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Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre

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En 1985, George Miller donne un troisième volet à la saga qui l’a rendu célèbre. Contre toute attente, il décide de prendre à contrepied les fans de bagnole et de vitesse qu’il avait su se mettre dans la poche avec le premier volet de sa série, public que le second opus pouvait déjà choper à rebrousse poil avec son gros poids-lourd et son hélicoptère à pédales. Pas de véhicule-star dans le numéro 3, ou presque pas. La tire de Mad Max, sauf erreur (il s’agit d’une scène presque entièrement tournée dans le noir complet), explose assez tôt dans le film, quand Max travaille, le temps d’une journée, dans une fosse à porcs. On lui a piqué sa carriole au début du film (un coup de son vieil ami Gyro Captain, qui n'a pas reconnu ce cher Max enveloppé dans sa djellaba, quinze ans après leurs aventures du deuxième film), et pour la récupérer, notre héros accepte de se mettre au service de l’Entité (Tina Turner, qui pousse d’un cran l’habitude de mal jouer quand on joue dans un Mad Max, a fortiori quand on interprète un(e) méchant(e)), ce qui implique, croyez-le ou non, de ramasser de la fiente de cochon. Mairesse de Trocopolis, petite ville du désert, l’Entité demande à Max d’aller tripoter de la merde de porc (combustible de demain) dans les bas-fonds de sa ville, et d’y tuer pour elle Master/Blaster le maître des sous-sols pestilentiels de la cité, qui lui en dispute la main-mise. L’ennemi en question est un de ces fameux méchants à deux têtes comme on en a croisé ailleurs : un gros tas de muscle décérébré servant de jambes à un nain (soi-disant) très brillant, juché sur son dos.


Match de touffes.

Mais, ne renonçant pas à tous ses fétichismes, Miller, dans la première partie du film, assouvit tout de même son vieux fantasme de filmer du catch. Les méchants de Mad Max 2 avaient de vrais airs de catcheurs en cuir et à crêtes ; ici, on aura droit à notre combat de mecs. Mad Max (un Mel Gibson plus proche que jamais du look de William Wallace et toujours pas mad pour un sou), et Blaster, la fameuse montagne de muscles qui sert de gambas à Master (le « cerveau » du sous-terrain merdeux de Trocopolis), se retrouvent suspendus en l’air par des sangles, sous le dôme qui donne son triste titre au film, tels des nourrissons dans un parc, et ils se filent des coups jusqu’à ce que le héros gagne. Quand deux types entrent dans l'arène, un seul doit en ressortir vivant, c'est la règle, répétée environ trois cent fois. Mais Max est humain et quand il découvre que Blaster, sous son casque intégral, est un trisomique bodybuildé, il refuse de l'achever. Il comprendra d'ailleurs bientôt que Master n'est pas vilain non plus. Comme vous le voyez, tout cela est profondément intéressant.

Et puis on change brutalement de film. Quand Max, exilé dans le désert, est recueilli par une troupe d’enfants ébouriffés et un peu perchés, on passe tout d’un coup dans une sorte de manège Lucasfilm, une production Spielberg-Lucas, ou Disney (George Miller, auteur, producteur et réalisateur, avant Mad Max Fury Road, de Babe 2, le cochon dans la ville - on ne le rappelle jamais assez - lorgne sans détour vers Peter Pan). Le film prend les airs inquiétants d’un mélange (en partie anticipé) de Hook (les enfants perdus attifés comme des clodos bigarrés, qui rêvent d’un tomorrow-morrow-land et prennent Mad Max pour le messie), de Willow (avec le nain du duo de gérants de la porcherie et leurs cochons !), et de Star Wars (le gag où Mad Max poursuit un type dans un couloir et, après avoir disparu deux secondes au tournant, revient vers nous en courant encore plus vite, poursuivi à son tour par une meute d’ennemis, tel Harrison Ford dans L'Empire contre-attaque). Le combat final, sur un train rappelant Indiana Jones et la dernière croisade, est un combat à coups de poêle à frire dans la face, qui nous signale, au cas où on ne l’aurait pas remarqué, qu’on est loin des dégénérés de Mad Max 1 ou de la décharge de violence de Mad Max 2, et que bientôt George Miller se consacrera aux films pour gosses, avec, outre la suite des aventures du cochon devenu berger, la réalisation de Happy Feet 1 et 2. Autant dire que le basculement sans transition entre un combat de catcheurs dans une fosse à purin et un conte pour enfants avec cascade d'eau claire et cerf-volant en papier a de quoi déconcerter, voire laisser sur le carreau, n'importe quel fan de Mad Max. Le film est bien une sorte de double entité, à l'image de Master/Blaster, mais là où on pouvait espérer une première partie musclée et une autre intelligente, en réalité la seconde est simplement destinée aux tout petits...


Belle tentative, mais ça ne suffira pas à réinventer le cinéma (ni à sauver le film).

Reste une idée pas inintéressante, dans la scène où les enfants paumés racontent à Max les épisodes successifs de leur mythologie de l’apocalypse, et usent pour ce faire d’un grand cadre rectangulaire fait de branchages qu’ils dirigent, du bout d’une perche, vers des images peintes dans le fond de leur grotte et sur lesquelles dansent les lueurs d’un feu, réinventant le cinéma sans le savoir, avant de scander le mot "vidéo" comme s'il s'agissait d'un Dieu inconnu. C’est la seule belle idée à sauver dans ce film de sinistre mémoire qui aura su plonger la saga dans l’oubli pendant trente ans.


Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre de George Miller, avec Mel Gibson, Tina Turner et Bruce Spence (1985)

Notes sur le Festival de Cannes 2015

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Un peu moins de 6 jours à Cannes, 16 films vus toutes sections confondues : c'est déjà beaucoup, mais trop peu pour tirer des conclusions précises sur d'éventuelles grandes orientations (thématiques ou formelles) de cette édition. Beaucoup se sont inquiétés de la volonté plus ou moins affichée par Thierry Frémaux de faire la part belle à des films traitant de manière frontale de problématiques sociales d'aujourd'hui, dans un style naturaliste peu aventureux. Ces films, parfois réussis, étaient bien là en sélection officielle (La Tête haute, La Loi du marché), mais le festival avait bien d'autres choses à offrir. Un peu en compétition, beaucoup dans les sélections parallèles, en particulier la Quinzaine des réalisateurs dont le délégué général Edouard Waintrop a su profiter des hésitations et des choix discutables de Frémaux (cette année encore plus que les autres, des films désastreux ne semblent être en compétition que pour garantir des montées des marches glamour) pour faire de sa section la plus stimulante et la plus audacieuse de ce début de Festival.



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Une ouverture idéale d'abord, avec L'Ombre des femmes de Philippe Garrel. Prolongement assez évident de son précédent film La Jalousie, et réussite aussi limpide que Les Amants réguliers. Sur une trame aussi simple qu'à son habitude (Pierre et Manon forment un couple de cinéastes solide mais fatigué ; Pierre rencontre Elisabeth qui devient sa maîtresse, et par laquelle il apprend que Manon a elle aussi un amant), Garrel touche à l'essence du sentiment amoureux, dans un mélange constant et bouleversant de douceur et de douleur qui irradie chaque scène. La mise en scène, d'apparence simple et très sèche, associée à la splendeur du noir et blanc de Renato Berta, est admirable. Et Garrel tire le meilleur de son casting étonnant : les revenants Stanislas Merhar (parfait en homme trompant et trompé, taiseux et cruel) et Clotilde Courau (dont émane un bouleversant mélange de force et de souffrance), et la découverte Lena Paugam, beauté discrète mais intérieurement bouillonnante. La relation entre Pierre et Manon est hantée par le mensonge, intelligemment et discrètement symbolisé par ce vieux résistant à qui le couple consacre un film, et qui s'avèrera ne pas être celui qu'il prétend. Un film d'une grande cruauté et d'une immense beauté.


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Autre réussite indiscutable, dès le deuxième jour de la Quinzaine : Trois souvenirs de ma jeunesse d'Arnaud Desplechin, prequel explicite de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle), lors duquel Mathieu Amalric reprend brièvement le rôle d'un Paul Dedalus quarantenaire se replongeant dans les souvenirs de son enfance, son adolescence et sa vie de tout jeune homme. Les deux premiers souvenirs sont très courts : le premier voit Paul enfant subir les crises de folie de sa mère, et quitter la maison familiale ; le second est un étonnant récit d'espionnage où Paul, en voyage scolaire en URSS, est missionné pour "offrir" son identité à un jeune juif cherchant à quitter le pays pour Israël ; puis vient le troisième, qui occupe à lui  seul près de deux heures de film, chronique de la rencontre et de la passion entre Paul et Esther (dont le rôle était tenu par Emmanuelle Devos dans Comment je me suis disputé...). La singularité et la virtuosité de l'écriture de Desplechin trouvent dans la bouche de ces jeunes gens une vigueur nouvelle, en particulier dans celle du jeune Quentin Dolmaire, jeune comédien sorti de nulle part, authentique révélation, boule de nerfs et de flegme mêlés, capable des fulgurances expressives et verbales les plus étonnantes (Amalric bien sûr, mais aussi Léaud ne sont pas loin). Comme Garrel mais d'une façon évidemment très différente, Desplechin s'approche au plus près de la sève des relations hommes/femmes, de ce qu'elles peuvent générer d'exaltation, de folie et de souffrance. Sa narration et sa mise en scène sont d'une grande liberté et d'une folle inventivité, et ce film son plus beau depuis longtemps.


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Je n'ai pu voir que le premier volume des Mille et une nuits de Miguel Gomes, projeté le 3ème jour. Une expérience folle, stimulante, parfois agaçante, constamment surprenante. L'ambition qui émane de ce film de 6 heures (découpé en 3 volumes de 2 heures) est grandiose et inédite : s'attaquer à la situation désastreuse du Portugal d'aujourd'hui par (presque) tous les moyens qu'offre le cinéma. La fiction dramatique, le documentaire, le conte, l'autofiction, l'interview, bien d'autres choses encore, et parfois plusieurs de ces choses mélangées (et encore, je n'ai pas vu les deux volumes suivants). Autrement dit, escalader l'Everest par toutes ses faces, simultanément. Bien sûr, on ne peut pas se lancer dans une telle entreprise seul, et Gomes aime beaucoup rappeler que cette œuvre est le fruit d'un travail collectif (des journalistes furent chargés de collecter pendant plusieurs mois toutes sortes d'informations et de faits divers à travers le pays, que Gomes et sa scénariste ont ensuite sélectionnés et plus ou moins remodelés pour les intégrer au film). On peut légitimement parfois s'agacer ou décrocher de ce joyeux foutoir et de l'impudence de son auteur, mais il en émane une telle énergie, une telle acuité et une telle drôlerie qu'il finit par tout emporter. Miguel Gomes confirme qu'il est bien un des jeunes cinéastes contemporains les plus aventureux en faisant littéralement exploser tous les schémas, et en livrant une vision à la fois impertinente, sombre mais non dénuée d'espoir de la situation de son pays, de l'Europe, du monde. On redécouvrira ce premier volet et les deux suivants avec bonheur en salles cet été.


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Waintrop a visiblement programmé à dessein ces trois immenses films sur les cinq premiers jours du festival, pour frapper un grand coup. Quelques petites perles ont par ailleurs émaillé sa sélection, notamment le premier film de la réalisatrice sino-américaine Chloé Zhao, Les Chansons que mes frères m'ont apprises. Situé dans une réserve indienne du Dakota du sud rongée par la pauvreté et l'alcoolisme, le film suit deux personnages principaux, un garçon de 19 ans et sa petite sœur de 11 ans, livrés à eux-mêmes par une mère volage et seule, et par un père qui leur a offert 27 demi-frères et sœurs de 9 mères différentes (!), et qui vient de mourir dans l'incendie de sa maison. Le film cumule plusieurs handicaps de prime abord, en premier lieu la lourdeur de son sujet et l'influence stylistique très visible de Terrence Malick. Mais débarrassé des lourdes prétentions métaphysiques (et des voix off impossibles) des derniers films du vieux maître, et délesté de tout pathos, le film émeut et offre beaucoup de scènes très réussies et de personnages aussi beaux que leurs jeunes comédiens. Un petit film fragile mais très séduisant.


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Plus inégal, El Abrazo de la Serpiente du colombien Ciro Guerra plonge quant à lui au cœur de la forêt amazonienne, faisant des aller-retours entre deux époques sur les traces de deux explorateurs occidentaux à la recherche d'une plante rare et miraculeuse. Ils se confrontent à l'hostilité de la nature, aux indigènes locaux, se frottent aux pratiques chamaniques, mais surtout à la destruction de tout ce fragile équilibre par l'exploitation grandissante de la forêt. Le film est loin d'être exempt de défauts (quelques lourdeurs et scènes complètement ratées), mais aussi de sacrées audaces, telle cette explosion psychédélique absolument inattendue et très belle à la fin du film.

Seule vraie déception parmi ce que j'ai pu voir à la Quinzaine, Green Room de Jeremy Saulnier, qui après Blue Ruin livre un survival indéniablement efficace (la salle était très réactive) mais aussi assez bête par sa violence grotesque et son humour bas du front.


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La sélection de la Semaine de la critique était bien sûr moins excitante sur le papier. Ayant raté le paraît-il séduisant premier film de Louis Garrel (Les Deux amis), je n'ai pu y voir que Ni le ciel, ni la terre, le premier long métrage de Clément Cogitore, jeune cinéaste très remarqué pour ses courts, et qui confirme ici un talent extrêmement prometteur. Ni le ciel, ni la terre raconte l'histoire d'une troupe de soldats français (commandée par un Jérémie Renier convaincant) postée à la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan, près d'un petit village et d'une position taliban. Un jour, alors que leur retrait est imminent, certains d'entre eux se mettent à disparaître mystérieusement. Le film trouve un intéressant équilibre entre une puissance d'incarnation très physique (ce n'est pas un film de guerre, mais il en émane beaucoup de violence à peine contenue et une très belle façon de filmer les corps et leur tension) et une dimension métaphysique pleine de mystère et de questions non résolues. Dans les deux cas, le film fait preuve de beaucoup d'humanité et d'intelligence.


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Venons-en maintenant à la sélection officielle, et d'abord à son "antichambre", Un certain regard, où se sont vus rétrogradés deux immenses cinéastes asiatiques. Pour l'un d'entre eux c'est une surprise d'autant plus grande qu'il a obtenu la Palme d'or il y a quelques années (c'est un phénomène rare, dont de mémoire le seul équivalent est la présence du Restlessde Gus van Sant dans cette section, quelques années après la Palme d'Elephant). Avec Cemetary of Splendour, Apichatpong Weerasethakul ne rate pas son retour. Dans un petit hôpital construit sur les ruines d'un cimetière, des soldats sont plongés dans un sommeil profond. Autour d'eux, deux femmes d'âge différents, dont une jeune femme capable de communiquer avec l'âme des morts et des soldats endormis. Un jour, l'un d'eux se réveille. Constamment pris entre la réalité et les songes, la vie et la mort, le film provoque une sidération permanente, purement cinématographique, un immense bien-être cotonneux parfois percé de violentes fulgurances, dont je ne veux évidemment dévoiler aucune ici pour en préserver la surprise (je vous avertis juste d'une scène prodigieuse de générosité, de trouble charnel et de monstruosité mêlés à la fin du film). Pour reprendre approximativement une formule entendue à Cannes, c'est le "film-cure" du festival, celui qui par sa beauté guérit de tout ce qu'on voit de laid, là-bas et ailleurs.


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Il est frappant de constater que Kiyoshi Kurosawa s'intéresse lui aussi, dans Vers l'autre rive, à la relation entre le monde des morts et celui des vivants (ce n'est pas la première fois en ce qui le concerne non plus), pour un résultat évidemment très différent mais néanmoins passionnant. Un homme mort noyé trois ans auparavant réapparaît dans la vie de sa femme. Cette dernière en est évidemment bouleversée, mais n'en semble pas étonnée outre-mesure (il faut la voir et entendre dire, quand elle voit son mari apparaître dans un coin de son salon : "Oh, tu es là", avec une désarmante simplicité qui suscite bien plus d'émotion que si elle avait éclaté en sanglots). Ensemble, ils entreprennent un voyage à travers le Japon, dans une région où le mari semble avoir un temps vécu pendant son absence. Un film apaisé, à la mise en scène discrètement majestueuse, et d'une grande intensité émotionnelle.


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Il est probable que la relégation de ces deux maîtres à Un certain regard s'explique par l'extraordinaire densité des prétendants asiatiques cette année. Trois sont en compétition. Si j'ai raté le Kore-Eda et le Hou Hsiao-Hsien (tièdement accueillis semble-t-il), j'ai pu voir le nouveau film de Jia Zhangke, deux ans après le fantastique A Touch of Sin. Si ce dernier embrassait l'histoire contemporaine de la Chine par le prisme de la violence, Mountains May Depart est un pur mélodrame, très ample lui aussi, puisqu'il se situe sur trois époques (1999, 2014, 2025), deux continents, et s'attache à deux générations de personnages. Si le film souffre d'une troisième partie moins convaincante, et de quelques lourdeurs symboliques assez étonnantes (tel ce choix d'appeler un des personnages "Dollar"), il n'en demeure pas moins admirable par l'incroyable inventivité de sa mise en scène, par l'égale finesse avec laquelle il traite le sentiment amoureux et la critique économique et sociale, et par l'émotion qui naît de sa peinture d'un personnage féminin passionnant, interprété par Zhao Tao, et son fascinant visage constamment rieur et néanmoins empreint de douleur. Le travail de Jia Zhangke sur le son est aussi particulièrement marquant. On se souviendra longtemps de ces basses vibrantes qui ont fait trembler le Grand Théâtre Lumière, et surtout de ces deux scènes musicales, la première et la dernière du film, qui ont fait du Go West des Pet Shop Boys l'étonnante chanson du festival.


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Mon deuxième favori (personnel) de la compétition est Mia Madre de Nanni Moretti, où mélodrame et comédie de succèdent, se superposent par moments. Moretti s'y construit un alter ego féminin, Margherita (Margherita Buy), réalisatrice qui tourne un film social (visiblement médiocre) sur une usine en grève. La patron de l'usine est joué par un acteur américain égocentrique et excentrique (John Turturro, toujours à la limite du cabotinage, souvent génial). Parallèlement, la mère de Margherita est en train de mourir. Dans cette épreuve Margherita est épaulée par sa fille adolescente et par son frère (incarné par un Moretti parfait de sobriété), qui décide lui-même de quitter son travail pour s'occuper de sa mère. Mia Madre est un film inquiet et passionnant sur la confusion de notre époque, à de multiples niveaux (social, culturel, éducatif, artistique...), et aussi l'émouvant portrait d'une femme entre deux âges et de ses difficiles rapports aux autres (collaborateurs, amoureux, famille). La mise en scène de Moretti est d'une sobre élégance mais réserve aussi des surprises étonnantes, en particulier quand il se frotte au rêve. Il y a peut-être finalement là une tendance forte dans les films les plus intéressants du festival : presque tous contiennent une forte dimension onirique et une volonté forte de représenter les rêves, les songes ou l'au-delà.




C'est malheureusement aussi le cas dans certains films ratés. Mais le plus malheureux, c'est que l'un d'eux soit l’œuvre d'un réalisateur aussi adoré que Gus Van Sant. La Forêt des songes a été (presque) unanimement rejeté par les festivaliers, et il est difficile de les contredire. Un mélo empesé et désincarné, souffrant d'un scénario souvent grotesque (un homme décide d'aller se suicider dans une forêt au pied du Mont Fuji, où il rencontre un autre homme, japonais, qui y a lui renoncé un peu tard. Au gré de réguliers flash-backs, on apprend ce qui a conduit notre héros à en arriver là) que Van Sant ne transcende qu'à de rares occasions dans la première moitié du film (la deuxième heure est un calvaire total). Ajoutons à ça une musique mainstream omniprésente et la prestation rapidement insupportable de Matthew McConaughey, qui va devoir faire attention à ne pas rapidement perdre tout le beau crédit dont il jouit depuis son come-back. N'en jetons plus, nous avons tellement admiré le travail de Gus Van Sant, nous continuons à croire en lui en plaidant l'accident de parcours.


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Voilà pour les "grands maîtres" de la compétition. Il y avait aussi un premier film, Le Fils de Saul du hongrois Laszlo Nemes, et pour beaucoup ce fut un choc. Le film se situe intégralement à Auschwitz, et ne quitte jamais le visage de son personnage principal, Saul Aüslander ("l'étranger"), détenu juif faisant partie d'un sonderkommando, sélectionné par les nazis pour mener ses semblables à la chambre à gaz et "nettoyer" celle-ci de leurs cadavres. Un jour, Saul voit un enfant ayant survécu au gazage, qu'un médecin ausculte avant de l'achever en l'étouffant. Saul le reconnaît comme son fils, et se met dès lors en tête de récupérer son cadavre et de trouver un rabbin pour lui offrir un enterrement en-dehors du camp. La mise en scène, dans un format 1.33 surprenant, est faite de plan-séquences très longs, de gros plans permanents sur le visage de Saul, tout le reste étant flou ou relégué dans le hors-champ (énorme travail sur le son, infernal). Tout ça est impressionnant de maîtrise, beaucoup trop. Le film est absolument irrespirable, et il en émane rapidement un sentiment de complaisance et un manque de générosité étouffant, même quand les grilles du camp sont finalement franchies, en bout de film. Laszlo Nemes témoigne d'un talent formel indéniable, mais on espère que dans le futur il en fera autre chose qu'un "film-choc" comme le festival en raffole (il y a fort à parier qu'il sera en bonne place au palmarès).


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Autre film très sérieux dans un tout autre registre formel : La Loi du marché de Stéphane Brizé, dans lequel Vincent Lindon incarne Thierry, chômeur depuis 15 mois, enchaînant les entretiens à Pôle emploi, les formations infructueuses, les rendez-vous blessants à la banque. Il finit par accepter un poste d'agent de sécurité dans une grande surface. Lindon est le seul comédien professionnel du film, écrit et tourné à toute vitesse. Il y est formidable d'intensité, et le principe du film le confrontant exclusivement à des comédiens amateurs, pour la plupart dans leurs propres rôles, fonctionne à merveille. Le film n'est évidemment pas exempt de tout reproche : la mise en scène de Brizé, en apparence très minimaliste, peut paraître fonctionnelle et systématique, voire assez laide. Il s'attache surtout à saisir les choses sur le vif, caméra à l'épaule, en plan-séquences (même si la plupart sont discrètement remontées). La surenchère de situations négatives (on dirait qu'il a synthétisé en 1h25 toutes les choses terribles auxquelles peut être confronté un homme en difficulté) est facilement assimilable à du misérabilisme. L'ensemble est néanmoins d'une puissance et d'une acuité assez incroyables sur ce qu'est la violence du monde du travail d'aujourd'hui. Et si ce cinéma manque indéniablement d'ampleur et d'inventivité, Brizé fait partie de ses meilleurs représentants en France. Et il est assez satisfaisant de constater (le film est sorti cette semaine) qu'un large public y accède, donnant tort à tous les commerçants du cinéma décrétant que le public n'aspire qu'à se divertir en s'évadant de son quotidien.


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Plus discutable encore est mon ressenti à propos de Marguerite et Julien, le nouveau film de Valérie Donzelli, dont le hitLa Guerre est déclarée avait suscité chez moi la même aversion que chez les créateurs de ce blog (et auprès de qui ce paragraphe risque me coûter très cher pour longtemps). A de rares exceptions près, Marguerite et Julien a été largement rejeté à Cannes. A mon grand étonnement, le film m'a emporté. A partir d'un scénario de Jean Gruault écrit pour François Truffaut dans les années 70, il conte l'histoire d'un frère et d'une sœur (Jérémie Elkaïm et Anaïs Demoustier), dans une époque lointaine, éperdument amoureux l'un de l'autre depuis l'enfance, longuement séparés, se retrouvant jeunes adultes, bien décidés à vivre  leur amour en dépit de tous les obstacles. Bien sûr, le film est loin d'être parfait. Donzelli fait feu de tout bois, ose l'emphase romanesque et les tentatives formelles les plus débridées, et parfois ça ne fonctionne pas et vire au ridicule. Mais le film a pour lui un souffle indéniable, une foi réjouissante dans le pouvoir d'évocation du cinéma et la croyance du spectateur (effets spéciaux désuets, anachronisme permanent - dans les costumes mélangeant plusieurs époques, ou quand un hélicoptère fait soudain irruption dans le champ), et une interprétation convaincante. Ce n'est pas très étonnant concernant Anaïs Demoustier, plus belle et intense que jamais, ça l'est plus pour Jérémie Elkaïm, étonnant de sobriété. Ils donnent chair de belle manière à ce couple étrange et inadapté, dans un film à la charge érotique puissante et perturbante.


Hitchcock/Truffaut


Ps : finissons sur une note plus consensuelle. A Cannes Classics, on a pu voir le documentaire de Kent Jones intitulé Hitchcock/Truffaut, qui sera bientôt diffusé sur Arte. Il s'attache à décrire la relation entre les deux cinéastes, et la genèse d'un des plus grands livres de cinéma qui en a résulté, en s'appuyant sur une forte documentation et sur les témoignages souvent très intéressants de cinéastes invités (Scorsese, Fincher, Bogdanovich, Assayas, Desplechin, Kurosawa...). Mais le film dévie assez vite de son programme initial pour entrer (et faire entrer les cinéastes sus-cités) de façon profonde et passionnée dans l’œuvre d'Hitchcock, dans leur rapport intime à celle-ci, et plus particulièrement à deux films, Psycho et Vertigo. Un documentaire passionnant, et très salutaire au milieu du tunnel de films contemporains vus à Cannes.


Scenic Route

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Deux vieux amis décident de prendre la route ensemble pour mieux se retrouver. Leur pick-up tombe malheureusement en panne dans une zone désertique et éloignée de tout. Cet isolement forcé sur une route où passe, au mieux, une bagnole par jour, va les amener à questionner mutuellement leurs choix de vie et à remettre sérieusement en doute leur amitié... La tension monte très rapidement. Les échanges s'enveniment et, après une réconciliation temporaire, les bagarres verbales laisseront vite place à un affrontement physique à la violence irraisonnée. Mais le film de Kevin et Michael Goetz, qui réussit à captiver immédiatement, ne s'arrête pas là, en si bon chemin, il ne se contente guère d'être une sorte de huis clos à ciel ouvert entre deux hommes condamnés à s'entretuer ; et son scénario, assez malin, nous réserve quelques surprises...




La confrontation psychologique puis physique des deux protagonistes se transforme progressivement en un survival particulièrement tendu, aux enjeux ultra simples mais accrocheurs, et autrement plus réussi qu'un film de seconde zone comme Wrecked, où Adrien Brody luttait seul pour la vie après un accident de voiture. Les deux hommes, bien mal en point après leur petit échauffourée très musclé, seront donc amenés à resserrer les liens pour entretenir l'espoir de rentrer vivants chez eux. Mais la défiance ne se dissipe pas pour autant et, durant les 84 petites minutes que dure Scenic Route, les péripéties s'enchaînent à un rythme parfaitement calculé et le film n'ennuie strictement jamais.




On pourra seulement regretter ces quelques images en flashbacks dont on aurait sans doute pu se passer tant l'acteur racontant son histoire personnelle, à savoir Josh Duhamel, est totalement habité par ses paroles : il parvient à donner vie à son récit par la seule force de son jeu. Les personnages, bien qu'ils soient assez archétypaux, fonctionnent d'ailleurs tout à fait. Les deux acteurs sont irréprochables. Les dialogues sont assez bien écrits, évitent de tomber dans la facilité, on comprend aisément les liens qui ont jadis uni les deux hommes et comment leur relation a ensuite évolué. On ne regarde de toute façon pas un tel film pour se poser de grands questionnements existentiels. Il est toutefois nécessaire que la base soit suffisamment solide pour que le suspense puisse être efficace et ça, scénariste et réalisateurs de ce film l'ont bien compris.




Il faut bien avouer que l'on reste complètement scotché face aux déboires de ces deux types au sort particulièrement cruel. Quand une voiture passe lentement, curieuse, près de leur pick-up qu'ils ont temporairement abandonné pour aller passer la nuit au chaud, dans un trou, recouverts de terre et collés l'un à l'autre, on ressent vraiment de la peine pour eux. Dans cette région aride simplement hantée par les coyotes et les crotales, les personnages sont en effet perpétuellement harcelés par la chaleur écrasante du jour puis par le froid glacial de la nuit. Cela aussi, force est d'admettre que nous le ressentons assez bien.




La réalisation des frères Goetz a le mérite d'être très simple et directe, elle ne s'éparpille pas. L'intelligence du scénario (toute relative, bien sûr, puisque je parle de ce qui peut être considéré comme une petite série b à l'efficacité redoutable) se manifeste jusqu'à la dernière image. La fin, qui pourra peut-être en décevoir quelques-uns, est une pirouette certes plutôt attendue, mais tout à fait cohérente et assez bien amenée. Elle apparaît de toute façon comme la seule conclusion possible aux tristes aventures des ces deux paumés. Après ça, on a hâte de découvrir ce que les Goetz nous réserveront ensuite. On tient là un nouveau duo de cinéastes à suivre dans le petit monde du cinéma de genre américain...


Scenic Route (Route vers l'enfer) de Kevin et Michael Goetz avec Josh Duhamel et Dan Fogler (2015)

Chappie

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On tient peut-être en Neill Blomkamp le plus bel abruti du cinéma moderne. Que ce soit dit. Et ce film est une nouvelle preuve de sa débilité absolue. Je n'ai même pas envie de dire qu'on a l'impression d'être face à l’œuvre d'un gamin de six ans. Parce que j'aime les enfants. On a simplement affaire à la dernière folie d'un gros con. "Abruti", "débile", "con". Je retombe dans mes travers de blogueur ciné avec ces insultes, je le sais et je n'en suis pas fier. Mais je m'en débarrasse dès le premier paragraphe pour que ça soit fait, parce qu'il faut forcément que ça sorte. Quand on a passé deux plombes devant Chappie, on en sort pas tout à fait relax.




Neill Blomkamp croit sans doute s'être trouvé une "patte", celle-là même que ses quelques fans sont toujours heureux de retrouver dans ses œuvres. Des films qui se passent systématiquement à Johannesburg, comme si cela suffisait à donner un aspect social et politique à la chose, toujours ponctués de faux extraits de journaux télévisés, remplis de créatures décalées, qu'elles soient robotiques ou extraterrestres, et accompagnés d'une musique intolérable (on atteint ici des sommets avec cette affreuse chanson de Die Antwoord au refrain d'une laideur infinie). Nous sommes ici étonnés de ne pas recroiser l'acteur fétiche du cinéaste, à savoir Sharlto Copley, avant de découvrir qu'il prête sa voix et son déhanché à Chappie, ce robot doté de conscience qui finit entre les mains d'une bande de délinquants arriérés souhaitant s'en servir pour réaliser un braquage...




Tous les tristes signes distinctifs du cinéma de Neill Blomkamp sont donc bien réunis dans ce pauvre film de science-fiction qui se déroule de nouveau dans un futur proche où la criminalité a explosé et où le fossé semble s'être creusé entre les puissants et les zonards (encore que, il s'agit là d'une simple déduction de ma part, Blomkamp étant plus intéressé par ses robots). A partir de cette mixture désormais familière, Blomkamp réussit son film le plus laid, visuellement. Les scènes d'action sont un calvaire, il faudrait interdire ces ralentis foireux où l'on voit des bonhommes faire des bonds en arrière idiots lors des fusillades et ces explosions jamais impressionnantes mais que l'on voit deux fois de suite sous différents angles. On se demande comment Blomkamp a pu passer pour un cinéaste à suivre avec District 9, lui qui n'a jamais progressé...




En termes de crétinerie, le scénario rivalise avec celui d'Elysium. Chappie a même cela d'étonnant qu'il parvient à aller crescendo dans la bêtise, et c'est une performance qui mérite d'être saluée tant le film part sur des bases dans un état de putréfaction très avancé. Il y a encore beaucoup de choses que l'on ne comprend pas et on abandonne très vite l'idée de leur trouver du sens. Après avoir récupéré par la force un robot qu'ils souhaitent transformer en un braqueur d'élite, la petite bande de délinquants ne trouve rien de mieux à faire, pour endurcir ledit robot (à savoir Chappie), de le balancer dans un sale quartier, au milieu de jeunes très remontés qui, voyant en lui un représentant de l'ordre, décident d'un commun accord de lui ruiner la tronche, en l'aspergeant de cocktails molotovs. Heureusement, Chappie a beau être super intelligent, il n'est pas vraiment rancunier et, une fois qu'il a pris cette rouste qui aurait même pu le mettre hors service, il revient sagement dans la planque de sa bande de cons. Pourquoi ? L'intérieur du cerveau de Blomkamp doit être un sacré merdier...




Les personnages, qu'ils soient faits de chair ou d'acier, sont tous plus minables les uns que les autres. Hugh Jackman va bientôt fêter ses 47 ans. Chaque année, il ajoute consciencieusement 3 ou 4 titres à sa filmographie déjà assez conséquente. Eh bien sachez que c'est dans Chappie qu'il trouve le pire rôle de sa vie. Ça n'est donc pas rien, car l'homme a tout de même été le Van Helsing de Stephen Sommers et le "drover" de Baz Luhrmann. Il faut le voir avec son mulet, ses chemises à manches courtes et ses bermudas affreux, interpréter une espèce de gros bourrin qui n'a qu'une obsession : se servir de son nouveau robot. Il est d'un ridicule... Il passe tout le film à demander régulièrement à sa boss, campée par la pâle Sigourney Weaver dont le personnage se réduit à l'autorité que dégage naturellement l'actrice, s'il peut se servir de son joujou. Et bien sûr, cela finit par arriver, Blomkamp étant à peu près sur la même longueur d'ondes que son perso. Quelle tristesse... Du haut de son expérience, Weaver devrait aussi être en mesure de se rendre compte qu'elle tourne pour un nullard qui pourrait faire beaucoup de mal à cette saga ayant fait d'elle un emblème du cinéma de science-fiction. Quant à Chappie himself, il ferait passer Johnny 5, cet amusant robot de films pour enfants des années 80, pour une figure inoubliable et particulièrement marquante du 7ème Art.




Avec Chappie, Neill Blomkamp échoue totalement à nous faire réfléchir à la problématique de l'intelligence artificielle mais réussit haut la main à nous interroger sur ses propres capacités cognitives. Nous sommes désormais à jour sur son cas et, croyez-moi, nous n'avons pas envie que le prochain article qui lui soit consacré épingle ce qui pourrait tout à fait être le plus triste épisode d'une saga déjà flinguée à bout portant par son initiateur, Ridley Scott. Dire que le web s'est enflammé en apprenant que Neill Blompkamp allait faire un nouvel Alien... Ce mec-là est capable de nous faire revoir Prometheusà la hausse.


Chappie de Neill Blomkamp avec Sharlto Copley (dans le rôle de Chappie), Hugh Jackman, Sigourney Weaver et Dev Patel (2015)

Mad Max : Fury Road

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Difficile d’aller voir un tel film sans craindre que l'incroyable ramdam qu’il a suscité n’influence, en bien ou en mal, l’opinion qu’on en aura. La louange unanime crée des attentes parfois cruelles pour celui qui la reçoit. On a lu et relu, en boucle, les mêmes superlatifs, à propos de ce Mad Max : Fury Road, que beaucoup n’ont pas hésité à ériger en « film du siècle » ou ont affublé de tant d'autres titres honorifiques plus ou moins débiles. Mais au final, sans donner raison à ceux qui en font l’œuvre la plus importante de l’histoire récente du cinéma (ce serait tout de même à pleurer), le film s’avère résister à la pluie de compliments démesurés qui s'est abattue sur lui, et parvient même à en mériter pleinement quelques uns, les plus raisonnables, qui vantent ses grands mérites de strict film d’action. 




Mad Max : Fury Road est (sans véritable difficulté, concédons-le) le meilleur épisode de la saga de George Miller (et, au tout début du film, on peut encore en douter, craignant par exemple que Miller, poussant d’un cran sa vieille lubie de filmer des catcheurs hystériques, réalise le film de beauf absolu que semblait annoncer la présence du guitar hero metalleux au sein du convoi de routards menés par Immortan Joe, le méchant de l’affaire). Pourquoi cet épisode 4 ratatine-t-il les trois autres ? Pour une raison simple, qui est que le cinéaste australien s’était placé, avec son premier Mad Max, sous l'égide du dieu Vitesse, et avec le second, Mad Max : le défi, sous le patronage de sainte-Action (nous ne reparlerons pas du troisième, Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre, placé sous le sceau de l’infamie), et que sur ces deux terrains, fers de lance de son cinéma (Miller n’a, au fond, peut-être jamais visé que ces deux objectifs : filmer courses-poursuites, fusillades et explosions à toute vitesse, au point de délaisser tout le reste), le père de Mad Max vient d’atteindre des sommets. Les siens, au moins, mais sans doute plus que ça car, disons-le après d’autres, ce film semble avoir passé une vitesse, voire un petit paquet de vitesses en termes de cinéma d'action, et a mis une dizaine de longueurs dans la vue à l'immense majorité de ses concurrents passés et présents.




Mad Max : Fury Road va très, très vite, tout en restant parfaitement lisible et assez solidement construit, mieux, sans jamais filer mal au crâne ni donner envie de sauter du train en marche, contrairement à la grande majorité des blockbusters contemporains qui essaient péniblement de fuser et sont pourtant des escargots par rapport à celui-ci. Miller, dans le programmatique premier volet de sa série chérie, misait beaucoup sur les effets d’accélération du défilement de la bande, notamment dans ces plans filmés en caméra embarquée à ras du bitume et à toute allure. Ses tentatives d’accélérer l’image, dans le deuxième épisode pourtant supérieur, ne furent pas du meilleur goût (rappelons, entre autres, ces scènes dignes des premiers films du cinématographe où les figurants semblaient courir en marchant). Il renoue d’ailleurs avec ces effets dans le prologue de son nouveau bébé, de manière un poil plus habile visuellement, mais guère plus heureuse. Mais dès que le titre du film est apparu, après la capture de Max et après sa vaine tentative d’évasion dans les coursives du bastion d'Immortan Joe, Miller abandonne cette avance rapide artificielle au profit d’une véritable accélération, de celles qui passent par le montage (même s'il joue encore de ses vieux effets ponctuellement, qui, couplés à des zooms furieux, ne constituent pas les plus beaux moments du film mais contribuent, périodiquement, à pousser son rythme). Et le résultat est assez fascinant.




Il faut en revanche, c’est admis, s'en tenir à la vitesse et à l'action, qui constituent 95% du film au bas mot, et fermer les yeux sur le reste. Dès que Miller coupe le moteur, on se rend compte, une fois de plus, qu'il est incapable de filmer autre chose (les scènes plus calmes, les pauses dans la course, où Max, interprété par un Tom Hardy fort limité, discute avec sa partenaire, Furiosa, beaucoup mieux servie par Charlize Theron, sur une tonalité mélodramatique, sans parler de la scène où Furiosa s’en va hurler, à genoux, dans le désert, la mort des siennes, ces scènes relèvent soit du grotesque soit… du grotesque). Mais ce ne sont bien que 5% du film, en comptant large. Et pour la plus grosse part du gâteau, il n’y a pas à dire, George Miller sait y faire. C'est probablement son seul talent mais il le tient, ou plutôt le tient enfin. Le film fout effectivement un gros coup de pression au tout Hollywood en parvenant à atteindre un rythme de croisière fulgurant sans se crasher en cours de route.




Mais je me trouve presque dur. Car en réalité, et quitte à me trouver presque doux, je dois dire que Miller réussit un peu plus que cela, et que ses réussites supplémentaires pourraient passer pour dérisoires mais sont capitales quand on connaît un peu l'oiseau pour s'être tapé et retapé les trois premiers films de sa franchise. D’abord, Mad Max : Fury Road compte deux scènes particulièrement réussies et dont la réussite ne tient pas qu’à la création et au maintient improbable d’un rythme hallucinant. D'une part, la séquence de la tempête de sable, où Miller joue sur une altération des couleurs et sur une invasion du noir et blanc assez frappante, donnant l’impression que le film lui-même subit, dans son tissu, les assauts cataclysmiques d’un cyclone sorti de nulle part. Et c'est bien l'effet que nous fait ce nouveau Mad Max, film émergé d'on ne sait où, qui déboule en trombes, foutraque, puissant et, pour ses rivaux, assez destructeur. D'autre part, la séquence étonnante des marécages, cette étendue spongieuse parcourue d’étranges échassiers humains, où, une nouvelle fois, Miller change soudain de teinte, et de registre, plongeant le film dans une nuit bleue assez somptueuse, tandis que le convoi des fuyards s’attache à un arbre solitaire et que retentit le Dies Irae du Requiem de Verdi.




Et puis, pour la première fois dans sa série, le cinéaste façonne un personnage principal assez consistant. Je ne parle pas de Max, qui n’a, faut-il croire, jamais intéressé Miller. Tom Hardy lui donne encore moins de poids que Mel Gibson en son temps, qui n’avait déjà pratiquement rien à jouer mais le faisait somme toute mieux (et pourtant...). Je parle évidemment de Furiosa. Miller met clairement (et assez lourdement) en scène la passation de pouvoir, laissant son (soit-disant Mad) Max sur le bas-côté, au sol, littéralement largué, au profit du personnage féminin de son film (on ne fera pas tout un fromage sur Mad Max 4 grand film féministe… féministe, le film l’est un peu, et l’est pas mal comparé à quelques grosses machines Marvel, mais si ce film est un grand film féministe, le féminisme a de beaux jours devant lui). Et la transmission de témoin s’organise jusque dans le titre, si l’on se permet d’entendre « Fury Road » comme « La route de Furiosa ». Assez solidement interprétée par Charlize Theron, la susnommée Furiosa en impose davantage que son covoitureur mâle, et c’est rien de le dire. C’est une première pour la saga, qui avait connu quelques personnages secondaires sympathiques (notre critique du deuxième opus leur faisait la part belle) mais finalement peu présents (au contraire ici, d'ailleurs, d'un personnage secondaire assez intéressant en la personne de Nux, interprété par Nicholas Hoult, un war boy d’Immortan Joe pris à parti dans l’équipée sauvage de Furiosa), et dont le héros masculin éponyme n’avait jamais su nous gagner à sa cause (laquelle au juste ?).




Je suis peut-être injuste aussi quand je précise que l’on peut apprécier le spectacle (on y est en plein, Miller lance même des feux d'artifice à intervalles réguliers !) à condition de fermer les yeux sur tout ce qui n’est pas action et vitesse pure. Il faut, je ne le redis pas, faire le mort devant les quelques scènes voulues émouvantes de l’affaire. Mais en termes d'idées de scénario, le film n'est peut-être pas si plat et commun qu’il n’y paraît. Mettons le mot « idées » au singulier, pour ne pas avoir l’air d’en faire des tonnes. Je retiens celle (et mieux vaut avoir vu le film avant de lire ce qui suit, pas que la révélation soit capitale mais on pourrait m'en vouloir à mort et attenter à ma vie, donc je me couvre un max) qu'ont les personnages (le mérite en est attribué à Max, que Miller ne pouvait pas laisser dans le caniveau sans lui avoir offert de penser au moins une fois dans sa vie) de retourner sur leurs pas, d'arrêter la fuite en avant vers probablement rien et de revenir dans la citadelle initiale, celle que gouvernait jusqu’ici le despote Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne, méchant du 1er volet, mais peu importe... ici dans le rôle du tyran putanier et doctrinaire pratiquant une politique d’austérité à l’égard de la nouvelle denrée rare - après le fuel, l’eau, plus banal, certes… - du monde post-apocalyptique de Miller), pour essayer de la dérober à son leader et de la révolutionner de l'intérieur, de la rendre meilleure (parabole de ce que Miller fait avec sa propre saga, bien sûr, qu’il reboote et hausse effectivement d’un ou de plusieurs tons, chose assez rare pour être soulignée), bref cette idée somme toute assez simple qui veut que l'herbe ne sera que très peu vraisemblablement plus verte ailleurs (encore qu'elle le sera forcément vu que d'herbe il n'y a point dans le désert où se déroule le film), et qu'il serait temps d'essayer d’agir là où l'on crèche plutôt que de foncer vers un éden illusoire (ou aussi imbitable que celui de Mad Max troisième du nom). (Phrase un peu longue non ?). Voilà une assez belle idée au fond, qui me donnerait presque envie de rapprocher le film, dans sa tentative d’appréhender les angoisses eschatologiques contemporaines et d’y répondre, de se coltiner le sujet de la responsabilité du guide et de l'engagement personnel, de ces films qui, ces dernières années, l’ont fait d’une toute autre manière. En vrac, La Dernière piste, Habemus Papam, Take Shelter ou 4h44 dernier jour sur terre. Mais j’ai bien peur, là, après avoir peut-être injustement limité le film à sa grande qualité « dynamique », de le hisser à des considérations auxquelles lui-même ne prétend pas férocement.


Mad Max : Fury Road de George Miller avec Tom Hardy, Charlize Theron, Nicholas Hoult et Hugh Keays-Byrne (2015)

Stuck

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Ce film de Stuart Gordon s'inspire d'un fait divers macabre et cocasse survenu à Fort Worth, Texas, en 2001. Une histoire terrible que l'affiche ci-contre a judicieusement choisi de résumer via cette fausse couverture de journal intrigante. Après avoir heurté un sans-abri avec sa bagnole, une jeune infirmière n'a rien trouvé de mieux à faire que de laisser la victime telle quelle, encastrée dans son pare-brise, l'abandonnant à l'agonie dans son garage ! Croyez-le ou non, à partir de ce point de départ pourtant assez limité, Stuart Gordon accouche d'un film pas mal du tout. Sérieusement. Ce pitch donne lieu à une sorte de thriller particulièrement efficace où l'on retrouve quelques éléments horrifiques et gores (ça reste un film de Stuart Gordon, à qui l'on doit Re-Animator, que je n'avais pas trouvé si fameux malgré son statut de film culte, et bien d'autres titres du même genre) mêlés à cet humour noir très cher au cinéaste et habilement maîtrisé ici puisqu'il participe à nous faire éprouver un large panel d'émotions pour tous les personnages plus ou moins débiles en présence, lors des situations rocambolesques qu'ils traversent.




Mena Suvari est parfaitement choisie dans le rôle de cette énorme cruche inconsciente et dépassée par les événements, elle qui a tout à fait la tronche de l'emploi. L'éternel regard de chien battu de Stephen Rea, qui m'avait déjà conquis dans Citizen X, est lui aussi idéal pour ce rôle de pauvre clodo, laissé pour compte, laissé pour mort. Il y a bien quelques petits détails pas trop crédibles ou incohérents, sur la fin notamment, mais tout cela reste toujours très plaisant à suivre. Et le ton satirique du film, qui n'est guère pesant mais bel et bien présent, lui permet d'être un peu plus qu'une petite série b bien sympatoche. Avec ce dénouement, qui fait intervenir une famille d'immigrés exclus, eux aussi, de la société, venant en aide au SDF très mal en point, je dirai même que Stuck prend des allures de brûlot social particulièrement féroce. Un véritable pamphlet. Ken Loach peut aller se rhabiller... Et à la fois, le film de Stuart Gordon ne perd jamais de vue ce qui est à l'évidence son principal objectif, nous divertir et nous scotcher devant l'écran, face à une histoire complètement folle et absurde. Stuck est donc avant tout un thriller très tendu ; le meilleur film de Stuart Gordon que j'ai vu, et j'en ai pas vu tant que ça !


Stuck de Stuart Gordon avec Mena Suvari et Stephen Rea (2007)

Valentin Valentin

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Faut-il trouver du charme à Marie Gillain, dont Pascal Thomas, après d'autres, révèle toute la beauté très full frontalement (c'est bien sa seule façon d'honorer l'actrice, à laquelle il offre un rôle de nymphomane adultère hystérique pitoyable), pour rester planté face à ce déplorable film, Valentin Valentin, whodunit sauce comédie dépourvu de toutes les qualités potentielles des deux genres qu'il réunit (pas facile, certes, mais certains y sont parvenus : Hitchcock avec The Trouble with Harry, ah bah oui, ok, de suite, Hitchcock, voilà, bah oui, mais si). Dans la foulée du Grand appartement, film de 2006 où Pascal Thomas réservait plus ou moins le même traitement (en tout cas en termes d'hommage frontal) à Laetitia Casta qu'à Gillain aujourd'hui, le cinéaste situe ses marivaudages dans un immeuble parisien toutes portes ouvertes où l'on chante, danse, s'aime, se déchire et vit de petites aventures pseudo-sympathiques. P. Thomas semble chercher un lointain patronage chez Rohmer et Truffaut (qui s'en foutent pas mal), pour finalement atterrir dans le sillage d'un bon vieux vaudeville nanardesque du type A gauche en sortant de l'ascenseur.




Le film est insignifiant. Mais on ne prend pleinement conscience de l'étendue de la catastrophe que constitue le sens de l'écriture de Pascal Thomas qu'à la fin du programme. Que je vous explique. On apprend en préambule que Valentin (Vincent Rottiers), personnage central de l'affaire - jeune rentier fade et sans qualités supposé irrésistible et que toutes les femmes du film vont se disputer à mort - a été assassiné. Mais qui l'a tué ? Who dun it (en anglais) ? On s'en fout royal. Toujours est-il qu'après un long retour en arrière, nous finirons par être enfin débarrassés de ce personnage si transparent que le titre martèle son nom comme pour le faire exister, et qu'alors les suspects seront nombreux à se disputer l'honneur de l'avoir flingué.




Pourquoi pas la marâtre qui règne sur la petite famille de chinois de l'autre côté de la rue, mafieux clandestins qui ont transformé un bouge en plantation de bambous et qui retiennent prisonnière une petite jeune fille innocente, elle aussi éprise de Valentin et prête à foutre les voiles avec lui. Pourquoi pas Freddy (Louis-Do de Lencquesaing), le mari trompé et sanguin de Claudia (Marie Gillain), qui a déjà filé quelques beignes au bellâtre éponyme pour calmer ses ardeurs. Pourquoi pas Claudia (Gillain donc) elle-même qui, rejetée par un amant las de se faire tabasser pour ses beaux yeux, a juré de se venger de lui. Pourquoi pas Marilou Berry, la voisine de Valentin, folle amoureuse de lui et (forcément) jalouse de Gillain. Bref, on s'en fout je vous dis. Le coupable sera confondu à la fin du film et on s'en foutra encore plus une fois découvert. Mais avant cela, l'enquête est lancée, et l'un des meurtriers potentiels n'est autre que Roger, aka François Morel, l'ex-Deschien qui semble avoir acheté sa filmographie sur le 3615 code kinenveut.




Qui joue-t-il dans ce film ? Il joue Roger, jardinier de profession, mari de la femme de ménage de Valentin, et pédophile à ses heures perdues. On le devine, d'abord, dans un dialogue d'une finesse inouïe, où le personnage reproche à sa femme d'avoir des formes, de mesurer plus d'1m20 et d'être majeure. Puis plusieurs scènes nous le présentent sur son lieu de travail (le jardin public où Valentin sera bientôt retrouvé mort), planqué derrière les buissons pour reluquer et photographier les fillettes du collège voisin en plein cours de sport. Plus tard, dans une scène qui peut vous sécher une carrière bien assise (sachant que la filmographie de Morel est une chute libre sans fin), on voit notre Roger en train d'imprimer les photos faites dans le parc, chez lui, sur son imprimante perso, flinguant tout son lot de cartouches Epson SX400 à 30 euros le lot. Morel joue cette scène comme s'il était encore coincé dans un épisode des Deschiens. Il se frotte le visage contre les photos imprimées sur papier A4, en murmurant des horreurs proférées sur le ton de la mégère qui parle à son toutou en le caressant de la tête aux pattes, le tout la main dans le froc. La représentation du pédophile-type a de quoi laisser songeur.




Et comme il est surpris dans sa private session par Valentin (qui, entre parenthèses, est certes un bon samaritain prêt à épouser la petite chinoise d'en face pour qu'elle obtienne des papiers, mais ne signalera à personne le comportement un rien douteux du psychopathe pédophile qui vit à côté de chez lui), Roger devient (pour le spectateur donc, mais aussi pour la police, qui a retrouvé le téléphone portable du jardinier dans le parc, non loin du macchabée) un suspect de premier choix. Sauf qu'il n'y est pour rien, et c'est une voix-off qui nous l'apprend (celle du narrateur de l'histoire, un autre voisin, heureux de servir la soupe), et qui nous l'apprend en ces termes : "Roger ne fut pas condamné pour ses rêveries de promeneur solitaire". Heureux d'apprendre que ce brave type, qui photographiait à leur insu des adolescentes pour s'astiquer sur les photos volées, s'en tire sain et sauf. Ouf ! Mais quid de l'association opérée dans les termes par notre cher Pascal Thomas entre les réflexions de Rousseau et les passions d'un jardinier planqué derrière des arbres pour se branler sur des gosses en short ? Cette phrase m'a définitivement scié en deux.


Valentin Valentin de Pascal Thomas avec Vincent Rottiers, Marie Gillain, Marilou Berry, Louis-do de Lencquesaing et François Morel (2015)

Phone Game

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L'affiche de ce film ne nous évoque rien de bien agréable, à cause de sa tagline : "Raccroche et tu es mort". C'est ce que nous disent nos compagnes à chaque fois qu'on les a au bout du fil... Pourtant, ce poster symbolise une heure et quart de pur bonheur. Une heure et quart en compagnie de Colin Farrell in a glass case of emotion. L'acteur est pris au piège d'une cabine téléphonique. La caméra est coincée entre ses sourcils de dingue et le combiné. A l'autre bout de la ligne, pointant sans relâche le canon scié de son fusil à lunette sur Farrell, un acteur dont la voix commençait à peine à être reconnaissable, alors qu'elle est aujourd'hui une signature, au point que quiconque découvre le film de nos jours saura dès le départ qui incarne le vilain : Jack Bauer. Mais ça n'a finalement que peu d'importance tant le suspense et la tension instaurés par Joel Schumacher reposent sur un pitch minimaliste dont on mesure aujourd'hui toute l'importance dans l'histoire des scripts à Hollywood. 


Le regard du type qui se dit : "Putain il vise pas trop maaaaal..."

Combien de films découlent en droite lignée de Phone Game ? On peut penser à Buried, à Locke, à Frozen, à Wrecked et tant d'autres, qui s'appuient tous sur une unité de lieu, de temps et d'action réduite au maximum pour un suspense d'autant plus grand et des rebondissements forcément percutants. Combien d'acteurs s'inspirent par ailleurs du jeu de sourcils de Colin Farrell ? En 2002, à l'aube d'internet, alors que minitels et fax se disputent encore le bureau de papa, Joel Schumacher a déjà flairé tous les changements à venir dans le domaine des communications, actant tout simplement la mort de la cabine téléphonique en tant que telle et de tout ce qui est filaire en général. Une anecdote assez connue raconte que durant la promotion de ce film, à un journaliste malicieux et encore sous le choc de la projection qui lui demandait : "Comment voyez-vous le futur Monsieur Schumacher ?", le cinéaste répondit en pointant tous les recoins de la pièce du bout d'un index giratoire : "Tu vois tous ces fils qui traînassent par terre ? Bientôt y'en aura plus". 


Le visionnaire, entre deux éclairs de génie.

Artiste visionnaire, Schumacher n'en est pas moins un bras cassé, un facho affirmé et depuis peu un taulard dont on attend la sortie de coma après une chute en rollers lors d'un séjour de villégiature dans le sud de la France, plus précisément à Rouffiac-d'Aude, où nous avons nous-mêmes de la famille. Toujours dans les bons coups, notre clébard, Baltasar Kormákur, au volant de son pick-up, pris dans son élan, n'a pas freiné à temps et a heurté Joel (avec ce bruit que fait un bouchon de champagne qui saute) tandis que le cinéaste sortait chercher son journal. On est donc aux premières loges de ce drame, pour lequel nous éprouvons tout de même une once de culpabilité. Ne laissez pas conduire vos clebs, même quand ils semblent savoir piloter. Rassurez-vous, notre Baltasar fait ses nuits, pas troublé le moins du monde.


Phone Game de Joel Schumacher avec Colin Farrell, Kathie Holmes, Rada Mitchell et Kiefer Sutherland (2002)

Jupiter Ascending

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Je me suis surpris à passer un bon moment devant le dernier film des "frères" Wachowski, Jupiter Ascending, space opera pur jus, assez froidement accueilli à sa sortie en début d'année. Peut-être étais-je dans un bon soir, peut-être avais-je tout particulièrement envie d'un film de ce genre-là et que les Wachowski sont tombés à pic. Le fait est que j'ai plutôt accroché à cette histoire qui apparaît comme une sorte de croisement entre Star Wars et Matrix, dans laquelle une jeune femme (Mila Kunis) voit sa morne vie totalement chamboulée quand elle apprend qu'elle fait partie d'une des familles les plus puissantes de l'Univers. Embarquée dans une folle aventure qui la mènera jusque dans les tréfonds de Jupiter, elle sera défendue par un homme-loup (Channing Tatum) dont elle tombera rapidement amoureuse. Et je n'irai pas plus loin dans la présentation du pitch, par peur de déjà refroidir la plupart d'entre vous !




Moi qui avais dû déclarer forfait devant Cloud Atlas, leur précédent opus, beaucoup mieux reçu il y a deux ans et auquel je suis à présent bien motivé à redonner une chance, je dois aujourd'hui reconnaître que, par les temps qui courent, les Wachowski sont des cinéastes à part, qui méritent pleinement d'être salués et défendus. Ces deux-là sont quasiment les seuls à encore proposer des blockbusters si ambitieux, généreux et originaux. Face à Jupiter Ascending, on ne doute jamais de leur sincérité et de la noblesse de leurs intentions. Leur film, un brin foutraque, a certes des défauts évidents, tutoie parfois le kitsch, et pourra sûrement en fatiguer plus d'un dans sa volonté d'en mettre plein la vue, notamment lors de scènes d'action toujours très lisibles mais un peu longuettes. Le scénario, assez fouillis, paraît étonnamment condensé sur deux heures, avec quelques ellipses et un montage un peu déconcertants en ces temps sombres où il est plutôt de coutume d'étaler ce genre d'histoires sur de longues et pénibles trilogies (quand ça n'est pas davantage...) pour s'assurer un maximum de recettes au box office. Cela ne m'étonnerait donc guère qu'un director's cut sorte bientôt en vidéo mais, en l'état, j'ai personnellement trouvé tout à fait compréhensible ce film assez osé que beaucoup se sont plu à traîner dans la boue.




Il faut reconnaître aux Wachowski une vraie inventivité visuelle et une certaine habileté pour la création d'un univers captivant, dont on a envie de mieux comprendre les rouages. Les acteurs aussi ont l'air de croire en ce qu'ils font, malgré le côté grotesque de leurs rôles et de certaines situations. Je pense par exemple à cette scène où Channing Tatum explique qu'il a davantage en commun avec un clébard qu'avec la charmante Mila Kunis. Cette dernière lui rétorque alors spontanément qu'il ne s'agit pas d'un grand problème parce qu'elle a toujours aimé les chiens, et cela donne lieu à un moment assez comique, où la touche d'humour fait d'autant plus plaisir dans le sens où il ne s'agit pas du second degré ou des références lourdaudes dont on nous abreuve ailleurs (notons toutefois un curieux passage ouvertement parodique, épinglant la bureaucratie extraterrestre et se terminant même par un cameo de Terry Gilliam). Eddie Redmayne, récemment récompensé d'un Oscar pour son interprétation de Stephen Hawking, campe ici un méchant plutôt convaincant, sa tronche assez flippante, dominée par une bouche étrangement gonflée, convient tout à fait au rôle.




Bien sûr, les moins friands de science-fiction auront un mal fou à supporter Jupiter Ascending, qui est un gros space opera comme il s'en produit finalement fort peu ; mais les amateurs ont tout intérêt à s'y risquer. Ils pourront peut-être, comme moi, y trouver un plaisir qu'ils n'avaient pas ressenti depuis longtemps devant un tel spectacle. Ils pourront aussi, et c'est plus probable, revenir sur cette page pour m'insulter. Je me sentirai alors encore plus seul, mais je suis prêt à assumer...


Jupiter Ascending (Jupiter : le destin de l'Univers) d'Andy Wachowski et Lana Wachowski avec Mila Kunis, Channing Tatum, Sean Bean et Eddie Redmayne (2015)

A Most Violent Year

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à Papa B.

Dès le départ ça sent mauvais. La faute à ce bon vieux caca d'oie (filtre bleu, ou jaune, ou vert, ou autres couleurs désaturées, je n'en sais rien et je m'en fous) qui donne d'emblée au film ce look pseudo-rétro si surfait et si banal. Trois couleurs dans ce film, grand maximum : du beige, du jaune (principalement sublimé par le par-dessus jaune que porte le héros tout du long, cet incroyable par-doss qui lui vole quasiment la vedette) et du jaune foncé. J'en oublie peut-être une ou deux. Le noir, puisque c'est une couleur. Mais de toute manière elles se confondent toutes dans cette teinte vert-jaunâtre dégueulasse qui nous crie dessus "film noir d'époque classieux !", alors qu'on n'a rien demandé et qu'on aurait vite pigé. On sait dès les premières secondes qu'on va assister à un film noir néo-noir néo-classique noir très sérieux, sobre, sombre (pratiquement tourné dans le noir du coup), mais surtout long et chiant. Et c'est bien ça qu'on aura dans l'assiette. Un film de genre réchauffé, propre sur lui et absolument lénifiant. N'est pas James Gray qui veut, même si J. C. Chandor a l'air de faire des pieds et des mains pour lui ressembler.




C'est l'histoire d'un type en par-doss jaune, Abel (Oscar Isaac), qui a monté une boîte de transport de pétrole avec sa petite volonté de fer et qui s'apprête à racheter à des juifs un ancien chantier de livraison idéalement placé en bord de fleuve, histoire de faire grandir encore sa petite entreprise qui ne connaît pas la crise. Mais il est emmerdé par un contrôle fiscal d'un côté, et par des concurrents mafieux qui volent ses camions à mains armées, ainsi que leur précieux chargement, de l'autre. Sans compter sur sa femme, Anna (Jessica Chastain), superficielle et menteuse, qui devrait l'aider mais n'est pas toujours très claire dans sa façon de gérer les finances de la boîte, ce qui pose d'autant plus problème que son mari revendique une parfaite droiture pour son entreprise. En parlant d'elle, être parvenu à rendre Jessica Chastain presque laide (malgré une ou deux scènes en décolleté qui raviront les fans les moins exigeants) n'est d'ailleurs pas le moindre des torts de J. C. Chandor. Et l'actrice n'y est certainement pour rien. Responsable ni de son look merdeux ni de la faiblesse du film. Pas plus qu'Oscar Isaac, qui fait son travail et qui mérite salaire, comme tout le monde. Non le problème est ailleurs, et il est multiple. Cette image affadie, appauvrie en couleurs, anesthésiée, est parfaitement symptomatique d'un film étriqué, monolithique, bien paresseux, incapable de surprendre son monde, incapable d'opérer le moindre virage pour décrocher ne serait-ce que temporairement d'un cahier des charges ultra programmé et imparable, infoutu de se libérer de sa ligne de conduite, ni dans sa mise en scène ni dans son scénario (signé Chandor aussi), et qui s'achève dans une scène finale plombée par une réplique et une image lourdes comme il s'en fait peu. 




La réplique en question évoque ce maudit "rêve américain", et elle aura suffi à fournir son charbon à la plupart des critiques à gaz, dont sans doute celle de Télérama citée sur l'affiche, ravies de nous apprendre que, dites donc tenez-vous bien, le rêve américain est et a toujours été un paravent tendu devant un royaume pourri jusqu'à la moelle, une gigantesque scène de crime... Édifiant. L'image qui conclut le film et veut frapper les esprits n'est pas moins explicite : c'est celle d'un laissé pour compte, un ancien chauffeur au service d'Abel, en cavale depuis qu'il a résisté à sa deuxième agression au volant d'un chargement, qui finit sans rien alors que son patron termine le film les mains pleines, et qui, tandis qu'Abel, sa femme et son avocat viennent de finaliser le rachat du terminal de livraison situé près du fleuve et admirent leur acquisition, les rejoint et se tire une balle dans la tête, balle qui ressort de son crâne pour aller percer, derrière lui, une cuve de pétrole. Et Chandor insiste bien sur cette cuve perforée dont s'échappe un filet d'or noir, tandis que tout autour du trou ont éclaté des gouttes de sang... Fine métaphore. Abel qui, tel son homonyme biblique, vient de (faire se) tuer son frère, un autre immigré parti de rien, comme lui, bouche alors le trou de la cuve avec un mouchoir : préserver le pétrole, sauver le pognon, plutôt que les hommes. Le message n'est pas du tout martelé sur nos crânes. Merci monsieur Chandor de bien veiller à ce que tout le monde ait pigé votre film, et de faciliter la tâche à vos exégètes. Pour parvenir jusqu'à cette fin pleine d'enseignements subtils, il faut se fader un film long, très long. Pendant toute la projo j'arrêtais pas de me répéter la phrase de Pialat : "C'est du cinéma que c'est pas la peine, c'est du cinéma que c'est pas la peine, c'est du cinéma.... ad libitum".


A Most Violent Year de J.C. Chandor avec Oscar Isaac et Jessica Chastain (2014)

Il était temps

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Richard Curtis est le grand spécialiste britannique des comédies romantiques qui font des ravages auprès de la gent féminine. On lui doit déjà Quatre mariages et Un enterrement, mais aussi Coup de foudre à Notting Hill et Love Actually, rien que ça. Richard Curtis, c'est donc quatre films et autant de succès, malgré un enterrement... Il a juré que ce nouveau film, il était temps, serait son tout dernier en tant que réalisateur. Avant sa retraite, sa route devait forcément croiser celle de Rachel McAdams, agréable actrice également spécialisée dans le domaine de la romcom, dont la filmographie est une liste longue comme le bras de titres à l'eau de rose tels The Notebook (Le Calepin), Hors du temps (What's Time ?) ou Je te promets (I Owe U). Le résultat de leur collision était donc très attendu au tournant et je suis là pour dresser le constat amiable !




Premier constat : la petite formule de Richard Curtis est toujours la même, il s'appuie sur une idée de départ plus ou moins accrocheuse, met en scène un couple inattendu, forcément "trop mignon", l'entoure d'une ribambelle de personnages secondaires pittoresques et saupoudre le tout d'une pincée d'humour british inoffensif. Ici, le jeune Tim apprend qu'il a le pouvoir de remonter dans le temps pour changer le cours de sa vie. Ce pouvoir lui vient de son père (Bill Nighy), qui le lui annonce le jour de son 21ème anniversaire, comme le veut la tradition, et lui avoue en avoir bien profité, dans un geste du poignet très équivoque. Pour immédiatement réduire le champ des possibles, Bill Nighy prévient son fils qu'il peut uniquement se déplacer dans des lieux et à des moments qu'il a déjà connus, et qu'il ne vaut mieux pas utiliser ce don pour toucher le pactole ou devenir célèbre. En revanche, aucune contre-indication de s'en servir pour pécho à tout-va...




Tim, grand romantique frustré et trahi pas un physique difficile, y voit donc un beau moyen pour enfin parvenir à ses fins avec cette blonde bien craspec (campée par l'australienne Margot Robbie) de passage, comme chaque année, dans le grand manoir familial pour les vacances d'été. Il doit tout de même s'y reprendre à plusieurs fois et cumuler quelques semaines de râteaux avant de trouver la bonne méthode et réaliser son rêve de gosse, ce qui nous vaut une introduction assez sympathique. Débarrassé de ce très lourd fardeau que constituait pour lui sa virginité, Tim se servira ensuite de son pouvoir magique pour conquérir celle dont il tombera éperdument amoureux deux mois plus tard, Mary (Rachel McAdams), une fan de Kate Moss croisée dans le noir d'un pub londonien qui organisait ce soir-là une nuit de speed dating aveugle...




Déjà, retenons le positif. C'est une bonne chose d'avoir choisi Domhnall Gleeson, fils de Brendan Gleeson et rouquin dégingandé au nez en trompette, dans le premier rôle. Il faut se le farcir, certes, mais ça nous change un peu de ces bellâtres ordinaires qui rendent quasi impossible toute volonté d'identification au public masculin. Rachel McAdams, plus habituée à avoir affaire à des stars aux muscles saillants et aux coupes impeccables comme Eric Bana, Ryan Gosling ou Channing Tatum, a d'ailleurs avoué avoir eu "un mal de chien"à reconnaître, chaque matin de tournage, son partenaire sur le plateau. Lors de certains dialogues, on peut même remarquer un léger décalage entre les regards des deux personnages, vous savez, ce petit couac que l'on constate trop souvent dans ces films de science-fiction où des acteurs, désorientés car évoluant déjà sur fond vert, doivent interagir avec des interlocuteurs créés de toutes pièces sur ordinateur et ne savent plus vers où se tourner (cas d'école : Star Wars : Episode 1 - Le Fantôme Menace, et toutes les scènes avec Yar-Yar Binks qui illustrent parfaitement ce problème récurrent dans le cinéma de divertissement moderne).




Malgré des acteurs assez charmants et une idée de scénario qui donne lieu à quelques passages plutôt plaisants au début du film, Il était temps tourne vite en rond, s'effondre progressivement et finit même par agacer. Plusieurs aspects de ce film farfelu m'ont gêné. On sent bien que Dick Curtis a été dépassé par son pitch. Il a voulu trop en faire et rien ne tient debout. Il aurait dû se contenter de nous montrer un vieux zonard s'y reprendre systématiquement à plusieurs fois avant de pécho. C'est assez ludique, ça pouvait bien remplir 1h30. Hélas, Curtis a tôt fait de se perdre dans des réflexions philosophiques de caniveau, à mille lieues de nos attentes devant un tel spectacle. Le pire étant cette longue digression totalement dispensable où, pour éviter à sa sœur un terrible accident de bagnole provoqué par l'infect beau-frère alcoolo, Tim décide de retourner dans le temps afin d'empêcher le mariage, oubliant au passage que sa petite fille Porky est née après les noces funèbres ! Cet aller-retour temporel a donc pour conséquence de sauver la vie de sa frangine, d'éradiquer tonton Scefo du cocon familial, mais aussi de transformer la fille de Tim en un petit mec ! Et Tim s'y fait... Il n'y voit aucun inconvénient. Alors certes, il tique un peu lors du premier changement de couche en découvrant le joystick miniature de son bambin. Mais en dehors de ça, rien à fiche. Que faut-il comprendre ? Mine de rien, Dick Curtis adresse un message odieux à tous les pédiatres et, plus grave encore, à tous les enfants de moins d'un an du monde entier, interchangeables.




Une autre scène m'a particulièrement contrarié : celle de la "première fois" entre Tim et Mary. Mécontent de sa performance sexuelle, vraisemblablement jugée un brin trop courte par sa compagne, Tim décide de retourner 47 secondes en arrière, pour se donner une nouvelle chance d'être un peu moins égoïste. Mais la deuxième fois n'est pas la bonne : un flatus vaginalis d'outre-tombe dont la durée anormalement longue dépasse à elle seule celle du premier coït met d'emblée tout le monde mal à l'aise. A refaire. La troisième tentative échoue de nouveau à cause d'un simple regard de Tim qualifié de "particulièrement flippant" par la jeune femme lors des préliminaires. Le quatrième essai est le bon. Des effets de montage hideux nous font comprendre que le rapport s'étend et s'étend encore, que plusieurs chapitres du Kama Sutra sont réécrits, réinventés, que les orgasmes, au pluriel, sont partagés, que les voisins sont conviés à la fête, simples spectateurs béats ou membres actifs des ébats, que les animaux de compagnie s'y mettent aussi, en rythme, dans un grand éloge inter-espèce à la Vie, tout ceci grâce à l'endurance et à la puissance perforatrice inouïe d'un homme fédérateur et plus déterminé que jamais. Que faut-il comprendre là encore ? Selon Dick Curtis, il faut donc pouvoir réaliser une perf' digne d'un acteur porno au zénith de sa carrière pour "assurer la première fois". C'est franchement pas jojo tout ça...




Il était temps est donc une grande déception pour l'amateur de romcom qui voulait assister à une conjugaison de savoir-faire entre un cinéaste et son actrice. Le vague intérêt du film réside étonnamment ailleurs : dans cette relation plutôt touchante entre le père et son con de fils, que Curtis ne fait qu'effleurer mais à laquelle ses acteurs réussissent à donner vie. C'est ce que l'on préférera retenir de ce film dont je ne me souviens plus.


Il était temps de Richard Curtis avec Domhnall Gleeson, Rachel McAdams, Bill Nighy, Margot Robbie et Tom Hollander (2013)

Contes italiens

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Après leur heureux retour, il y a trois ans, avec César doit mourir, les frères Taviani, aujourd’hui âgés de 83 et 85 ans, s’attaquent désormais au Décaméron de Boccace. Le titre original du film, Maraviglioso Boccaccio, littéralement « merveilleux Boccace », dit bien la volonté toute simple des frères de rendre un hommage au père de la prose italienne. D’aucuns diront que cet intitulé trahit en fin de compte un exercice sur table bien sage, la copie propre et anonymée de deux doctes admirateurs rendant une pieuse (on est loin - et au-dessus - de l'adaptation de Pasolini) révérence au maître. Il est désormais admis, dans les hautes sphères de la critique, que les Taviani font des « films de profs » (à prendre comme une stricte insulte). Mais préférons le titre français du film : Contes italiens. Car il n’est question, là-dedans, que de l’art de conter et de la beauté de cet art. Boccace profita en somme de l'épidémie de peste noire qui ravageait l'Europe au milieu du 14ème siècle pour inventer la nouvelle. Dans la Florence de 1348, le poète imagine la fuite d'un groupe de dix jeunes gens hors des frontières de la ville, dans une campagne idyllique, où ils se donnent pour seule mission de se raconter des histoires afin de mieux supporter le souvenir des charniers. Les dix personnages doivent ainsi raconter, à tour de rôle, une histoire par jour pendant dix jours, chaque histoire répondant à une question posée la veille par le roi ou la reine du jour, le tout offrant à l’auteur l’occasion d’élaborer cent courts récits.




Les Taviani réduisent la compilation de Boccace à cinq contes. Six si l’on n’oublie le récit de la fuite de la funeste Florence par la troupe des futurs conteurs. Les cinq récits proposés par les rescapés, qui s’installent chaque jour en un lieu nouveau de leur havre de paix pour écouter drames et farces, sont d’abord, il faut bien le dire, captivants, qu'il soit question de la résurrection d'une pestiférée, d'un idiot convaincu d'être devenu invisible ou d'un pauvre amoureux languissant auprès de son ami faucon. Au surplus, à travers ces contes millénaires, les Taviani s'adressent à nous de façon très directe. La catastrophe de Florence est au fond la métaphore de n’importe quelle catastrophe, et le besoin de raconter des histoires et de s'en faire raconter, correctement si possible, en des temps où la fascination de l’apocalypse pèse et où les histoires peinent à être délivrées avec soin, est pour le moins parlant. 




Dans ce film, on fabrique des récits comme on fabrique du pain : en groupe, en se distribuant les rôles, en faisant appel à la mémoire collective et, en fin de compte, pour survivre. Les frères Taviani placent une scène boulangère en plein milieu du film, et insistent sur le geste, la main, le travail. Ils n’ont pas choisi de reprendre le modus operandi de l’affaire décameronesque tel que décrit par Boccace : ce principe selon lequel chaque jour le roi ou la reine temporairement désigné édicte la question à laquelle le conte du lendemain devra répondre, donnant une sorte de consigne au conteur suivant (procédé qui eût probablement intéressé un cinéaste comme Eric Rohmer, dont toute l’œuvre ou presque répond à une construction sérielle bâtie sur des grandes questions prenant la forme de proverbes, de questions, d’options ; à l’exception de quelques titres, comme Les Amours d’Astrée et de Céladon, auquel Contes italiens peut parfois vaguement faire penser). 




Mais ici, avant chaque récit, un instant précis du conte à venir surgit inopinément, sous la forme d’un plan comme extrait de son film et antéposé, échantillon de bande-annonce, avant-goût mystérieux intercalé par le montage parmi les scènes de la vie des conteurs dans leur campagne paradisiaque (quoique hantée par la mort proche - car ses habitants sont sans cesse rattrapés par le chagrin), comme si les histoires étaient en gestation, travaillaient le conteur avant que son tour ne vienne (de sorte que la campagne est doublement hantée, par la mort à Florence et par les contes de résistance et de survie qui y sont dits). Les images resurgiront aussi après, car les contes de Boccace n’ont rien perdu de leur force et sont mis en scène avec une élégance tout à fait appréciable. Si les Taviani filment en professeurs ils savent encore, m'est avis, passionner leur ouailles pour leur beau sujet et donner envie de lire, toute affaire cessante, le Décaméron de Boccace.


Contes italiens des frères Taviani avec  Riccardo Scamarcio, Kim Rossi Stuart, Paola Cortellesi, Vittoria Puccini et Jasmine Trinca (2015)

Detective Dee 2 : La Légende du dragon des mers

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à Josué Ba (dit Ibrahim) et Josette K. (dit Eugénie)

Dites donc je me demandais : y'a des fans de Tsui Hark parmi nous ? Parce que moi je tsuis pas fan du tout ! Hier j'ai vu ça au tsuinoche, et j'ai du mal à piger ce qui peut être non-moche dans un tel tsuinéma ! Je tsui peut-être complètement passé à côté d'un truc, et ce gars aurait plus d'une corde à son hark ? Après toutes ces scènes hideuses remplies de cascades et de jiu-jitsui, en sortant du ciné, ma meuf m'a dit : "Je t'ai tsuivi voir cette merde alors ce soir T-sui la vaisselle".


Detective Dee II : La Légende du Dragon des mers de Tsui Hark avec Mark Chao (2014)

Le Jour du vin et des roses

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Nous accueillons aujourd'hui le joliment pseudonymé Nick Longhetti, lecteur assidu et compagnon de route du blog, qui s'est proposé de nous et de vous parler d'un film de Blake Edwards :

Pour que le cinéma puisse prétendre à une fonction d’art majeur, il se doit de s’imprégner de motivations sociales mélioratives. La mise en scène doit être au service du récit. Blake Edwards n’est pas Billy Wilder ni même Ernst Lubitsch. Pourtant ce réalisateur de talent est un magnifique conteur. Il n’est pas l’initiateur de la comédie sociale mais il en est un bon continuateur. Le Jour du vin et des roses est un véritable pied de nez, un choc qu’il est difficile d’analyser. Un film profondément humain, profondément réaliste et surtout profondément moderne dans sa construction. Days of Wine and Roses ouvre des possibilités nouvelles de mise en scène : la simplicité, l’empathie, le détachement mais surtout le réel. Révélateur de son temps, ce film dissèque, déconstruit les affres de la modernité, de ses faux semblants et de ses réussites illusoires. La formulation de « possibilités nouvelles » peut paraitre présomptueuse mais il est indispensable de voir l’avance considérable de ce film et de son impact sur le cinéma mondial.




La distribution est excellente. Le choix de Jack Lemmon est magistral. Cet acteur de génie possède une palette de jeu véritablement complète. Il peut tout jouer. Chez Edwards, il personnifie la continuation du dogme de la comédie sociale : de l’humour, de la tristesse. Véritable bête de cinéma, il vampirise par sa bonté et son charme débonnaire nombre de scènes réussies. Il est très bien dirigé ce qui prouve également l’aisance manifeste de Edwards dans son rapport avec ses acteurs. Un Cassavetes qui s’ignore. Pour répondre à la bestialité d’un Lemmon, il fallait une figure féminine en apparence espiègle. Lee Remick sera l’élue. Remick représente l’idée d’une Amérique provinciale et inadaptée au changement. Aussi devient-elle vulnérable aux nombreux pièges de la ville, après avoir, de bonté de cœur, suivi son amoureux dans une terrible escapade. Les seconds rôles sont exceptionnels. Les personnages ont eux-mêmes leur propre blessure. Il serait un peu vain de tous les citer mais leur importance est réelle : ils sont la réponse de la société vis-à-vis de ce couple. Ils sont la conscience collective du bien et du mal. Protection et aide contre dépravation et compromission.




Le pitch est assez classique : une romance tragicomique sur fond d’alcool. Cependant son déroulement cinématographique est beaucoup plus élaboré. On peut délimiter Le jour du vin et des roses en deux parties : la première est une véritable comédie avec un petit fond de critique sociale, la seconde par contre détériore fortement l’ambiance joyeuse du début du film pour la faire basculer dans le tragique. La force du film est de ne pas faire ressentir au spectateur le désespoir des personnages. Mais plutôt de lui faire comprendre l’origine du mal de la boisson chez des êtres fragilisés. Dans son intitulé, Le Jour du vin et des roses contribue à lui donner une fonction pédagogique. Car il est vrai, nul fond de moralisme douteux mais simplement la représentation à la manière du documentaire, de la puissance du réel. Le récent Foxcatcher de Bennett Miller et le classique Citizen Kane du sorcier Orson Welles, à des degrés divers, s’inscrivent dans cette lignée. Sunset Boulevard de l’ami Wilder était un film plus ambitieux, très drôle mais moins « docufiction ». Que les admirateurs de Billy se reprennent : il n’est pas question de comparer un film aussi parfait que Sunset Boulevard, il est juste utile de rappeler que du point de vue innovation, Edwards a lui aussi apporté sa pierre à l’édifice d’un cinéma ancré dans les perspectives de son temps.




Ce papier est une invitation. Découvrir un film plébiscité par la critique mondiale mais un peu oublié en France. Pour réellement s’imprégner de son ambiance unique, il est judicieux de ne pas trop exposer les épisodes qui jalonnent le film, tous plus puissants les uns que les autres. On retiendra par nécessité une scène particulièrement émouvante où un Lemmon à l’agonie déclare à sa dulcinée devant un miroir qu’ils doivent se refaire… Certes il restera sans doute très longtemps dans l’oubli dans notre beau pays, certes il y a eu avant lui et il y aura après lui des films meilleurs mais Le Jour du vin et des roses a un charme particulier : celui de l’honnêteté et du respect du genre humain.


Le Jour du vin et des roses de Blake Edwards avec Jack Lemmon, Lee Remick, Charles Bickford et Jack Klugman (1962)

Moi, Moche et Méchant

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Y'a quelque chose d'original dans ce dessin animé : le héros est un méchant. C'est un truc de dingue. Au début, on a du mal à y croire, on se frotte les yeux, on se pince comme pour sortir d'un mauvais rêve, mais c'est bien ça : le personnage principal, Gru (c'est son nom), est une pure raclure. C'est un vrai méchant qui, bien sûr, devient progressivement un gentil au cœur d'artichaut, prêt à agir comme le plus altruiste des super-héros. Dans la suite, sortie en fanfare cet été, Gru est donc déjà un gentil et il n'y a plus aucune espèce d'originalité, même mon petit neveu me l'a fait remarquer à la fin du film, un peu déçu, bien qu'abruti pour la journée. Voir ça sur grand écran demande en effet des nerfs d'acier, c'est un spectacle ultra bruyant, au rythme déchaîné, sans aucun temps mort, en bref, terriblement abrutissant. Mal de crâne assuré.




En dehors de cette originalité qui n'en est pas une, on tient là un pur produit conçu pour faire des ravages auprès des plus petits. Et ça marche, même auprès d'un public plus âgé qui, de cette façon, peut fièrement affirmer qu'il a su conserver son âme d'enfant. Cette même âme que ces tristes individus seraient prêt à revendre pour s'acheter à prix d'or la figurine manquante à leur collection de Minions. Qu'est-ce donc, un Minion ? Je vous envie de l'ignorer ! Ce sont ces petites merdes jaunes qui ressemblent à des tic tac à la pisse et jouent, en troupeau, le rôle de l'élément comique forcément irrésistible, inévitable dans ce genre de films. On retrouve cela dans strictement tous les dessins animés, avec plus ou moins de bonheur et d'efficacité. Le modèle du genre, c'est Scrat, le rongeur taré de l'Âge de glace, pour vous donner une idée. Ici, ce sont donc ces machins jaunes dont le design simplissime est autant révélateur du manque d'imagination chez les techniciens aux commandes que de leur sens inné du marketing. N'importe quel gamin pourra reproduire des minions dans la marge de son cahier de texte. Ces minions sont les ouvriers dociles et maladroits de Gru, ils sont toujours de bonne humeur bien que capables de gestes agressifs surprenants, et causent à toute vitesse avec leurs petites voix aiguës insoutenables.




Les Minions assurent également la promo assommante du film dans d'insupportables vidéos qui se répandent sur la toile comme un dangereux virus où ces petites choses braillent atrocement durant de courts spots de torture porn qui ont l'air interminable. Encore un piège à gosses, ils adorent ça, ils sont capables de se les passer en boucle. Mes neveux aussi, ils en sont fous. Je suis sûr que, quelque part, ça doit leur ravager le cerveau, mais je les laisse faire. Je me dis qu'à notre époque, on devait, nous aussi, avoir de telles saloperies qui nous rendaient maboules, encore que je serais bien incapable de vous citer un exemple équivalent. Je suis un tonton tolérant. Une dernière chose au sujet de Moi, Moche et Méchant : Gad Elmaleh, dans le rôle de Gru, est un doubleur hors pair. On l'oublie totalement. Il ne devrait faire que ça.


Moi, Moche et Méchant de Chris Renaud et Pierre Coffin avec les voix de Gad Elmaleh, Eric Métayer et Jonathan Cohen (2010)

Celeste and Jesse Forever

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J'aimais bien Rashida Jones. Pour moi, c'était un hymne au métissage, soit tout l'opposé de Maya Rudolph. Rappelons que son père n'est autre que Quincy Jones, surnommé "Q", le célèbre trompettiste, arrangeur, compositeur et producteur audiovisuel américain qui a su mettre les blacks en vedette : Le Cosby Show, Le Prince de Bel Air, Oh Happy Days. Quant à sa mère, il s'agit d'une actrice blonde platine d'origine irlandaise et russe qui n'a jamais percé, mais qui s'est faite percer. Leur croisement a donc donné deux filles agréables à regarder, parmi lesquelles Rashida Jones, que l'on a tous découverte dans The Office où elle éclipsait presque Jenna Fischer. Bref, on l'aimait bien, mais ça, c'était avant de voir ce film atroce. Celeste and Jesse Forever m'a mis la rage dès son générique d'ouverture. Rashida Jones en est la scénariste, l'actrice principale et la productrice exécutive. Si elle avait su tenir une caméra, elle l'aurait également réalisé.




Rashida Jones joue une working girl trentenaire égoïste, habitant dans une villa de 800m², avec toujours à la main une tasse de café ou un verre de vin rouge. Elle incarne le comble de l'insupportable. Le stéréotype de la gonzesse que l'on veut fracasser (pas de misogynie ni d'appel à battre les femmes ici, ça aurait été un humain mâle avec les mêmes attitudes, il aurait constitué le stéréotype du gonze qui se fait fracasser). Elle est pleine de tics dégueulasses, d'expressions et d'intonations qui rendraient fou même un psychologue spécialisé dans le traitement du syndrome de la Tourette. L'idée du film, l'idée de Rashida Jones, qu'elle mûrit depuis 15 ans en pensant que ça ferait un putain de film, c'est de commencer sa comédie romantique par ce qui est d'ordinaire son dernier acte : la séparation, que l'on sait temporaire, du couple, avant sa réconciliation sur l'oreiller.




Les dix premières minutes du film, nous voyons donc Celeste et Jesse mener une vie idyllique de couple : discussions de tout et de rien, bastons de regards complices, échafaudage de plans sur la comète, échanges de private joke capables de rendre les célibataires endurcis encore plus endurcis... Lors d'une scène de repas au restaurant avec un couple d'amis, le lièvre est levé : ils sont séparés depuis 6 mois mais continuent à traîner ensemble au quotidien, ce qui met mal à l'aise leurs amis, au point de quitter la table brusquement (véridique). Le film débute donc en quelque sorte là où la plupart des "romcoms" ont déjà fait un sacré bout de chemin. Le générique d'ouverture (une série de vignettes pestilentielles de leur vie amoureuse passée) nous a peut-être semblé épargner les trois quarts du film, mais après ces 10 minutes, il reste 1h20 ! Jesse et Celeste, qui s'entendaient comme cul et chemise, Jesse et Celeste, qui avaient l'air d'être faits l'un pour l'autre, s'étaient séparés car Celeste veut que le père de ses enfants gagne au moins 10 kilos de dollars chaque semaine, possède une belle bagnole (minimum 5 places, de préférence un SUV) et ait un compte en banque qui génère des intérêts massifs. On invente rien, voici le portrait du père idéal selon Rashida Jones, diplômée de Harvard.




Pendant tout le film, on voit Rashida Jones "multiplier" les conquêtes pour essayer de faire réagir Jesse, qui de son côté se retrouve rapidement en ménage avec une bombe atomique venue de Hollande. Quand Rashida Jones rencontre un guignol qui est le sosie foiré de Harry Connick Jr., celui-ci se présente à elle comme possesseur d'une automobile, d'un compte courant et d'un fax, et ça marche ! Entre temps, elle rencontre toutes sortes d'individus plus ou moins psychopathes, dont un qui décide de se masturber frénétiquement contre elle dès le premier soir. Cela pourrait donner une scène très excitante (dans nos esprits dérangés par 15 années de permissivité débridée sur internet), cela donne en réalité envie d'éteindre la télé et de changer de hobby en se réfugiant, par exemple, dans la boustifaille. Au fur et à mesure que le film passe, Celeste se rend évidemment compte qu'elle est toujours amoureuse de Jesse et quand elle apprend que ce dernier va avoir un enfant avec une autre femme, elle voit rouge ou, comme dirait son père, "elle voit black".




Le schéma classique de la comédie romantique hollywoodienne est respecté à la lettre, malgré le point de départ a priori transgressif et des acteurs que l'on croyait moins moisis que d'habitude. A la fin du film, nous sommes toutefois pris à revers : Celeste et Jesse ne se remettront jamais ensemble (à moins d'une scène post-générique qu'on a zappée), la morale de l'histoire étant que pour se séparer une bonne fois pour toutes, il faut marquer le coup, et signer au plus vite les papiers du divorce dans un cabinet d'avocats agréés. Il est possible de rester amis, à une condition, et je la rappelle : signer les papiers du divorce fissa. Si on n'est pas mariés, il suffit de signer un papier quelconque. Est-il possible de rester amis après s'être séparés ? Après qu'il se soit séparé pour de mauvaises raisons, est-il possible pour un couple de se reformer ? Est-il possible ? Que sais-je ? Ces questions ne trouveront donc jamais de réponse définitive. La seule chose qui me vient après avoir vu ce film, c'est l'expression "So help me God".




Je m'attendais à un film certes axé sur une histoire d'amour, mais possiblement drôle, puisqu'on y retrouve tout de même Andy Samberg dans le premier rôle masculin. On sait cet homme-là capable de faire rire. Il le prouve depuis des années au Saturday Night Live et il a su concrétiser sur grand écran ce potentiel comique dans des films tels que Hot Rod ou Crazy Dad. Ici, il fait un sort à sa carrière cinématographique. Il creuse un trou sans bruit, il enterre sa carrière, il la recouvre de terre discrètement. Puis fait caca sur le monticule de terre fraîchement retournée, sans s'essuyer. Nous aimons toujours Andy Samberg, car on aime plus durablement quelqu'un qui nous a fait rire qu'une tocarde simplement bien balancée. Nous maintenons notre confiance en Andy Samberg, car il maîtrise le difficile exercice de faire rire les gens de bon cœur tandis que Rashida Jones n'a pour elle que son cul, remplaçable par 10 millions d'autres. Je sais, c'est moche, mais vu la façon dont Rashida Jones représente les femmes dans son film, c'est pas cher payé.




Ce film rappelle inévitablement Friends With Kids de Jennifer Westfeldt, puisque l'on y croise les mêmes problématiques de trentenaires plein aux as, individualistes et, surtout, ultra cons. On y retrouve une même morale puante, un même portrait glaçant d'une certaine société occidentale vue à travers la lorgnette d'un(e) débile mentale dont on a envie de briser chaque os, en commençant par le coccyx. C'est le genre de films qui, s'ils sont vus par quelques djihadistes, peuvent nous faire comprendre pourquoi certains d'entre eux pètent un câble au point de vouloir nous balancer des avions sur le coin de la gueule. Ces "romcoms" font plus de mal à la planète que l'ont fait la colonisation et la décolonisation. Au point même de faire craindre de rencontrer un jour le sentiment amoureux.




Une scène donne particulièrement envie de taper sur tout ce qui bouge. Filmée dans un célèbre "plan américain serré" (celui qui consiste à cadrer le visage juste au-dessus des sourcils et en-dessous des lèvres, à ne pas confondre avec le "gros plan américain" qui englobe le front et le "gros plan américain serré" qui ne cadre que les yeux), Rashida Jones dégueule un discours atroce lors du mariage de deux personnages secondaires tellement peu étoffés qu'on ne savait même pas qu'ils étaient ensemble. Ce plan révèle les séquelles d'une adolescence difficile chez les Jones : une peau burinée par l'acné et le soleil (qui font rarement bon ménage), des dents du fond criblées de plomb, sans vie, des joues creusées par l'anxiété, un nez en piste de ski de bosses, le témoignage impitoyable d'insomnies chroniques sous les yeux, une épilation des sourcils faites "en amateur" (or la seule discipline qui peut avoir de l'intérêt en amateur, c'est le porno) et, enfin, un menton fuyant toute responsabilité. Quant à son discours, c'est une succession de lieux communs où son personnage ramène tout à elle, plus égocentrique et haïssable que jamais. Ce film ne fera pas date.


Celeste and Jesse Forever de Lee Toland Krieger avec Rashida Jones, Andy Samberg, Emma Roberts et Elijah Wood (2013)

La Nurse

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Au début des années 90, qui ne furent pas pour lui une promenade de santé, William Friedkin tenta de renouer avec le cinéma d’horreur qui lui avait valu son plus grand succès. Mais La Nurse (The Guardian), contrairement à L’Exorciste, eut bien du mal à marquer au fer rouge toute une génération de cinéphiles. Le film raconte l’histoire, très simple, peut-être trop simple, d’un jeune couple qui engage une nounou d’enfer, Camilla (Jenny Seagrove, une Michelle Pfeiffer au rabais), pour garder leur petit garçon, sauf que la nounou en question fait un peu trop penser, dans l’attitude, à la Sigourney Weaver en mode Zuul, le cerbère de la porte, de SOS Fantômes, toute stoïque malgré un regard allumé, pour être honnête. Le prologue, situé trois mois avant l’action principale, gâche un peu la surprise : on y voit un autre couple confiant déjà ses deux gosses à une nourrice (sans doute la même) qui en profite pour enlever le plus petit et le sacrifier à un arbre maléfique dans une sorte de rituel païen au cœur de la forêt voisine. On sait donc d’emblée ce qui va nous être raconté. Une sorte de cousin de Rosemary’s Baby avec des touches d’Evil Dead, quand l’arbre infanticide aide la nourrice, sa servante, en la débarrassant de ses agresseurs à coups de branches dans la tronche, de lianes-boas, et de racines antipersonnelles, dans des scènes bien sanglantes et un tantinet grotesques.




Mais si le film n’avait incontestablement pas de quoi marquer son époque (scénario trop mince, rebondissements trop attendus, acteurs de seconde zone, effets spéciaux guère spéciaux), il a tout de même, et aujourd’hui encore, de quoi marquer les quelques esprits qui le croiseront avec des images fortes, comme dans la scène où le père trouve la nurse en train de laver son fils, en pleine nuit, nue avec lui dans la baignoire, sous les stries de lumière perçant à travers les volets, ou, plus tard, la même nourrice tenant le bébé dans ses bras telle une vierge à l'enfant, allongée sur l’une des branches de son arbre dévoreur de chairs tendres, face au spectacle d'une poignée de loubards trucidés en grandes pompes. C’est dans les scènes fantastiques que Friedkin s’en sort mieux et nous intrigue enfin, car tout le reste est très faible (loin d’un film comme Sorcerer, le chef d’œuvre de son auteur, qui ressort actuellement dans les salles et dont les scènes réalistes sont tétanisantes et permettent en bout de course l’avènement de séquences oniriques d’autant plus puissantes qu'elles semblent prolonger tout ce qui les précède et qui ressurgi en puissance, contenu en elles).  





Il est regrettable mais pas totalement étonnant de faire ce constat, car The Guardian est avant tout un conte, qui débute avec la lecture par un enfant d’Hansel et Gretel et se conclut avec l’attaque conjuguée d’une sorcière et d'un arbre sacré. Les premier et dernier plans du film nous posent face au même hibou qui menace le cocon familial de sa seule et tranquille présence. Et quand la nourrice s’occupe pour la première fois de l’enfant, elle dépose dans son berceau une série de peluches à l’effigie d’animaux sauvages qui sont là pour veiller sur lui et préparer son voyage vers le cœur de la forêt. La nurse présente un à un les animaux au nourrisson, et ces bêtes, que la main de la nounou porte vers la caméra et dépose tout autour de l'enfant comme pour le cerner, évoquent celles qui, sur le bord de la rivière, regardaient passer le frère et la sœur orphelins poursuivis par le chasseur de Charles Laughton.


 En haut : La Nuit du chasseur
 En bas : La Nurse

J’ouvre ici une parenthèse à propos de La Nuit du chasseur, dont je vois des réminiscences un peu partout. Je repensais récemment à l'une des premières scènes de La Forêt interdite de Nicholas Ray, où Christopher Plummer parcourt un bras de rivière en barque et observe les animaux sauvages menacés par la chasse et le braconnage, séquence qui rappelle elle aussi la célèbre scène de la fuite des enfants dans le film de Laughton, où ils se laissent porter par le courant dans une barque (la petite fille jouant à bord de l'embarcation avec une peluche...), tandis que chaque plan fixe sur la barque, pris depuis le rivage, met l’accent, au premier plan, sur un animal (toile d’araignée, grenouille, lapins) plus ou moins menaçant en soi, autant du moins que peuvent l’être les animaux de la nuit dans les contes cruels pour enfants, mais rendus parfaitement inquiétants par leur place dans l'image, exacerbée au premier plan, comme autant de témoins aux aguets, d'yeux condamnant ceux qui voudraient disparaître, les deux enfants, à être suivis du regard (le nôtre redoublant celui des bêtes, jusqu'à ce que Laughton nous place carrément au-dessus de la barque, en plongée totale, nous permettant de suivre les fugitifs comme sur une carte, à la trace). La différence chez Ray (et ce n'est pas vraiment la seule) tient au fait que Christopher Plummer, qui navigue en plein jour, sourit à ce déferlement de vie animale qui s’ébat autour de lui, s’éprend de ce milieu naturel qu’il entend préserver, tandis que les enfants s’évadent dans la nuit, terrifiés par l’homme qui est à leurs trousses, impatients de quitter ces marécages inquiétants pour se mettre à couvert.
 

 
 En haut : La Nuit du chasseur
 En bas : La Forêt interdite

Mais le spectacle offert à Plummer par les images Discovery Channel insérées dans le film de Ray donnent à voir l’implacable ordre naturel de la chaîne alimentaire (l’oiseau mange le poisson avant d’être mangé par le crocodile) et préfigurent la terrible confrontation du jeune idéaliste qu’il interprète avec plus gros et plus dangereux que lui, soit l’ersatz de Barberousse (Burl Ives) aux allures de géant qui règne sur les marais et sur une troupe de braconniers malfamés. Si bien qu’on retrouve dans les deux œuvres cette menace du sud sauvage et indomptable, cette peur infantile d’être dévoré par un ogre fascinant. Et dans les deux films le mangeur d’homme finit terrassé par plus petit mais plus teigneux que lui : une petite vieille protectrice chez Laughton, un serpent de marécage chez Ray. Fin de la parenthèse.




  En haut : La Nuit du chasseur
 En bas : La Nurse

La Nurse, même s’il a ses petits moments, et l'évocation de La Nuit du chasseur mentionnée plus haut en est un, où le beau-père monstrueux est remplacé par une nourrice terrifiante et les animaux du soir par des peluches ensorcelées, est tout de même très, très loin de la puissance audiovisuelle et dramatique du film de Laughton. La scène finale en est symptomatique, où Friedkin a la belle idée de transformer sa « gardienne » en femme-arbre, quittant les rives du conte pour tendre vers celles du récit mythologique et faisant de la nourrice une Daphné métamorphosée non en laurier mais en jeune pousse missionnée par son arbre diabolique, transformation non pas vouée à échapper à un dieu mais à capturer une proie en l’honneur de sa divinité sylvaine. Les images de cette femme nue et comme couverte d'écorce, au regard déterminé et aux gestes musclés (qui ne sont pas sans rappeler la figure du T-1000 dans Terminator 2), font partie de celles qui restent en mémoire. Sauf que le montage parallèle dans lequel la nourrice est frappée par procuration tandis que le père de famille, dans la forêt, se croyant dans un remake de Massacre à la tronçonneuseélague gaiement l’arbre malfaisant gorgé de sang, est plus maladroit que convaincant et peine à sauver le tout. Le film confirme en tout cas, en le convoquant sans atteindre sa cheville, y compris dans cet assaut final où la nurse mi-femme mi-arbre court après le nourrisson et sa mère dans les escaliers de la maison, que La Nuit du chasseur est peut-être le plus beau conte filmé de l’histoire du cinéma. Et puisqu'il est question de mythologie dans ce conte horrifique (quasi pléonasme) qu'est La Nurse, j'ouvre une dernière parenthèse pour signaler que Gérard Macé, dans un superbe recueil de poèmes paru cette année aux éditions "Le Bruit du temps" et intitulé Homère au royaume des morts a les yeux ouverts, consacre un texte, sans le citer explicitement, au grand film de Charles Laughton, réservoir d'images fondatrices au même titre que les plus intemporels récits de l'antiquité.


La Nurse de William Friedkin avec Jenny Seagrove, Dwier Brown, Carey Lowell et Natalia Nogulich (1990)

The Gambler

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Si vous avez encore un peu d'estime pour Mark Wahlberg, grâce à ses rôles dans La Nuit nous appartient ou The Others Guys, si vous conservez encore une once de respect pour celui que personnellement je ne surnommerai plus jamais "Marky Mark", voici encore un film qu'il vaut mieux éviter soigneusement. Il y est ridicule comme rarement et il s'humilie même totalement si on s'amuse à comparer sa prestation avec celle de James Caan dans l'original de 1974. Ce remake est si putride qu'il a d'ailleurs ça de très fort : il parvient à nous faire douter de la qualité de l'original ! C'est pas tous les remakes qui accomplissent ce tour de force. D'ordinaire, on a plutôt le réflexe très simple et naturel de regretter l’œuvre souillée et de nous rappeler sa supériorité écrasante. Ici, l'effet est plus pervers : la nullité du remake contamine le premier film. Devant cette bouillie sans âme, vide de tout, qui roule des mécaniques sur une bande originale aguicheuse (Pulp, Rodriguez, Billy Bragg...), on se dit qu'avec une telle histoire, on ne peut forcément être qu'un film minable... Rupert Wyatt et son style publicitaire imbuvable font du scénario de James Toback un épisode de feuilleton insupportable à la gloire d'une star au charisme en faillite.




Les cours donnés en amphithéâtre à la fac par Mark Wahlberg, se promenant dans les rangs d'étudiants admiratifs, sont d'un grotesque absolu. Nous n'y croyons pas une seule seconde. L'acteur débite machinalement des discours d'une nullité abyssale, il en fait des caisses, sans jamais y croire lui-même. Il n'est pas non plus aidé par un look désastreux. Avec ses costumes sombres et ses cheveux fous, on croirait avoir affaire à une star du rock sur le déclin, un mix piteux entre Mick Jagger et le leader des Strokes. Il est fort moche. Lors de ces scènes de cours magistral, il passe pour un mauvais coach sans inspiration en train de haranguer ses troupes en usant des ficelles les plus débiles. Toujours au ras des pâquerettes. 




On souffre énormément quand le consternant Rupert Wyatt nous montre la relation du prof accro aux jeux avec l'une de ses étudiantes modèles, incarnée par Brie Larson, une jeune actrice blonde qui compte déjà quelques fans virulents et à laquelle j'ai simplement envie d'envoyer une godasse au visage. Il faut voir cette scène atroce où, nageant en plein bonheur parce que son prof vénéré a affirmé devant tout l'amphi qu'elle était la seule à avoir un soupçon de talent pour l'écriture, nous la voyons marcher au ralenti et éviter les passants en enchaînant les expressions d'extase insupportables. C'est le genre de scène qui devrait normalement condamner une actrice pour le restant de sa carrière. J'ai pas vu grand chose de plus laid sur un écran récemment. Non, franchement, passez votre chemin, et intéressez-vous plutôt au film de Karel Reisz, porté par un James Caan à son zénith, que ce misérable remake parvient à salir sournoisement.


The Gambler de Rupert Wyatt avec Mark Wahlberg, Brie Larson et John Goodman (2014)

Dying of the Light

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Totalement ignorant de la carrière de Paul Schrader, j’ai décidé de me la faire à l’envers. J’ai donc découvert le cinéaste à travers son dernier film en date, Dying of the light, La Sentinelle en France, titre qui n’a d'ailleurs aucun sens (l'original étant déjà le résultat de l'assemblage hasardeux de quelques mots relevés lors d'une partie endiablée de Scrabble, le jeu de plateau, et Schrader se vante d'avoir lui-même posé "of" et "the", mots comptent simple). Le film est sorti directement en dvd le 15 juillet dernier, malgré un pitch très d’actualité (le film s’inscrit dans le bain des purges sur la guerre d'Irak ou contre le terrorisme, paumé entre Dans la vallée d’Elah, Démineurs, American Sniper et tant d’autres daubes) et surtout malgré la présence au casting, dans le premier rôle évidemment, de Nicolas Cage. L’explication ? Il faut bien avouer que Dying of the light est une authentique chierie. Schrader s’est plaint de ne pas avoir pu bénéficier du final cut. Mais quand on constate la nullité assourdissante de chaque scène, de chaque ligne du script, de chaque instant de son film, on peut comprendre que les producteurs (parmi les exécutifs se trouvait Nicholas Winding Refn, qui décidément aura fait du mal au cinoche) aient retiré les bobines faisandées des panards de Schrader à la sortie de la projection des rushs pour tenter de sauver les meubles. Mais c’était peine perdue tant le film n’est ni fait, ni à faire, ni à avoir été à faire !



Très tôt dans le film, on sait que Nic Cage va s'imposer et que le scénario ne pèsera pas lourd.

Tout, dans Dying of the light, fait intensément pitié. A commencer par l’écriture. Qu'est-il arrivé à Schrader, l'auteur du script de Taxi Driver ? Le scénariste-cinéaste est apparu récemment sur I-télé au volant d'un yellow cab perdu en plein paname, tout rouge de colère contre Uber, nous révélant ses positions sur la question en même temps que sa triple carrière de scénariste-cinéaste-taxi. Cette vie trop chargée est-elle la cause d'un scénario si bidon ? Le film raconte l’histoire d’Evan Lake (Nicolas Cage), un agent de la CIA qui fut capturé et torturé, il y a 22 ans de cela, par un terroriste, Muhammad Banir, dont plus personne n’a entendu parler depuis l'extraction de Lake mais dont lui, Evan Lake, entend bien se venger. Désormais condamné à des tâches administratives et souffrant, suite à de longues séances de torture à base de coups de latte, d’un traumatisme du lobe frontal dont les symptômes sont de périodiques accès de démence et une perte progressive de la mémoire, Lake apprend enfin grâce à son jeune collègue de boulot, Milton « Milt » Schultz (Anton « Ant » Yelchin), qu’un type, en Afrique, se fait livrer un médicament soignant la thalassemie (obsédé par l'émission de George Pernoud, le malade ne parvient plus à décrocher de Planète+ Thalassa, la chaîne télé dérivée de l'émission phare de France 3). Le sang ne fait qu'un tour dans le cerveau pourtant à moitié obstrué de notre agent de la CIA multi-médaillé : c’est forcément Muhammad Banir qui se fait livrer ce traitement, car son père était déjà fan du magazine de découverte titulaire d'une des plus grandes longévités du paysage audiovisuel français. 


Schrader veut nous faire croire que cette scène se passe à Bucarest. J'ai tout de suite reconnu le Carrouf de Port-de-Bouc, sur la nationale Fos Martigues. J'y ai passé des plombes.

Notre vétéran décide alors, contre l’avis de ses supérieurs, qui le congédient aussitôt, de remonter la piste de ces médicaments avec l’aide de son acolyte prépubère, et d’avoir sa vengeance. Pourquoi pas. Sauf que tout cela semble avoir été écrit par un type qui n’a jamais vu le moindre film sur la CIA. Outre que toute cette histoire de traitement médical à distance et de thalassothérapie est d’un chiant à tout rompre, les scènes de filature et d’action sont autant de sketches parodiques qui s’ignorent, et ça va de nos deux supers agents secrets qui, en planque pour traquer l’ennemi, se tiennent assis, côte à côte, face au suspect, le fixant du regard sans broncher, la tête dévissée vers lui, à une dizaine de mètres de distance, sur une place peu fréquentée, à cette scène formidable où Milt, le jeune collègue d’Evan Lake, poursuit à travers la foule un probable sbire de Muhammad Banir et, l’ayant plaqué au sol et immobilisé, choisit tout à coup de l’égorger et de jeter son corps derrière une poubelle, au lieu de l’interroger pour s’assurer que le récipiendaire de l’acheminement de médocs que lui et son vieux pote revanchard pistent depuis des jours est bien le jihadiste Banir…




Deux agents spéciaux ultra qualifiés de la CIA en planque, ça donne ça.

Le film doit compter un goof par minute à peu près. Et ce n’est pas son seul problème. Il y a aussi tous ces couacs, moins graves dans la mécanique scénaristique, mais qui foutent mal au bide quand même. Par exemple dans la scène où Evan Lake ressort de chez Banir et ère dans les rues de Mombasa. Aussitôt, débarque dans son dos son pote Milt, qui semble l’avoir retrouvé en un coup de volant, et il déboule, tenez-vous bien, au volant d’une Twingo (?) rose hallucinante. La bagnole est presque en 3D tant elle n’a rien à foutre là et nous saute aux yeux sans crier gare. Elle mérite d’avoir sa plaque d’immatriculation au générique, troisième rôle du film avant Catherine Jacob (qu'on avait aimée en maman nympho dans Neuf mois de Pat' Braoudé), qui joue l’ex-maîtresse de Lake. Voire devant le fameux « Milt », aka Anton Yelchin (Pavel Chekov dans les reboots de Star Trek, Schtroumpf maladroit dans Les Schtroumpfs et Schtroumpf déjà chauve à 11 ans et demi dans Les Schtroumpfs 2), qui, durant tout le film, prend une voix grave et éraillée de narrateur de bande-annonce à se chialer dessus pour essayer de faire oublier au spectateur qu’il a le physique d’un enfant chez qui le cancer du côlon menace faute d'une alimentation suffisamment riche en calcium, et qu’il ne correspond en rien à son rôle de brillant agent de la CIA. 



UVU 3356 avait sa place dans le générique, assez haut.

Il n’y a bien que Nicolas Cage pour, une fois de plus, tirer son épingle du jeu dans une des innombrables et gigantesques daubes qui jalonnent son incroyable filmographie. Avec ses cheveux teints en gris, son oreille déchirée et son air mi-enragé mi-commotionné, l’acteur a ses petites fulgurances. Bien trop rares pour sauver le film, mais tout de même ! Il croit briller dans ces passages obligés où il pousse une gueulante contre ses supérieurs, les dents serrées et le nez tordu dans tous les sens, mais il est en réalité beaucoup plus génial quand son personnage sort d’une crise cérébrale, notamment quand son side-kick l’interpelle alors qu’il comatait à la table d’un pub, ou quand le même Milt le retrouve assis sur un banc de Bucarest, une chapka sur la tête, en train de buller la bouche ouverte : quand il revient à lui, Cage tripote lentement le tissu de la veste de son pote, sans rien dire, fin de la scène. On obtient l’explication de ce geste bien plus tard, quand il explique soudain à son ami : « Tu sais l’autre jour, quand je tripotais ta veste, c’était de la laine et j’avais la sensation de la fourrure : je suis dans la merde ». Il n’y a bien que Nic Cage qui mérite vaguement notre attention dans ce foutoir.





 Nicolas Cage en grande forme. L'acteur, adepte de la méthode Stanislavski, a demandé à sa femme de lui tabasser le lobe frontal à coups de planche pour être à fond dans le rôle. A un moment donné, ça paye.

On sent sa patte un peu partout, comme dans la scène où, pour prouver à Milt qu'il est encore un homme de terrain, il lui demande de poser un dictionnaire (de 150 pages env. seulement, faut pas déconner) sur sa main tendue à l'horizontale, fier comme Artaban de tenir le coup pendant cinq secondes. Ou bien dans cette autre scène où il reçoit son associé chez lui et lui sert du saké comme si c'était une évidence, avant d'expliquer à son jeune apprenti que, je cite et traduis de mémoire : les croyants comme Banir, ça ne tombe pas mort comme ça, il faut leur arracher le cœur ! L'autre répond un truc très con aussi, du genre : « Avoue que tu penses à tout ça depuis un bail... », et là, Cage, en pleine bourre, lâche les chiens : « Juste once a day » « every day ? » « all day long », et les deux cons partent d'un rire tonitruant, gueules et mirettes dilatées au maximum, que seul le retentissement de la sonnette interrompra. C’est à Cage qu’ils auraient dû confier le final cut. On dirait bien que c’était le seul type encore capable d’une ou deux étincelles dans toute l’équipe. Quoi qu'il en soit, j’aurais dû m’encastrer dans la filmo Schrader par la porte d’entrée au lieu de passer par la fenêtre du grenier, les combles de la baraque chlinguent de ouf et la visite aura tourné court…


Dying of the Light de Paul Schrader avec Nicolas Cage, Anton Yelchin et Irène Jacob (2015)

Hardcore

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Sorti en 1979, Hardcore est le second long-métrage que réalisa Paul Schrader, alors auréolé du succès de ses scénarios portés à l'écran par Martin Scorsese (Taxi Driver), Sydney Pollack (Yakuza) et Brian de Palma (Obsession), et déjà auteur de très bons débuts derrière la caméra avec Blue Collar. Hardcore n'est pas un chef d’œuvre sous-estimé, comme le cinéma américain des années 70 en recèle en nombre, que je vous inciterai à redécouvrir absolument. Non, c'est simplement un bon film, tout à fait digne d'intérêt, qui se regarde sans déplaisir. Et surtout, surtout, Hardcore est le film d'un acteur, George C. Scott, au zénith de son talent. Pour les admirateurs de la star,c'est un immanquable et, si vous nous suivez assidument, vous aurez compris que j'en suis un ! Je suis un fan hardcore de cet acteur au charisme si imposant, bien connu du grand public pour ses performances inoubliables dans Docteur Folamour ou Patton, qui compte également bien d'autres faits d'armes notables à son compteur. Plus largement, Hardcore est à recommander à tous ceux qui aiment les œuvres portées à bout de bras par d'immenses comédiens au sommet de leur forme.




Hardcore nous propose d'assister à la descente aux enfers d'un homme d'une soixantaine d'années, parti à la recherche de sa fille disparue, dont il retrouve la trace dans les bas-fonds de Los Angeles et, plus exactement, dans le monde du porno... L'acteur vedette incarne bien entendu ce vieux papa fatigué, totalement déconnecté de certaines réalités et perdu dans un monde dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Homme d'affaire prospère et très puritain, vivant seul dans une petite bourgade paumée du Michigan, vraisemblablement veuf, cet homme se retrouve en effet plongé dans un univers poisseux qui ébranlera toutes ses croyances et ses convictions. Le regard hagard, les cheveux fous, la mine patibulaire et une chemise hawaïenne sur le dos, George C. Scott arpente les rues de L.A., de nuit comme de jour, mais surtout de nuit, tel un chien errant, totalement déboussolé, et animé d'une rage intérieure grandissante, de plus en plus incontrôlable. Le spectacle offert par l'acteur, parfaitement capté par Schrader, est tout à fait saisissant. Au fond du trou, son personnage choisira même de se faire passer pour un réalisateur de films prono, organisant à la va-vite un casting pour mieux remonter jusqu'à sa fille en interrogeant les différents acteurs qui se présentent à lui.




De ce film, qui vaut donc surtout pour la prestation encore une fois géniale de George C. Scott, je retiendrai surtout deux ou trois scènes, en plus de celle du casting évoquée précédemment. Il y a d'abord celle que je considère comme la scène-clé du film, où George C. Scott découvre ce qu'il est advenu de sa fille. Sans le prévenir ni lui donner plus d'indice, le détective miteux qu'il a engagé (un personnage par ailleurs assez délicieux incarné par le génial Peter Boyle) l'installe dans une petite salle de cinéma lugubre et lui projette le film porno dans lequel, entourée de deux gaillards bien charpentés, apparaît sa fille disparue. Dans cette scène très difficile, d'autant plus qu'elle s'étale étrangement en longueur, peut-être pour mieux nous faire ressentir toute la détresse de son personnage, George C. Scott s'en tire véritablement à merveille. A deux doigts d'en faire trop, sur la corde raide, il est tout simplement parfait. Cette scène devrait être montrée comme exemple dans toutes les bonnes écoles de formation d'acteurs !




Plus tard dans le film, George C. Scott forme un duo assez étonnant avec une jeune prostituée, actrice porno à ses heures perdues, campée par Season Hubley. Paumée elle aussi, elle tentera néanmoins de guider un peu notre homme dans ses investigations. Les interactions entre ces deux personnages que tout oppose donnera lieu à quelques dialogues assez savoureux. Parmi ceux-ci, je me souviens tout particulièrement de celui où les deux personnages échangent sur leur rapport à l'acte sexuel, en dévoilant tour à tour leurs positions là encore diamétralement opposées mais qui finiront par se rejoindre puisque la jeune femme conclura la conversation en disant, grosso modo, "Toi tu t'en fous parce que tu ne le pratiques pas, moi je m'en fous parce que je me fous de la personne avec qui je le fais". Autre scène, autre facette, plus discrète, du talent de ma regrettée idole : quand George C. Scott, démoli par la disparition de sa fille, lance un terrible regard noir à l'un de ses amis lui conseillant simplement de se relaxer, de respirer un bon coup et de laisser pisser. Une de perdue, dix de retrouvées, lui fait-il quasiment comprendre. George C. Scott se tourne alors vers lui en disant seulement "Could you ? Could you ?!", le tout accompagné d'un regard revolver à vous glacer le sang...




Hardcore est donc un film très plaisant pour tous les georgecéscottophiles dont je fais partie. Quand on voit la performance de la star, à aucun moment on peut se dire que les relations entre lui et son metteur en scène devaient être mauvaises. Et pourtant, c'était bel et bien le cas ! Durant le tournage, les rapports entre Paul Schrader et George C. Scott étaient si explosifs que la star aurait supplié son réalisateur de ne plus jamais faire de film ! Un accord que Paul Schrader s'engagea à respecter pour mieux apaiser l'ambiance sur le plateau mais qu'il contredit très vite en tournant un an plus tard American Gigolo. George C. Scott était à coup sûr un grand professionnel avant d'être un surdoué de l'acting... Un homme de devoir, un vrai pro au caractère impossible !


Hardcore de Paul Schrader avec George C. Scott, Season Hubley et Peter Boyle (1979)
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