Quantcast
Channel: Il a osé !
Viewing all 1074 articles
Browse latest View live

Monsieur & Madame Adelman

$
0
0
Avant toute chose, l'affiche est une souffrance. D'abord on dit "Madame & Monsieur" plutôt que "Monsieur & Madame" quand on n'est pas un gros porc dégueulasse. Ensuite, il y a cette image toute retouchée, où Bedos semble faire du cheval sur le dos de sa femme qui exhibe un sourire abominable et dont les cheveux découpés sur Photoshop sont une pure et simple horreur. Et puis on lit les mots des revues publicitaires, et notamment ce mot, "Sexy", accolé aux horribles personnes apparentes. Mais après l'affiche, normalement, vient le film. Or, ce film de Nicolas Bedos, je ne le regarderai pas. Je pense qu'il pourrait me faire vriller, me faire passer de l'autre côté, me faire tout lâcher, vivre seul, dans les égouts, en sortir une fois tous les six mois pour tabasser des gens gratuitement et me faire tabasser par eux, aller au poste, me faire enculer, sortir et recommencer, en attendant de tomber sur un passant moins rigolo armé d'un calibre et prêt à bien vouloir me flinguer. Donc je ne le regarderai pas.


Monsieur esperluette Madame Adelman de Nicolas Bedos avec Nicolas Bedos et Doria Tillier (2017)

Enemy

$
0
0
Alors que Blade Runner 2049 vient de sortir en fanfare sur nos écrans, accueilli sous les vivats unanimes du public et des critiques, il est intéressant de se replonger dans la carrière de son auteur, le canadien Denis Villeneuve et, plus précisément, de se pencher sur son film le plus singulier, j'ai nommé Enemy, avec Jake Gyllenhaal et Jake Gyllenhaal. Cette sorte de thriller psychologique a en effet l'originalité de nous proposer deux Jake Gyllenhaal pour le prix d'un : celui-ci interprète son propre rôle, celui d'Adam Bell, un physicien et prof de fac de pacotille, ainsi que son parfait sosie, dont on sait bien peu de chose. Enemy nous propose de passer 90 minutes en compagnie de Jake Gyllenhaal et de son double, l'un à la recherche de l'autre, le premier épiant le second, et vice versa. C'est très difficile à suivre mais l'on s'y fait, on essaye de tenir, mordicus, on se dit que tout ça n'est pas bien long, on a immédiatement mis notre lecteur en mode compte à rebours, on sait qu'1h30, c'est supposé passer en un claquement de doigts. Alors on mate ça, le courage en bandoulière, en serrant les dents tout du long et en priant pour le pardon de toutes les personnes impliquées dans la production. Pour une fois, saluons l'affiche du film, qui a le mérite de nous prévenir qu'il s'agit d'un piège à éviter.


J'ai gribouillé ce dessin pour vous montrer dans quelle position j'ai vu ce film.

C'est le film le plus court de Denis Villeneuve, qui n'avait décidément rien à nous raconter, lui qui parvient d'ordinaire à étendre sur 3 heures des scénars qui auraient pu être efficacement torchés en une demi plombe. Le cinéaste originaire de Bécancour (Québec) avait vraisemblablement envie de peaufiner sa filmographie, il lui fallait réaliser son "film malade", son "grand film incompris". Il a donc choisi de nous livrer ce petit film de merde, entre deux succès. Quelle audace. Ses plus ardents défenseurs ne l'ont hélas pas suivi. Enemy est tout simplement imbitable. Même les fans hardcore de Denis Villeneuve, apparus en nombre après l'arnaque Premier Contact, ne viennent pas nous raconter qu'il s'agit d'un film à reconsidérer de toute urgence. Même eux ! Les plus farouches groupies de Jake Gyllenhaal n'ont pas tenu un quart d'heure devant cette horreur où leur idole apparaît en deux exemplaires, orné d'une belle barbe et vêtu d'un blouson de cuir du meilleur effet. Pour ne rien gâcher à ce cauchemar total, sachez qu'on croise là-dedans le fantôme de Mélanie Laurent, baragouinant des dialogues abscons dans un anglais terrible.


Une fois le film terminé, voici comment mon acolyte Rémi m'a récupéré.

Ce film est sorti le 13ème jour de la 13ème semaine du 13ème mois de l'année, en 2013, année maudite. Déambulations sans queue ni tête dans les méandres du cerveau torturé d'un acteur à la dérive. Enemy se veut intello, psychologique, philosophique, cérébral, méta-discursif. Il n'est au final qu'une soirée brisée en mille morceaux. Enemy porte bien son titre et m'a littéralement mis en PLS (cf. les deux schémas qui illustrent mon article). J'ai voulu sauver ma peau. La dernière scène du film, qui nous montre une espèce d'araignée géante marchant sur la ville, finit de nous achever. Cette image que Villeneuve doit espérer très marquante et qu'il laisse là en guise de "food for thoughts" ridicule, comme si nous allions nous arracher les cheveux à comprendre son sens, achève simplement de nous exaspérer. Quand, en 2049, nous vivrons dans un monde encore plus dégénéré qu'aujourd'hui, les Cinémathèques encore existantes oublieront volontairement de programmer Enemy lors des rétrospectives consacrées à l'oeuvre de Denis Villeneuve. On les en remerciera. Un monde où les films de Denis Villeneuve font systématiquement le buzz est à mon avis un bien triste monde.


Enemy de Denis Villeneuve avec Jake Gyllenhaal et Mélanie Laurent (2013)

Le Fantôme de Cat Dancing

$
0
0
Film peu connu de Richard C. Sarafian, The Man who Loved Cat Dancing est un western mais avant tout, comme son titre original le dit bien, un "film d'amour". La scène d'introduction nous plonge pourtant en plein dans le genre attendu, avec tous ses codes. Nous assistons au braquage d'un train de la malle-poste par une bande de malfrats, mais cette attaque a un témoin inattendu : Catherine Croker (Sarah Miles), une femme toute en toilette arpentant le désert seule, à cheval et sous un parapluie. Tombée au mauvais endroit au mauvais moment, la dame est aussitôt enlevée par les braqueurs, mais pourra compter sur Jay Grobart (Burt Reynolds), le chef de la troupe, pour la protéger de ses gros porcs d'acolytes qui la convoitent, et puis, par la même occasion, pour l'aider à échapper à un mariage calamiteux avec Willard Crocker (George Hamilton), un abruti machiste qui aura tôt fait de rejoindre le shérif et ses hommes à la poursuite de la joyeuse bande de fugitifs, moins pour retrouver sa femme, qu'il prévoit de battre sitôt qu'il l'aura reconquise, que pour faire tâter de son beau fusil rutilant aux ravisseurs.





Mais la scène d'introduction est peut-être la seule à s'inscrire à toute force dans les codes génériques du western. Le reste du film, auquel on peut reprocher une certaine longueur (je ne lui reproche rien), se concentre sur l'évolution des rapports entre les personnages, et notamment le rapprochement entre Jay et Catherine, personnages que Sarafian parvient à nous rendre très proches, qui se dessinent peu à peu sous nos yeux et tissent des liens émouvants. C'est d'ailleurs l'autre force de Sarafian avec ce film : tourner des scènes que l'on n'est pas prêt d'oublier.





Nous pensons par exemple à cette séquence où deux membres du gang, Dawes (Jack Warden, qui retrouve au casting Lee J. Cobb seize ans après 12 hommes en colère, ce dernier interprétant ici non pas le salaud de l'affaire, une fois n'est pas coutume, mais le shérif Lapchance, assez désabusé) et le jeune Billy (Bo Hopkins) se querellent, et où le premier finit par marteler le dos de son camarade de coups de poings, provoquant une longue agonie. Ou encore ce moment, à part dans le film, et génialement mis en scène, où les gars de la bande, réfugiés dans une cabane au sein d'un ancien campement de mineurs déserté, près d'un cours d'eau sombre et sous la lumière pâle de la lune, sont attaqués par des indiens, le tout s'achevant très vite dans un bain de sang silencieux.





La fin du film peut paraître un rien angélique, avec la visite du camp indien où Jay renoue avec son passé (Christine s'est peu à peu, et tout au long de leur périple, mutée en fantôme de son ancienne épouse indienne, à force de tresses et de visage foncé par un maquillage de terre), puis la résolution, à flanc de montagne enneigée, mais elle a le mérite de détonner et de finalement surprendre vis-à-vis des westerns crépusculaires (et autres films, de traque ou non), du Nouvel Hollywood. Cette histoire d'amour heureuse, mise en musique par John Williams, dépasse le genre et les attendus de son époque, et l'on se rappellera avec le sourire les répliques sèches et maladroites du taiseux Burt Reynolds, et le visage tartiné de boue d'une Sarah Miles s'aspergeant torse nu au bord de la rivière, définitivement débarrassée de son parapluie, de ses tenues guindées et de son corset marital, regagnant sa liberté de femme le fusil à la main.


Le Fantôme de Cat Dancing de Richard C. Sarafian avec Burt Reynolds, Sarah Miles, Jack Warden, Lee J. Cobb, George Hamilton et Bo Hopkins (1973)

Detroit

$
0
0
Depuis plus de 10 ans maintenant, Kathy Bigelow filme avec une acuité sans pareille et sans commune mesure tous les plus grands événements qui ont façonné notre société actuelle. Avec son dernier bébé, laconiquement prénommé Detroit, la réalisatrice-scénariste et productrice s'impose, de façon autoritaire et autonome, comme la plus fine observatrice de la géopolitique de son propre pays. Elle fait partie, avec NWR et Damian Chapelle, des cinéaste-clés pour comprendre le monde d'aujourd'hui et donc celui de demain.

Cinq longues années après la sortie surprenante de son chef d'oeuvre Zero Dark Thirsty qui revenait sur une arrestation significative et terriblement d'actualité, cela serait un beau pléonasme d'affirmer, bras dessus bras dessous, que le nouveau long métrage de la cinéaste originaire de San Carlos (Californie) était attendu au tournant. A l'heure des fake news et de l'infostanée, la réalisatrice a mis pas moins de cinq printemps à modeler un projet qu'elle mûrissait en secret depuis longue date. Précisons aussi que le développement hell n'a pas été facilité par l'administration Trump : on peut déjà parier que le énième Président des Etats-Unis ne manquera pas d'adresser un tweet assassin (et sexiste) à l'auteure lors de l'avant-première du film au Texas. On s'en réjouit d'avance... Mais nous nous concentrerons ici plutôt sur le volet cinéma de l'oeuvre, notre objet d'étude sur ce site spécialisé. 




Quand Zero Dark Thirsty levait le voile sur les méthodes de la marine américaine pour mener à bien une arrestation de nuit sur un terrain étranger (caméra infrarouge, casque renforcé, chaussures de marche, binoculaires haute précision, talkie-walkie longue portée, abnégation, reconnaissance du terrain vague, travail d'équipe), Détroit choisit de nous narrer des affrontements de rue lambda dans la jungle d'une mégapole urbaine et s'intéresse aux tentatives de coercitions engagées par les forces de l'ordre. Mais K-19 Bigelow, alias "the Special K", que nous avons eu la chance d'interviewer durant les premiers jours du tournage (en 2012, aux heures dorées de ce blog, loin, bien loin de nos aléas financiers actuels), nous a affirmé - en français dans le texte - n'être au courant de rien : si son film partage des similitudes avec des événements réels s'étant produits dans le Midwest des Etats-Unis, ça n'était pas dans ses intentions initiales. C'est sur le tournage que le film a véritablement pris forme et s'est peu à peu transformé en une chronique poignante et sans concession d'une bien triste page de l'histoire nord-américaine. Un drame social complexe, dont on découvre, stupéfait, tous les tenants et aboutissants. La cinéaste et scénariste, qui vit le jour en autarcie, loin de la capitale du Michigan et bien longtemps après les faits, s'est progressivement rendu compte qu'elle était la mieux placée pour nous livrer un récit objectif et sans bavure - si on peut se permettre - de ces événements terribles qui marquèrent le monde entier. Après vision sur grand écran du résultat, nous ne trouvons qu'une seule chose à dire : yes she can's... 




En 1967, toutes les caméras internationales étaient braquées sur la ville reine de l'industrie automobile et c'est avec une délicatesse quasi féline que Kathryn Bigelow s'est immiscée par un trou de souris, l'air de rien et presque par hasard, au cœur du conflit, pour mieux nous le dépeindre à chaud, près de 50 ans après les faits. Big Bigelow interroge a posteriori le passé pour mieux réinventer le futur. Il faut en effet avoir vécu dans une bulle pour ne pas savoir que les émeutes de Détroit sont plus que jamais d'actualité et résonnent tristement dans notre quotidien, à l'heure où les exactions policières font hélas la une de tous les journaux. Le film de Bigelow apparaît comme un véritable coup de balai dans la fourmilière... Elle semble s'étonner à chaque instant de son propre talent, et nous avec elle. Elle s'impose pourtant comme le plus grand homme politique du moment. Oui, vous avez bien lu : "homme", mais avec un grand F... Son film est à la fois le travail passionné d'un reporter aux aguets et l'oeuvre survoltée d'une d'artiste surdouée. Henri Cartier-Bresson meets Pabulo Picasso dans les ruelles étroites et bouillonnantes de la ville tentaculaire de la côte Ouest. Nous n'en sommes pas ressortis indemnes... 




Tel le détroit de Gilbraltar, Détroit de Bigelow décide de nous montrer la partie immergée (ou émergée, selon de quel côté de l'Atlantique on se trouve) de cet iceberg à la dérive qu'est la société américaine. Face à un spectacle si désolant, nous sommes tout simplement sur notre séant et ce pendant 2h30 (280 minutes). À la fin de la séance, on se demande si ça n'est pas la première fois que l'on est aussi longtemps resté assis. Il est utile de préciser que notre salle de projection privée dispose d'un distributeur automatique de M&M's et d'un micro-ondes, il n'est donc pas rare que nous nous levions en cours de séance pour satisfaire des besoins bien naturels. Si le très long métrage de la réalisatrice de Démineursnous donne de nouveau envie de se révolter face aux injustices, il n'oublie pas toutefois de nous faire rire (je repense ici à cette scène déjà culte où le lieutenant en charge des opérations demande les clés du véhicule à son collègue alors qu'il les a dans la poche de son propre pantalon). Bigelow filme avec une caméra, sans se soucier de ce qu'il y a derrière elle, en ne s'intéressant qu'à ce qu'il y a devant.




Le charme de K8, unanimement reconnue comme une très belle femme dans les corridors d'Hollywood, et bien qu'elle soit toujours située derrière l'objectif, suinte littéralement à l'écran. Des anachronismes étonnants (on relève la présence de smartphones, de smartbox, de smarties, de smarts) parasitent le film, comme pour mieux nous rappeler que ces émeutes pourraient encore survenir à tout moment. A la manière de Sofia Coppola dans Marie-Antoinette, Détroit nous met ainsi face à nos contradictions, dans une position loin d'être tout à fait confortable. Il nous montre une époque que l'on croyait révolue pour mieux nous en faire douter. Il nous rappelle de rester vigilant afin que des accidents d'un tel genre ne puissent pas se reproduire. Un double effet kiss cool que John Woo n'aurait pas renié... Bigelow, qui a autorisé ses acteurs à l'appeler Totoro-san pendant le tournage, a encore choisi un casting d'exception fait d'inconnus et de grands brûlés. On applaudit la démarche. Le résultat est une véritable réussite quand on sait que certains acteurs étaient souffrants pendant le tournage (on remercie le tweetos @HerbeDeBison pour cet éclairage sur notre fil twitter), certains n'ayant pas survécu aux directives de leur patronne. 




Si le chômage a augmenté de 1% en juillet, l'activité de Bigorneau n'a, quant à elle, guère cessé, bien au contraire. La promotion du film bat son plein et l'auteure en est la chef d'orchestre en sous-sol. Malgré ce que le titre équivoque laisse à penser, et d'après une stratégie bien rodée par les Star Wars, c'est bien le premier film d'une trilogie antéchronologique que nous propose Katherine Bigelow. Une saga qui, à coup sûr, marquera nos rétines à tout jamais et nous attendons les quatre prochains volets de pied ferme. L'ancienne concubine de James Cameron est aujourd'hui sur tous les fronts, poing levé, afin de faire passer son message, celui-là même que son film véhicule avec force et fracas, sans oublier de nous divertir. N'y allons pas par quatre chemins : Détroit est un film qui vous laissera KO, chancelant, à l'agonie sur votre fauteuil, après avoir reçu un coup fatal en plein cœur, sur la tempe. La gueule écumante de bave, l'estomac plein jusqu'aux pieds, l’œil au beurre noir, on en redemande. Katherine Bigelow a su réaliser un film coup de pied - caméra au poing - dans la ruche fourmillante de la cité du Midwest. C'est du cinéma qui nous prend aux tripes sans manquer de nous amuser et de mettre nos neurones en ébullition. En d'autres termes : du très très grand cinéma. Bigelow, dont le dernier mail nous informe qu'elle n'a pas obtenu le final cut, se dit tout de même "assez satisfaite" ("quite disatisfied") du travail accompli. "Rendez vous à la Mostra de Berlin" nous dit-elle en guise d'adieu. La Palme l'y attend bien au chaud... Ce détroit s'impose comme un nouveau sommet (sic !) de cinéma en plein air.


Detroit de Kathryn Bigelow avec John Boyega, Jack Reynor, Will Poulter et John Krasinski (2017)

Zero Dark Thirty

$
0
0
A l'occasion de la sortie exceptionnelle de Detroit, nous avons l'honneur d'accueillir Eric Hilbert, professeur de cinéma émérite à l'Université Blois 4 et éminent spécialiste du cinéma d'action américain des années 2010. Il est l'auteur de la remarquable thèse Le cinéma américain d'action des années 2010 : étude sur le cinéma d'action américain des années 2010 parue fin décembre 2010 et dont nous vous recommandons chaudement la lecture. Il revient pour nous sur Zero Dark Thirty, précédent métrage de Kathryn Bigelow : l'un des titres les plus importants du cinéma US du XXIème siècle, une oeuvre que l'on ne pouvait pas se permettre d'ignorer plus longtemps sur notre blog consacré au meilleur du 7ème Art. Dr Eric Hilbert est accompagné pour cet article par son étudiant, Pierre-Hugo Mouskevitch, actuellement en stand-by, et dont la thèse consacrée au cinéma d'action américain des années 2020 devraient être défendue dans les prochains mois/années. Voici leur contribution :





Alors que le susnommé Zero Dark Thirsty va bientôt souffler sa sixième bougie, soit l'âge de raison et le temps de recul nécessaire pour juger convenablement d'une oeuvre d'art, nous pouvons désormais établir un bilan honnête et nous mettre d'accord sur les apports concrets de ce film fleuve. Il faut tout d'abord replacer le contexte historique dans lequel le film est sorti. En 2013, le cinématographe n'en est qu'à ses balbutiements, l'art ayant tout juste fêté ses 117 ans. Si des œuvres messianiques (Strange Days) ont pu annoncer le virage à 380° pris par Mme. la réalisatrice Katherine Gerthrud Bigelow (Hilbert et al., Jour. Ciné. Contemp. 11, 2010), le renouveau impulsé par ce film fait date, en l’occurrence 2013, et a lancé une nouvelle vague, suivie d'embruns capricieux, l'exemple le plus marquant étant la trilogie Batmande Mr. Christopher Nolan [1,2,3]. Évacuons dans un premier temps un des aspects les plus triviaux de ce corpus, surtout pour le spectateur averti de 2017 : Mme Katherine Bigelow a eu le mérite de relancer pour de bon la carrière de Jessica Chastain, la plus belle actrice de sa génération (Hilbert, Pla. Boy. Cine. Mag 11, 2010).Zero Dark Thirsty s'impose pour les spécialistes (Hatterford, Munchkin, Hopper) comme le premier long-métrage sur pellicule à oser mettre en vedette une actrice rousse, adressant ainsi un joli pied-de-nez aux trop nombreux détracteurs de cette population si souvent marginalisée et pourtant affable (sur laquelle la réalisatrice consacre son film Point Break). Le photogramme numéro 1 montre que Mme. Bigelow, K., traînant son courage en bandoulière, cherche à se rapprocher de la démarche choisie par le regretté et grand (près de 2m au garot) George A. Romero dans son classique La Nuit des Morts Vivants où un homme noir affrontait vaillamment des hordes de zombies avant d'être sommairement tué par la police.




S'il fut un véritable coup de tonnerre, dont les déflagrations se font encore aujourd'hui ressentir dans tous les studios hollywoodiens (New York Time du 10 octobre 2010), Zero Dark Thirsty apparaît comme le film définitif sur l'armée américaine et ses pratiques "borderline" (en français dans le texte). Le film est une mine de renseignements pour ceux qui souhaitent comprendre la mécanique intrinsèque et extrinsèque des agences de renseignements américaines (De la mécanique intrinsèque et extrinsèque des agences de renseignements américaines dans Zero Dark Thirsty, Hatterford et al., Mad. Mov. 11, 2010) . Armée d'une équipe de spécialistes expérimentés et d'anciens employés du CIA à la retraite, Miss. Bigelow ne laisse aucun détail au placard et nous montre même l'indicible (photogramme 2). La technique d’interrogatoire renforcée (enhanced interrogation technique) nous est dépeinte sans détour (photogrammes 3 à 5 - censurés par blogspot ndlr). A contre-courant des intentions décrites dans les pamphlets de certains collègues (De l'abjection de la bigleuse, Kettlemans, Cah. du. Cin. 11, 2010), Miss Katherine ne s'affiche pas comme une pro-torture mais préfère adopter une position plus nuancée. Certes, les simulacres de noyade (waterboarding en anglais) ont permis de débloquer bien des situations et Katherine avoue même pratiquer cette technique dans son foyer, mais elle s'affaire également à nous montrer les dangers de cet acte pour la personne qui le pratique (éclaboussures d'eau, brûlures...) (lire à cet effet son interview dans le Washington Post du 10 octobre 2010).




Au-delà de ces considérations idéologiques qui ont fait les choux gras de la presse de l'époque et France Football, Zero Dark Thirsty se présente comme un modèle de technicité. La maïeutique de Miss K.G.B. fonctionne à plein régime dans tous les aspects diégétiques et extradiégétiques de son oeuvre crépusculaire, pour faire simple. La majeure partie de l'action se déroule en effet à la tombée du jour (photogramme 6) et nous perdons la notion du temps devant ce métrage long, sombre, moite et violent. Les ellipses répétées que Kate, passée maîtresse dans l'art de raconter, glisse ça et là dans son récit participent à nous mener en bateau, à nous faire perdre toute notion du bien et du mal. Elle nous propose un témoignage aride, sec, dénué de tout élément superflu. Kathy parle le vernaculaire du grand cinéma des années 10, et un visionnage de la bande photo-imprimée sans le son permet d'en cerner toute la grandeur visuelle (extraits disponibles sur youtube).




Dans le même temps, Katoche nous livre un petit précis sur la vie de l'armée américain hors sol. S'inspirant des plus grands documentaires de la période naturaliste du cinéma scandinave de l'âge d'or, la stankhanoviste de la grande toile blanche n'oublie aucun élément du quotidien des soldats envoyés combattre loin de chez eux. Quelques arrêts sur image nous révéleront même jusqu'à leurs habitudes alimentaires ! On découvre alors que les militaires sont soumis au même régime que les sportifs de haut niveau : viande blanche et féculents à tous les repas, sous la forme de pâtes pour chien semi-complètes (Diets in Bigelow's Movies, Cine. Indep. Jour. 11, 2010). Alors que son titre fait référence à une opération d'arrestation classique, auxquelles les 45 dernières minutes sont pleinement consacrées en quasi temps réel, le 8ème long métrage de Catsou (officieusement, le 9ème) en profite pour tirer à boulets rouge sur le tout venant. La maman de Zero Dark Thirteen continue son sans faute : 8 films, 8 faits historiques dûment traités, même 0DT est plutôt inscrit dans la protohistoire, dans l'anodin, dans le vaille que vaille (Hilbert, ibid). Si ça n'est pas aux vieux singes que nous apprendrons un jour à faire la grimace, ça n'est pas non plus à Kamille que l'on apprendra que le récit d'une simple anecdote s'avère plus révélateur que bien des fresques historiques...




Techniquement surdouée, la maître des perspectives et des longues focales propose un véritable abécédaire des plus audacieuses techniques cinématographiques du moment, systématiquement mises au service de sa narration (Hilbert, ibid). Se tenant toujours à distance des personnages ambigus qu'elle filme avec tendresse et sans toutefois condamner leurs exactions, l'enchaînement des champs contre-champs à un rythme vertigineux plonge l'auditoire et le spectatoire au cœur de l'action, dans les ténèbres. Les scènes de tortures sont parmi les plus insoutenables vues à l'écran depuis Belle Lurette (1995) et invitent tous les réalisateurs de torture porn et de pacotille, à commencer par Monsieur Eli Roth, à aller se rhabiller en vitesse (il s'agira ici de ma seule remarque abdominem, mais il m'a saoulé avec ses films).




Notons, pour finir, que l'on retrouve aussi dans Zero Dark Thirsty les touches d'humour discrètes chères à l'auteure de Point Break et d'Aux Frontières de l'aube (deux autres classiques instantanés, dont j'invite le lecteur consciencieux à faire l’expérience). Nourrie aux slapsticks dès sa plus tendre enfance et connaissant les classiques de l'humour noir sur le bout des doigts, la Beagle ponctue son oeuvre de clins d’œil délicieux adressés à Franquin et Gotlib (Spirou, 2010). Des répliques cinglantes de soldats à cran et des gags grotesques dignes des plus belles heures du duo Laurel et Hardy jalonnent son récit, comme pour mieux nous faire respirer entre deux séquences chocs. Le moment préféré de l'auteur de ces lignes est surement celui où l'agent tout terrain Pointerclass Dan (Jason Clarke) demande un clope à son acolyte, le lieutenant sous-colonel Hassan Ghoul (Homayoun Ershadi), et que ce dernier lui tend une cigarette au chocolat pour l'inviter à stopper sa consommation de nicotine... Beau et indispensable moment de tendresse dans un film qui s'apparente davantage à un océan de rancœur qui explore les plus bas tréfonds de l'âme humaine. La chute terrible dans les escaliers du pauvre Abu Ahmed, volontairement poussé par un soldat zélé, est aussi un grand moment d'humour, un calembour visuel qui ravira petits et grands, faisant directement référence à Tex Avery (Hartmann C., "L'humour comme ultime sacrement : Katherine Bigelow", Résidences Universitaires Polytechniques, 2010)




Lors d'une masterclass mémorable donnée à Blois face à un spectatoire médusé, Katsouni avait insisté sur l'importance historique des films d'histoire. Son oeuvre personnelle inscrit la cinéaste dans la droite lignée des plus grands noms du genre. KB9 appartient maintenant à la famille des Eisenstein, Dreyer, Riefenstahl et, plus récemment, Stone, dont elle perpétue respectueusement la tradition. Son objectif est de témoigner modestement sur son époque tout en égratignant ses semblables et en dénonçant les inégalités sous-jacentes de la société occidentale. Pour faire une comparaison à la culture populaire et rendre mon discours plus accessible, je dirais que si ma Kathie n'est pas la Neymar du cinéma américain, elle en est assurément la Amandine Henry : pas la plus médiatique, pas la plus douée, mais plusieurs poumons et une ténacité sans pareil. Son Zero Dark Thirsty est un séisme qui a provoqué un raz de marée dans les salles outre-atlantiques, toujours fermées pour cause de dégâts des eaux (The Trafalgar Square, 10 octobre 2010).


Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow avec Jessica Chastain, Jason Clarke et Joel Edgerton (2013)

Les Trois visages de la peur

$
0
0
Ceux qui ont vendu ce film ont cru bon d'essayer de bananer l'amateur de littérature en le présentant comme l'adaptation par Mario Bava de trois immenses écrivains : Maupassant, Toltstoï et Tchekhov. En vérité, le fragment soi-disant tiré de Maupassant est dû à un certain F.G. Snyder, le deuxième est inspiré d'un texte d'Aleksei Tolstoï, et non de Léon, et le dernier vient du dénommé Ivan Chekhov, à ne pas confondre avec le célèbre écrivain russe Albert Tchekhov, auteur de La Cerisaie, le livre culte sur la cerise, jamais égalé. C'est d'autant plus idiot que le film n'a pas vraiment besoin qu'on lui invente un haut patronage pour plaire à ses ouailles. Loin s'en faut. A condition d'aimer les films d'horreur à sketches (façon Creepshow), a fortiori quand ils sont inspirés, quand les fragments se valent en qualité, et quand l'intro et la conclusion sont prises en charge par Boris Karloff en personne, qui intervient par ailleurs dans le second volet.





Le deuxième épisode, justement, est peut-être celui que j'aime le moins. Il bénéficie pourtant d'un beau titre, "Les Wurdalaks", autre nom des vampires, soit la menace qui pèse sur une petite famille campagnarde au fin fond de la Russie. L'atmosphère qui se dégage des décors, poussée par le visage vampirique inimitable de Karloff et par le rythme lent (il ne s'agit que de savoir qui, parmi les membres de la famille, est déjà ou n'est pas encore un Wurdalak) est plaisante, mais le segment patine un peu et finit par s'essouffler sans vraiment faire frissonner.





Je lui préfère la première partie, "Le téléphone", tourné plus de quinze ans avant Terreur sur la ligne, un pré-Scream où Drew Barrymore est remplacée par Michelle Mercier, Angélique Marquise des anges, qui rentre d'une soirée, se change et reçoit un coup de téléphone étrange : personne au bout du fil. Mais le téléphone n'arrête plus de sonner, jusqu'à ce qu'une voix inquiétante lui décrive ses moindres faits et gestes en temps réel et l'informe qu'elle veut la tuer. Le segment se concentre sur ce harcèlement en huis-clos, très finement mis en scène (notre regard est guidé vers chaque coin de la pièce, chaque volet clos, chaque ombre), pour tendre in fine vers le giallo, quand l'amie de la victime, cruelle à souhait, la rejoint chez elle pour la soi-disant soutenir et que le piège se retourne contre celui qui l'avait tendu.





Le dernier fragment, "La goutte d'eau", vaut le coup d'oeil lui aussi, et s'avère meilleur même, dans une veine plus polanskienne (on pense parfois au Locataire), qui suit une infirmière (excellente Jacqueline Pierreux) convoquée au chevet d'une bourgeoise fraîchement morte d'une crise cardiaque lors d'une séance de spiritisme, pour lui refaire une beauté en vue des futures obsèques. Il faut dire que la morte affiche une mine pas franchement rassurante sur son lit de mort. Le genre de mine qui ne donne pas tant que ça envie de dérober la grosse bague vissée à son doigt. C'est pourtant la sale idée qu'a l'infirmière, et mal lui en prendra. De retour chez elle, l'appartement est comme hanté, et Mario Bava s'en donne à cœur joie sur les effets sonores crispants (le titre  de l'épisode l'annonçait) pour nous captiver jusqu'au dénouement en forme de chute grinçante, très efficace, et plutôt ironique. L'épilogue ne l'est pas moins, avec Boris Karloff, cabotin, venant nous dire au revoir, et la caméra de Bava qui, dans un travelling arrière, révèle toute la grossière supercherie du 7ème art, donnant à son acteur de vagues airs d'Anton Walbrook, le meneur de jeu manipulant La Ronde des personnages d'Ophuls, sans se faire prier pour révéler avec malice l'envers du décor.


Les Trois visages de la peur de Mario Bava avec Michelle Mercier, Boris Karloff et Jacqueline Pierreux (1963)

Phenomena

$
0
0
Rétrospectivement, on peut dire que la carrière de Jennifer Connelly a pas mal déraillé. Elle avait pourtant bien débuté. Sans parler de son apparition (dans tous les sens du terme) déjà mémorable dans l’ultime film de Sergio Leone, Il était une fois en Amérique, l’actrice américaine crevait l’écran dans le premier rôle du Phenomena de Dario Argento. Avec son visage de jeune fille modèle et ses improbables sourcils de sibylle envoûteuse, la juvénile Jennifer incarne alors la fille d’un grand acteur américain expatriée en Suisse, près de Zurich, dans un internat de demoiselles. Mais son personnage, également prénommé Jennifer, est aussi gravement somnambule, et pourrait en outre s’appeler sa majesté des mouches.





Non pas qu’elle soit l’incarnation du diable, mais l’héroïne jouit d’une connexion privilégiée aux insectes, qu’elle comprend et ressent à l’égal de la Nausicaä de Miyazaki, née sur papier en 1984, un an avant l'héroïne d'Argento. Or ce don s’avère particulièrement propice lorsque, non loin de l'internat, un tueur en série extermine des jeunes filles et semble prendre un malin plaisir à laisser pourrir les cadavres pour les côtoyer, favorisant l’apparition de mouches macabres. C’est ainsi que Jennifer s’associe au professeur McGregor (Donald Pleasance), entomologiste, collaborateur de la police criminelle, paraplégique et ami d’une femelle chimpanzé adorable.





Au-delà du scénario, plutôt original mais, paradoxalement, parfois limité (la fin du film notamment laisse un brin songeur, avec l’arrivée de l’enquêteur interprété par Patrick Bauchau puis la résolution ubuesque près du lac), Phenomena est la plupart du temps d’une grande beauté visuelle (et sonore, à condition d’apprécier les morceaux d’Iron Maiden et Motörhead qui déboulent sans prévenir et sans raison particulière en plein milieu d’une lente déambulation sans heurt de Jennifer dans la cabane du présumé assassin). De facture assez classique, pour ne pas dire sobre (à l'image de Ténèbres, le giallo tourné par Argento deux ans plus tôt), le film se compose de plans magnifiques, dépouillés de ces patchworks de néons rouges et bleus, inspirés peut-être par Les Trois visages de la peur de Mario Bava, esthétique baroque qui, poussée à son paroxysme, résume un peu vite la patte Argento, même si elle a de fait contribué à la majesté de quelques unes de ses grandes séquences horrifiques, par exemple dans le superbe Inferno.





Argento compose ici des tableaux harmonieux, pourquoi pas gracieux et lumineux — comme ces plans où Jennifer Connelly arpente la verdoyante campagne suisse en quête du tueur — en tout cas à la frontière entre merveilleux et fantastique, à l'image de ce sublime gros plan sur les yeux à demi-endormis de l'héroïne, ou bien la séquence où elle suit une luciole qui la conduit jusqu’au gant abandonné par sa camarade de chambrée victime du meurtrier, ou encore celle où, persécutée par les pensionnaires de l’internat, elle convoque malgré elle une nuée opaque et bourdonnante d’insectes volants venus la protéger et cernant le bâtiment (Jennifer n’ira pas jusqu’aux représailles de Carrie). L'oscillation entre conte merveilleux et conte d'épouvante s'étire ainsi jusqu'au surgissement tardif de l'horreur pure, et quitte à y aller fort, quand la jeune fille toute de blanc vêtue sombre dans une piscine de cadavres en putréfaction. Comme souvent avec Argento, c’est le contraste qui compte, le chavirement de la pureté présumée, sa plongée dans les entrailles du sordide, dans un film qui vaut finalement moins pour ce qu’il raconte que pour les saisissantes scènes de contes horrifiques qu'il donne à voir et à entendre.


Phenomena de Dario Argento avec Jennifer Connelly, Donald Pleasance et Patrick Bauchau (1985)

Dementia 13

$
0
0
Tourné en Irlande et en 1963 par Francis Ford Coppola, avec les restes du budget et du casting d'une production Corman (The Young Racers, sur lequel Coppola était assistant), Dementia 13 est un film d'horreur sans grande prétention mais plutôt sympathique, qui commence sur une barque, en pleine nuit, où se dispute un couple qui se déteste. L'homme, Richard, signifie à sa femme, Louise, qu'elle est vénale et n'aura rien de sa fortune quand il mourra. Manque de bol pour lui, il casse sa pipe une minute après : arrêt cardiaque. Faute de pouvoir le sauver, son épouse le balance par-dessus bord et fait croire à son départ en voyage d'affaires pour se rendre dans sa belle-famille et obtenir une modification du testament de feu son mari. Manque de bol pour elle, Louise débarque chez la belle-mère et les beaux-frères au beau milieu d'un week-end dédié à la commémoration du décès de la petite sœur, morte enfant, noyée dans le lac près du château familial.




Le film fait penser, par différents aspects, à quelques fleurons du genre, du Couteau dans l'eau de Polanski aux Innocents de Jack Clayton en passant par le génial Bunny Lake a disparu d'Otto Preminger, mais il est surtout intéressant dans ce qu'il contient, en germes, du drame très hugolien au cœur de Twixt : la mort par noyade de la fille innocente, puis la culpabilité et le traumatisme de ses parents. Ce quasi premier véritable film signé Coppola est donc peut-être plus pertinent qu'il n'y paraît dans la carrière de son auteur. Au-delà de ce lien thématique fort, on peut constater quelques constantes entre ces deux œuvres séparées par presque 50 ans, notamment le fait qu'au même titre que Twixt, l'inaugural Dementia 13 est porté par des figures féminines particulièrement intéressantes là où les hommes sont plus grossiers et grotesques qu'autre chose. 




La mère éplorée, visage fermé, traumatisée par la disparition prématurée de sa petite fille. Louise et ses airs malicieux, incarnée par une Luana Anders aux yeux mutins, au nez retroussé et au menton décidé, qui porte le film jusqu'à son mitan (pauvre d'elle...), avant que le flambeau ne soit repris, étrangement, par Mary Mitchell, qui prête ses traits à la jeune compagne d'un des frères, personnage a priori plus en retrait et plus faible mais qui l'emporte tout de même quand elle est la dernière femme encore sur pieds du récit, outre bien sûr l'enfant, la petite fille du lac, qui brille par son absence et dont les apparitions sont horriblement belles, jusqu'à ce que l'horrible tout court ne la regagne dans un grand coup de hache final d'une violence accablante.


Dementia 13 de Francis Ford Coppola avec Luana Anders, William Campbell, Bart Patton et Mary Mitchell (1963)

Solaris

$
0
0
Entre deux braquages de Danny Ocean, Steven Soderbergh et George Clooney ont tourné ensemble ce film de science-fiction que tout le monde a plus ou moins oublié aujourd'hui. Prudent, Soderbergh s'est très tôt défendu de réaliser un remake du film d'Andreï Tarkovski, préférant présenter son Solaris comme une nouvelle adaptation du chef d’œuvre de Stanislas Lem. Je n'ai pas encore vu le film de Tarkovski, ça ne saurait tarder, mais j'ai lu le bouquin de Lem. Inutile de dire qu'il vaut mieux tout oublier du livre avant de se lancer dans cette adaptation que Soderbergh a vendue comme étant plus fidèle que celle de Tarkovski. Mon petit doigt m'affirme pourtant que l’œuvre de Tarkovski doit partager infiniment plus de points communs avec ce classique de la littérature de SF, notamment dans l'effet d'envoûtement produit sur le lecteur/spectateur, que la version de Soderbergh, d'une indigence et d'une pauvreté effarantes.




Un très pâle George Clooney est donc appelé au secours sur la station orbitant autour de la mystérieuse planète Solaris. Là-bas, rien ne va plus. Seuls deux guignols supposés analyser la planète sont encore vivants mais restent cloîtrés chacun à leur poste, ne faisant aucunement avancer les études solaristiques. Bien que son premier interlocuteur ne daigne pas l'informer sur les événements étranges qui surviennent à la station, George Clooney va très vite se rendre compte de ce qui cloche. La planète Solaris a le drôle d'effet de matérialiser les pires expériences amoureuses de chacun des personnages. En réalité, surtout celles de George Clooney puisque dès la première nuit passée là-bas, il découvre au petit matin à son chevet la meuf dont il était jadis amoureux et qui lui a pourri l'existence quelques années plus tôt. Une plaie, un nid à emmerdes aux yeux globuleux, pour laquelle Clooney éprouve encore curieusement des sentiments. L'actrice se nomme Natascha McElhone, on ne l'a vue dans rien de notable depuis, tout simplement car elle doit être aussi chiante en vrai qu'à l'écran. C'est en tout cas mon explication et j'y tiens mordicus.




Il doit exister une recette, des ingrédients indispensables pour qu'une histoire d'amour fonctionne au cinéma. Ces ingrédients, je les ignore, mais je sais reconnaître quand ils sont à l'écran, car j'ai un cœur d'artichaut. Steven Soderbergh les ignore totalement lui aussi et ça, c'est plus embêtant... On se fout éperdument des sentiments qu'ont l'air d'éprouver Clooney et McElhone l'un pour l'autre. On n'y croit pas une seconde. Des flashbacks lourdement explicatifs sont là pour nous informer de leur passé, de leur première rencontre jusqu'à leur ultime engueulade. Il s'agit d'autant de saynètes lourdingues à l'impact émotionnel extrêmement superficiel pour ne pas dire tout à fait nul. On voit Clooney cul nu à deux reprises (il n'accepte de se dévêtir que devant la caméra de son ami Steven), mais rien n'y fait. On s'en fiche. Le cinéaste a donc débarrassé le livre de Lem de ses thèmes principaux pour mieux se concentrer sur cette histoire d'amour, et on se demande bien pourquoi étant donné ce qu'il en fait. Leur rencontre est filmée comme une pub Nespresso, l'attitude et le jeu de George Clooney ne faisant rien pour nous défaire de cette désagréable impression. Leurs disputes, en mode "shaky cam", sont des moments pénibles et difficiles à surmonter. A chaque fois, la désinvolture frappante de Steven Soderbergh laisse songeur. Ce type-là tourne plus vite que son ombre et ça se voit...




Les acteurs ne sont pas là pour porter secours au réalisateur sans inspiration. George Clooney, peut-être justement en manque de Nespresso, est plus apathique que jamais. Sa collègue Natascha McElhone a beau rouler des yeux dans tous les sens et disposer d'une tronche originale, elle perd tout son intérêt après 30 secondes à l'écran. Une black dans le rôle d'une chercheuse constamment de mauvais poil incarne le troisième larron de la station, choix important de la part de Soderbergh puisqu'aucune femme n'habite la station dans le bouquin. En offrant ce personnage infréquentable et complètement imbuvable à une femme de couleur, le metteur en scène semble militer contre la discrimination positive. C'est moche. Quant à Jeremy Davies, son jeu tout en mimiques et en langage gestuel est tout bonnement insupportable, on finit par réaliser pourquoi tous ses personnages finissent systématiquement avec une balle entre les deux yeux (ici, il est retrouvé mort via un twist ridicule, tombé du ciel, comme planté là pour sortir le spectateur de sa léthargie, en vain).




Autre point particulièrement regrettable pour qui a lu le bouquin : la planète Solaris se limite ici en une sorte de boulard violacé, traversé d'éclairs bleutés. Le mot "océan" n'est jamais prononcé, pour la fidélité, il faudra donc repasser. Si vous naviguez sur ces pages avec un PC sous Windows, allez donc dans "Mes Documents" puis "Mes Images" puis "Échantillons d'images", c'est là que Bill Gates entrepose quelques .jpeg hideux pour vous dépanner si vous n'avez strictement aucune idée de fonds d'écran. Ces images sans saveur générés par des logiciels sans âmes correspondent assez bien au spectacle que nous offre Solaris selon Soderbergh. C'est pendant ces moments-là qu'on se dit que la science-fiction est un genre cinématographique qui devrait être réservé aux cinéastes les plus doués, les plus à même de nous gratifier d'images marquantes, inoubliables, de nous emporter dans une ambiance irréelle. Steven Soderbergh ne propose qu'ennui et froideur. Son film n'a aucun éclat. A déconseiller donc, surtout à ceux qui n'ont pas lu le livre et que cela pourrait dégoûter à vie. Ceci dit, le talent et l'imagination de l'écrivain sont tels qu'ils chasseront bien vite de vos mémoires les tristes images de cette si morne et plate adaptation.


Solaris de Steven Soderbergh avec George Clooney, Natascha McElhone, Viola Davis, Jeremy Davies et Ulrich Tukur (2002)

Fast & Furious 8

$
0
0
La scène d'introduction est pourtant assez prometteuse. On y découvre un Vin Diesel très en forme se lancer dans une course d'une idiotie absolue à travers les rues de la Havane, risquant sa vie et celle de tous les habitants de la ville, au volant d'un vieux tacot qu'il a pimpé à l'aide d'une canette de coca, tout ça pour sauver une voiture qui finira, comme beaucoup d'autres, par être rendue à la mer. Finalement, le petit malfrat du coin humilié par Vin Diesel (qui remporte une énième course en marche arrière) se résignera à reconnaître son infériorité, et ils se quitteront après une énième accolade virile, le sourire aux lèvres, l'air terriblement bête, une foule de spectateurs en liesse autour d'eux. D'entrée, on a donc du Fast & Furious comme on l'aime : trop con trop bon. Hélas, ça ne dure pas bien longtemps et le film de Félix Gary Gray ne propose que très peu de moments foncièrement débiles de cette trempe. Les fans ironiques de la série seront sûrement déçus.




Car même prise au second, troisième, sixième, millième degré, il devient difficile de prendre vraiment son pied devant un Fast & Furious tant la saga développe tous les travers d'un très mauvais feuilleton, d'un série télé qui n'a que trop duré. On a bien du mal à suivre ces histoires de trahisons, ces retournements de vestes, ces personnages qui disparaissent et reviennent pour camoufler la faiblesse des scénarios et le manque d'intérêt des intrigues. Nous ne comprenons rien aux motivations des uns et des autres tant toutes les scènes explicatives sont vite expédiées pour mieux enchaîner les moments de bravoure too much et les courses-poursuites sans fin sur fond vert. Même les (à peu près) bonnes idées sont réduites à néant par un manque absolue de talent et d'imagination pour les mettre en scène. Je pense ici à cette scène où la grande vilaine incarnée par une fade Charlize Theron, pirate informatique surpuissante, prend le contrôle de toutes les automobiles de Manhattan pour faire régner le chaos dans la ville. Ça aurait pu être sympa mais c'est nul : à l'image, nous voyons simplement des bagnoles numériques faire de sacrés dégâts, entrer en collision, chuter massivement de leurs parkings aériens et s'accumuler les unes sur les autres... Pas jojo...





Charlize Theron campe donc une méchante dont on se fout totalement, au charisme vacillant et qui n'inspire aucune crainte. On ne sait rien et on ne comprend rien de sa vie, de ses objectifs. Seule une scène d'un ridicule à tout rompre nous la montre en train d'affronter, apparemment avec génie, une autre pirate informatique à distance. Cela consiste donc à la voir pianoter à toute vitesse sur un clavier, avec la tête légèrement inclinée et le regard mauvais. J'en suis amené à devoir chercher des synonymes du mot "ridicule" sur internet pour ne pas me répéter... Les scènes d'action pure, qui constituent tout de même 90% du film, sont souvent moches et démontrent une nouvelle fois les limites du tout numérique en terme de cinéma d'action. Quand bien même c'est assez bien fait, on sent clairement comme un manque de matière, on ne ressent aucune impression de risque, de réalité, tout est trop lisse, trop propre, trop clean. On regarde ça affalé dans notre canapé, las et peu concerné, avec plus tard l'envie de revoir les meilleures scènes de poursuite en bagnole de l'Histoire du 7ème Art.




Si le début du film laisse espérer un épisode léger, à l'humour assumé, porté par des acteurs en forme, la suite s'embourbe donc laborieusement et n'honore pas cette promesse. Et bien qu'il s'agisse du deuxième film de la saga à franchir la barre fatidique du milliard de dollars de recettes mondiales, ce Fast & Furious 8 est loin d'arriver à la cheville de l'épisode 5, le seul, à vrai dire, qui tenait à peu près la route. Une nouvelle preuve que la franchise peine à trouver du souffle et à donner du sens à l'étalage de bolides rutilants, de clés de bras, de marteaux-pilons et d'explosions toujours de rigueur, malgré les millions de dollars distribués aux acteurs pour aligner une équipe de choc et pour croquer des scènes d'actions de plus en plus outrancières. On a un peu de peine de retrouver le vieux Kurt Russell dans une telle bouffonnerie, même s'il assure son rôle sans honte, à la différence de Scott Eastwood, qui passe pour le plus gros nigaud d'une bande pourtant bien gratinée. Il faut voir leurs tronches béates quand ils entrent pour la première fois dans un immense garage pleine de bagnoles et autres quatre roues en tous genres, comme des gosses laissés libre dans un magasin de jouets. Ils ont l'air si con !




Même les fans les plus rigolards de la saga auront du mal à trouver leur compte cette fois-ci. Ils devront se contenter de quelques dialogues riches en métaphores animalières très imagées et particulièrement idiots, comme par exemple "Tu as retiré ton pied trop tôt du cou du fauve dont tu croyais t'être débarrassé..." ou "Je suis le crocodile qui surgit du point d'eau pour te faire la peau au moment où tu te crois enfin tranquille..." ou encore "Tu es face au corbeau qui viendra chier sur ta tombe et croasser tout haut pour inviter ses pairs à en fassent autant" ou enfin "Je suis le lézard qui viendra bronzer au soleil sur ta pierre tombale, les doigts de pied en éventail, une bouteille de bière à la main, et qui créer un événement Facebook ouvert à tous ses amis, pour chier et pisser tous ensemble sur ton corps putréfié". Brillant. Dans un autre genre, The Rock et Jason Statham se balancent quelques invectives bien senties, notamment quand le premier annonce au second qu'il aura les dents si profondément enfoncées après avoir reçu ses coups de poing qu'il devra se brosser les dents en passant par le trou de balles... Quelques éclaircis verbaux au milieu d'une brume de médiocrité et d'un festival aussi pétaradant que fatiguant. Deux autres épisodes étant déjà planifiés, nous aurons encore l'occasion de revoir Vin Diesel et sa bande survoler les sphères de la crétinerie totale.


Fast & Furious 8 de F. Gary Gray avec Vin Diesel, Dwayne Johnson, Charlize Theron, Michelle Rodriguez, Jason Statham, Kurt Russell, Scott Eastwood et Nathalie Emmanuel (2017)

Wind River

$
0
0
Le corps d'une jeune fille est retrouvée dans la réserve indienne de Wind River, Wyoming. Cory Lambert (Jeremy Renner), un chasseur connaissant ce vaste territoire enneigé comme sa poche, se met au service de Jane Banner (Elizabeth Olsen), une jeune agente du FBI inexpérimentée, pour enquêter sur le meurtre. Ils devront faire équipe, dans un milieu hostile et délaissé, ravagé par la violence et l’isolement. C'est un nouveau scénario simple, limpide et efficace que nous propose encore Taylor Sheridan, après le déjà remarquable Hell or High Water (Comancheria). Parce qu'il traite d'un sujet, la cause amérindienne, qu'il jugeait trop délicat pour le laisser entre les mains d'un autre, Taylor Sheridan s'est cette fois-ci également chargé de la réalisation. Wind River marque donc son retour derrière la caméra, lui qui n'avait signé qu'un petit film d'horreur méconnu en 2011. Un retour marqué de succès puisque ce thriller gelé a été très chaleureusement accueilli à sa sortie et, pour une fois, les éloges étaient tout ce qu'il y a de plus mérités !




Alors certes, Taylor Sheridan pourrait oser davantage, en tirant notamment mieux partie des décors somptueux du Wyoming, vastes étendues immaculées particulièrement cinégéniques et propices à toutes les inventions. Il pourrait chercher plus franchement à développer une ambiance marquante, en nous faisant plus ressentir l'isolement des personnages, en nous rapprochant de leurs sensations. Mais Taylor Sheridan atteste d'autres qualités, bien rares aujourd'hui et d'autant plus appréciables. Sa mise en scène se révèle à l'image de son écriture : simple et épurée. Il fait preuve d'un véritable talent pour nous raconter son histoire avec efficacité, clarté, concision et sobriété. Il ne s'éparpille pas, se concentre sur l'essentiel et s'intéresse réellement à des personnages qu'il parvient à faire exister sans souci, bien aidé par un duo d'acteurs irréprochables.




Jeremy Renner, que je ne portais pas spécialement dans mon cœur pour sa filmographie trop chargée en blockbusters sans âme, trouve ici son meilleur rôle dans la peau de cet homme introverti et endeuillé. Quant à la belle Elizabeth Olsen, elle est parfaite en agente du FBI sortant de l'école qui se découvre un courage et une assurance insoupçonnés alors qu'elle mène sa toute première enquête. On a aucun mal à s'attacher à ces deux-là, nous les suivons avec plaisir. On se met même presque à espérer les revoir bientôt pour de nouvelles aventures, comme s'ils étaient les héros d'une série de polars teintés de nature writing parus chez Gallmeister auxquels le film fait penser. Taylor Sheridan a également le mérite de ne pas parasiter son scénario d'une romance factice entre les deux vedettes. Celle-ci s'amorce à peine à la toute fin, c'est à dire à un moment où le spectateur s'en acoquine parfaitement, tant le couple a fait preuve jusque là d'une jolie alchimie et que leur rapprochement paraît naturel. 




Wind River se distingue également par une vraie intelligence dans sa construction. Choisissant de ne pas créer un suspense artificiel qu'il n'aurait pas pu tenir bien longtemps, Taylor Sheridan lève le voile sur la mort de la jeune fille de façon assez inattendue, lors d'un flashback idéalement placé. Cette scène adroite et très bien gérée débouche qui plus est par un brutal retour au présent et une fusillade aussi soudaine qu'impressionnante, où les corps ont vite fait de tomber sur la neige. A noter également une apparition saisissante quand, en pleine traque, le chasseur campé par Jeremy Renner tombe sur le terrier de trois couguars majestueux, venant nous rappeler la bassesse des hommes de par leur seule présence tranquille et supérieure. Avec cet excellent film, Taylor Sheridan s'impose donc définitivement comme un auteur à suivre de très près.


Wind River de Taylor Sheridan avec Elizabeth Olsen, Jeremy Renner, Jon Bernthal, Kelsey Chow et Graham Greene (2017)

Péché mortel

$
0
0
On n'entend pas très souvent parler de John M. Stahl. Je n'ai croisé son nom qu'à travers celui de Douglas Sirk, auteur de plusieurs remakes des mélodrames réalisés par son aïeul. Récemment, c'est Voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain, documentaire passionnant, constituant un massive spoiler permanent mais très pratique pour se donner envie de découvrir mille et un films (tout comme son équivalent sur le cinéma italien), qui m'a aiguillé vers Péché mortel, ou, en anglais, Leave Her to Heaven. Ce mélodrame de 1945, tourné dans un sublime technicolor, lorgne vers le film noir grâce à la figure de femme fatale incarnée par la sublime Gene Tierney, au faîte de son talent et de sa beauté, qui incarne ici, signe des temps, le mal absolu.





La séquence révélée in extenso dans son documentaire par un Scorsese peu scrupuleux mais habile, est l'une des plus marquantes du film. Il s'agit de celle où Ellen Berent (Gene Tierney donc) laisse le petit frère hémiplégique de son récent époux, l'écrivain Richard Harland (Cornel Wilde), se noyer sous ses yeux dans les eaux du lac de Back of the Moon, le petit coin de paradis cher à Richard où le couple vient de s'installer. Dans sa robe blanche, avec ses cheveux et ses lunettes noires, ses lèvres et ses ongles rouges, Gene Tierney reste assise dans la barque tandis que le jeune garçon, victime d'une crampe, l'appelle à l'aide, plusieurs fois, se débat, longuement, et sombre. La scène est terrible et la glace dont est faite Ellen, le personnage principal, s'empare de nous tandis que l'enfant cesse de reparaître à la surface dans un silence insupportable. On pourra se consoler en songeant que le jeune garçon, encore assis à quelques encablures de sa divine belle-sœur, soit quelques secondes avant de se mettre à l'eau et d'y rendre l'âme, venait de découvrir les joies bénies de l'érection, conjurant un temps son hémiplégie, et d'offrir un mât providentiel à sa petite embarcation. Malheureusement pour lui, Gene aura attendu que l'adolescent disparaisse sous la flotte pour se mettre en maillot et faire mine de voler à son secours... contrairement à la non moins divine Laura Antonelli, se débarrassant de son deux pièces dans le même genre de barque en présence du jeune Alessandro Momo obligé de lui tourner le dos, dans Péché (non pas mortel mais) Véniel de Salvatore Samperi. Mais revenons-en à notre odieuse héroïne. Le mobile de ce meurtre perpétré sans y toucher ? L'absolue possessivité d'Ellen à l'égard de son mari.





Séquence d'ouverture, hasard diabolique, Ellen était plongée dans la lecture d'un roman de Richard à bord d'un train au moment où son pied a frôlé celui de l'écrivain, qui a le malheur de ressembler au défunt père de la jeune femme, lui-même premier objet de son obsession dévorante. Hitchcock se rappellera probablement de cette scène pour son Inconnu du Nord-Express, à moins que l'on puisse ici typiquement parler de plagiat par anticipation (tel que théorisé par le taquin Pierre Bayard), car c'est en partie grâce à Hitchcock que la séquence de la rencontre opportune entre deux individus se faisant du pied dans un train chez John M. Stahl allume tous les voyants du film noir dans l'esprit du spectateur. Et ce même si les allusions à d'autres genres se multiplient tout au long du film, comme le western, quand Gene Tierney, à cheval dans un décor montagneux du Nouveau-Mexique, répand les cendres de son paternel dans la nature entre deux réunions familiales autour du piano, où sa sœur, Ruth (Jeanne Crain), joue du Chopin (impression que deux bobines se sont collées par accident) ; ou encore le film de procès, avec cette dernière partie au tribunal où Vincent Price débarque en procureur véhément pour faire condamner Richard et la sœur d'Ellen, que cette dernière, dans son délire de jalousie paranoïaque, tente de détruire jusqu'au bout et par tous les moyens.





Mais au gré de ces variations de genre et de ton, le film tout entier tient sur Ellen, ce personnage fascinant, qui finit même par en devenir le scénariste, et qui existe par-delà son absence, comme un cauchemar éternel ou une malédiction. Rien n'est à sauver chez cette sublime créature, prête à tout pour s'accaparer ceux qu'elle aime, et que rien ne retient, ni le meurtre ni sa propre mort. Gene Tierney incarne ici peut-être plus qu'une succube, pourquoi pas le Diable lui-même, qui n'a jamais eu plus fière allure. Une autre séquence glace les sangs, après celle où le jeune Danny se noie sous le regard impassible de la démone : celle où Ellen, enceinte, se laisse tomber dans les escaliers pour supprimer l'enfant qu'elle porte et qui lui apparaît soudain comme un obstacle entre elle et sa proie, son mari. La robe bleue que porte alors Gene Tierney (et nous l'ayons vue aller la choisir dans sa garde-robe, comme le costume idéal pour la grande scène du sacrifice), ainsi que le gros plan opéré par John Stahl sur son pied, quittant son soulier à talon après l'avoir volontairement enfoncé dans un pli de la moquette juste avant de se jeter du premier étage, achève de déplacer insidieusement les effets de la séduction destructrice du personnage depuis le mari malheureux jusque sur nous, pauvres spectateurs.


Péché mortel de John M. Stahl avec Gene Tierney, Cornel Wilde, Jeanne Crain et Vincent Price (1946)

Un Jour dans la vie de Billy Lynn

$
0
0
Ang Lee, dont la filmographie ne m'avait jusqu'alors jamais vraiment attiré, vient de me surprendre très agréablement : il a sans doute signé, dans l'indifférence générale, le plus grand film américain sur la guerre en Irak. Une guerre qui, il est vrai, n'avait pas été spécialement gâtée par le septième art, malgré la légendaire réactivité d'Hollywood qui, via des réalisateurs divers et variés, a très vite accouché d'une tripotée de drames intimistes tiédasses (tels The Messenger ou Grace is Gone), de pamphlets engagés lourdingues (comme par exemple Dans la vallée d'Elah de Paul Haggis) ou tout simplement de publicités à peine déguisées au patriotisme insupportable (l'abject Du Sang et des larmes avec Mark Wahlberg, voire l'hagiographie douteuse signée Clint Eastwood de l'American Sniper, Chris Kyle).




Le cinéaste taïwanais expatrié aux Etats-Unis s'est quant à lui emparé du sujet avec une intelligence et une habileté remarquables en choisissant de nous raconter le bref retour aux pays d'un soldat honoré pour avoir porté secours à son sergent lors d'une bataille en Irak. Billy Lynn (Joe Alwyn) et sa bande sont réquisitionnés pour apparaître lors du grand spectacle de la mi-temps du Superbowl où l'héroïsme américain sera glorifié sous les hourras du public, au beau milieu des feux d'artifices et des déhanchements des Destiny's Child. Une journée au programme bien chargé durant laquelle le jeune homme revivra des moments traumatisants vécus en Irak et des scènes familiales, notamment auprès de sa sœur (Kristen Stewart) qui insiste pour qu'il ne reparte pas au front.




Ces différents flashbacks se fondent toujours merveilleusement bien dans le récit, Ang Lee usant d'effets visuels très simples et toujours à-propos. Son film, qui paraît nous raconter une petite parenthèse dans la vie du soldat, ce bref retour glorieux en Amérique, nous raconte donc infiniment plus. Le cinéaste parvient de façon étonnante à traiter de sujets très délicats et lourds (le traumatisme des soldats, la médiatisation et l'instrumentalisation de la guerre par le gouvernement américain, les différentes motivations de cette guerre, les décalages entre la perception des soldats et la vision qu'on vise à donner au peuple, etc), sans jamais épargner ses jeunes personnages, qui prennent réellement vie à l'écran et dans lesquels nous croyons immédiatement. Ça relève presque du miracle !




Billy Lynn a été tourné en 4K, en 3D et en 120 images par secondes par un réalisateur toujours au faite des dernières innovations. Quand on le découvre sur sa télé dans des conditions optimales, ça donne simplement une image très claire, lumineuse, riche en détails, vivante, quasi palpable. Mais c'est évidemment la mise en scène d'Ang Lee qui fait toute la différence et nous plonge avec talent dans cette journée si particulière et ces souvenirs douloureux. Le cinéaste apparaît ici complètement inspiré par son scénario, en pleine possession de ses moyens ; sa mise en scène est maîtrisée de bout en bout, virtuose. Elle accompagne parfaitement son discours et atteste de ce regard d'une rare intelligence et d'une grande acuité qu'il porte sur l'Amérique. Le film est limpide, d'une fluidité exceptionnelle, tout coule naturellement, tout s'enchaîne superbement. Le climax attendu, correspondant à ladite mi-temps très spectaculaire au milieu du stade durant laquelle le soldat revit par bribes l'affrontement en Irak, produit un effet terrible et s'impose facilement comme l'un des plus grands moments de cinéma de l'année.




Les acteurs sont tous irréprochables. Le casting, révélateur d'un savoir-faire digne d'un Spielberg des grands jours, nous propose une réunion savamment dosée d'inconnus projetés au premier plan, de stars en embuscade et de revenants oubliés. Joe Alwyn, pour la première fois au cinéma, est très bien choisi en Billy Lynn. Son visage juvénile et son regard énigmatique parviennent à exprimer toute la complexité et l’ambiguïté des situations qu'il traverse malgré lui. Les fans de Vin Diesel seront ravis de retrouver la vedette musclée dans un rôle de sergent qui lui va comme un gant et dans un film un brin plus malin qu'à l'accoutumée. Kristen Stewart apparaît quant à elle assez peu à l'écran mais ça fait toujours plaisir de la croiser et ce nouveau rôle est encore une preuve de toute son intelligence pour gérer sa carrière avec cohérence et choisir judicieusement dans quoi elle tourne. Du côté des revenants, on retrouve Chris Tucker qui fait sa part du job dans le rôle d'un agent constamment au téléphone, et surtout Steve Martin, à contre-emploi, parfait et glaçant en hommes d'affaire méprisable.




Qu'un tel film ait pu être traité ainsi au moment de sa sortie est d'une tristesse infinie. Qu'il n'ait pas plu outre-Atlantique, là où American Sniper a battu tous les records, est d'une désolante logique, quand bien même les "critiques" (si on peut parler de critiques là-bas, étant donné le niveau...) auraient dû essayer de faire leur possible pour mettre en lumière ce film. Mais il est encore plus dommage qu'en France, le long métrage d'Ang Lee ait seulement pu bénéficier d'une cruelle sortie technique. Il faut dire que le même jour, déboulait en salles le nouveau Dany Boon... Bien heureusement, gageons que le temps saura rendre justice à Ang Lee et remettre son oeuvre à sa vraie place. Car Un Jour dans la vie de Billy Lynn est un grand film, digne de tous les honneurs.


Un Jour dans la vie de Billy Lynn d'Ang Lee avec Joe Alwyn, Garrett Hedlund, Vin Diesel, Steve Martin et Kristen Stewart (2017)

Song to Song

$
0
0
J'ai laissé passer une journée. J'ai vu ce film un beau soir, je suis allé me coucher sans rien dire, tel un zombie, oubliant de faire ma toilette et d'enfiler mon pyjama. J'ai dormi d'un sommeil de plomb, comme assommé, et j'ai passé la journée suivante amorphe et pratiquement muet, en état de choc post-traumatique. Je n'avais jamais rien vu d'aussi ridicule et laid. J'avais pourtant regardé A la Merveille, mais j'avais cru en une amélioration de l'état de santé de Terrence Malick suite aux critiques plus positives inexplicablement obtenues par son dernier film. En réalité, c'est une nouvelle abomination incroyable que nous a encore livrée le vieux cinéaste texan, devenu complètement sénile et gâteux, bégayant un style atroce depuis quelques films et enchaînant les projets à vitesse grand V, comme si sa maladie mentale l'avait rendu inarrêtable. Que la réputation et le statut de Malick devaient être grands pour que celui-ci jouisse encore d'une quelconque crédibilité auprès de quelques cinéphiles ! Certains voient encore en lui un génie, trop en avance sur son temps, et rédigent des textes dignes des fameuses voix off du réalisateur-philosophe, pour défendre passionnément son si triste cinéma. Un phénomène aussi fascinant que terrifiant quand on sait à quoi ressemblent les films en question. Car Song to Song est une horreur sans nom.





J'ai donc laissé passer une journée pour prendre du recul et établir en toute intégrité le constat amiable. Pour mesurer mes propos et rester courtois. Je dois donc le reconnaître : il y a, peut-on dire, une amélioration par rapport aux derniers longs métrages du texan. Song to Song est plus ou moins constitué d'un début et d'une fin, ce qui est appréciable car cela donne des repères aux spectateurs constamment bousculés dans la mélasse ignoble que constitue ce film abject. Autre point positif : les 130 minutes de cette infamie sont ponctuées par des sommets d'humour involontaire, des moments aussi fugaces qu’irrésistibles, à condition de prêter encore attention à ce qui se déroule à l'écran, notre vigilance étant systématiquement mise à rude épreuve. On a effectivement le naturel réflexe d'autodéfense consistant à chercher de l'air pur face à cette si puante chienlit. Ces éclairs comiques sont dus à des acteurs qui n'ont pas toujours l'air de savoir où va se trouver la caméra et qui tirent des tronches pas possibles, avec des regards perdus, surpris ou apeurés lancés à l'objectif, comme s'ils venaient d'éviter, de justesse, de se prendre l'appareil sur le coin du front ! Terrence Malick filme tout le temps de la même façon, constamment en mouvement, flottant dans les airs, tournoyant autour de ses acteurs, dans des angles impossibles, déformant l'image et donc les visages des vedettes. C'est ainsi la première fois que Natalie Portman apparaît presque laide, réduite à un rôle méprisable, dans des tenues de cagoles lamentables.





Ce style Malick, subi depuis The Tree of Life et désormais systématique, est d'une extrême laideur. La fluidité fabriquée des mouvements de caméra incessants s'oppose à l'absence de linéarité du récit, à l'imbrication de souvenirs et de points du vue des différents personnages, soulignés par des phrases grotesques issues d'un esprit forcément dérangé. Comme pour nous plonger dans le flux incessant de la Vie... C'est magnifique. Terrence Malick nous montre toujours la même chose : des (beaux) acteurs se tournant autour au soleil couchant ou dans les herbes hautes, se sautant dessus dans d'immenses villas ou des appartements aux baies vitrées vertigineuses, se courant après et se reniflant presque autour de piscines interminables, etc, si bien que l'on a l'impression que Malick filme des chiens en chaleur ! Devant un si piteux spectacle, je trouvais une échappatoire inespérée en imaginant exactement le même film, mais avec des chiens à la place des comédiens, et je me disais "Ah ouais, ça serait sympa... enfin, lassant à la longue, mais beaucoup plus sympa que ça !". Blague à part, il serait aussi très amusant de voir comment un tel film serait reçu s'il avait été signé par un réalisateur quelconque et que l'on y voyait gesticuler des acteurs aléatoires, pourquoi pas français, à la place de tout ce "beau monde". Je parie qu'il serait carrément lynché, et à raison !





Bien sûr, strictement personne ne ressort grandit d'une telle expérience. Rooney Mara est plus énervante que jamais et, après sa prestation déjà pitoyable dans l'épouvantable A Ghost Story (dont nous vous reparlerons plus en détails à sa sortie), nous commençons à accumuler pas mal de ressentiment à l'égard de cette actrice, qui doit être persuadée de tourner pour la crème de la crème alors qu'elle aligne les pires guignols du moment à son tableau de chasse. Ryan Gosling est tout simplement pitoyable, mais il a aussi l'air d'être celui qui fait le moins d'efforts inutiles, il est le plus naturel en somme, ne se gênant pas pour reprendre à la guitare des morceaux de son propre groupe et assurer son autopromotion. Michael Fassbender est quant à lui au-delà de tout et cette nouvelle performance hors norme nous amène à nous pencher de plus près sur la filmographie de cet acteur vraisemblablement aussi beau qu'idiot : Alien Covenant, Prometheus, Cartel, Assassin's Creed, Le Bonhomme de Neige... où s'arrêtera-t-il ? Rien à dire de plus sur le cas Portman, peu valorisée par l'effet fish eye des cadrages malheureux du sieur Malick et par un rôle de cagole pathétique. Terry Malick ayant tourné dans divers festivals de musique, quelques guests stars font aussi des apparitions : on croise ainsi les fantômes plus ou moins flippants d'Iggy Pop, de Lykke Li, de Patti Smith et d'Holly Hunter.





D'autres instants furtifs s'avèrent d'une grande drôlerie accidentelle, les acteurs semblant encouragés par leur metteur en scène à faire strictement n'importe quoi. Terrence Malick paraît alors se réjouir d'avoir su "capter" un moment rare, d'avoir réussi à saisir à la dérobée un pseudo éclat de vérité, en réalité d'un ridicule insondable. C'est ainsi que nous avons droit aux gamineries horripilantes de Rooney Mara, que l'on a envie d'étrangler, aux acrobaties improvisées surréalistes d'un Michael Fassbender en roues libres, aux baisers furtifs et navrants d'un Ryan Gosling qui profite de l'espace de liberté entretenue par l'ambiance générale de désinvolture et de dévergondage. Il faut vraiment le voir pour le croire. Le résultat à l'image est tout simplement ahurissant de nullité, de ridicule et de laideur. Quand on sait que le commandant en chef de ce foutoir infect a 74 ans, on se dit qu'on ne doit plus aucun respect au 3ème âge et qu'il y a des internements en psychiatrie qui se perdent (on lui propose la même chambre que Ridley Scott ou qu'un autre Terry, Gilliam).





Le pire c'est que c'est le genre de film qui dissuade d'en écrire une critique. On a l'impression de se répéter, de devoir aligner les synonymes de "ridicule" et "laid" (j'en profite pour vous faire croquer ce remarquable dictionnaire créé par l'Université de Caen), que ne ça sert et rime strictement à rien de commenter un tel désastre, surtout quand on sait combien les fans irréductibles du bonhomme sont véhéments, bornés et dans leur monde. Terrence Malick est pourtant bel et bien le plus gros gag de l'histoire du cinéma. Un gag patiemment et savamment construit au fil des ans. Le vieil homme va réussir à me faire abandonner toute espèce d'attachement à son premier et meilleur film, Badlands. J'ai un petit cadre avec l'affiche du film, un de ces cadres amoureusement confectionnés il y a quelques années avec Rémi. Mon acolyte me regardait pourtant d'un mauvais œil lorsque j'y glissais l'affiche du Malick qu'il n'a, lui, jamais pu encadrer, justement. J'ai à présent envie de décrocher cette affiche de chez moi. Je ne peux plus la regarder dignement. Terrence Malick, c'est comme un très vieil ami dont on aurait appris qu'il est un dangereux psychopathe ou qu'il a commis des actes indéfendables. On ne veut plus avoir aucun rapport avec lui. 


Song to Song de Terrence Malick avec Rooney Mara, Michael Fassbender, Ryan Gosling et Natalie Portman (2017)

Glory

$
0
0
Edward Zick est assez doué de ses dix doigts dès qu'il s'agit de plaquer trois accords sur un piano pour amuser la galerie, mais ce n'est pas franchement un génie du kinétoscope. Malheureusement pour le cinéma, art comme industrie, il a préféré faire des films que jouer du clavecin. Néanmoins, je garde une sincère sympathie pour ce film, Glory, qui met en scène le premier régiment de soldats noirs de l'armée de l'Union au cours de la guerre de sécession. Non seulement parce qu'il fallait raconter ça, mais parce qu'il ne le raconte pas si mal, même si Carmina Burnaraà fond les violons sur le finale, l'attaque du fort Sumter, imprenable et demeuré impris (les sudistes y sont toujours), peut paraître un choix quelque peu appuyé. Surtout, on aime ce film pour ses comédiens. Pas forcément Matthew Broderick et Cary Elwes, qui interprètent les deux officiers en charge des recrues noires, mais bel et bien Morgan Freeman, immense ici, comme presque toujours (sauf quand il est dirigé par un pied-tendre comme Nolan).




Morgan Freeman porte mieux que jamais son nom dans le rôle d'un ancien fossoyeur devenu sergent grâce à ses qualités d'homme sage et avisé, de leader naturel. On sait que le Vietnam a reçu plus de bombes sur la face durant la guerre qui l'a opposé aux USA que toute l'Europe durant toute la seconde guerre mondiale. Mais on sait de source encore plus sûre que Morgan Freeman a plus de cratères sur les joues qu'on a pu en compter, chiffres à l'appui, sur le sol vietcong à la fin du conflit. Or, malgré ces problèmes de peau, quel comédien, quel acteur, quel interprète... Quel humain, tout simplement.




Que dire aussi de son élève, Denzel Washington, qui trouvait là son tout premier rôle et reçut aussitôt l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle... Un couac de l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences. Il fallait lui donner l'Oscar du meilleur acteur dans un premier rôle puisque c'était précisément son premier rôle. Ou alors lui donner les deux, et celui du meilleur acteur dans un troisième rôle en prime. Aucune récompense n'est à la mesure de son talent. Souvenez-vous de cette scène inoubliable où Denzel se fait fouetter jusqu'au sang devant tout le régiment pour avoir changé de chaussures. Zick, alors au sommet de sa forme, opère ce lent travelling avant sur le regard pénétrant du comédien, mâchoire serrée et sourcils bas, qui fixe sans broncher son officier tout en recevant une pluie de coups de fouet sur l'échine (l'acteur porte encore les cicatrices), et le mouvement d'appareil est couronné par des larmes lourdes comme le monde qui tombent de ses yeux de demi-dieu imberbe pile poil sur un accord mineur de la bande originale signée James Horner. Ed Zick s'inscrit là dans la droite lignée de Dreyer et/ou Godard. Et la Wash' dans celle de Renée Falconetti et/ou Anna Karina.




Depuis ce moment de grâce sans équivalent dans l'histoire du médium audiovisuel, Denzel Washington n'a pratiquement pas fait carrière, on l'a totalement perdu de vue, disparu des sonars, il n'a pour ainsi dire plus tourné, et c'est regrettable, car voici typiquement un acteur génial sous-exploité (contrairement à ses ancêtres). Si je le croisais, je lui demanderais s'il peut me fouetter. Pour conclure, Glory, instant classic, instant Oscar pour Denzel, instant smiley à chaque fois que j'y repense. Il y a un peu moins d'une dizaine d'années, mon acolyte Félix et moi-même avons essayé de devenir les amis d'un drôle de zigue en l'invitant chez nous et en lui montrant ce film dans une ambiance monacale, mais cela n'a pas pris. Nous avons plus tard appris que cet individu, qui est parti sans mot dire à la fin de la projection, avant même que j'aie pu rallumer les lumières du salon, faisait alors partie du Ku-Klux-Klan, plus précisément de la branche toulousaine du mouvement. Le cinéma, en tout cas celui de Zick, si poignant soit-il, ne peut pas tout.


Glory d'Edward Zwick avec Denzel Washington, Morgan Freeman, Matthew Broderick et Cary Elwes (1989)

Evil Dead III - L'Armée des Ténèbres

$
0
0
Des effets spéciaux artisanaux conçus avec amour, un acteur vedette au sommet de sa forme dans la peau d'un héros iconique, des hommages sincères et des références de classe disséminés ici ou là pour les amoureux du genre, des situations et des dialogues pleins d'humour et d'inventivité, un scénario ingénieux, sans temps mort et, pour couronner le tout, un doublage français aux petits oignons : le troisième volet de la saga Evil Dead de Sam Raimi, préférant l'humour à l'horreur, n'a pas volé son statut de film culte ! Sorti en 1992, cette Armée des Ténèbres constitue pour moi le point culminant de la carrière de son auteur. Un petit film d'horreur comique, humble, terriblement attachant et plein de charme.

Plus charismatique que jamais, Bruce Campbell, acteur fétiche et grand ami de Sam Raimi, reprend donc son rôle de Ash, rendu célèbre par les deux premiers volets de la saga. Attaqué par la "chose" qui l'aspire dans une autre dimension, il se retrouve cette fois-ci bloqué dans une époque médiévale fantastique. Après une scène d'introduction d'une efficacité redoutable et littéralement décoiffante, Ash est contraint de s'amputer la main droite, aussitôt remplacée par une bonne vieille tronçonneuse. Egalement armé d'un fusil à pompe porté en bandoulière dans un étui en cuir, Ash se transforme dans cet épisode en un véritable personnage de comic book, doté d'une allure terrible, immédiatement reconnaissable et d'une cinégénie indiscutable. On n'est pas étonné de constater que le film a effectivement donné lieu à une adaptation en bandes dessinées. Ash est la plus grande attraction d'Evil Dead III et Bruce Campbell se fait plaisir en enchaînant les tronches pas possibles, dignes d'un dessin animé Tex Avery. 





Après un accueil difficile, Ash passera pour le Messie tant espéré auprès d'une petite peuplade en proie aux forces démoniaques. Mais en réalité, Ash est plutôt un imbécile arrogant qui n'a strictement rien d'un sauveur. Il veut simplement retourner dans sa fichue époque ! Il devra, pour cela, mettre la main sur le fameux Necronomicon (pour une fois, le nom de l'ouvrage maudit inventé par Lovecraft n'est guère sali !), ce qui permettra également d'éradiquer les forces du Mal. Hélas, rien ne se passera comme prévu ! Ash étant incapable de se souvenir de la formule magique à absolument prononcer avant de récupérer le Necronomicon ("Klaatu barada nikto", une phrase pour la première fois entendue dans le classique de la SF des années 50, Le Jour où la Terre s'arrêta de Robert Wise), ce qui nous vaudra l'une des plus tordantes scènes du film.





Véritable héros de jeux vidéos ou de comic book, Ash traverse ici une série d'étapes, d'épreuves, permettant à Sam Raimi de déployer des idées de mise en scène plus ou moins heureuses, mais toujours audacieuses. Un long passage pratiquement muet durant lequel Ash affronte des doubles maléfiques dans un moulin abandonné s'avère particulièrement réussi et bluffant. Tout au long du film, et tout particulièrement lors du passage évoqué, le cinéaste en roues libres se permet des clins d’œil et des citations qui raviront les spécialistes, en allant du cinéma d'horreur des années 30 (les Frankenstein de James Whale) aux animations image par image de Ray Harryhausen. Des références variées qui attestent d'un amour sincère et communicatif pour le cinéma de genre et ne parasitent jamais le film, bien au contraire. Evil Dead III dégage une fraîcheur, une humilité, une sincérité et une légèreté qui l'éloigne de toute lourdeur et le rend infiniment sympathique. Le film est aussi cool et amusant que le personnage qu'il met en scène !





La beauté des effets spéciaux du film se déploie notamment lors de l'assaut final des "cadavéreux" (l'armée des ténèbres du titre, des squelettes belliqueux réveillés de leur cimetière par le maladroit Ash !). Le travail sur le look des squelettes est des plus minutieux, au même titre que l'animation image par image. Pour ne rien gâcher au plaisir, un thème musical inspiré, signé Danny Elfman, vient accompagner ce chouette moment. En version française, le film est farci de petites phrases marrantes, prononcées avec des voix et des intonations terribles. Les doubleurs s'en sont donné à cœur joie, très inspirés par une oeuvre particulièrement propice à cela. On garde aussi un souvenir ému de cette scène, survenant juste avant l'arrivée des cadavéreux, durant laquelle un Ash aux abois essaie de remotiver ses troupes puis invente une série de machines pour le combat. Le personnage fait alors enfin preuve d'ingéniosité, prenant son rôle de héros au sérieux, et finit par gagner l'adhésion des autres hommes. "Je te suivrai où que tu ailles !", "Mon épée est tienne !", "Tu peux compter sur moi", toutes ces phrases sont alors dites avec des voix plus débiles les unes que les autres. Un moment d'anthologie dans un film qui en comporte plus d'un... On adore également le monologue prononcé au début du film par un Ash tout juste ressorti victorieux d'une bagarre avec quelques démons, qui se montre plus arrogant que jamais et se met à haranguer avec son fusil une foule complètement médusée. Encore une bien belle scène dans un pur régal de cinéphage !





J'ai découvert Evil Dead 3 aux alentours de 10 ans et j'en suis immédiatement tombé sous le charme. Un de mes classiques instantanés ! J'ai dû le revoir une bonne dizaine de fois depuis. J'y reviens régulièrement. Des situations et des dialogues sont gravés en moi à jamais. Je repense souvent à ce pauvre personnage qui, lors d'un combat avec une sorcière, reçoit une marmite d'eau bouillante dans la tronche et s'écrie "Aaaaaaaah, mes yeux ! Ça brûle ! Je n'y vois plus ! Je suis aveugle !" dans une plainte pathétique. Ce film est à mes yeux une vraie pépite dans le genre trop souvent galvaudé du cinéma d'horreur comique. Je le connais si bien que j'en appréhende désormais les temps un peu plus faibles, trop impatient d'arriver à mes scènes, mes gags et mes répliques préférés. J'envie les personnes qui ont encore à découvrir ce chef-d'oeuvre intemporel. 


Evil Dead III - L'Armée des Ténèbres de Sam Raimi avec Bruce Campbell, Marcus Gilbert et Embeth Davidtz (1992)

Dunkerque

$
0
0
J'ai déjà plusieurs fois, en ces pages, tenus des propos très durs à l'égard de Christopher Nolan pour des films qui, jusqu'à présent, me plongeaient toujours dans un abîme de perplexité terrible compte tenu de l'accueil dithyrambique qui leur étaient systématiquement réservé et de leur si piètre qualité. Quand son dernier film est sorti en fanfare cet été, je l'ai donc soigneusement évité et je dois aujourd'hui vous avouer en toute honnêteté que le regrette beaucoup. Car Dunkerque est sans doute ce que le cinéaste britannique a fait de mieux et cela devait franchement valoir le coup de le découvrir sur grand écran. Pour une fois, Nolan fait dans la simplicité et filme à hauteur d'homme, au plus près de ses personnages. Son film revient sur l'Opération Dynamo, le rapatriement des troupes britanniques encerclées par les allemands dans la poche de Dunkerque, en mai 1940.





Christopher Nolan choisit de nous raconter cela en trois temporalités différentes qui nous sont montrées en parallèle et qui s'entrecoupent par instants. Nous passons ainsi une semaine auprès d'un jeune soldat (Fionn Whitehead) parmi les près de 400 000 à être coincés sur la plage et qui essaient, par tous les moyens, de regagner l'Angleterre. Une journée aux côtés d'un vieil anglais (Mark Rylance) à la barre d'une petite embarcation de plaisance, épaulé par deux autres civils quant à eux trop jeunes pour être au front, partis ensemble à la rencontre des soldats pour aider autant que possible au rapatriement. Et une heure dans les airs, plus exactement dans le cockpit d'un avion de chasse piloté par Tom Hardy, tour à tour chassé ou à la poursuite des bombardiers allemands.





Cette construction pourrait paraître gratuitement alambiquée mais elle ne l'est pas, elle permet au réalisateur de multiplier astucieusement les points de vue et de proposer une mise en scène parfois très inspirée. En outre, cette multi temporalité est aussi un bon prétexte pour faire grimper très régulièrement la tension, les climax s'enchaînant à un rythme soutenu. Cette tension, Nolan parvient aussi à l'entretenir sans souci parce que ses personnages existent réellement. Ils ne sont pas, comme dans ses précédents longs métrages, des pantins sans intérêt auxquels nous ne croyons pas et dont nous nous fichons. Alors qu'il ne s'embête pas à leur créer un background quelconque (les dialogues sont d'ailleurs bien rares), Nolan parvient à nous intéresser à eux, tout simplement parce qu'ils sont humains, qu'ils peuvent se montrer héroïques ou lâches, et nous avons envie de les voir survivre, échapper aux bombes, à la noyade, aux tirs ennemis et à tous les dangers auxquels ils sont confrontés.





Si le cinéaste britannique recherche absolument l'intensité immédiate, il ne tente jamais de parvenir à celle-ci à tout prix, de force, par la performance technique et par des effets de manche. Ainsi, nous n'avons pas droit à des plans séquences lourdingues et tape à l’œil comme il est de rigueur actuellement dans ce type de cinéma spectaculaire. Nolan se démarque avec intelligence de cette mode et cherche à impressionner autrement. A l'instar de la bande son, encore signée Hans Zimmer, le style de Nolan reste néanmoins assez pompier, mais il paraît ici adapté à ce qu'il raconte, tout comme les grandiloquences de son compositeur attitré. A mon grand étonnement, Nolan réussit même quelques belles séquences, comme par exemple le naufrage d'un destroyer britannique, vécu depuis la mer et vu depuis le ciel, ou encore le vol plané final silencieux de l'avion de Tom Hardy. Les scènes de batailles aériennes sont également très agréables à suivre.





Au milieu des bombardements, on notera peut-être l'absence de la moindre goutte de sang et nous pourrons associer cela à la froideur habituelle du cinéma de Nolan, qui a toujours manqué de chair, de corps, de consistance. Pour ma part, j'ai plutôt eu l'impression qu'il s'agissait là d'un choix du réalisateur de ne pas tomber dans la surenchère visuelle. Un choix plutôt heureux quand on le compare aux gerbes de sang ajoutées numériquement, pour faire réaliste, qui inondent désormais les films de ce genre. Dunkerque ne me paraît pas pour autant désincarné, il est bien plus humain que ses autres réalisations, pour les raisons précédemment évoquées. Toujours dans l'anecdote : certains spécialistes étaient également tombés à bras raccourcis sur Nolan en juillet dernier, argumentant que celui-ci s'essuyait les pieds sur l'Histoire en ignorant par exemple l'action des français lors de cet épisode marquant de la Deuxième Guerre mondiale. Ce reproche me semble mal à propos tant le cinéaste affiche et annonce d'emblée la couleur en se focalisant seulement sur le point de vue britannique, quitte à verser dans le patriotisme. En outre, plutôt qu'une exactitude historique à toute épreuve, on sent que Nolan a une ambition plus intemporelle en se concentrant sur les sensations et le vécu des hommes pendant la guerre, amenés malgré eux dans des situations extrêmes.





Le casting, qui échappe au défilé tant redouté de grandes vedettes venues jouer aux petits soldats, est également une belle réussite. C'est un parfait équilibre entre des tronches plutôt connues (Kenneth Branagh, étonnamment supportable en commandant stoïque, Cillian Murphy, irréprochable dans la peau d'un soldat traumatisé, et Tom Hardy, pilote efficace au visage de nouveau masqué mais au regard suffisamment expressif) et d'autres nouvelles têtes bienvenues. Tout le monde est crédible et on ne prend personne en grippe, aucun n'a l'air d'être venu là pour faire son petit numéro et se prendre pour un héros. En outre, les personnages qu'ils incarnent agissent intelligemment, nous craignons, à plusieurs reprises, des réactions qu'ils n'ont finalement pas, choisissant ainsi de nous surprendre agréablement.





Enfin, les effets spéciaux sont extrêmement réussis puisque nous ne les remarquons même pas. Nous avons quasiment l'impression que tout a toujours été réellement reproduit ! C'était, et Nolan devait en avoir conscience, une condition sine qua nonà notre immersion tant désirée et c'est en soi un bel exploit. Porté par un souffle patriotique pleinement assumé et qui ne m'a pas gêné outre mesure, Christopher Nolan dépeint avec une implication qu'on ne lui connaissait pas l'héroïsme des soldats anglais. Plus qu'un film de guerre, Dunkerque est un film de survie, à l'efficacité indéniable et particulièrement bien mené. Sans doute le meilleur de son auteur, dont on espère qu'il poursuivra sur cette voie.


Dunkerque de Christopher Nolan avec Fionn Whitehead, Tom Hardy, Mark Rylance et Kenneth Branagh (2017)

A Ghost Story

$
0
0
David Lowery est l'un des nouveaux chouchous de Sundance. On lui doit déjà Les Amants du Texas, remarqué lors de l'édition 2013 du festival, un ignoble pseudo-western sous influence malickienne dans lequel Rooney Mara et Casey Affleck, en Bonnie & Clyde du miséreux, se faisaient des papouilles sous le soleil couchant, dans une esthétique m'as-tu-vu ridicule. Voici le jeune cinéaste de retour avec A Ghost Story, récompensé par trois prix à Deauville après une avant-première en grande pompe à Sundance. Cette fois-ci, David Lowery s'aventure dans le domaine du fantastique en nous racontant donc une histoire de fantôme ; en réalité, un drame intimiste supposé être bouleversant abordant la question du deuil, du temps qui passe inexorablement, de l'amour qui nous file entre les doigts et de ces tartes que l'on mange si goulûment.




Rooney Mara et Casey Affleck, encore eux, incarnent un jeune couple vivant au Texas dans une petite baraque aux bruits bizarres. Rooney, chiante de profession, est trop jolie avec sa petite tête de poupée, sa peau de porcelaine et son air constamment éberlué. Casey, musicien, est super beau gosse et sexy grâce à ses heures passées à la salle pour se tailler un corps de rêve et sa voix nasillarde, traînante, insupportable. Les deux zinzins forment donc un grand couple de cinéma, que l'on est véritablement ravis de retrouver. Ils s'aiment fort, à tel point qu'ils dorment tout collé-collé et se chuchotent des petits mots doux à l'oreille, des phrases que nous sommes chanceux de ne pas comprendre. Malheureusement, un beau jour, Casey meurt dans un accident de voiture à deux pas de chez lui. Son fantôme, sous un drap blanc lavé avec Mir Laine, revient ensuite déambuler dans sa maison pour assister, impuissant, à la détresse de sa veuve.




A Ghost Story cherche à flatter nos mirettes et se veut de nouveau très agréable à regarder. David Lowery, cinéaste au look hipster, crâne rasé, regard bleu perçant et énorme moustache brune grotesque, choisit encore une fois une esthétique très tape à l’œil qui suffira sans doute à émerveiller les plus jeunes et les plus sensibles d'entre nous. Son film lui ressemble, il est totalement à son image. Il n'opte pas pour le format 4/3 mais presque, les coins de l'image sont arrondis, ce qui rappelle inévitablement les polaroïds et, surtout, les filtres instagram ; un effet que la lumière particulière et mélancolique de ce film très maniéré vient appuyer lourdement. Buzz Twitter garanti et déjà pressenti suite à la projection à Deauville, début septembre.




Alors certes, ça n'est pas vraiment laid, mais on croirait mater la première œuvre d'un très jeune garçon à la crise d'adolescence trop récente et désireux de se faire remarquer à tout prix. On ne peut pas s'empêcher de penser que l'ensemble constituerait un excellent écran de veille pour ordinateur. On constate aussi, avec plus de bonheur, que l'on peut regarder ça en faisant autre chose, ce qui est ma foi assez pratique quand nos journées sont déjà bien chargées. J'en ai personnellement profité pour me couper les ongles des pieds (ça faisait un sacré bail et je commençais, chaque nuit, à entamer le matelas de mon lit). Des plans aléatoires sur la voie lactée, accompagnée de quelques coups de violons grandiloquents, viennent de nouveau rappeler la filiation malickienne. Incontournable hommage au Maître.




Vers la 25ème minute, David Lowery place ce qu'il a appelé lui-même une "scène-test", censée mettre à rude épreuve l'endurance et la patience de son audience. Du haut de son arrogance, le réalisateur s'attend à ce qu'une partie des spectateurs abandonne alors le film et que d'autres accrochent définitivement, pour mieux kiffer la suite. Je suis fier de vous annoncer que je fais partie des plus courageux, mais cela ne m'a hélas pas permis d'apprécier davantage le reste. Car je dois aussi vous avouer une chose : en ce qui me concerne, chaque scène de cette Ghost Story constitue un test de maîtrise de soi et de sang-froid. Dès ce long plan (tous les plans sont trop longs, exprès) sur Casey Affleck et Rooney Mara au dodo, se bécotant langoureusement, j'ai failli déclarer forfait. Ils m'ont rendu nostalgique de Demi Moore et Patrick Swayze, c'est dire !




La "scène-test"évoquée précédemment est celle où Rooney Mara, fraîchement veuve, s'empiffre une tarte en entier, en la mangeant assise sur le sol de sa cuisine, avant d'aller la vomir aux chiottes, sous le regard perplexe du fantôme d'Affleck (celui-ci passant tout le film sous un drap, son frère retardé Ben aurait très bien pu assurer le rôle). David Lowery aurait-il osé cette scène si son actrice ne portait pas, lors de celle-ci, une jupe laissant voir ses mignonnes gambas ? Rien n'est moins sûr. Admettons qu'au milieu du supplice terrible que constitue ce film, les observateurs ont raison de sortir cette scène du lot. Toutefois, une autre "scène-test", bien plus rude à mon goût, est celle où Rooney Mara se souvient de ce moment lors duquel Casey Affleck lui a fait écouter son dernier morceau, au casque. Une niaiserie électro aux paroles lamentables agresse alors nos oreilles tandis que nos yeux sont provoqués par les mouvements de tête particulièrement agaçants de Rooney Mara, au sommet de son acting. Une torture !




David Lowery, désormais adoubé par le petit monde bien triste du cinéma indépendant américain, s'apprête à réaliser un film de gangster porté par un casting quatre étoiles : Robert Redford, Casey Affleck, Sissy Spacek, Danny Glover, Tom Waits et Elisabeth Moss. Comment tout ce beau monde peut-il vouloir tourner pour un tel guignol ? Vaste mystère...


A Ghost Story de David Lowery avec Casey Affleck et Rooney Mara (2017)

Regain

$
0
0
Regain fait partie des quelques films réalisés par Pagnol à partir d’écrits de Giono (avec son aide), qui ont peut-être contribué, plus ou moins malgré eux, à donner de ce dernier l'image d'un brave écrivain régional. Il y a pire. Mais la Provence chez Giono n'est pas un simple décor pittoresque pour historiettes au charme tout local, puisque c'est l'idée que l'on se fait de la littérature dite de terroir, elle est bien plus, c'est le terreau mythologique d'une écriture, d'une poésie qui vient du ventre, de la terre, inquiète, violente, bonne, douloureuse et vibrante. Pagnol ayant obtenu de Fernandel qu'il joue dans le film le rôle de Gédémus, secondaire dans le roman, la star prit inévitablement une certaine place, au point de pratiquement devenir le personnage principal, de se voir inventer des scènes toutes neuves, qui poussent le film à durer plus de deux heures, et de remplir l'affiche avec sa belle tête. Ce n'est donc qu'à moitié le Regain de Giono que nous voyons là (puisque c'est celui de Pagnol). Il ne reste que le minimum de Panturle et Arsule, de l'herbe qui repousse après la fenaison du foin au cœur d'Aubignane et alentour, de l'amour qui naît sous l'influence du dieu Pan, du vent de sexualité qui souffle sur les deux amoureux et sur la colline (comme plus tôt sur Solitude de la pitié et plus tard sur le Déjeuner sur l'herbe de Renoir).




Mais c'est un beau film, quand même, car Fernandel est drôle, et parce qu'il reste la bonté, l'amitié, l'amour, et l'accent de quelques uns des gens du coin qui entourent Orane Demazis et Gabriel Gabrio. Une séquence notamment est à pleurer. C'est celle où Panturle descend voir d'anciens amis, le bien nommé L'amoureux et sa femme Alphonsine, pour leur demander quelques sacs de blé et un âne, histoire de resemer la terre d'Aubignane. A tout ce que demande Panturle, L'amoureux, qui l'écoute tranquillement, répond de son bel accent par l'affirmative. Et quand Alphonsine à la grosse voix coupe un énorme pain pour en donner à ses petits, et que Panturle demande s'il ne pourrait pas en emporter pour faire plaisir à Arsule, L'amoureux le lui donne tout entier. Émue de voir Panturle si heureux et de l'entendre raconter comment Arsule le sera en voyant ce pain, Alphonsine se met à pleurer. Puis Panturle parle de rembourser ce pain et L'amoureux de se vexer comme si son ami venait de l'humilier, et de lui offrir un second pain pour le pardonner. Les personnages sont de beaux personnages, sans exception. Même Gédémus, misogyne à souhait (il laisse Arsule, qu'il vient de sauver de ses violeurs, tirer sa carriole de rémouleur et la traite de "bourrique", de "feignante" et de "bestiasse"à chaque phrase), voué à être le caillou dans la chaussure des amoureux, se montre finalement sous un jour aimable quand il revient chez Panturle, à la fin du film. Mais la scène du pain, dans sa simplicité, est d'une grande beauté, à pleurer de joie, et rien que pour elle, et même si le film n'est pas parfait et tourne parfois le texte de Giono en sympathique petit conte aux accents du sud, alors qu'il est bien plus que cela, il fait bon revoir le Regain de Pagnol à l'heure où beaucoup de nos cinéastes se consacrent à dresser les uns contre les autres des galeries de personnages plus idiots, médiocres et mauvais les uns que les autres.


Regain de Marcel Pagnol avec Gabriel Gabrio, Orane Demazis et Fernandel (1937)

Le Génie du mal

$
0
0
Film de Richard Fleischer sorti en 59, Compulsion est basé sur le même fait divers que La Corde d'Albert Hitchcock. Et Fleischer rend bien hommage au gros Hitch, ce que, tenant La Corde pour un sacré bon dieu de morceau de cinoche, à la barbe de ses détracteurs, nous ne comprenons que trop bien. On entend donc parler de "crime parfait" au début du film ; un personnage s'appelle Rupert, comme l'inoubliable Rupert Cadell (James Stewart) de The Rope ; et surtout l'équivalent de Farley Granger, ici interprété par Dean Stockwell (l'éternel Al de Code Quantum), se passionne pour l'ornithologie et vit dans une chambre pleine d'oiseaux empaillés (The Birds et Psycho dans le même bateau). On pourrait aussi citer la scène de "viol", qui évoque l'agression dans le parc de L'inconnu du nord-express, elle aussi centrée sur une paire de lunettes.





Mais les deux films sont néanmoins très différents, et d'abord parce que celui de Fleischer se penche principalement sur le procès qui suit le meurtre commis par les deux jeunes amis. On regrettera peut-être quelques manques dans le traitement de la psychologie des deux personnages principaux, ou l'ellipse sur le réquisitoire du procureur durant le procès, mais le film n'en est pas moins savoureux. Grâce aux acteurs (on retrouve Orson Welles dans le rôle de l'avocat, et deux des sympathiques acteurs de 12 hommes en colère : E. G. Marshall et Ed Binns), grâce au scénario, tout de même bien ficelé, et aussi à des effets de mise en scène assez délectables, comme un plan magnifique sur une paire de lunettes posée sur une table basse, tandis que la lumière décline rapidement pour nous signifier les heures qui défilent. Banal ? Peut-être, mais très beau. Ou encore toutes les scènes dans la chambre de Dean Stockwell, où Fleischer fait des plans légèrement obliques, bancals, sans perdre en finesse, pour accentuer la référence à Hitchcock peut-être mais surtout mettre en image le dérèglement mental des personnages. Bref, pas son meilleur mais un très bon Richard Fleischer (de plus) à redécouvrir...


Le Génie du mal de Richard Fleischer avec Dean Stockwell, Bradford Dillman et Orson Welles (1959)
Viewing all 1074 articles
Browse latest View live