometheus et Alien Covenant, pour cette façon de dynamiter un univers, qui jusque là se tenait bien et cultivait intelligemment un certain mystère, par des révélations misérables dont tout le monde se serait bien passé. On pense également à des trucs médiocres mais beaucoup moins offensants tels que le récent Life : Origine, qui avait pour lui le mérite de se prendre pour ce qu'il était, à savoir un simple et bête film de monstre à l'ancienne, et guère autre chose. Tout est à jeter dans The Cloverfield Paradox. En plus d'être con, c'est désagréable à la vue, avec entre autres ses plans obliques ignobles, incapables de générer la moindre tension, et cette station dont on n'arrive même pas à comprendre la géographie. 10 Cloverfield Laneétait un huis clos et parvenait grosso modo à nous le faire ressentir, à nous transmettre une impression d'enfermement, une certaine tension. Cette suite n'y parvient pas une seconde et n'est qu'un enchaînement de conneries terribles.




    Nous suivons, en parallèle, les mésaventures du petit-ami de la britannique, resté sur Terre et confronté aux conséquences du dérèglement global. Une partie dont on a appris de la bouche d'un JJ Abrams honteux qu'elle avait été tournée après coup, pour sauver l'ensemble. C'est effectivement moins abominable à suivre que ce qui se déroule dans la station spatiale, mais c'est tout de même inintéressant au possible. Tout est à jeter je vous dis. Ils auraient bien mieux fait de réaliser un prolongement direct à 10 Cloverfield Lane, en nous proposant tout simplement de voir Mary Elizabeth Winstead, dans sa combinaison de fortune, affronter les aliens et essayer de survivre dans un monde apocalyptique. Il n'en faut pas plus pour faire un bon film de genre ! On aurait maté ça avec bien plus de plaisir...




    Comme trop souvent hélas, les plus malins dans cette histoire étaient sans doute ceux qui ont orchestré la campagne marketing, tout simplement basée sur l'entretien du mystère par le silence et l'effet de surprise final avec l'arrivée soudaine du film. Cela a en effet permis à cette gigantesque daube de bénéficier d'un buzz retentissant sur les réseaux sociaux et d'être certainement vue par bien des curieux. Une fois que les premiers l'avaient subie, ce buzz s'est aussitôt transformé en "bad buzz" puisque le film s'est fait descendre de toutes parts. Ce lynchage en bonne et due forme était tout à fait mérité. Les quelques défenseurs du produit, parmi lesquels des maniaques passionnés et des fous dangereux, échafaudant des théories reliant les trois films sur des forums à éviter, existent bel et bien mais ils doivent se sentir très seuls. Pour eux aussi, la Terre a disparu. The Cloverfield Paradox anéantit tout ce que la triste bande menée par JJ Abrams a essayé de faire et envisageait de faire. Pire encore, cela fait même relativiser les très minces qualités des deux premiers épisodes qui étaient déjà bien peu de chose. Une sacrée arnaque. 


    The Cloverfield Paradox de Julius Onah avec une bande de tocards terrible (2018)

    The Ritual

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    The Ritual est le premier long métrage du cinéaste britannique David Bruckner qui avait jusqu'alors signé quelques courts ainsi que certains segments de films à sketchs tels que V/H/S et The Signal. Distribué par Netflix et accompagné d'échos plutôt positifs, cette adaptation d'un livre d'Adam Nevill pouvait constituer une sorte de salut nécessaire pour la plateforme de streaming juste après la débâcle The Cloverfield Paradox. Force est de constater que The Ritual s'impose en effet d'emblée comme un film d'horreur sérieux, qui respecte son audience et propose un spectacle assez haletant, nous rappelant au bon souvenir de la vague horrifique britannique des années 2000. On y suit une bande de gars partis pour quelques jours de randonnée dans les forêts suédoises, afin d'honorer la mémoire d'un ami, tué arbitrairement lors du braquage d'une supérette (la première scène, efficace). Parmi eux, Luke est encore hanté par la mort de son pote, à laquelle il a assisté, caché, sans oser intervenir, par peur d'y laisser aussi la vie. Ce contexte est propice aux tensions, d'abord sous-jacentes, entre les membres du groupe et, quand celles-ci éclateront, elles s'ajouteront à une menace extérieure, invisible et inexplicable, qui semble hanter la forêt...





    David Bruckner arrive plutôt facilement à installer une ambiance intrigante. Il plante le décor rapidement et nous propose de suivre des personnages qui, sans être très épais, évitent les stéréotypes. Il est aidé en cela par des acteurs solides et crédibles, et je pense ici tout particulièrement à Rafe Spall, dans le rôle de Luke, dont on sent qu'il est encore écrasé par son sentiment de culpabilité et que celui-ci parasite tous ses rapports avec les autres. Hélas, s'il s'agit d'une bobine horrifique appliquée et plutôt recommandable, The Ritual pêche cruellement par manque d'originalité. On pense à bien des films, notamment The Blair Witch Project ou The Descent, sans que l'œuvre du jeune David Bruckner ne parvienne à réellement s'affirmer au milieu de ces si nombreuses références. Bien qu'un peu trop attendu dans son déroulement et n'évitant pas certains poncifs du "film-où-un-groupe-se-paume-dans-les-bois", The Ritual parvient malgré tout à entretenir notre curiosité jusqu'au bout.





    On se demande en effet pendant longtemps quelle orientation va choisir le scénario, s'il va opter pour le surnaturel, quitte à prendre un risque, ou une explication plus psychologique, alternative facile et redoutée. Attention au spoiler : c'est finalement vers l'horreur sectaire et purement fantastique que s'engage David Bruckner, pour notre plus grand plaisir et avec un certain succès. Quand se montre enfin la fameuse créature régnant dans la forêt suédoise, nous sommes agréablement surpris par son apparence, très soignée et loin des clichés ; il s'agit d'ailleurs davantage d'une divinité que d'un simple monstre. S'il n'est malheureusement pas l'excellent film d'horreur espéré, The Ritual confirme toutefois que Netflix peut gagner en crédibilité et jouer un rôle intéressant pour améliorer la visibilité d’œuvres et de cinéastes qui méritent effectivement de toucher une plus large audience. 


    The Ritual de David Bruckner avec Rafe Spall, Arsher Ali, Sam Troughton et Robert James-Collier (2018)

    L’Étrange créature du lac noir

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    Jack Arnold, dans les années 50, en pleine possession de ses moyens, contribua à donner ses lettres de noblesse au cinéma de genre en signant de son nom quelques uns des plus grands titres de la période. Quiconque rangerait ce Creature from the Black Lagoon dans les plaisirs coupables du cinéphile amateur de nanars ridicules et autres "séries Z" dont il est bon de se gausser, aurait tout faux. Certes, le titre, l'affiche (d'ailleurs très belle) ou le contexte laissent à penser que nous tenons là une petite merde. Mais loin s'en faut, puisque L'étrange créature du lac noir compte parmi les petits bijoux et les nobles réussites de la collection Universal Monsters. Le maquillage de la créature a de toute évidence un peu vieilli (peut-être moins cependant que beaucoup d'effets spéciaux numériques sur fond vert...), mais se focaliser là-dessus pour ricaner serait passer à côté d'un bien beau film.





    Rappelons un peu de quoi il s'agit. On pourrait s'attendre à un pré-sous-Jaws, avec une créature sous-marine redoutable au centre d'un film rythmé par des scènes de trouille nous la montrant éliminer un à un les membres du casting. Sauf que le script de Jack Arnold est un peu plus malin que ça. On y suit une bande de scientifiques inspectant un lac à la recherche d'une créature millénaire, forcément un peu étrange (d'où le titre). Quand ladite bestiole, à qui il ne manque que la parole, et à la rigueur un petit relooking, voit apparaître, dans ces eaux saumâtres qu'elle habite seule depuis des centaines d'années, une bombe atomique en la personne de Julia Adams, son sang froid ne fait qu'un tour dans son slip.





    Le film aurait donc pu tomber dans le graveleux, le racolage, le voyeurisme, l'érotisme de bas étage, écueil que Jack Arnold évite haut la main, en nous livrant une variation sur La Belle et la bête ponctuée de scènes sublimes : ces fameuses séquences de baignade, ou devrions-nous dire, de danse aquatique, puisque c'est à un véritable ballet sous-marin que nous convie un Jack Arnold plein de poésie et touché par la grâce. La 3D, nouveau jouet de l'époque, a peut-être contribué à inspirer à Jack Arnold ces scènes, mais elles ne perdent rien de leur beauté sans cet artifice. Les longues jambes de Julia Adams ondulent quelques centimètres au-dessus des plantes marines et des bras palmés aux mouvements envoûtants, inquiétants mais contrôlés, de l'étrange Gill-Man, l'inoubliable monstre, dans un lente chorégraphie de fascination amoureuse.




    Au fond, dans sa simplicité, la créature est encore le personnage le plus touchant d'un film où les personnages masculins, eux aussi obnubilés par la seule femme à bord, se livrent à un combat de coqs ridicule et néfaste. Billy Wilder se souviendra de ce film au moment de tourner Sept ans de réflexion, comédie grinçante épinglant l'américain mâle blanc dominant, incarné par Tom Ewell. Le personnage principal, nommé Richard Sherman, n'avait qu'une idée en tête : tromper sa femme avec la première venue, qui s'avérait n'être autre que l'irrésistible Marilyn Monroe. Celle-ci n'avait alors de cesse de citer, en criant, le titre du film de Jack Arnold, Creature from the Black Lagoon, tout en résistant aux assauts de son voisin du dessous très concupiscent. Dans un New York caniculaire, les deux étages de l'immeuble servant de décor à la comédie de Wilder, l'un occupé par l'homme marié désœuvré, l'autre par la divine blonde, étaient reliés par un escalier sans issue, rappelant les deux mondes séparés du film de Jack Arnold, celui des profondeurs, abritant la menace, et la surface. Malheureusement, Gill-Man, la bête aquatique de L'étrange créature du lac noir, comme son futur homologue des villes, finit par craquer, et embarque la belle dans son antre - image d’Épinal digne de celle tournée par Cocteau dans son adaptation du conte de Mme Leprince de Beaumont. On sent alors le monstre mu par la volonté de renouer avec un amour perdu, cette autre créature dont les scientifiques trouvaient un membre fossilisé au début du film. Jack Arnold parvient ainsi à titiller notre imagination et à nous faire projeter sur sa créature des sentiments qui lui donnent une autre dimension.





    Le film a souffert, comme quelques autres du même genre, d'abord de sa modestie, prise à tort pour un manque d'ambition, ensuite de son emballage, nous l'avons dit, mais peut-être aussi de cette suite, mise en boîte un an plus tard par le même Jack Arnold. Nous ne l'avons pas vue mais nous ne savons que trop combien d'autres monstres ont pâti de tirer sur la corde et de se voir inventer tour à tour un fils, un cousin, un neveu, un filleul ou un gendre peu recommandables. Mais le pire coup bas contre ce film reste l'attitude et les choix du Gill-Man après 1954, qui surfa sur la popularité du film pour se constituer un petit pactole en étant d'abord l'effigie d'une marque de sardines bas de gamme, puis en traînant ses palmes sur les plateaux télé pour raconter ses frasques ou en devenant l'égérie par intérim de MacDonald, avant qu'un Ronald plus familial et accueillant ne prenne le relai. La légende raconte qu'on peut apercevoir le Gill-Man dans certaines venelles de Los Angeles, jouant du Gershwin en soufflant dans une conque et recueillant de sa dernière palme valide quelques pounds qui lui permettent de s'acheter des boîtes de câpres entre deux numéros au Marineland local. La triste fin du petit enfant huître...


    L'étrange créature du lac noir de Jack Arnold avec Julia Adams, le Gill-Man, Richard Carlson et Richard Denning (1954)

    Phantom Thread

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    Chaque nouveau film de Paul Thomas Anderson est attendu avec crainte, impatience et fébrilité dans les vastes bureaux de la rédaction d'Il a osé ! Enthousiasmé par There Will Be Blood, on sait tout le potentiel du cinéaste, mais l'on connaît que trop bien ses travers pour avoir vécu de terribles épreuves au cinéma en allant voir, le sourire aux lèvres et la fleur au fusil, The Master puis Inherent Vice, et en ressortant, à chaque fois, hagards et dévastés. Quel plaisir de découvrir que le réalisateur américain nous livre avec Phantom Thread son film le plus humble, le plus simple et le plus beau. Une histoire d'amour, tout simplement, entre deux personnages marquants, très forts, incarnés par un couple d'acteurs magnifiques : Daniel Day-Lewis et Vicky Krieps. Le premier est Reynolds Woodcock, un grand couturier londonien qui dessine les vêtements de la haute société d'après-guerre et tombe sous le charme d'Alma, une jeune femme qui deviendra sa muse. Avec une délicatesse étonnante et une intelligence rare, Paul Thomas Anderson nous propose de suivre l'évolution de cette romance bien particulière entre deux êtres qui vont progressivement apprendre à s'aimer malgré leurs différences.




    Phantom Thread est une douce et agréable surprise permanente. Le film étonne tout le long de par sa simplicité et sa clarté, pour ce qu'il choisit d'être et ce qu'il n'est pas. Le cinéma de Paul Thomas Anderson ne paraît ici à aucun moment parasité par une prétention débordante ou par un orgueil démesuré. Paradoxalement, le cinéaste signe peut-être son œuvre la plus subtile et ambitieuse puisque c'est la première fois qu'il s'intéresse de si près à une telle histoire d'amour et à deux personnages qu'il parvient si fort à faire exister. Cela ne tient évidemment pas qu'à eux, mais il est bien aidé en cela par deux acteurs merveilleux. Daniel Day-Lewis n'est plus à présenter, il démontre ici, pour ceux qui en douteraient encore, qu'il est effectivement l'un des plus grands et qu'il n'a pas volé les mille récompenses qui décorent son living room. Quant à Vicky Krieps, parfaite, il faut aussi saluer le choix judicieux de Paul Thomas Anderson, lui qui aurait sans doute pu faire appel à n'importe quelle vedette actuelle. La luxembourgeoise, qui illuminait déjà Le Jeune Karl Marx, dégage un naturel étonnant, elle parvient à exister, et bien plus encore, face à Daniel Day-Lewis, ce qui n'est sûrement pas donné à tout le monde. Ils forment tous deux un couple fascinant qui, à coup sûr, marquera durablement les esprits. A leurs côtés, un autre personnage remarquable, celui de la sœur du couturier, au rôle si important. Elle est jouée par un impeccable Jean-Michel Aulas, un choix osé qui nous pousse encore à saluer la science du casting et l'audace de PTA.




    On peut aussi aimer le film pour ce qu'il n'est pas. Il n'est pas une lourde reconstitution historique du Londres des années 50. Paul Thomas Anderson nous plonge délicatement dans cette ambiance, sans effet forcé, sans appuyer le trait. Son histoire paraît même intemporelle. Il n'est pas non plus une fresque sur le monde de la mode, bien qu'il parvienne miraculeusement à nous y intéresser. Ce contexte est là pour créer une obsession à son personnage principal, minutieux, méticuleux, enfermé dans son travail, sa passion et son art. Il aurait pu être musicien ou que sais-je. Le choix de la mode est encore très bien vu de la part de PTA. Enfin, il n'est pas la description prévisible d'une relation amoureuse duale, en montagnes russes, entre un maître et sa disciple, un homme mûr et une jeune femme, un grand artiste bourgeois et une étrangère venue du peuple. PTA joue certes sur ce décalage, mais il le fait tout en finesse, parfois même avec un humour très plaisant (certains dialogues sont savoureux, notamment quelques joutes verbales entre les deux amants, tour à tour amusantes ou tendues). Cette façon qu'a le film d'éviter tous les clichés de ces schémas rebattus et d'y injecter de l'étrangeté et même de la folie (la fin est très déroutante) est vraiment réjouissante. Alors que les deux précédents (très) longs métrages de Paul Thomas Anderson avaient fini par nous ennuyer copieusement, celui-ci est passé à toute vitesse et nous nous y sommes sentis fichtrement bien.




    Mais Phantom Thread est avant tout un film admirable pour ce qu'il est et ce qu'il nous raconte. Enveloppée dans la musique inspirée de Jonny Greenwood assez omniprésente mais guère pesante, qui colle totalement à l'histoire et à ce personnage obsessif que fait dévier de sa trajectoire toute tracée la jeune femme, la mise en scène de PTA est maîtrisée, précise et chiadée, très agréable à l’œil. Le réalisateur ne tombe jamais dans les excès, disant adieu à certains tics lourdingues que l'on retrouvait dans ses précédents films, il signe peut-être son œuvre la plus classique formellement, en osant toutefois quelques très belles choses ici ou là. Il parvient à nous émouvoir avec trois fois rien, tout particulièrement lors de cette scène de demande en mariage filmée en un lent travelling avant, se rapprochant d'un Daniel Day-Lewis revenu à la vie et d'une Vikcy Krieps sous le choc, qui savoure cet instant, le laissant durer avant de s'exprimer enfin. On espère revoir de tels moments de grâce au cinéma cette année, mais on se dit que ça n'est pas sûr étant donné le niveau ici atteint par PTA. Nous ressortons du film avec l'envie très rare de le revoir au plus vite, pour mieux nous y vautrer de nouveau, confortablement installé dans cette histoire, moins surpris par son déroulement mais plus attentif à chaque détails, délicieusement envoûté par la subtile mélodie de Paul Thomas Anderson. Ouf, nous sommes enfin en paix avec PTA !


    Phantom Thread de Paul Thomas Anderson avec Daniel Day Lewis, Vicky Krieps et Lesley Manville (2018)

    Stronger

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    Au fil des ans, un lien secret et étrange s'est noué entre David Gordon Green et moi. Sans le vouloir, en cherchant parfois même à les éviter, j'ai pratiquement toujours fini pieds et mains liés devant ses films. Notre histoire avait bien commencé grâce à L'Autre Rive, que je considère toujours comme son chef d’œuvre, puis c'est allé de mal en pis... Le cinéaste natif de Little Rock, véritable caillou dans mes petits souliers de cinéphile, m'a systématiquement déçu alors que le destin s'acharne à toujours le placer sur mon chemin. Dernièrement, ce sont deux invitations pour Stronger, arrivées mystérieusement par la poste, qui ont prolongé le sort. Un film sur un pauvre gars qui a perdu ses jambes lors de l'attentat de Boston en 2013 ? A priori, rien de très sexy, d'autant plus quand on a déjà subi les gros sabots que peut parfois chausser David Gordon Green (souvenez-vous du traumatisant Snow Angels...).




    Vie de blogueur ciné oblige, je n'avais cependant guère le choix. Il me fallait honorer ces maudites invitations. J'allais donc voir Stronger en traînant les pieds, bravant le froid et la pluie, la tête enfoncée dans les épaules, persuadé que David Gordon Green tomberait encore dans tous les travers pour nous livrer un bon gros mélo bien lourdingue, porté par un acteur capable du pire et rêvant d'un Oscar. Ces a priori si négatifs m'ont-ils permis de franchir l'obstacle Stronger avec une telle aisance ? Peut-être... Assez rapidement, en tout cas, mes pires craintes ont été levées. Et au bout du compte, force est de constater qu'avec un tel sujet et une telle histoire à raconter, David Gordon Green s'en tire pas si mal, voire assez bien. Stronger fait clairement partie de ce que le réalisateur a fait de mieux !




    Un Jake Gyllenhaal amaigri et surmonté d'une tignasse rappelant Shaun le Mouton incarne donc Jeff Bauman, une des 267 victimes du double attentat qui frappa le marathon de la ville de Boston le 15 avril 2013. Sauvé de justesse par un chicanos de passage (ah, l'Amérique...), Jeff Bauman se réveille à l'hôpital, amputé des deux jambes mais érigé en héros par tous les médias américains et la population bostonienne. Il se rabiboche avec sa petite-amie (agréable Tatiana Maslany) mais aura bien du mal à gérer cette relation et à assumer son nouveau statut...




    D'emblée, on sent David Gordon Green inspiré par son sujet, réellement intéressé par ses personnages, tous traités avec respect, quand bien même il s'agit d'une bonne femme alcoolo un brin casse-couille (la mère du malheureux). Dès les premières scènes, il filme Jeff Bauman avec attention, douceur. Heureuse surprise, Jake Gyllenhaal n'en fait pas des caisses et s'avère même très crédible dans un rôle qu'il semble avoir pris au sérieux. Une nomination à l'Oscar n'aurait guère été volée. Il joue ici un jeune adulte qui vit toujours chez sa mère, qui a vraisemblablement du mal à grandir, et que l'attentat va encore davantage affaiblir. Le cinéaste évite certains écueils très redoutés, sait faire preuve de cette pudeur essentielle pour ne pas agacer tout le monde, et signe finalement un mélo tout à fait honnête compte tenu des thèmes abordés, très chers au fameux "cinéma américain post 11-septembre". En réalité, le film de DGG profite beaucoup de cette comparaison. Au milieu de tous les drames intimistes merdeux, inspirés ou non d'histoires vraies, qu'a produit Hollywood et ses environs depuis plus de 10 ans, Stronger s'avère carrément recommandable. Et face aux énièmes variations du vieil Eastwood sur le thème du héros américain, il passe même pour un sommet d'intelligence et de finesse...




    DGG met en scène des personnages plutôt attachants (la bande de potes de Bauman), auxquels nous n'avons aucun mal à croire, en proposant même quelques passages où l'humour est de mise et fonctionne assez bien (la beuverie qui se termine par un Jeff Bauman au volant d'une voiture avec son pote maniant tant bien que mal les pédales à la main). DGG ne tombe pas dans les clichés, il réussit par exemple à nous faire ressentir de l'empathie pour la mère du héros, personnage de loin le plus risqué et problématique du lot. Il désamorce des scènes que l'on redoute par avance (l'accrochage tant attendu entre la maman et la girlfriend venue vivre avec eux) et les réussit assez bien quand elles s'imposent enfin à lui (le flashback où l'on revit l'attentat, à l'efficacité indéniable et dénué d'effet superflu). Il s'avère plutôt habile quand il nous dépeint cette Amérique traumatisée et déboussolée par les attentats successifs, par la guerre en Irak et compagnie, désespérément en quête de héros et recroquevillée sur ses valeurs.




    S'il en fait un peu trop dans la dernière partie et perd de vue cet équilibre sur lequel il tenait miraculeusement, DGG s'en tire tout de même avec les honneurs. L'objectif est accompli : on ressort du film soulagé d'avoir encore l'usage de nos deux guiboles. Me voilà donc réconcilié avec David Gordon Green au moment le plus opportun puisqu'il est actuellement en train de tourner la suite de l'un de mes films cultes, Halloween, de mon idole John Carpenter. Le rendez-vous est cette fois-ci bel et bien fixé. Comme toujours, je l'attendrai au tournant. 


    Stronger de David Gordon Green avec Jake Gyllenhaal, Tatiana Maslany et Miranda Richardson (2018)

    La Forme de l'eau

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    Guillermo del Toro n'a toujours pas réglé son problème de chaises.  Après avoir cassé toutes les siennes, il a encore le cul paumé entre une paire de fauteuils. C'est son éternel problème. Ne parlons pas d'une connerie régressive sans ambiguïté comme Pacific Rim, non. Mais c'était déjà ce tangage entre deux eaux qu'on reprochait au cinéaste à l'époque du Labyrinthe de Pan, où des scènes enchanteresses avec un faune beau comme un cœur côtoyaient de longues séquences de torture en pleine guerre d'Espagne et des moments dignes du Pianiste de Polanski, où Sergi Lopez tirait des balles dans des tronches à bout portant et en gros plan. Glaçant contraste. Ici, une fois de plus, Del Toro ne sait pas qui viser. Le film semble presque s'adresser aux enfants, se présentant d'emblée comme un conte merveilleux mignon doublé d'une histoire d'amour fleur bleue, mais les parents venus avec leurs bambins dans la salle où j'ai assisté à l'événement cinématographique du siècle se sont montrés un peu gênés quand l'héroïne se masturbe dans sa baignoire les quatre fers en l'air, quand Michael Shannon pilonne sa femme sur son plumard en gardant ses chaussettes et en la muselant de sa main pleine de sang, quand Eliza, l'héroïne muette du film, tombe la chemise à la Zebda pour rejoindre le monstre sous la douche, ou quand le méchant de l'histoire, après s'être arraché deux doigts à grand renfort de bruitages gluants, tire un type par le trou sanglant qu'une balle vient de dessiner dans sa joue. C'est tout le jeu de Del Toro, ce zapping dans les registres, mais une fois de plus c'est surtout bancal, et plutôt maladroit que fascinant. On aurait préféré un peu moins de niaiseries. Le film rend clairement hommage au Fabuleux destin d'Amélie Poulain de JP Jeunet, avec son héroïne handicapée sociale, qui se trimballe dans sa petite robe avec sa coupe au carré, fait des claquettes dans son couloir sur fond d'accordéon pour finir chez son voisin, un peintre raté reclus dans son appart qui sait "l'écouter" - quand Del Toro ne fait pas du coude à The Artist, notamment dans une scène de comédie musicale très embarrassante. On aurait surtout préféré un poil plus de trouble...




    Très tôt, le bât blesse. En fait, dès l'apparition du monstre. On ne voit d'abord que sa main qui tape à la vitre, mais dès la scène suivante, la bête apparaît entièrement, sans davantage de cérémonie. Et personne ne s'étonne de l'apercevoir. C'est une créature incroyable et elle ne suscite aucune réaction particulière, pas plus chez les gens qui l'ont tirée des profondeurs que chez les femmes de ménage qui la découvrent avec nous. Certes, le merveilleux, contrairement au fantastique (et ici Del Toro a choisi son camp) repose en partie sur cette acceptation de l'impossible (Eliza va à la bête telle Alice suivant le lapin dans son terrier). Mais Del Toro oublie que le conte fait aussi la part belle à la terreur. Or, l'héroïne, ici, n'a pas peur, même une fraction de seconde, de cette chose qu'elle rencontre, y compris quand la bestiole lui hurle dessus sans ménagement au premier vrai rencard. Dans La Belle et la bête de Cocteau, ce dernier prenait la liberté, vis-à-vis du conte original, de faire s'évanouir Josette Day lors de la première irruption (pourtant assez risible) du lion humain face à elle. On partait donc de cette peur, transmise au public par cette réaction de l'héroïne à défaut de passer par l'apparence foireuse de la créature, pour ensuite assister à l'apprivoisement et à l'évolution progressive de leurs sentiments. 




    Ici, et alors que la tête du monstre est assez bien fichue, aucun frisson, donc aucune évolution à l'horizon. La fille est d'emblée conquise et le spectateur n'aura jamais peur. Ce n'est pas en une scène, tardive, celle où la bête dévore la tête d'un chat, que Del Toro peut se rattraper aux branches, surtout si c'est pour nous rassurer très vite, quand le monstre, après être allé mater un film au ciné, revient à la maison, s'assoit gambas écartées façon Spiderman puis demande à ce qu'on lui caresse le crâne... En fin de compte, l'être millénaire tiré de son fleuve d'Amérique du Sud, ce dieu païen amphibie, n'est qu'un matou en chaleur. Alors que paradoxalement, physiquement, il est bien trop humain, et n'a finalement pas grand chose d'étonnant, encore moins d'affreux. Pire, Del Toro l'affuble de tablettes de chocolat et lui fait prendre en toutes circonstances des poses de dieu du stade élancé, musclé, cambré, bras légèrement écartés du buste, comme tout droit sorti d'une pub pour parfum. C'est donc ça, la "forme" de l'eau ? C'est au point que l'héroïne (et le spectateur avec elle) n'hésite pas longtemps avant de le rejoindre sous la douche pour un coït qui n'a rien de vraiment troublant (on aimerait même franchement y participer). Et pour la peur, il ne faudra pas compter sur le véritable monstre du film, le personnage du méchant, humain évidemment, incarnation de l'american way of life (Del Toro critique !), un militaire dur à cuire répondant à tous les clichés ou presque et impatient de disséquer le monstre sous-marin, incarné par un Michael Shannon à qui on a envie de dire "stop". Sans déconner, arrête maintenant Shannon, ne fais plus ça, ce genre de rôle, là, épargne-toi, épargne-nous, arrête !




    Le cinéaste fin gourmet se révèle une fois de plus incapable de pondre quelque chose de véritablement intéressant visuellement (par exemple pour honorer le titre du film ! la meilleure idée est sonore : c'est peut-être ce bruit d'océan qu'on entend quand Eliza pose son oreille sur le torse de la créature), ou de parvenir à créer du trouble, pourquoi pas de la gêne, du malaise, au sein de ce qui n'est qu'un flot de bons sentiments. Del Toro n'y va pas de main morte, comme dans cette scène, au bar du coin, où dans la même scène il dénonce le mépris des homosexuels et celui des noirs dans l'Amérique des années 50 - on cherche désespérément un mexicain dans la pièce pour ramasser à son tour. Heureusement pour lui, Guillermo Del Churro maintient tout de même un rythme assez plaisant et ménage quelques touches d'humour, qui passent principalement par Dick Jenckins, le voisin chauve, et par Zelda, la collègue de boulot  loquace d'Eliza. Mais la vraie réussite du film, c'est de donner une seconde vie au Gill-Man, l'homme-poisson qu'on avait perdu de vue sur grande lucarne depuis L’Étrange créature du lac noir et ses suites. Tel Quentin Tarantino ramenant d'entre les morts quelques stars du passé, Pam Grier ou David Carradine (vite retourné entre les morts d'ailleurs, suite à une séance d'auto-érotisme particulièrement réussie), Del Toro relance la carrière du Gill-Man. Et là on dit merci.


    Le Gill-Man à la grande époque, en plein âge d'or.

    On n'avait plus beaucoup de nouvelles du Gill-Man sur les écrans. Les seules apparitions ou mentions publiques du Gill-Man, depuis pas loin d'une vingtaine d'années, passaient par les tabloïds ou des reconstitutions de drames sordides sur les pires chaînes de télévision américaine. Pour résumer, on se souvient que le 10 septembre 1986, après une trentaine d'années de frasques et de soirées endiablées sans pareilles organisées par le Gill-Man dans tout Los Angeles, la police retrouve, dans sa villa hollywoodienne, 3766 grammes de cocaïne après une (longue) perquisition. L'acteur aux branchies et aux ouïes encore pleines de poudre blanche est alors arrêté puis assigné à résidence. Il est ensuite condamné en première instance à 33 ans et 6 mois de prison pour trafic de drogue. En 1990, après des années de procédures dont quelques unes passées en taule (une des cellules du pénitencier d'Alcatraz est transformée en aquarium pour l'occasion), la cour d'appel de Californie relaxe le comédien palmé des accusations portées contre lui et le libère pour "ultra bonne conduite". En effet, tel Tim Robbins dans Les Evadés (le plus grand film de l'histoire du cinéma, en partie inspiré de la vie du Gill-Man), le Thierry Lhermitte aquatique passe le plus clair de sa détention à dévorer (littéralement) la bibliothèque du campus pénitentiaire et à ravir les oreilles de ses co-détenus en réinterprétant les plus grands classiques du jazz en soufflant dans une conque. Après cette libération méritée, le désir du public de revoir le Gill-Man sur grand écran et surtout d'oublier ses mésaventures judiciaires est si fort qu’il aboutit à la production en 1993 de Libérez le Gill-Man, une énième suite du film qui le rendit mondialement célèbre presque quarante ans plus tôt. Mais sur le plateau la magie n’opère plus et le film est abandonné. Le décor servira finalement à la production de Sauvez le Willy.


    A la fin des années 50 et tout au long des années 60, le Gill-Man est une star. On se bat pour le toucher, les femmes gravent leurs initiales dans ses écailles, et l'acteur n'est pas avare d'une ou deux courbettes, voire parfois d'un numéro de claquette (silencieux, palmes obligent, qui plus est sur du sable), pour remercier ses fans.

    Le Gill-Man subit ce revers non seulement comme un affront mais comme une trahison. En effet l'orque Willy était de ses amis, les deux acteurs ayant travaillé ensemble au MarineLand de Los Angeles dans les années 70, années de vache maigre pour l'homme des abysses. Malgré tout, le Gill-Man surfe sur les maigres restes de son succès d'estime, et cumule quelques passages remarqués dans des talk shows, notamment chez Oprah Winfrey, où il se livre à une véritable opération séduction : après avoir repris à la conque l'air principal de la bande originale de La Couleur pourpre signé Quincy Jones dans une version réintitulée La Couleur poulpe, le Gill-Man jongle avec deux bulots à la fois sous les yeux écarquillés de la prêtresse du paf, détendant l'atmosphère en ce 4 octobre 1995, au lendemain du verdict du procès d'O.J. Simpson diffusé en direct à l'antenne chez la célèbre animatrice. L'exploit n'est pas des moindres quand on sait que le Gill-Man souffre alors d'une entorse à la palme droite après son apparition en vedette lors de la finale de la ligue majeure de baseball en 1993, où il réceptionne mal la balle d'engagement lancée avec zèle par le lanceur star des Blue Jays de Toronto dans sa grande paluche palmée faisant office de gant géant. Lors de l'interview qui suit, le Gill-Man, euphorique et sans doute alcoolisé, tient des propos incohérents qui lui seront vivement reprochés. Revenant sur le procès du siècle, celui d'O.J. Simpson, le Gill-Man déclare à une Oprah abasourdie : "Évidemment qu'il est coupable. C'est un dingo. Mais une personnalité assez complexe et fascinante, en réalité, et certainement un bon gars".


     A la fin des années 60, le Gill-Man accepte de renouer avec son vieux pote Franky Stein (les deux hommes s'étaient violemment accrochés au détour d'un couloir des Universal Studios : une griffe du Gill-Man s'était prise dans une agrafe du crâne du mort-vivant) et se rend chez ce dernier pour une bouffe, incognito, pour échapper aux paparazzis qui le traquent sans relâche.

    En dépit de ces moment de liesse sur les plateaux tv, au milieu des années 90 le comédien écume les castings en vain et supporte mal sa série de déconfitures professionnelles. Suite à des conflits répétés avec son propriétaire pour impayés et tapage nocturne, le Gill-Man est aperçu, muni d'un duvet, de son éternelle conque et de quelques cartons dans les rues les plus malfamées de la capitale du cinéma, seul, faisant la manche de sa seule palme valide, sa palme gauche (la droite, abimée, disparaissant pour plusieurs années dans le fond de sa poche, jusqu'à une opération miracle permise par les progrès récents de la médecine et financée avec joie par Guillermo Del Toro). Le Gill-Man, dès lors, et selon de bonnes sources, cède aux sirènes de la prostitution. Fort de son succès dans ce domaine (en tant que pure curiosité), il grimpe les échelons des grands réseaux de prostitution, s'exile en Europe de l'est et se voit propulsé par la mafia russe à la tête d'un établissement de passes. Poursuivi par des trafiquants revêches après des rixes à mains armées, le Gill-Man revient finalement aux États-Unis à la fin des années 90, où la cour pénale de Washington l'accuse d'extradition et de proxénétisme. Les répercussions de l'échec de son comeback puis de son succès dans la pègre, ainsi que ce nouvel imbroglio juridique, poussent le Gill-Man à définitivement abandonner sa carrière de comédien et de star du petit écran.


    Une photo volée du Gill-Man à son retour sur le sol américain, après la traversée de l'Atlantique à la nage.

    Après son retour aux USA, le Gill-Man, pour fêter le passage à l'an 2000, se soumet aux soins d'un chirurgien esthétique qui pratique une injection de collagène sur le visage du comédien sous-marin pour cacher quelques rides, mais l'effet, inattendu et dramatique, lui cause une violente allergie qui lui laisse des séquelles plus ou moins irréversibles. Un procès civil oppose le Gill-Man et le chirurgien. Après treize ans de procédures, la cour de Californie rejette sa demande de dommages et intérêts, jugeant que ses troubles dermatologiques sont dus à une réaction allergique appelée œdème de Quincke, certainement provoquée par l'ingestion de moules avariées.


     Le Gill-Man passe sur le billard pour un ravalement de façade qui tourne au fiasco.
     
    Les charges sont levées à l’encontre du chirurgien, ainsi que sur le producteur et le réalisateur de la suite avortée du chef-d’œuvre de Jack Arnold, poursuivis eux aussi par le Gill-Man pour l'avoir poussé à suivre ce traitement. La lenteur excessive de la justice a provoqué un état de souffrance psychique profonde pour le Gill-Man, qui est admis au centre hospitalier spécialisé de Santa Barbara, ce qui pousse ses avocats à poursuivre le ministère de la Justice et à exiger une réparation financière par l’État du Missouri pour le préjudice subi.


    Après maintes opérations et un abonnement intensif à la salle, le Gill-Man, quoique gêné par une bouche "à la Manu Béart" (sic.), est tout de même satisfait de son nouveau look.

    Enfin, par décision du 23 mai 2015, la cour d'appel de San Francisco alloue un dédommagement de 108 000 euros au Gill-Man, correspondant aux dommages sur sa santé et sur son image. L'ancien maquereau vit alors retiré du monde, à Baltimore, dans le Maryland, à une quarantaine de kilomètres de Philadelphie, redécouvrant la foi et la pratique religieuse. Ce n'est que courant 2017 que Guillermo del Toro, cinéaste cinéphile nostalgique et bienveillant, prend contact avec lui et lui propose de se rendre chez lui, à Baltimore (qui servira de décor à La Forme de l'eau, ndlr), pour un repas à base de burritos de la mer, dont il garde le secret. Le Gill-Man accepte et c'est un comédien regonflé à bloc que découvre Del Toro. Profitant du petit pactole alloué par la cour d'appel de San Francisco, le Gill-Man est allé à la salle, tous les jours, et ne s'est nourri que de boîtes de sardines bio et détox pour séduire à nouveau : il est glabre, sec, fité, refait de la tête aux pieds. Voila pour la petite histoire de l'enfant-huître. La suite, on la connaît. C'est La Forme de l'eau. Je ne sais toujours pas quelle forme elle a, mais ce que je sais, c'est que le Gill-Man, lui, est en pleine forme. C'est bien tout ce qui compte.


    La Forme de l'eau de Guillermo del Toro avec Sally Hawkins, Doug Jones, Michael Shannon, Octavia Spencer et Michael Sthulbarg (2018)

    Mary et la fleur de la sorcière

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    Gardant de bons souvenirs de Souvenirs de Marnie, je me suis rendu en salle gai comme un pinçon pour ce nouveau film d'Hiromasa Yonebayashi, premier coup d'essai du studio Ponoc, distribué en France par la mythique société Diaphana. Au coup d'envoi, puis tout au long du premier quart-temps, Yonebayashi, le jeune artiste issu des studios Ghibli, a su me cueillir. La scène d'introduction, in medio stat virtus, comme on dit, est une séquence d'action tout feu tout flamme, sans préambule et pleine d'étrangeté, qui nous emporte en moins de deux. Puis c'est le calme après la tempête, un calme reposant et accueillant, avec ce long moment où l'héroïne du film, Mary, jeune fille maladroite mais toujours soucieuse de bien faire, vivant depuis peu chez sa tante, en compagnie d'une servante et d'un jardinier nommé Zébédée, nous est sereinement présentée. On répond toujours présent quand elle découvre, guidée par un chat noir, une fleur étrange et, de proche en proche, un balais à chiotte abandonné dans la forêt. Mais à partir de cette découverte, et dès que la jeune fille, apprivoisée par ledit balai, est emportée vers une académie de sorcellerie dans les nuages, on commence à se poser des questions.




    Oui, c'est là qu'on commence à perdre le fil. D'abord parce que cette académie n'a pas grand chose de fascinant. Elle est moins étonnante à découvrir que le simple balai brosse pris dans des branchages qui conduit l'héroïne jusqu'à elle. Il se produit une chute de l'éblouissement, paradoxalement, au moment où la fillette s'élève vers le merveilleux. Ensuite parce que les personnages qui s'illustrent en ce nouveau lieu, à l'image d'ailleurs de Peter, le jeune voisin dont Mary semble assez vite éprise, manquent de caractère, de sens et de saveur. C'est vrai du gardien des balais, Flanagan, purement décoratif, mais aussi de la directrice de l'école, Madame Mumbletchuk, et de son bras droit le Docteur Dré. Ces deux-là, primordiaux dans l'intrigue, sont un brin plus caractérisés que les autres, mais, pour le coup, ce sont leurs motivations qui nous échappent. Nous sommes en présence de deux sorciers ayant fondé une académie voilà des années pour guider de jeunes disciples dans la joie et la bonne humeur vers les attraits de l'ensorcellement mais qui, ayant tourné fous sous l'emprise d'une fleur magique, tels de véritables accros à la dope, sont devenus deux raclures. Depuis, ces deux aristocrates irritants ont pour projet, plutôt démocratique au fond, d'utiliser la puissance de cette fleur afin de décupler celle des jeunes sorciers de leur école et, à terme, de diffuser ces pouvoirs incroyables à tout un chacun. Certes, cette ambition les pousse à quelques expériences sur des animaux, métamorphosés en bestioles étranges, mais qui pourraient apprécier leur nouveau look (la métamorphose, si chère à Ovide, est dans ce film réduite à une punition pénible — abusus non tollit usum !), et sur une paire d'enfants cobayes, ainsi qu'à régulièrement foutre le feu à toute l'école.




    Le problème c'est qu'on ne comprend pas grand chose à tout ça. Ces personnages veulent étendre la magie au monde entier et faire du dernier quidam un sorcier de premier ordre dans un souci de partage et d'égalité, mais ils menacent quiconque s'approche de leur école et n'est pas une sorte d'élu des dieux de la sorcellerie de le métamorphoser, en guise de châtiment. C'est d'ailleurs ce qui les conduit à transformer toute une basse-cour, et on se demande comment des éléphants ou des chats ont seulement pu approcher cette université perchée loin au-dessus des nuages... Alta alatis patent. En parlant des animaux, qui n'en a pas ras-le-bol de voir toute la faune terrestre galoper en harmonie, les héros sur le dos, pour affronter les grands méchants dans les animés japonais ? Et quid des fleurs de sorcière qui font pousser des forêts entières par un étonnant miracle, qui n'a strictement aucun lien avec l'intrigue du film ? Le motif écologique est, pour le coup, plaqué sur le scénario comme un chacal sur la soupe. Enfin, tout cela n'empêche pas Mary et la fleur de la sorcière d'être agréable à suivre et d'avoir de bons moments, mais il faudra revoir la partie "écriture de scénario" si le studio Ponoc espère tenir la longueur. Ut sis nocte levis, sit cena brevis.


    Mary et la fleur de la sorcière de Hiromasa Yonebayashi (2018)

    Les Trois Jours du Condor

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    Robert Redford EST le condor dans Les Trois Jours du Condor de feu Sydney Pollack, un film d'espionnage sorti en 1975 à l'époque où les thrillers paranoïaques, théâtres des pires conspirations, avaient le vent en poupe. On pense notamment aux films du spécialiste Alan J. Pakula tels The Parallax View (A Cause d'un assassinat, en VF) et Les Hommes du Président avec le même Redford, mais aussi au terrible Conversation Secrète de Coppola. Le film de Sydney Pollack est-il à la hauteur des meilleurs films de ce genre produits dans les fastes années 70 du cinéma américain ? Il n'atteint guère les sommets mais il est tout de même agréable à voir. D'abord parce que l'on a aucun mal à suivre Robert Redford dans ses péripéties et ce, dès le premier plan où nous le voyons se rendre au taff sur sa mobylette, enquiquinant toutes les bagnoles autour de lui. Robert Redford est à son zénith, il peut séquestrer Faye Dunaway dans sa salle de bains, la laisser attachée à la tuyauterie des chiottes pendant des heures, et tout de même réussir à l'emballer le soir venu, quand vient le moment d'aller au lit. Il peut aussi sortir les pires banalités à propos des photographies de l'artiste Dunaway, et réussir à l'impressionner. 





    Bob Redford incarne donc Joseph Turner aka "Condor" (heureusement pour le titre qu'il n'est pas tombé sur le nom de code "Buse" ou "Pigeon"), un gars qui travaille pour une petite unité de la CIA chargée de dénicher des renseignements en effectuant une veille permanente de tous les écrits publiés à travers le monde. C'est beaucoup de boulot, surtout à une époque dépourvue de l'internet... Un jour pluvieux (comme l'indique le titre, l'action ne se déroule que sur trois jours, ce qui est toujours une bonne chose pour un film de ce genre, surtout pour un Pollack, dont on se doute bien qu'il n'aurait pas tenu la cadence sur une semaine), un jour de pluie, donc, après être allé faire des courses pour la pause déjeuner et avoir déposé une réclamation auprès de son agence immobilière pour une fuite autour de l'un des vieux vélux de son appartement, Bob Redford retrouve tous ses collègues assassinés. Tous. S'engage alors une course contre la montre pour savoir qui a commis ces meurtres et comment lui échapper. Mais petit à petit, plusieurs indices poussent notre héros à penser que des agents de la CIA sont à l'origine du drame et qu'il est désormais au milieu d'une conflit qui le dépasse totalement... Bref, il est dans une merde NOIRE.





    Les Trois Jours du Condor vaut le coup pour son scénario, assez limpide et compréhensible comparativement à beaucoup d'autres du même genre (en particulier l'ensemble des films de Shane Carruth), pour ses acteurs, tous très bons à commencer par Max Von Sydow génial dans la peau d'un mystérieux tueur à gages, et pour quelques scènes assez tendues où le suspense fonctionne bien, dont celle dite "de l'ascenseur" dans lequel Robert Redford se retrouve littéralement nez-à-nez avec ledit tueur. La petite romance qu'essaie de développer Sydney Pollack entre Redford et Dunaway est assez plaisante car les deux acteurs sont très charismatiques et l'alchimie est palpable, mais en dehors de cela, elle paraît bien légère et superflue. La résolution de l'intrigue, avec cet agent de la CIA désireux de provoquer une guerre au Moyen-Orient pour mettre la main sur l'or noir, a l'avantage de pouvoir sonner encore d'actualité aujourd'hui (merci George W. et tous tes potes, j'espère qu'un jour vous serez jugés comme il se doit). En bref, le film n'a pas si mal vieilli et mérite le coup d’œil, tout particulièrement pour les amateurs du genre. En ce qui me concerne, je retiendrai surtout cette scène assez tendre, vers la fin, entre Max Von Sydow et Robert Redford : le premier, bluffé par le second qui, n'étant guère un homme de terrain n'a pourtant fait qu'improviser tout le long, l'interroge avec malice sur ses choix, sur la stratégie adoptée, avec une admiration respectueuse. Un moment de calme après la tempête, de complicité après les querelles, magnifié par un duo d'acteurs en pleine forme.


    Les Trois Jours du Condor de Sydney Pollack avec Robert Redford, Faye Dunaway et Max Von Sydow (1975)
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