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Channel: Il a osé !
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Tabou

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Quitte à passer pour un chien galeux, je dois l'avouer, je n'ai pas aimé Tabou de Miguel Gomes. J'ai pourtant vu ce film dans les conditions idéales, sur grand écran. C'était un film Jean Mineur, 0, 0, 0, 0, 8. Un film né sous une bonne étoile, d'après Arte. Je ne comprends pas ce qui s'est passé. Que ceux qui placent le film de Miguel Gomes au sommet des sommets (et qui prononcent son nom correctement, c'est-à-dire Miguéou Gomsh), me pardonnent. Je fus le premier déçu. D'autant plus qu'à la sortie du film, après m'en être laissé conter monts et merveilles, j'espérais l'éblouissement promis. Mais je ne suis ressorti de la projection de ce chef-d’œuvre unanimement annoncé que très circonspect, et noyé d'ennui. Je vais tâcher de m'en expliquer en abordant les trois étapes du film, qui se découpe en deux grandes parties plus un prologue, prologue si supérieur à la suite que les beaux plans qui le composent ont pratiquement suffi à illustrer la grande majorité des critiques que l'on a pu croiser à l'époque.


Adieu beau prologue...

Le prologue donc contient en effet de belles choses, à commencer par le premier plan du film, avec cet homme en tenue coloniale planté au milieu de la jungle et de la caravane de ses sujets. Les plans qui suivent ne sont pas en reste : le même personnage debout devant une rivière et se retournant vers ses suivants, ou découvrant le fantôme de sa défunte lors d'une pause dans sa marche mélancolique, puis dévoré par un alligator et transformé en crocodile heureux, heureux de côtoyer sa femme retrouvée. Les images de ce conte africain sont belles et (quoique loin en l'espèce de la charge mystérieuse des premiers plans d'Oncle Boonmee sur une jungle endormie) elles composent par le montage une durée singulière plutôt fascinante. Le récit que fait ce prologue, portrait d'un homme éperdu d'amour, désespéré au cœur d'une forêt, prêt à se laisser avaler par une créature terrible pour rejoindre sa femme au pays des monstres et des esprits, est du reste pour le moins prenant. Plus captivant d'ailleurs que réellement percutant. Contrairement par exemple au prologue de La Folie Almayer de Chantal Akerman, également sorti en 2012, ou à l'ouverture du film de Weerasethakul, encore elle, avec son buffle libéré dans la jungle nocturne (que Miguel Gomes a dû admirer comme il a dû apprécié les Bad Lieutenant et autres Dans la grotte des rêves perdus de Werner Herzog, avec leur motif commun, ce leitmotiv reptilien en général et crocodilesque en particulier).


Ma douce et moi-même avant d'aller voir Tabou.

Il faut reconnaître le charme réel qui se dégage de ce prologue. Le vrai problème du film vient en fait immédiatement après et prend la forme de toute la première partie, intitulée "Paradis perdu". Durant près d'une heure Miguel Gomes filme deux voisines. Pilar, une dame d'un certain âge, vivant seule, vaguement courtisée par un ami, éprise de religion et vouée aux bonnes causes. Et Aurora, une vieille femme de caractère, en fin de vie, perdant la tête, souvent accompagnée de Santa, sa femme de ménage cap-verdienne. Dès que cette longue partie commence, tandis que la plus âgée des deux voisines raconte ses rêves soporifiques, dix bonnes minutes durant, sur la terrasse tournante d'un restaurant de casino, l'ennui s'installe en profondeur. Après un prologue à la beauté potentiellement hypnotique, Miguel Gomes rompt le charme et nous endort pour de bon (la récurrente voix-off placide et monocorde, assez proche de celle qui irrigue le très long et très beau Val Abraham de Manoel de Oliveira, n'aidant pas). On se surprend à porter aussi peu d'intérêt à des personnages, à leurs histoires et, il faut bien le dire, à la façon dont ils sont filmés. Cette heure de film, interminable, assommante, soumet à notre attention défaillante des vieilles femmes seules et tristes qui s'ennuient, mais Gomes, faute de transcender ce sujet, nous laisse seuls, tristes et bien ennuyés nous aussi, à moins de trouver le moyen de se passionner pour des personnages sans vie et pour une mise en scène au noir et blanc sentencieux toute en plans-séquences raides qui ne leur en insuffle guère elle-même. Le cinéaste portugais aurait voulu dénoncer le monde sans fiction dans lequel nous vivons, idée qui peut légitimement paraitre non seulement totalement fausse mais qui requiert selon Miguel Gomes une heure de fiction sans grand intérêt pour s'imprimer dans les consciences les moins assoupies.


Ma meuf et oim, pendant la projo.

La deuxième partie de Tabou, "Paradis", consiste en un long flash-back racontant la jeunesse d'Aurora et son aventure adultérine en Afrique. A la jonction des deux grands chapitres du film, l'ex-amant de la défunte Aurora, le bien-nommé Ventura (dont les pâles aventures en Afrique font regretter celles de son homonyme Ace), rencontre Pilar et Santa lors de l'enterrement de sa maîtresse d'autrefois et décide de leur raconter son aventure amoureuse africaine avec la disparue dans une galerie marchande décorée en jungle de plastique. Cette deuxième partie tant attendue est fort heureusement meilleure que la première et se veut beaucoup plus intrigante (la plupart des admirateurs de l’œuvre s'y entendent), tant sur le fond que dans la forme. D'abord parce que certains jeux de correspondance se mettent en place, via les singes, les crocodiles ou encore cet écho très net entre la première et la deuxième partie quand, à la scène où Pilar se rend au cinéma avec son vieux courtisan fatigué et pleure en entendant une chanson (Be my baby des Ronettes), répond cette séquence où la jeune Aurora de la deuxième partie du film écoute la même chanson de variété à la radio, en pleurant elle aussi (car c'est Ventura, son amant musicien, qui l'enregistre dans un studio au même moment). De sorte qu'il semble rétrospectivement que Pilar, dans la première partie, regardait le film romantique volontairement cliché des amours secrètes d'Aurora, qui constitue la deuxième partie, avant même de s'entendre narrer cette histoire par Ventura. Et puis le travail sur le noir et blanc, et surtout celui sur le son, ont enfin de quoi nous réveiller et nous sortir de notre grande torpeur.


Retour du cinoche. Grosse ambiance.

Considérant avec intuition ce fait vrai que la mémoire n'est pas aussi scrupuleuse qu'un enregistrement cinématographique, et que des souvenirs lointains mais précis ne nous reviennent que de vagues sonorités, quelques bruits d'ambiance, à défaut des paroles perdues prononcées par les êtres chers, dont nous oublions parfois jusqu'à la voix après en avoir été séparés trop longtemps, Gomes a la grande idée (aucune ironie ici) d'effacer les voix de ses acteurs au montage tout en restituant aux images leurs autres sons dans un film désormais à la fois muet et, plus que sonore, bruitiste. L'idée est aussi singulière que remarquable et l'effet poétique fonctionne à plein. Le seul problème, c'est qu'étendue sur une longue heure cette idée finit par s'essouffler, surtout que le cinéaste ne nous offre pas grand chose d'autre à admirer, sinon, entre autres jolis moments, une scène d'amour physique qui doit plus à la cinégénie du corps de son actrice et à ce vague plan final sur son giron fécond caressé par la main de l'amant illégitime qu'à l'émotion qu'elle recèle. Une raison à cela : si le récit de la jeunesse d'Aurora est ô combien plus passionnant que le portrait de sa vieillesse, il n'en demeure pas moins que Gomes nous raconte, et sciemment (d'où l'écho entre les deux parties via le morceau de musique guimauve diffusé à la radio et servant de bande originale à un probable mélodrame pour mamies portugaises diffusé sur grand écran), une bête histoire d'adultère entre deux blancs colons. On admire un Sur la route de Madison portugais, meilleur que l'original certes, parce que tout à fait conscient de ce qu'il est, en sa qualité de pure réflexion post-moderne (Gomes nomme entre autres le crocodile d'Aurora "Dandy", pour jouer avec la référence à Crocodile Dundee...), mais pas beaucoup plus stimulant pour autant. Difficile par conséquent, en tout cas me concernant, d'être touché par cette histoire, et de fait par le film dans son entier.


Quand on rentre à la casbah, comme d'hab, on bouffe un macdalle en causant du film.

Miguel Gomes a lui-même expliqué qu'il a voulu ouvrir son film sur une légende (le fameux prologue), un conte sentimental aux airs de cinéma primitif, pour ensuite s'en éloigner assez nettement dans sa première partie et y revenir petit à petit afin de simuler sur la durée d'un seul long métrage le parcours difficile de refictionnalisation qui marque tout l'art contemporain. D'une partie à l'autre, il souhaitait revenir vers cette croyance initiale, ce cinéma des premiers temps, cette histoire au goût d'absolu, ce romanesque ancestral. On pouvait espérer qu'il y revienne non seulement plus vite mais qu'il y revienne vraiment. Car si la seconde partie s'en rapproche, on est loin encore de l'émotion du prologue ou de sa capacité à nous émerveiller. Cette déclaration du cinéaste dénote peut-être d'ailleurs une volonté trop affirmée de se plier à des schémas structurels prédéfinis et de s'y conforter, au prix semble-t-il d'un déséquilibre flagrant et dommageable pour le film. Y compris dans la seconde partie du film, formellement surprenante quoique finalement insuffisante, mais surtout en grande carence de contenu, puisque sous prétexte de retourner vers le romanesque Miguel Gomes choisit le plus premier degré qui soit et, en vérité, le plus niais, celui de Dirty Dancing (la comparaison est osée, suggérée uniquement par la chanson des Ronettes qui servait de bande originale à la comédie musicale menée par Patrick Swayze) et de Out of Africa(que Gomes cite lui-même en entretien). En réduisant le romanesque et la fiction au gros mélodrame à lourds sabots sans parvenir à sublimer ce type de sujet (comme beaucoup l'ont fait) par une forme qui serait plus sidérante que celle pour laquelle il a opté, le cinéaste pénalise lui-même son œuvre et sa portée. Gomes est semble-t-il plus doué pour créer une imagerie originale où le poétique prime sur le théorique, que pour mettre en scène de strictes idées théoriques sur le cinéma, ou d'ailleurs sur l'art de façon plus générale, aussi justes soient-elles. Prenons deux exemples, l'un dans la première partie, l'autre dans la deuxième.


Quand Félix m'a demandé si j'avais aimé.

Commençons par la séquence, déjà évoquée, où la vieille Aurora raconte ses rêves devant un décor flou et tournant, un arrière-plan d'images en mouvement qui s'accordent à la portée onirique de son propos. Qu'avons-nous là à admirer sinon une pure idée (qui tourne en rond) étalée elle aussi sur de trop longues minutes, et qui s'arrête au stade du papier sans provoquer la plus petite émotion ? La mise en scène et le discours qu'elle relaie sont potentiellement intéressants mais en réalité terriblement maigres, et perdent le peu de leurs qualités une fois tartinés sur la longueur. Pour aller vers la deuxième partie, puisqu'elle est plus réussie, citons Gomes lui-même, qui dans son entretien avec les Cahiers du Cinéma, à l'époque de la sortie du film, évoquait cette séquence où Aurora et Ventura, fous amoureux, courent dans la jungle puis s'arrêtent net et regardent la caméra. Le cinéaste explique avoir tourné cette scène pour dénoncer la perte de latitude du champ romanesque, pour démontrer que ce dernier ne va pas de soi aujourd'hui, qu'il dépend de la bonne volonté du spectateur et d'un pacte de confiance tacite signé avec lui. D'où la course romantique des amoureux brusquement stoppés dans leur élan, comme pour demander au spectateur le droit de poursuivre et s'assurer que ce type de scène peut encore fonctionner. La scène ne donne pratiquement rien sur le plan émotionnel, peut-être parce que le cinéaste rompt lui-même la ritournelle du cinéma classique, comme Godard le faisait il y a cinquante ans, plus qu'il ne nous demande notre accord pour la continuer. Gomes a qui plus est un tout petit wagon de retard en posant la question de cette façon quand Weerasethakul, Kiarostami, De Oliveira, Herzog ou Carax l'ont mieux posée et y ont répondu juste avant lui. Oui le romanesque est encore possible, oui la fiction fonctionnera toujours, sauf peut-être à la réduire, ne serait-ce qu'en termes narratifs, et sans prendre vraiment le dessus sur cette faiblesse en termes esthétiques, à ce qu'elle a fait de pire, au chromo hollywoodien le plus mièvre qui soit, à Out of Africa, fiction qui peut-être un jour finira bel et bien par ne plus aller de soi.


Et Gomes nous demande la permission de continuer...

Que le "Paradis" soit si plat n'est pas un problème en soi, à condition que le réalisateur pousse la forme d'un cran encore et nous rende cette amourette indispensable, au lieu de quoi il accouche d'un film d'ennui que la joliesse ponctuelle de sa mise en scène et sa belle idée sonore - la seule qu'on retiendra vraiment dans tout ça, qu'un court ou moyen métrage aurait suffi à honorer, faute de véritables prolongements ou rebondissements formels - ne peuvent sauver. Il est en fin de compte très difficile de parler d'une œuvre pareille, très noble en maints aspects, portée par de bonnes idées, dont certaines scènes sont effectivement très belles, et dont l'auteur et ses intentions sont absolument respectables, bien qu'il soit peut-être, à mes yeux, passé à côté d'une réussite totale. A moins que je ne sois totalement passé à côté de sa réussite, ce qui n'est pas exclu. Je ne nie pas un style singulier et un talent certain, mais le film reste malheureusement incroyablement ennuyeux et ne m'aura touché à aucun instant, encore moins si je repense, et Gomes m'y pousse, à d'autres films aussi ambitieux que le sien sortis ces dernières années, dont il s'est peut-être nourri à l'excès (jusque dans son goût, qui ne se limite pas à ce film, pour les structures coupées en deux, qui débarque après Lynch et son Mulholland Drive ou Weraseethakul et son Tropical Malady, entre bien d'autres), et qui le surpassent de beaucoup. Le propos de Tabou pourrait être passionnant mais sa mise en cinéma le rend aussi pesant que distant, et donne au final un sentiment de gâchis.


Tabou de Miguel Gomes avec Ana Moreira, Carloto Cotta, Teresa Madruga, Laura Soveral et Isabel Cardoso (2012) 

Fievel au Far West

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Cinq ans après avoir émigré aux États-Unis, la famille Souriskewitz vit de nouveau dans la misère et, plus précisément, dans un triste appartement new-yorkais en plein cœur d'un quartier malfamé. Les Souriskewitz constatent chaque jour le mensonge cruel qu'était la fameuse promesse du premier épisode, à savoir "En Amérique, il n'y a pas de chats", immortalisée par une interminable chanson qui rendit fou mon frère Poulpard. C'est à la suite d'une nouvelle attaque féline que la famille décide de déménager vers l'Ouest dans l'espoir de faire fortune et d'avoir de meilleures conditions de vie. Ils ignorent que les chats sont partout les mêmes salauds et ils devront encore composer avec des énergumènes tout aussi dangereux que ceux qu'ils croisèrent jadis à leur arrivée au Pays de la liberté. Voici donc le pitch du deuxième volet des aventures de Fievel qui fut un échec cinglant au box office à sa sortie mais qui compte encore quelques fans convaincus dont je fais évidemment partie.




Suite à des différends artistiques avec son tout-puissant producteur Steven Spielberg, Don Bluth n'est hélas plus de la partie, il cède sa place à Phil Nibbelink et Simon Wells. Il fallait bien s'y mettre à deux pour pallier l'absence du génie de l'animation, mais même en binôme, ils ne parviennent pas à renouer avec la qualité visuelle du premier volet. Le trait est plus grossier, plus brouillon, moins inspiré et, mises à part de rares idées (comme ce morphing lors de cette scène d'introduction onirique, qui transforme la balle fusante du revolver de Fievel, se rêvant déjà en cowboy, en un bouchon de liège mollement projeté d'un triste jouet), on est loin des fulgurances artistiques et du niveau d'exigence chers au réalisateur du Secret de Nimh. Ça n'est donc pas là que réside l'intérêt de cette suite qui trouve cependant son salut dans un versant comique renforcé via des dialogues soignés et, surtout, sa focalisation sur l'adorable personnage de Tiger, le gros chat roux débile et meilleur ami de Fievel.




Car si Fievel, le souriceau puceau, n'a pas bougé d'un pouce, Tiger, le chat maladroit au cœur tendre, a pris du volume, dans tous les sens du terme ! Cette suite est un véritable festival à la gloire de Tiger, doublé en VF par un pur génie, j'ai nommé Alain Dorval, plus connu pour être la voix française de Sylvester Stallone. Passées les premières minutes du film, croisement animé assez glauque entre le pire de Ken Loach et d'Emir Kusturica, où l'on découvre les conditions de vie déplorables des Souriskewitz (père toujours scotché à sa bouteille et à son vieux violon, mère condamnée à faire la manche, fille aînée tentée par la prostitution et l'argent facile, et un Fievel à deux pas de la délinquance), le film choisit donc la voie de la légèreté, et celle-ci prend la forme d'un chat obèse au pelage orange et rose. L'humour est bien plus présent avec, comme point culminant, cet enchaînement de sketchs irrésistibles où Tiger doit apprendre à devenir un chien auprès de Buffalo Blurp, le vieux clébard shérif usé et fatigué (très beau personnage léonien), désireux de passer le relais. Il faut entendre Tiger imiter l'aboiement du chien et se perdre dans une mélodie hilarante, il faut le voir se rouler par terre et chuter piteusement d'un rocher de la Monument Valley, il faut l'admirer s'essayer au fameux "regard oblique" sous les yeux du vieux Buffalo, désespéré. Gamin, je pouvais me repasser ces scènes en boucle !




Blague à part, je me souviens avoir vu ce film tout en dégustant quelques sachets d'un mets que j'adorais à l'époque mais sur lequel je ne suis plus jamais arrivé à mettre la main depuis. C'est même l'une des grandes malédictions de ma vie... Il s'agissait d'une spécialité américaine, à en juger les décorations du paquet, au goût légèrement caramélisé, peut-être réalisée à base de maïs soufflé, mais mes connaissances très minces en cuisine m'empêchent de l'affirmer avec certitude. D'aspect, cela ressemblait à des sortes de grains qui auraient éclatés, de couleur blanc cassé, un peu comme du polystyrène que l'on aurait fait gonfler et dorer au four. Je m'en goinfrais des poignées entières, j'en raffolais ! Cela croustillait sous la dent et donnait une curieuse impression de manger du vide, un vide sucré et moelleux... On pouvait en manger sans s'en lasser, sans jamais arriver à satiété. L'impatience de découvrir les suites des aventures de Fievel est comparable et à jamais liée à mon appétit infini pour cette étrange friandise oubliée...




Mais revenons à notre bon Fievel. Cette suite reprend d'abord le même schéma que l'original mais finit par s'en éloigner pour mieux nous faire marrer. Elle a aussi l'avantage d'avoir un dernier tiers qui ne traîne pas en longueur et va droit au but. Un voyage en train très mouvementé remplace l'inoubliable traversée de l'océan tempétueux du premier opus. Les vilains chats sont autant d'hommes d'affaires crapuleux et de politiciens véreux qui veulent s'accaparer l'Ouest sauvage. Le film apparaît comme une nouvelle métaphore de l'Histoire américaine mais, ne maîtrisant guère ce sujet, mon analyse s'arrêtera là (à vous de voir !). Je préfère laisser parler ma seule nostalgie et me souvenir de ces dernières images pleines d'optimisme où un petit ruisseau apparaît miraculeusement dans le désert grâce à la fuite du château d'eau, la végétation se mettant alors à pousser, à fleurir sur les rives et la vie de reprendre son cours tout doucement. La dernière image du film est particulièrement savoureuse : on y voit le grand vilain, Chat R. Ton (brillant jeu de mots), atterrir entre les deux énormes seins de la passagère d'un train, et retrouver instantanément le sourire. Avec cet ultime facétie, Nibbelink et Wells mettent tout le monde d'accord, enfants comme adultes, et nous rappellent toute la simplicité de la vie.


Fievel au Far West de Phil Nibbelink et Simon Wells avec la voix d'Alain Dorval (1991)

Super Size Me

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Il était con ce docu quand même... Sorti en 2004, et pourtant déjà si loin et déjà si vieux. Ce documentaire a vieilli plus vite que la nourriture qu'il dénonce. Mais dès le départ l'idée était d'une bêtise incroyable, qui n'a pas empêché le monde entier de voir ce "film"... Morgan Spurlock, l'homme qui a écrit, réalisé et joué dans ce truc, et dont la grosse tronche s'étale sur l'affiche hideuse ci-contre, a cru brillant de nous révéler les dessous de la malbouffe en allant manger matin, midi et soir dans un MacDo, et en prenant toujours le menu le plus gros, pendant des mois. Résultat des courses, l'homme a grossi et fini par mourir. C'est dommage de laisser sa peau dans un documentaire, surtout aussi con. Qui n'a pas eu l'idée, toute bête, de dire à feu Morgan Spurlock de tenter la même expérience dans un restaurant gastronomique de premier choix, un quatre étoiles au sommet du guide Michelin, d'aller manger comme un sagouin matin, midi et soir dans une putain d'adresse de la fine fleur de la cuisine française en prenant à chaque fois le plat le plus terrible, ou même, disons, au hasard, un simple Périgourdin aux morilles, tous les matins, tous les midis et tous les soirs de chaque jour. On ne peut pas parler de malbouffe et pourtant notre homme aurait sans doute clamsé encore plus tôt après avoir quadruplé de volume et s'être recouvert de pustules morbides. L'affiche aurait pu rester la même mais avec autant de boudins noirs dans le gosier de Morgan Spurlock qu'il y a ici de frites. Le rendu graphique en aurait pris un méchant coup, faisant gerber à l'unisson des populations devenues vertes dans les rues du monde entier à la seule vue de ce poster diabolique.


RIP !

Il fallait donc qu'un jobard se sacrifie pour nous rappeler qu'il est bon de varier les aliments et les plaisirs, de ne pas grignoter entre les repas, et de ne pas manger trop salé/sucré. Mais on pardonne presque sa connerie à Morgan Spurlock (d'autant qu'il est enterré six pieds sous terre, qu'un établissement de la firme Quick s'est installée sur sa sépulture, et qu'il manquera à la série Star Trek) car le père de l'un d'entre nous a commis une erreur plus ou moins similaire (en tout cas associée à ce documentaire par le hashtag "DoMac") en allant démonter planche par planche un établissement de la firme de Ronald McDonald lors d'une manifestation un rien bestiale dont il était le chef de meute moustachu et imbibé de la tête aux pieds. Ce bon père de famille, adorable sur le papier mais quand même capable de coups de sang à faire frémir, a vite regretté son forfait lorsque, quelques années plus tard, il a croqué pour la première fois dans un Big Mac mitonné par un connard complètement allumé touché par la grâce, un manager de province zélé qui, ne connaissant pas le fameux "rush" angoissant des fast-food urbains, car œuvrant dans un établissement sis à Castelnaudary, venait de chier le burger parfait. Notre ex-soixante-huitard énervé, précurseur maudit et déchu de cette racaille de Bové José, qu'il nomme "l'imposteur" en glaviotant ici et là, venait de rencontrer la vérité avec un grand "V", une illumination, une épiphanie, doublée d'une grosse trace au fond du slip. Il dira plus tard : "Démonter un MacDo a été la plus grande erreur de ma vie, après mon premier fils et mon bulletin Chirac de 2007". Cette vérité, que ce bon père et ex-militant sosie de Vercingétorix a pris en pleine tronche, la voici, ne t'en déplaise, Spurlock : un gros MacDalle, de temps en temps, typiquement après avoir maté ton documentaire de merde, ça reste un pur panard.


Super Size Me de Morgan Spurlock avec feu Morgan Spurlock (2004)

Pourquoi j'ai pas mangé mon père

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Je me sens tout petit devant ma feuille blanche car j'ai aujourd'hui une mission impossible : vous parler de Pourquoi j'ai pas mangé mon père. La question devrait plutôt être Comment ce film a-t-il pu voir le jour ? Comment 30 millions d'euros, soit l'équivalent de toutes les réserves d'or de Fort Knox, ont pu être consacrés à la concrétisation d'un tel projet ? Et, surtout, comment peut-on, avec autant de moyens, réaliser un document audiovisuel aussi laid dans le fond et dans la forme ? Malgré son seul bras valide, Jamel réussit à nous agresser les yeux et les oreilles. Il faut vraiment remonter à loin pour retrouver une œuvre aussi moche, bruyante et autocentrée. Les producteurs ont sans doute cru que le public se dirait "Dieu que les français ont progressé en termes d'animation numérique. Il s'agit du premier film tourné en Europe utilisant intégralement la performance-capture. Nous talonnons les Américains !" Sauf que devant le résultat on se dit seulement : "Diable que c'est laid".


Jamel se fantasme en précurseur de l'humanité. Il prétend avoir inventé le feu alors qu'il vient peut-être de tuer le cinéma.

Il sera difficile de regarder Jamel comme avant. Jusque-là, il faisait partie du décor, il parvenait à limiter son bagout juste ce qu'il faut, dans un numéro d'équilibriste assez adroit. Sa présence médiatique était épuisante mais mesurée. Il avait déjà été embarqué dans des merdes historiques, comme Angel-A, ses spectacles, pour rester gentil, n'ont jamais été très folichons, ses interventions télévisuelles, parfois drôles, sont toujours des plus consensuelles, mais Jamel s'était bien abstenu jusque-là de prendre un si grand risque en se lançant dans une telle entreprise dont il serait le seul responsable. Nous saluons cette audace, nous pouvons même reconnaître une certaine originalité dans cette démarche incroyable qui consiste, pour un acteur ultra populaire, à passer derrière la caméra, mais nous avons vraiment cru mourir devant le résultat.


 La main droite de Jamel n'est peut-être pas si amochée que ça...

Jamel signe ici son Tree of Life. Il nous raconte une version préhistorique et édulcorée de sa propre vie, celle que l'on connaît tous par cœur parce qu'il nous la ressort plus ou moins mise à jour à chacun de ses spectacles. Il s'attribue le beau rôle en passant pour le malin de la bande, tant mieux pour lui si cela flatte son égo. Omniprésent à l'image, Jamel est aussi survolté derrière son micro, ne faisant que hurler ses dialogues minables, éructer ses onomatopées ridicules et ses tics de langages fatigants rabâchés depuis ses premiers pas sur Canal. Il offre même un rôle à sa compagne, Melissa Theuriau, qui incarne Lucy, la première femme de l'humanité, rien que ça, et surtout la plus désirable. Luxe ultime, Jamel se paye Louis de Funès, qu'il n'a pas peur de faire revivre le temps d'une ou deux scènes ridicules grâce à un logiciel soi-disant capable de reproduire la voix du célèbre comédien français. Des mois de travail et un pognon fou pour une énième satisfaction personnelle qui tombe complètement à l'eau. Il faut une patience surhumaine ou un flingue braqué sur la tempe pour aller jusqu'au bout de son délire mégalo. Ce film jamais drôle et d'une laideur inouïe est un enchainement de clins d’œil et d'autoréférences lourdingues qui n'en finissent pas d'agacer, surtout quand l'accompagnement musical, d'une originalité à toute épreuve, vient en rajouter une couche en surlignant le trait déjà terriblement grossier de l'histoire qui nous est contée. 


Le film est hideux et répugnant à plus d'un titre.

Ce film ressemble à un don du sang qui aurait mal tourné. Au lieu de 500ml, on m'aurait pris mes 5L, me laissant exsangue, chaos couché, songeur face à la lumière blanche au bout du tunnel. J'ai regardé ce film cet été et jusque-là mes vacances se déroulaient à merveille, elles pouvaient être qualifiées d'idylliques. Il y a eu un avant et un après. Pendant mon sommeil me reviennent des flashs jaune pisse, vert pomme et marron merde, les couleurs dominantes de ce film d'animation. Une pensée pour les 3 millions de spectateurs que je considère comme les cobayes victimes d'une expérience étudiant les limites de la tolérance à la laideur dans tout ce qu'elle peut avoir d'auditif et de visuel.


Pourquoi j'ai pas mangé mon père de Jamel Debbouze avec Jamel Debbouze, Mélissa Theuriau, Arié Elmaleh (2015)

Life After Beth

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Life After Beth est le premier film de Jeff Baena et espérons que ça soit le dernier. Ce cinéaste de 38 ans a dû se lever un beau matin en croyant avoir une idée de génie puis s'en est allé la partager avec ses amis aussi débiles que lui. "Hé les mecs, imaginez que votre copine soit un zombie ! Ce serait un truc de dingue, non ?!" Non. Eh bien c'est pourtant le pitch de ce film indé qui n'a strictement aucune sorte d'intérêt.

Pas évident de sortir avec une mort-vivante... Celle-ci a la peau bien fragile et craint le soleil. Elle aime recouvrir les murs de sa chambre de boue et a mauvais caractère, imprévisible et lunatique. Tout ça nous vaut de belles scènes de merde. Une seule scène ne nous a pas donné envie d'abandonner le cinoche. Celle où Aubrey Plaza s'en prend violemment à son abruti de mec quand celui-ci sort sa gratte pour lui interpréter une chanson romantique qu'il a écrite spécialement pour elle. En défonçant sa guitare et en couvrant l'apprenti songwriter d'insultes, la zombie agit exactement comme on l'aurait fait.




Aubrey Plaza accomplit l'exploit d'être moins bonne comédienne que son frère Stéphane. Avec des yeux pareils c'est la créature du lagon noir qu'elle aurait dû interpréter et non une zombie. Son partenaire à l'écran, Dane DeHaan, déjà croisé dans le sinistre Chronicle, fait partie de cette jeune génération d'acteurs sans avenir que l'on aimerait voir déjà disparaître. Il ressemble à un Leonardo DiCaprio dont la mère aurait été addict au crystal meth durant sa grossesse. On se demande pourquoi John C. Reilly perd son temps là-dedans, lui qui peut être si drôle... Il fait vraiment peine à voir. Qui le conseille dans ses choix de rôle ? Nous l'avons beaucoup trop vu dans ce genre de films indés vides de tout.




À l'heure de jeu, entre sur le terrain Anna Kendrick dans le rôle d'un personnage qui n'apportera rien de neuf. Cette actrice au bec de lièvre et au teint diaphane a pour seul atout d'avoir des seins qui pointent vers la Lune. Faut-il n'avoir rien d'autre à se mettre sous la dent pour relever ce détail... Quand sa route croise celle de la zombie jalouse, on se demande laquelle des deux actrices nous choisirions d'écraser sous la roue de notre Monster Truck si le choix s'offrait à nous.




De la première minute à la dernière, on n'a rien à secouer de ce qui se passe à l'écran, toujours légèrement agacé par l'idée qu'une telle chienlit ait pu être immortalisée sur pellicule. Le film ne progresse jamais. Il donne envie de revenir dans le passé afin de persuader les premiers hommes ayant commencé à raconter des bobards sur des morts revenus à la vie de la fermer à tout jamais, pour que ce mythe n'ait aucune chance de s'installer dans la culture populaire, tout ceci dans l'unique but d'empêcher que, des milliers d'années plus tard, un fumier nommé Jeff réalise ce film à la mord-oim-le-noeud. A cette époque très reculée, il y avait plusieurs peuplades humaines disséminées de l'Afrique à la Norvège en passant par les steppes d'Asie, le travail de persuasion aurait donc été monumental pour tuer dans l’œuf le sombre projet de Jeff Baena, mais ça en aurait valu la chandelle ! En un mot comme en cent, ce film n'a peut-être pas coûté grand chose et a permis à Jeff Baena de réaliser son rêve mais je trouve que c'est très cher payé pour l'humanité. Envie de se crever les yeux...


Life After Beth de Jeff Baena avec Dane DeHaan, Aubrey Plaza, John C. Reilly et Anna Kendrick (2015)

James et la pêche géante

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Henry Selick n'a pas seulement inspiré le dessinateur Maurice de Bevere, aka Morris, le père de Lucky Luke, pour le design de son fameux croque-mort. Henry Selick a également réalisé L’Étrange père Noël est une ordure de Monsieur Jack et, on ne le rappelle jamais assez, Jacques et la pêche géante, fabuleux film d'animation réalisé image par image, avec une patience et une minutie incroyables. Par erreur, on a longtemps assimilé cette œuvre unique en son genre à des produits purement commerciaux comme Gang de requins et Little Nemo, tristes dessins animés en milieu océanique fait pour séduire le jeune public littoral amateur de dauphins. Il est grand temps de rétablir la vérité... Attention, il s'agit ici d'une pêche géante, le fruit que l'on aime savourer accompagné d'un verre de rosé bien frais, et non d'une partie de pêche du tonnerre, celle qui consiste à capturer des animaux aquatiques (poissons, mais également et notamment crustacés et céphalopodes - dont le fameux brochet-bière, croisement insolite d'un brochet et d'une canette de 1664, qui vit tranquillement dans les eaux douces du plan d'eau du Vieil-Baugé) dans leur milieu naturel (océans, mers, cours d'eau, étangs, lacs, mares, flaques). Selick met en scène une très grosse pêche, que ça soit dit, une bonne fois pour toutes.




Pour que cet amalgame tragique appartienne définitivement au passé, revenons sur le synopsis du chef d’œuvre d'Henry Selick. La morne existence de James sur la côte anglaise subit un sacré bouleversement lorsque ses parents sont écrasés net par un rhinocéros échappé d'un parc animalier. Orphelin, James part vivre avec ses deux horribles tantes : Sponge Bob et Belle Piquette. Installé dans le Yorkshire, James fait la connaissance d'un vieillard sénile qui, pour l'amadouer, lui donne des langues de crocodile magiques. Mais, en rentrant chez ses tantes, James se ramasse en chemin et fait tomber toutes les langues au pied d'un arbre. Soudain, un fruit gigantesque apparaît dans l'arbre ! L'apparition de ce fruit énorme marque le début des aventures pour James, qui se lance alors dans un voyage initiatique au cours duquel il découvrira les vertus de l'entraide et de l'amitié.




On tient tout d'abord à saluer Henry Selick (salut, Henry) et ses distributeurs francophones ainsi qu'à souligner une nouvelle particularité propre à ce film étonnant. En France, l'énorme fruit magique est une pêche, mais sachez que la nature du fruit varie selon les pays ! De l'autre côté des Pyrénées (en Espagne...), le titre devient "José y la Naranja fatal", et l'histoire est un poil différente (plus gaie, selon certains). En version originale, le film s'intitule "Jack & the giant pineapple", pour une fin bien plus pessimiste. Pour l'exploitation wallisienne du film, cas unique : le fruit a été remplacé par une patate, met plus largement apprécié et consommé en quantité phénoménale par nos amis insulaires (le scénario, très minimaliste, prend ses distances avec Roald Dahl et se contente de nous montrer une patate, filmée sous tous les angles possibles, pendant 1h30). Plus étonnant encore, nos amis ukrainiens ont droit, quant à eux, à une belle pastèque. Ces variations s'expliquent sans doute par le souci de se mettre à la portée du jeune public de chaque pays. C'est bien connu : les routes d'Ukraine sont véritablement jonchées de pastèques, l'équivalent de nos garennes en France, voire de la pêche, un fruit très familier, dont le choix s'avère donc très judicieux aussi.




Entre l'abricot, la pêche et la poire, notre préférence va à la pêche. L'abricot est un super fruit ... d'été ! La poire a plusieurs qualités : celle de nous rappeler la forme majestueuse des plus beaux attributs féminins, et celle de pouvoir se préparer en dessert, avec une généreuse coulée de chocolat chaud. Mais la pêche a des avantages indéniables (qu'on ne peut échanger contre quelques deniers). On peut se faire une pêche "comme ça", pour le plaisir et à toute heure. Pensez à ce jus qui vous suinte des mains et, surtout, à ce noyau. Mon morceau préféré, le noyau. Infini... Infiniment rempli de pêche. Ça fait travailler la langue, les dents, les muscles de la mastication... Un vrai régal. Un éveil des sens ! Et, on l'oublie trop souvent, la pêche peut aussi faire office d'entrée de premier choix : la pêche au crabe, par exemple. Vous m'en direz des nouvelles. Testez donc la pêche au crabe. Y'a que ça de vrai... L'expression "ça fout la pêche" ne vient pas de nulle part...


James et la pêche géante d'Henry Selick (1996)

Souvenirs de Marnie

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Le nom d'Hiromasa Yonebayashi ne vous dira probablement rien, déjà parce qu'il est putain de dur à retenir, ensuite parce que j'ai déjà oublié cet enchaînement de syllabes complètement aléatoire. Animateur sur de nombreux classiques du cinéma d'animation japonais (en gros, les Miyazaki et les Takahata, mais aussi Jin-Roh), Yoneyabashi fait partie de ces quelques noms qui circulaient au studio Ghibli lorsqu'il s'agissait d'évoquer la succession du big boss Hayao. C'est mal barré pour lui vu que je viens d'écorcher son nom et que non seulement vous ne vous en êtes pas aperçus, mais en plus je serais bien incapable de vous dire où je me suis planté au juste. Yo-ne-ba-ya-shi. Yonebayashi.




En 2010, Miyazaki père en est déjà à sa quatrième retraite, et Miyazaki fils, un temps envisagé par le studio pour prendre la relève (même nom de famille, pas con !), vient de méchamment se ramasser avec Les Contes de Terremer, un Ghibli tellement mineur que je ne l'ai même pas vu. C'est donc à Yobenayashi (je vous ai encore niqués) que revient la lourde tâche d'essayer d'égaler maître Miyagizaki, que même sur ce blog on estime, c'est vous dire s'il pèse lourd dans le milieu. Appliqué et respectueux de ses ancêtres comme le sont tous les Japonais, et aussi sans doute bieeeeen flippé à l'idée de faire un four et de planter le studio, Lionel Bayashi suit le petit manuel du parfait Ghibli au katakana près pour son premier film. De cette entreprise ô combien ambitieuse naît Arrietty Chabot et le petit monde des Chapardeurs, un Ghibli by the numbers donc, qui rencontre cependant le succès grâce à un coup de génie marketing encore jamais vu : cibler les enfants, ces merveilleux petits portefeuilles ambulants aux goûts cinématographiques misérables, qui font sous eux avec la même vigueur devant Mon Voisin Totoro que devant Les Minions 3 : Amis pour la Vie.




Fort de ce succès, notre Yonebayashi se lance dans un second long-métrage que je n'aurais jamais dû voir, échaudé que j'étais par ce coup d'essai convenu comme c'est pas permis. Mais la vie des pelloches trouve toujours un chemin, en l'occurrence celui du cinoche du quartier qui projetait Souvenirs de Marnie, et d'où je suis sorti littéralement ébahi.




Je le surestime sans doute un peu parce que c'est le genre de film qui choque, tout particulièrement au cinéma, dans cette curieuse expérience de groupe non consentie qui peut vous faire passer à coté d'un chef-d’œuvre comme vous faire prendre un pied total devant une semi-daube, pour peu que votre humeur et celle de vos compagnons soient ou non à l'unisson. Ghibli oblige, il y avait pas mal d'enfants dans la salle et je peux vous dire que durant les 1h43 que dure le film, pas un n'a moufté. Si des slibards ont été souillés, c'est plutôt par leurs parents qui, au fil du récit, suaient à grosses gouttes en se demandant ce qu'ils étaient en train d'exposer à leurs chers bambins. Le film est en effet très ambigu... En fait non, il n'est pas ambigu du tout, il est on ne peut plus direct : c'est l'explication qu'on voudra retenir après le film qui est ambiguë. Il raconte d'une façon à la fois très naïve et très frontale une histoire d'amour entre deux adolescentes mal dans leur peau.




Tellement naïve et frontale, apparemment, que la majorité des critiques ne l'ont pas relevée, ou n'ont pas voulu la relever, préférant parler d'amitié quand devant eux, deux jeunes filles se regardent face à face, mains dans les mains, pendant des minutes entières, en se déclarant qu'elles s'aiment et ne se quitteront pas. C'est vrai qu'il n'y a pas pénétration... Au-delà de l'autocensure parentalo-chrétienne de nos critiques officiels, difficile de ne pas s'imaginer, bonjour paranoïa, une quelconque pression de la part de Disney (distributeur des films Ghibli pour la France) pour inciter nos chères têtes grises/chauves à ne pas trop insister sur cet aspect pourtant central du film, et il faut aller fouiner sur des blogs encore plus obscurs que celui-ci pour enfin avoir l'impression de retrouver une description fidèle du film que l'on vient de voir. Si Kéchiche n'avait pas glissé ses balourdes scènes de teuch dans La Vie d'Adèle, en aurait-on parlé comme d'une histoire de coloc qui finit mal ?




Le parti-pris est d'autant plus audacieux qu'il s'agit d'un des rares, sinon le seul Ghibli que je connaisse, sans le moindre petit animal rigolo ou autre bestiole imaginaire kawaii. Hiromasa Yonebayashi nous émeut rien qu'avec des humains, ce qui n'est pas si fréquent dans l'animation. L'univers dépeint par le film est inhabituellement terre-à-terre, y compris dans ses nombreuses séquences fantasmées : à vrai dire, on se croirait plus dans un film de Kore-Eda, voire d'Ozu, que dans un Miyazaki. La galerie de personnages n'en est pas moins attachante : l’héroïne, Anna, pure adolescente à la fois méprisante et adorable, y côtoie un pêcheur silencieux, une grosse tante, un tonton à la cool, et évidemment, son fameux doppelgänger, Marnie. De par sa nature de personnage onirique et fluctuant, celle-ci sombre d'ailleurs parfois dans certains clichés irritants, bien que justifiés scénaristiquement ; à propos, histoire de couper court à un malentendu qui m'a longtemps habité, et malgré des clins d’œil évidents à Vertigo, dans la thématique ou cette séquence dans une vieille tour, le choix du prénom "Marnie" n'en est en réalité pas un : c'est simplement le prénom du personnage du roman dont est adapté le film.




Sans être un échec commercial, le film n'a malheureusement pas bien marché et a achevé de plomber Ghibli, bien aidé par le bide total du conte de la princesse Kaguya, avant-dernier film du studio. C'est assez compréhensible : on a affaire à un film pour enfants que bien des parents ne voudraient pas qu'ils voient. Cela dit, Souvenirs de Marnie n'est pas exempt de défauts. On peut prendre sa sincérité terrible pour de la niaiserie ; on peut surtout lui reprocher ne pas assumer jusqu'au bout les lectures audacieuses de l'intrigue qu'il dissémine tout au long du film (le twist final fait pousser un ouf de soulagement aux parents). Il n'en demeure pas moins très malin, et aussi beau visuellement que dans son propos. Souvent je repense aux films marquants de mon enfance, et je me dis que de leur coté, les filles n'ont jamais eu leur Stand By Me ou leur Goonies. Souvenirs de Marnie ne tire pas tout à fait sur les mêmes ficelles, ni sur les mêmes nouilles, mais c'est typiquement le film à montrer à une ado ou pré-ado mal dans sa peau. Toutes, en somme. Quitte à créer des armées de lesbiennes !


Souvenirs de Marnie d'Hiromasa Yonebayashi (2015)

Pas de printemps pour Marnie

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On se demande, banalité de le dire, à quel point notre jugement sur les films est influencé ou non par notre avis sur leur auteur, lequel est façonné non seulement par la vision des autres films du cinéaste mais aussi potentiellement par l'aspect global de sa carrière, sa réputation et tutti quanti. Y a-t-il des films actuels envers lesquels nous nous montrons éventuellement trop sévère et inversement, n'y a-t-il pas des films anciens si bien considérés que l'on se fait plus tolérants qu'il ne faudrait à leur endroit, voire aveuglément admiratifs. L'exemple c'est Hitchcock. Si Hitchcock tournait aujourd'hui, ne serions-nous pas davantage critiques envers chaque nouvelle réalisation du maître ? Et ce quand bien même notre homme aurait déjà tourné au moins la dizaine de chefs-d’œuvre absolus qu'on lui connaît, comptant parmi les plus grands films de l'histoire du cinéma et pouvant constituer à eux seuls une très digne et respectable liste des œuvres cinématographiques les plus indispensables qui soient ; sans compter un beau paquet de films moins primordiaux, à peine magistraux. Marnie rassure un peu. On peut trouver un film très respecté de Sir Alfred Hitchcock (ne prenons pas le cas d'un semi-ratage admis, tel Family Plot, film toutefois charmant à plusieurs égards) non seulement mineur mais même assez raté.




Le premier défaut du film, et pas des moindres quand on parle d'un film d'Hitchcock, c'est son récit. Pas que le scénario psychanalytique pose problème en soi (Spellboundétait aussi beau qu'outrancier dans son adaptation poussive des théories freudiennes sous forme de thriller), mais ici, le script est tout de même bien faible. Deux heures durant on est auprès de Marnie Edgar, une jeune femme froide et énigmatique, voleuse et menteuse, qui a peur des hommes et du rouge et qui souffre manifestement d'une relation au-delà de complexe à la figure de la mère. L'héroïne est aidée par un type, Mark Rutland, qui se montre immédiatement attiré par elle (physiquement attiré, et comment l'être autrement : Marnie est aussi vide que violente), incarné par un Sean Connery aux sourcils épilés à la hache et aux paupières taillées en biseaux qu'on croirait échappé de la loge maquillage de Priscilla folle du désert. Ce personnage masculin ne présente pas d'autre intérêt que celui de venir en aide à une héroïne un tantinet exaspérante.




Marnie est interprétée par une Tippi Hedren certes charmante mais pas vraiment douée pour la comédie (autre grand atout de Spellbound, Ingrid Bergman), et malheureusement pour elle plus exposée ici que dans Les Oiseaux. L'actrice, devenue ici le pilier narratif d'un film beaucoup moins puissant, n'a comme argument à faire valoir qu'une voix atippique assez aiguë (qui lui permet d'imiter celle d'une petite fille dans le dénouement final), et de certes très jolies jambes (c'est le point focal de la première description qu'en donne le personnage interprété par un Sean Connery transsexuel peut-être mais sexuel avant tout). Le jeu outré voire complètement faux de Tippi Hedren confinerait parfois au risible si nous n'avions pas beaucoup de sympathie pour elle grâce au souvenir de Melanie Daniels. Certaines actrices hitchcockiennes ont partagé sa maladresse, mais même si l'on pense par exemple à l'expression de la peur un peu forcée de la belle Joan Fontaine dans Rebecca, l'actrice y était par ailleurs rayonnante, ce que Tippi Hedren n'est jamais dans Marnie. La seule scène où elle marque les esprits est celle où son ancien courtisan et nouvel époux, Mark Rutland (Connery donc), s'approche d'elle contre son gré et la déshabille d'un coup sec. Hitchcock, qui n'est pas venu sur le plateau sans son génie érotique habituel (il est affligeant de voir si souvent employé, y compris sur ce blog et sous ma plume, le mot érotomane, qui nomme une pathologie et n'a rien à voir avec l'érotisme, que ce soit dit une bonne fois pour toutes !), fait un plan sur le visage de l'actrice criant "No !" de son étrange et belle voix criarde - éclat de jouissance par anticipation - et enchaîne à toute vitesse avec un plan digne du plus profond respect sur ses jambes mises à nu.




Malgré cette belle scène, il est difficile de se passionner pour cette histoire et de se laisser impressionner par sa résolution un peu pompière. L'intérêt que manifeste le personnage de Sean Connery pour celui de Tippi est difficilement compréhensible, à moins que cet homme ne soit attiré par son tempérament de voleuse, mais cet étonnant fétichisme n'est pas suffisamment travaillé pour qu'on y croie vraiment ou pour qu'on en soit fasciné. Quant à la dimension psychanalytique du scénario, elle n'apporte pas grand chose à se mettre sous la dent. La mise en scène pointe par moments, évidemment, ça reste Hitchcock au volant, comme dans la séquence du vol où notre génie parvient une fois de plus à placer idéalement le spectateur dans la scène pour susciter un suspense incroyable, montrant dans le même plan - comme dans Fenêtre sur cour lorsque Lisa Marie Fremont s'introduit chez le tueur pour trouver une preuve, et comme dans maints films d'Hitchcock, qui décrivait ce principe pour définir le suspense à longueur d'entretiens - tout à la fois : l'héroïne qui commet son larcin et une tierce personne susceptible de la prendre sur le fait à tout instant, et entre les deux, nous autres. La séquence est remarquable mais fait figure de sublime exception dans un film qui n'est pas totalement à la hauteur du maître. La faute aussi à de nombreux et récurrents cadrages très serrés, étonnants mais pas toujours magnifiques, pas aussi maîtrisés que ce à quoi le vieux nous a habitués.




Les effets ne sont pas toujours très heureux non plus, comme ces filtres rouges qui envahissent l'image quand l'héroïne aperçoit ladite couleur, qui provoque chez elle un sentiment de terreur. Hitch a toujours eu un petit côté kitsch, bricoleur sans filets, qu'il s'agisse de l'invention du travelling compensé dans Vertigo et Psychose, des effets de composition criards dans les séquences de rêve de Vertigo et de Spellbound, ou de l'épure abstraite et colorée de la scène du jugement de Grace Kelly dans Dial M for Murder, mais ces tentatives sont pratiquement toujours mêlées de génie, à tout le moins de charme, et fonctionnent finalement à plein, alors qu'ici le procédé, un peu facile, répétitif pour ne pas dire grossier, vire au système. Sans parler, côté pur effet de montage, de la séquence de chute à cheval, qu'un découpage malheureux rend parfaitement grotesque.




Loin de moi l'idée de froisser les fans de Marnie, ou de prétendre que ce serait là un mauvais film. On est bien chez Hitchcock et tout ne peut pas être mauvais. Il y a tout de même ce talent du cinéaste pour nous ménager une position idéale dans les plus belles scènes d'un film somme toute plaisant et proposant après tout des idées, formelles notamment. Mais cette histoire manque de force, ces interprètes de caractère, cette mise en scène de fulgurances, et le film ne parvient pas à nous captiver comme on attend de l'être par tout bon film du Hitch. Les personnages ne sont jamais suffisamment savoureux, comme l'étaient ceux de La Corde, des Enchaînés, de La Mort aux trousses, ou de Fenêtre sur cour. La musique d'Herrmann repose sur un thème puissant mais répété à l'envi et trop nerveux pour un film qui ne parvient pas à suivre son rythme effréné. C'est enfin un petit Hitchcock, comme il en existe quelques uns en périphérie de la douzaine de joyaux bruts qui couronnent sa filmographie et de ces grands films qui gravitent autour, et il est presque rassurant de se rappeler que des films mineurs existent aussi dans la carrière de ce géant. Je me trouvai donc provisoirement rassuré de trouver des défauts à un film généralement admiré du plus grand cinéaste du monde (que ceux qui se hérissent quand ils entendent cette expression effrontément péremptoire lisent le bref et génial ouvrage de Tanguy Viel sur la cinéphilie : Hitchcock, par exemple). Sauf qu'alors on se demande si on n'est pas trop sévère avec ce film précisément parce que son réalisateur est un dénommé Hitchcock...


Marnie d'Alfred Hitchcock avec "Tippi" Hedren et Sean Connery (1964)

Cannibal Holocaust

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Aujourd'hui c'est samedi et je fais shabbat. Quand c'est shabbat, je n'ai pas le droit de faire des choses trop extrêmes, comme par exemple du vélo ou des crêpes. Alors imaginez-vous, regarder des films d'horreur... C'est comme ça, c'est une tradition familiale à laquelle je me plie malgré le fait que ni moi, ni mes parents, ni un seul de mes ascendants ne soit de confession juive bien que ça m'aurait assez plu. Mais bon, tout ça pour vous dire que j'ai vu Cannibal Holocaust un samedi et c'est extrêmement mal vu pour un mec comme moi, j'ai des principes en principe. Ce film ultra gore est le précurseur des found footage qui inondent nos écrans depuis Le Projet Blair Witch. Les scènes les plus connues nous montrent une tribu amazonienne dévorant une tortue vivante, une pauvre indigène se faisant violer sauvagement et une autre femme innocente se faisant empaler sur un pieu vertical. Cannibal Holocaust m'a littéralement mis au tapis. En voulant dénoncer la violence de la société dite civilisée et le sensationnalisme à outrance de ses médias, Ruggero Deodato réalise un film extrêmement violent, qui flirte avec le snuff movie et provoque encore aujourd'hui un certain mal être. Mon père m'a chopé en train de mater ce film un samedi soir et il m'a mis la branlée du siècle. Faut dire que je lui ai, en toute conscience, manqué de respect. Je ne sais pas ce qui lui a déplu, les cannibales ou l'Holocauste. 


Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato avec Robert Kerman (1980)

Burying the Ex

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Burying the Ex est le dernier film de Joe Dante et espérons pour lui que ce ne sera pas vraiment le dernier. Le cinéaste de 68 ans a dû se lever un beau matin en croyant avoir une idée de génie puis s'en est allé la partager avec des producteurs qu’il sait débiles. "Hé les mecs, imaginez que votre copine soit un zombie ! Ce serait un truc de dingue, non ?!" Non. Eh bien c'est pourtant le pitch de ce film indé qui n'a strictement aucune sorte d'intérêt.

Ce petit paragraphe vous rappelle peut-être quelque chose. C’est peu ou prou le même que celui qu’a écrit Félix il y a quinze jours pour vous parler de Life After Beth. Je n’ai même pas vu ce film descendu par mon acolyte, et pourtant je n’ai cessé d’y penser devant le dernier lontrajmé de Joe Danté, dont le scénario est autrement dit aussi naze que convenu.


C'est un peu gratuit et pas magnifique. Mais je peux comprendre qu'on ait envie de faire tourner ça à Anton Yelchin.

Le rôle principal est tenu par Anton Yelchin, ancien athlète paralympique russo-américain qui a dû arrêter sa carrière à cause d’un handicap, et qui parvient peu à peu, de film de merde en film de merde, à se frayer un chemin dans le cinéma américain. Il interprète ici Max, un jeune geek, vendeur dans une boutique dédiée à l’horreur, casé avec Evelyn (Ashley Greene), une fille plutôt pas mal par rapport à lui mais insupportable, parce qu’elle est écolo et qu’elle se fout du cinéma bis, en gros. Blasé de partager sa vie avec elle, notre bonhomme décide de la quitter, mais le jour de la rupture, sa future ex se fait bousiller par un bus et meurt sur le bitume. Après quelques jours de deuil, Max se remet sur vié grâce à Olivia (Alexandra Daddario, célèbre pour n’avoir laissé planer aucun mystère quant à ses attributs féminins dans une scène de la série True Detective qui depuis fait les choux gras de sites tels que Jizzhut.com). C’est une jeune gothique sympathique, fan des grands classiques du cinéma d’horreur et de junk food. Sauf que Max et Evelyn s’étaient jurés de rester ensemble pour toujours et à jamais, devant une sorte de jouet à l’effigie du diable livré sans avoir été commandé dans la boutique de Max : un équivalent de Zoltar dans Big, sauf qu’au lieu de faire d’Anton Yelchin un adulte, ce qui aurait été sympa pour lui, le diablotin en plastique va faire d’Evelyn une zombie.


Après avoir fabriqué des chaises dans Like Crazy et conduit une bagnole en relief dans Dying of the Light, Anton Yelchin confirme son goût pour les moyens de locomotion à risque dans Burying the Ex, où il sublime la trottinette.

Et le film, qui choisit très tôt un ton de comédie (et ne jouera pas vraiment d’un choc entre le « rire » et le malaise, contrairement au récent et médiocre The Voices de Marjane Satrapi, auquel on songe parfois), déroule ainsi son petit programme sans anicroches et sans saveur. Evelyn se sait revenue d’entre les morts mais ne s'en émeut guère et entend seulement brûler la vie par les deux bouts, ce qui implique notoirement de se faire ravager au pieu aussi souvent que possible. La demoiselle était d’ailleurs déjà très chaude avant de claquer, tout comme l’autre prétendante de Max, Olivia. Les deux femmes partagent ces trois caractéristiques : elles ont de gros roberts (comme leurs noms l’indiquent, Greene porte un double E, Daddario un double D), aiment s'adonner aux plaisirs de la bourrine et ont un incompréhensible béguin pour Anton Yelchin (dont le teint blanchâtre révèle un excédent alimentaire en lactose). Ce dernier ne s’étonne pas longtemps de voir sa morte revenir frapper à sa porte, mais il rechigne tout de même à l’emmancher, car elle n’est pas de la première fraîcheur. Tout son dilemme sera de ménager les attentes d’Evelyn (qui souhaiterait le manger) et d’Olivia (itou mais in a good way).


Réveil après une scène de plumard à l'arrière d'une bagnole. Anton Yelchin est allé acheter des céréales pour accompagner son lait matinal.

Joe Dante nous a certes habitués à mieux. Mais il lorgne sur son époque, notre triste époque, et son film est plein de ce second degré qui anesthésie une bonne partie du cinéma de genre américain depuis des lustres maintenant, et qui ne fait plus sourire personne depuis longtemps. Le personnage d’Evelyn est une vraie tête à baffes, disons-le, mais on la prend en sympathie le temps d’une scène, au début du film, avant sa mort, lors de la première rencontre entre elle et Max d’un côté, et Olivia de l’autre, qui tient une sorte de bar à lait (avec des bzèzes pareils, c’était une voie toute tracée, milk-shake au lait entier directement du producteur au consommateur). Dans cette séquence, Max s’étonne de ce que sa compagne ne connaît pas le nom de tout un tas de pseudo héros populaires, comme celui de Fruit Brute*, une mascotte de boîte de céréales américaines (équivalent du tigre docker Tony de Kellogg's©‎, du lapin Quicky de Nesquik©‎, du clébard ivrogne Pico de Chocapic©‎, ou du mariachi homo Pépito, de Belin©‎), et il doit lui expliquer tout ça devant Olivia, qui quant à elle ne connaît que ça. Jusqu’à ce qu’Evelyn s’énerve et traite Olivia de pétasse qui se croit géniale parce qu’elle vend de la daube à des gens qui ont les mêmes références culturelles moisies qu’elle. Un point pour la jobarde.


Joe Dante guinche de l'oeil vers tous les films d'horreur qu'il kiffe. Il doit aimer L'Exorciste, alors il nous envoie une bourrade amusée dans les côtes. On le regarde faire, avec un sourire poli.

Le film, à l’image de la boutique de Max et de celle d’Olivia (qui ne font plus qu’une à la fin), est un conglomérat de citations clins d’œil qui ne servent qu’à faire du coude au spectateur à intervalles réguliers dans tout ce fatras de dérision. Ils sont nombreux à bénéficier d’un petit coucou : Corman, Burton, Lewton, Romero (pape du film de zombie dont le nom apparaît sur un camion au début du film, sous la mention ô combien explicite de "Romero & Sons", avant que Max et Olivia n’aillent, beaucoup plus tard, batifoler dans un cimetière où l’on projette La Nuit des morts-vivants), et tant d’autres, à commencer par Dante lui-même, puisqu'il affirme que ce film est pour ses fans (on retrouve le vieux Dick Miller, acteur fétiche du cinéaste, dans le mini-rôle d'un vieux flic grincheux). Le problème c'est que Dante convoque tous ces blazes plus ou moins illustres et toutes ces références pour torcher une petite farce insignifiante. Dommage.


J'avais pas l'air plus frais devant le film.

* j'ai appris, en me renseignant vite fait sur ce personnage, et la mort dans l'âme, que Quentin Tarantino a conservé une boîte de ces céréales après 1983, date à laquelle on a cessé de les fabriquer, pour pouvoir citer la marque dans ses films, ce qu'il a fait à trois reprises.Maintenant que j'y pense, je crois me souvenir d'un paquet de Fruit Brute sur la table du banquet donné par DiCaprio à la fin de Django Unchained.


Burying the Ex de Joe Dante avec Anton Yelchin, Ashley Green, Alexandra Daddario, Oliver Cooper et Dick Miller (2015)

Mission : Impossible - Rogue Nation

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Quand on sort d'un Mission Impossible, c'est comme quand on vient de voir un James Bond ou un autre film de ce genre issue d'une franchise hyper codée : on se pose systématiquement les mêmes questions. Toujours légèrement sonné par un spectacle bruyant et sans temps mort, on cherche ainsi simplement à évaluer notre niveau de satisfaction suite à la consommation consentie d'un produit très calibré. D'abord, et c'est le plus important pour un tel film, les scènes d'action valent-elles le coup ? Mouais... Aucune ne ressort véritablement du lot. L'ouverture du film, où Tom Cruise doit s'accrocher à un avion en plein décollage et dont le tournage a alimenté les réseaux sociaux, est plutôt amusante mais ça ne va guère plus loin. La volonté de démarrer si fort a fait oublier à la toute-puissante vedette et à son docile cinéaste qu'il valait mieux que l'on soit tenu par une certaine forme de suspense pour qu'un tel morceau de bravoure puisse être efficace. Cette introduction, des plus gratuites, se résume donc à l'effet produit sur internet, nous sommes priés d'opiner du chef face aux énièmes prouesses physiques d'un acteur toujours au top et adorant se mettre en avant.




Quoi d'autre ? La poursuite en moto est décevante, ses différents protagonistes se contentant de foncer tout droit et de bien négocier quelques virages après un rapide slalom entre trois voitures. La scène en apnée dans le bain de refroidissement d'une centrale nucléaire, en plus d'être assez moche visuellement car en grande partie réalisée en CGI, voit son intérêt être totalement annihilé par le fait que nous savons pertinemment que Tom Cruise est immortel et qu'il résistera bien à dix minutes sans oxygène. Au milieu de tout ce bazar, le passage à l'opéra de Vienne, avec ses cascades cartoonesques, semble le plus réussi, mais nous repensons tout de même avec nostalgie à la difficile escalade de la plus haute tour de Dubaï dans le précédent épisode.




Et est-ce qu'on se marre un peu au moins ? S'est-on déjà réellement marré devant un Mission Impossible ?! Si vous appréciez les facéties de Simon Pegg, vous sourirez peut-être une ou deux fois, mais l'humour est assez rare et toujours forcé. Tom Cruise ne fait quasiment jamais preuve de ce sens de l'autodérision qui faisait tout le sel de Jack Reacher du même Christopher McQuarrie, et c'est bien dommage. Ses fameuses mimiques charmeuses se comptent sur le doigt de la main. Bon ok... et l'intrigue dans tout ça, elle est accrocheuse ? C'est surtout là que le bât blesse, selon moi. Ethan Hunt est ici supposé démanteler un vaste réseau terroriste agissant à l'échelle mondiale, à la source de drames terribles que personne ne songerait à relier les uns avec les autres. Un tel postulat, s'il était correctement exploité, devrait inspirer une certaine paranoïa chez le spectateur. Que nenni ! Le scénario paraît assez confus et ne tire aucun avantage de cette idée certes peu originale mais pas mauvaise qui devrait nous faire douter de chaque agent, potentiel terroriste infiltré, puisque c'est chez les forces spéciales des différents pays que recrute le grand vilain. A propos du méchant, sa voix flippante rattrape un peu sa vieille tronche de fouine à binocles, mais nous sommes étonnés de le découvrir si tôt et nous l'aurons bien vite oublié. Sa capture finale fait l'effet d'un ballon de baudruche.




Abordons à présent une question cruciale : l'actrice vedette est-elle une véritable bombe ? On ne va pas se plaindre, Rebecca Ferguson a un charme classique très appréciable qui dénote un peu des canons actuels, mais je dois bien avouer que, dans l'épisode précédent, Paula Patton m'avait fait plus d'effet. Ces considérations sont bien primaires, certes, il serait cependant malhonnête de les ignorer. L'actrice star de Mission Impossible est désormais un choix aussi important que celui de la James Bond Girl. On devine que les castings s'effectuent directement sous la supervision de Tom Cruise et que celui-ci est tombé sous le charme du petit minois hautain et du fessier rebondi de la comédienne suédoise. Notons néanmoins que si ce joufflu est la star d'un fugace mais véritable money shot, le plantureux booty de Paula Patton allumait quant à lui une scène entière du quatrième opus... Bref, là encore, on reste sur un sentiment d'inachevé.




Ce Mission Impossible 5 apparaît au bout du compte comme une sorte d'épisode de transition, une étape peut-être utile dans la saga pour la reformation de l'équipe, comme l'atteste la capture du méchant, encerclé par les différents agents menés par Tom Cruise enfin réunis. Bien sûr, cela reste honnête comme film d'action relativement aux débilités qui sortent en fanfare sur nos écrans. Mais c'est une déception, et si vous n'aviez pas aimé le 4, nettement plus divertissant, passez donc votre chemin, vous apprécierez encore moins celui-ci !


Mission : Impossible - Rogue Nation de Christopher McQuarrie avec Tom Cruise, Rebecca Ferguson, Simon Pegg et Jeremy Renner (2015)

Strategic Air Command

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Quand on dit James Stewart et Anthony Mann dans la même phrase, en général c'est pour parler du superbe cycle de westerns que les deux hommes ont tournés ensemble : Winchester 73 (1950) Bend of the River (1952) The Naked Spur (1953) The Far Country (1954) et The Man From Laramie (1955). Mais les deux hommes ont tourné trois autres films main dans la main : Thunder Bay, en 1953, The Glenn Miller Story en 1954, qui me sont tous deux encore inconnus, puis Strategic Air Command, en 1955. Et autant dire que ce dernier, peut-être le moins connu de tous, n'est pas tombé aux oubliettes pour rien. Film de propagande pour l'armée américaine, et spécialement pour son aviation, cet opus de la série Mann-Stewart est un film fascinant par sa capacité à s'étirer sur du vide. Il nous raconte l'histoire du lieutenant colonel Robert "Dutch" Holland (Jimmy Stewart donc), ancien pilote de l'US Air Force (c'était le cas de Stewart lui-même, pilote de bombardier durant la guerre) reconverti champion de baseball, auquel l'armée de l'air demande de reprendre du service au sein du fameux Strategic Air Command pour mettre ses talents au service d'une série de tests sur de tout nouveaux modèles d'appareils dernier cri, au grand dam de son épouse, Sally Holland (June Allyson, déjà en couple avec Stewart dans The Glenn Miller Story), qui le suit d'abord avec amour puis regrette rapidement son retour sous les drapeaux.




Et on la comprend, la pauvre. Dieu sait qu'il n'arrive pas grand chose à son lieutenant-colonel de mari en ces temps de paix (mais de guerre froide, d'où ce film publicitaire), et qu'il n'arrive pas grand chose au film, du même coup. Le pilote tombe amoureux de son coucou et n'a de cesse d'aller tirer sur son manche, au mépris de sa vie de couple et, bientôt, de son nouveau rôle de père. A croire que les longues séquences dans lesquelles Anthony Mann, avec l'appui d'une musique emphatique assez pénible signée Victor Young, se concentre exclusivement sur le beau bombardier tout neuf mis au point par les yankees, filmant la bête d'acier puissante et rutilante sous toutes les coutures, au sol et en l'air, ont de l'effet sur le personnage principal à défaut d'en avoir sur nous (hormis peut-être quelques passionnés d'aéronautique et autres dérangés susceptibles de choper le marbre pour un bombardier). Mais, toutes les vingt minutes environ (chiffre avancé complètement au hasard, je l'avoue), le pilote rentre au bercail et y retrouve une épouse d'abord tendre et compréhensive puis, en tout état de cause, de moins en moins convaincue par le choix de vie de son cher et tendre, et donc par le sien.




Aussi courtes soient-elles, ce sont les seules scènes intéressantes, captivantes, touchantes du film, qui confirment, si besoin, qu'Anthony Mann n'était décidément pas fait pour cirer les ailes de l'armée américaine (prise à contrepied dans certains de ses meilleurs westerns), et se trouvait plus enclin à filmer des chevaux bien vivants que des B29 vrombissants. On se surprend donc, au bout d'un temps, à s'identifier non pas à James Stewart (une habitude pourtant...), mais à June Allyson et à son personnage très sirkien de femme au foyer trahie, abandonnée, délaissée. On a envie de l'aider à convaincre Jimmy Stewart de rester là, au chaud, à la maison, dans les bras de sa femme, au lieu d'aller crâner aux commandes de son hideuse machine de mort (pour finir mal, en prime, puisqu'il se ruine une épaule et met en danger tout un équipage par excès de confiance, le portrait du pilote n'étant pas tout reluisant non plus - Mann reste Mann, on ne se refait pas totalement). Et on tirerait bien la manche du fantôme du cinéaste aussi, pour le supplier d'abandonner son film de réclame, d'arrêter de scruter amoureusement un tas de tôle volant et de retrouver ses acteurs et actrices, de laisser les drapeaux où ils sont et de filmer des hommes, des femmes, et la nature, où il avait sa place plus que dans les nuages.


Strategic Air Command d'Anthony Mann avec James Stewart et June Allyson (1955)

Harry Brown

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Michael Caine EST Harry Brown, un marine à la retraite qui vit dans un immeuble hideux au beau milieu d'un quartier hyper chaud d'une banlieue toute pourrie de Londres. Il perd successivement sa vieille femme malade d'un cancer et son meilleur ami, un petit vieux sympa et sans défense froidement abattu par une bande de jeunes délinquants dans l'un des tunnels lugubres du tierquar. Tout est vieux, pourri et mort là où habite Sir Michael Caine. Celui-ci n'a alors plus rien à perdre et, déterminé comme jamais et animé par une rage profonde, il décide de venger la mort de son meilleur ami en "nettoyant" la cité à grands coups de flingue. Harry Brown devient un vigilante du troisième âge à l'efficacité redoutable, au service d'une société aux abois qui n'en demandait pas tant.




Comme vous pouvez vous en douter, le film est politiquement et moralement ultra douteux. Plus ou moins aidé par les flics, qui ont de toute façon strictement la même manière que lui de régler les problèmes, Michael Caine liquide donc toute la jeunesse délinquante de son quartier exsangue. A la fin du film, celui-ci peut enfin revivre dans le calme et la sérénité. Le soleil refait même son apparition ! On pourrait détester le film pour ces idées nauséabondes et ridicules. En interview, le réalisateur Daniel Barber, l'homme d'un seul film, et sa vedette Michael Caine, le genre de mec qu'on aurait tendance à respecter, se défendent pourtant d'avoir simplement voulu dépeindre avec réalisme la violence qui règne dans ces zones urbaines délaissées. Ça ne change rien aux impressions écœurantes que leur film véhicule...




J'ai tout de même regardé ce thriller bas du front en étant plutôt captivé pendant la majeure partie, mais au bout d'un moment, le film tourne un rond. Ça devient même un peu n'importe quoi sur la fin, lorsque Michael Caine, un flingue pointé sur l'une des pires racailles de son tierquar, déclare "Tu le vois celui-là ? J'ai mon couteau dans ma poche, j'ai ma bite dans mon slip, j'ai mon soufflant sur ton front : je vais te faire un troisième œil et un deuxième trou du cul" et que l'intéressé lui répond "Fais-toi plaisir. Ma femme a été assassinée, mon fils a été buté, ma propre sœur a dressé une meute de loups pour tuer ma propre mère. Rien ne va plus. Les jeux sont faits. Va z'y, bute-moi. Puis tringle-moi si le cœur t'en dit, tringle mon cadavre ! Comme on dit par chez nous : over my dead body !" J'ai eu la sensation que tout avait été dit cinq petites minutes auparavant, au moment où Michael Caine part se coucher après avoir fait chuter l'espérance de vie de toute la Grande-Bretagne, en crachant "Maintenant le tierquar est plus killtran".




Heureusement, le film jouit du charisme toujours intact de Michael Caine et d'une atmosphère oppressante et poisseuse qui fait froid dans le dos. C'est en effet pas tous les jours que l'on voit un grabataire faire des trous de 40cm de diamètre dans des corps humains, le sourire jusqu'aux oreilles. Y'a pas à dire, Michael Caine reste "the king of cool"... En revanche, si c'est ce truc-là "The best british film of the year" comme l'indique l'affiche ici choisie, alors le cinéma britannique est vraiment très malade...


Harry Brown de Daniel Barber avec Michael Caine, Emily Mortimer et David Bradley (2011)

Coups de feu dans la Sierra

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Quand il tourne son deuxième film, Coups de feu dans la Sierra (Ride the high country, 1962), Sam Peckinpah n'est pas encore le cinéaste confirmé et sujet au scandale de La Horde sauvage (1969), et n'a pas encore assis les grands principes de l'esthétique qu'on lui connaît, entre autres centrée sur une violence exacerbée, un montage brutal et des effets de ralenti sans complexes. Son deuxième film est un western relativement classique (on pense aux chefs-d’œuvre d'Anthony Mann – maître du genre entre l'ère Ford et l'ère Peckinpah – lors de la fusillade dans la montagne), même si, avec en tête d'affiche ces deux acteurs sur le retour que sont Joel McCrea et Randolph Scott, qui tournent alors tous deux leur dernier film, Coups de feu dans la Sierra dit déjà la fin d'une époque et du western en tant que tel. On baigne d'entrée de jeu dans la grande obsession pessimiste et morbide de Peckinpah avec, au cœur du film, le motif des vieux cowboys sur le déclin.




En ce début de 20ème siècle, Steve Judd (Joel McCrea), vieux cavalier grisonnant, ex-shérif autrefois craint des petits brigands, débarque dans une bourgade de Californie où sa superbe en prend immédiatement un coup : le héros, d'emblée complètement à côté de la plaque, se croit acclamé par les hourras d'une foule en délire qui, en réalité, attend un tout autre spectacle que sa seule entrée en ville. Judd le comprend enfin quand il est bousculé par un policier qui lui demande de dégager la route en le qualifiant de « Old-timer». Notre homme manque aussitôt après de se faire renverser, et à deux reprises. D'abord par la course montée que les citoyens attendaient en hurlant, où des chevaux sont battus à plate couture par un dromadaire, ensuite par une voiture à pétrole. Le constat est clair, et Peckinpah d'une redoutable efficacité dans cette ouverture (ça deviendra vite une habitude) : vieux de la vieille surgi d'un western d'autrefois, notre cowboy dérange, encombre, ralentit tout le monde, il n'est plus à sa place, littéralement dépassé.Lui et son cheval, symbole mythique du vieil ouest, sont ridiculisés par un drôle de dromadaire comme surgi d'un cirque puis par une voiture, nouvel emblème de l'Amérique moderne (on trouvera une scène similaire dans La Horde sauvage). Steve Judd, qui a dû se résigner à exercer quelques petits métiers de subsistance (videur, agent de sécurité…), se voit quand même proposer de devenir convoyeur d'or au service d'une banque. Pour ce faire, il retrouve un ancien acolyte, Gill Westrum (Randolph Scott), quant à lui réduit à se déguiser en Buffalo Bill dans une foire. Cette scène est d'autant plus terrible que Randolph Scott se retrouve grimé en un Buffalo Bill de prisunic alors qu'une vingtaine d'années plus tôt, en 44, Joel McCrea interprétait le véritable William Cody dans le Buffalo Bill de William A. Wellman. Au surplus, le vrai Buffalo Bill, en personne, acheva sa vie en la rejouant pathétiquement, incarnant une parodie de lui-même aux côtés du vrai Sitting Bull, contraint d'en faire autant, dans le fameux Wild West Show, mise en spectacle de la conquête de l'ouest absolument hallucinante (qui a récemment fait l'objet d'un livre d'Eric Vuillard : Tristesse de la terre, paru chez Actes Sud l'an passé). Décidément, le mythe de l'ouest n'est rien que son propre spectacle, triste et grotesque.




Judd et Westrum, affublés du petit acolyte de ce dernier, Heck Longtree (Ron Starr, jeune premier de mise), parfaite tête brûlée, dispersé et bagarreur, partent ainsi vers les mines de la Sierra en quête d'un chargement de 20 000 dollars. Mais le roublard Westrum et son jeune camarade ont pour projet de s'accaparer le butin, ce que Judd n'entend pas de cette oreille. Westrum s'échine, durant toute la première partie du film, qui fait la part belle à de longs et beaux dialogues entre les deux acteurs, à faire entendre à son vieil ami, à coups d'allusions peu discrètes, qu'ils pourraient garder l'or pour eux et finir leurs jours tranquillement. Après tout ils le méritent bien, pour tous les services rendus, tout au long de cette dure vie de cowboys héroïques qui n'a jamais été récompensée. Westrum n'est pas partant pour finir humilié, la peau sur les os, il veut s'offrir la dignité qu'on lui refuse et l'offrir à son vieux collègue par la même occasion. C'est sans compter sur l'intégrité absolue du vieux Steve Judd, qui préfère envoyer son ami en prison plutôt que de le voir trahir tous leurs idéaux.





Le film contient ainsi en germe la plupart des thèmes centraux du cinéma de Peckinpah, et ces bons vieux frères ennemis incarnés par McCrea et Scott préfigurent ceux que camperont les Robert Ryan et William Holden de La Horde sauvage ou les James Coburn et Kris Kristofferson de Pat Garrett et Billy le Kid, duos condamnés au duel. Coups de feu dans la Sierra peut à ce titre être considéré comme le premier volet d'une trilogie sur ce sujet, même si ses deux personnages principaux sont assez différents de leurs successeurs, soit deux couples de brigands séparés par la loi, où les uns s'en tiennent à ce qu'ils ont toujours été quand les autres trahissent les idéaux d'une vie de liberté et de braquages sur l'autel du confort et du salariat, de la modernité, pour se tirer d'affaire minablement et quitte à prendre en chasse leurs anciens frères d'armes. McCrea et Scott prêtent quant à eux leurs traits fatigués à de vieux amis qui, après de bons et loyaux services du côté de la loi, se retrouvent au même stade de compromission (le premier accepte de jouer les convoyeurs, le second fait le clown dans une fête foraine) et seront séparés par la trahison du plus désabusé des deux (Westrum, qui ne croit plus en rien, veut finir en beauté malgré tout ; Judd espère encore que le monde a un sens et décide de rester droit dans ses bottes, même s'il devra bientôt trahir une loi qui n'a pas grand chose de moral).




Car tout serait presque trop facile si le conflit n'était qu'interne. Sur leur route et au fil d'un scénario classique (dans le meilleur sens du terme), les trois cowboys rencontrent une jeune femme charmante, Elsa Knudsen (Mariette Hartley), lasse de moisir dans la ferme de son père, un veuf dévot et (très...) possessif. L'apparition de la demoiselle, impatiente d'échapper à son carcan, est fameuse : alors qu'elle travaille dans la grange du paternel en tenue d'homme, elle voit les cavaliers s'approcher du domaine et court dans sa chambre revêtir une robe pour paraître en femme devant ces messieurs. Mais son père, qui la bâche aussi sec et ira jusqu'à la frapper, finit par perdre la prunelle de ses yeux, envolée pour s'acoquiner avec le jeune Heck Longtree dans un premier temps, pour ensuite aller se marier avec le rustre Billy Hammond (James Drury), le seul homme qu'elle connaisse (elle l'a vu deux fois). La jeune Elsa ignore qu'elle tombe de Charybde en Scylla en quittant son triste père pour ce vulgaire chercheur d'or et ses quatre brutes de frères, qui s'entendent comme larrons en foire et prévoient d'aller poser leurs sales pattes sur leur future belle-sœur à tour de rôle. Après la remarquable et terrible scène de mariage dans le bordel du coin, particulièrement éprouvante, et déjà très dans le style de Peckinpah (le montage s’accélère au cours du bal qui suit la cérémonie, les gros plans sont violents, l'espace se déconstruit peu à peu), où le juge est un ivrogne, la maîtresse de cérémonie une maquerelle et les demoiselles d'honneur des putes, et qui menace de s'achever sur le viol collectif d'Elsa par ses beaux-frères, les trois héros récupèrent la jeune fille et décident de la ramener à son père, quitte à tôt ou tard devoir affronter les frères Hammond, et avec eux la loi (celle du mariage, qui est du côté des violeurs).




Alors que le film, jusque là, n'était pas exempt de petites approximations (notamment des choix surprenants concernant la musique dans ses accents les plus dramatiques, ou un montage parfois cahoteux), celles d'un cinéaste en herbe quoique faisant déjà preuve d'une maîtrise indéniable, la deuxième partie du film gagne en intensité jusqu'au finale, avec la confrontation dans la ferme du père. Peckinpah se permet alors de conjuguer violence et humour (quand, en pleine bataille, un Warren Oates régulièrement gêné par un spécimen récalcitrant du poulailler du père d'Elsa se met à canarder les volatiles avec rage dans une dépense brutale d'énergie qui évoque déjà les meilleures séquences de l'auteur), donne de vifs accès d'énergie à sa mise en scène (notamment ce plan mobile en caméra portée sur Randolph Scott dont le cheval galope à toute allure vers la bâtisse tandis que l'acteur tire au revolver et passe à travers le nuage de poudre de son feu), puis conclue sur un surprenant duel final, un mexican stand off d'une régularité comme on n'en a plus guère vue ensuite dans son œuvre.







Mais la scène la plus frappante du film survient avant le bouquet final, lorsque Billy Hammond présente sa future femme à ses quatre frères. Peckinpah fait les présentations. Elsa d'un côté, les trois premiers frères de Billy de l'autre, réunis dans le même plan et introduits au spectateur à la faveur d'un contrechamp tout ce qu'il y a de plus attendu. Puis Billy annonce à sa conquête qu'il a un quatrième frère, son préféré, Henry. Peckinpah revient pourtant au contrechamp sur les trois frères déjà présentés. Mais l'un d'eux, dépité, se retire du champ, et derrière lui apparaît une silhouette, au loin, qui soudain devient, à la faveur d'un raccord sec et d'un un très gros plan quant à lui parfaitement inattendu, Warren Oates. Tout sourire, irrésistible, le fusil à la main et un corbeau sur l'épaule, il marche vers la caméra. Cette séquence, avec ce gros plan de présentation qui nous saute presque aux yeux (grâce à la soudaineté du plan serré et parce que l'acteur, en prime, marche vers nous) et qui donne à l'acteur, plus qu'au personnage, une présence privilégiée, incroyable, surtout quand le plan suit la réplique de Billy qui fait de ce frère pourtant pas plus important dans le récit que les autres « my favorite brother» (c'est Peckinpah qui parle ici), évoque étrangement la première apparition du tout jeune John Wayne dans La Chevauchée fantastique de John Ford (1939), point de départ de l'âge d'or du western. Dans les deux cas, un cinéaste travaillant à poser les fondations de son œuvre et à faire émerger une nouvelle ère du western crée une rupture très nette au beau milieu de sa petite musique (chez Ford un brusque travelling avant sur un corps et un visage mettent à l'arrêt la diligence éponyme jusqu'alors suivie en panoramiques ou plans fixes ; chez Peckinpah, un raccord dans l'axe fulgurant et un gros plan improbable créent une saute entre deux plans moyens en champ-contrechamp) avec un plan extraordinairement saillant, inoubliable, venu présenter au public son futur acteur fétiche. Un visage nouveau et déjà inoubliable attire à lui la caméra de Ford et surgit pratiquement du cadre de Peckinpah. Ce dernier, comme son maître avant lui, concentre d'emblée toute son attention sur cet heureux élu. Mais Warren Oates (pas plus que Wayne d'ailleurs) ne sera pas l'acteur favori d'un seul homme. Peckinpah se le partagera bientôt avec Monte Hellman, qui avant de le retrouver pour Macadam à deux voies (1971), Cockfighter (1974) et China 9 Liberty 37 (1978), l'engage pour la première fois dans The Shooting, en 1967. Or Hellman réalise sensiblement le même plan que Peckinpah sur son ami Warren, un plan encore plus marquant sans doute, mais quasiment identique : en plan très serré, le visage de Warren Oates, qui se tient à flanc de montagne dans les deux films, s'avance vers l'objectif, net d'abord puis rapidement flou. A ceci près que le plan d'Hellman est aussi long (car ralenti à l'extrême, à la vitesse d'un plan/seconde environ, selon le même principe d'images arrêtées qui conclura Macadam à deux voies) que celui de Peckinpah était vif (celui-là fera un autre usage du ralenti), et qu'il n'a pas pour but de présenter l'acteur mais seulement son personnage, ou plutôt l'un de ses personnages (Oates incarne deux supposés frères jumeaux dans The Shooting, l'un aidant des chasseurs de prime à traquer l'autre – l'acteur n'a plus besoin de John Wayne, il est désormais son propre double), et que le sourire de Warren Oates a disparu : il ne porte plus son corbeau sur l'épaule mais c'est tout comme puisqu'il est en train de mourir. Naître chez Peckinpah, mourir chez Hellman, apparaître à toute vitesse, disparaître au ralenti, beau programme pour un acteur de génie dont la gueule magnifique aura traversé, en gros plan, le meilleur du Nouvel Hollywood.


Coups de feu dans la Sierra de Sam Peckinpah avec Joel McCrea, Randolph Scott, Ron Starr, Mariette Hartley, Warren Oates et James Drury (1962)

Last Days of Summer

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A la sortie de Young Adult, nous faisions un petit point autobiographique pour avouer que notre plus grand regret dans la vie est sans doute d'être au rendez-vous à chaque sortie d'un nouveau film signé Jason Reitman. Après avoir vu Labor Day puis Men, Women & Childrenà quelques jours d'intervalle, on se dit que la malédiction est tenace, que nous sommes condamnés, tels des Prométhée modernes, à vivre une vie jalonnée par l’œuvre de Jason Reitman. On se pose alors la question du libre arbitre. A quel point sommes-nous maîtres de notre propre destin ? Et surtout, tout bêtement, comment choisissons-nous les films qu'on regarde ?... Car pour rappel Jason Reitman est... comment le traiter d'enfant de salaud poliment, et alors que son père Evan Reitman (auteur de Jumeaux, avec De Vito et Schwarzy, mais aussi de SOS Fantômes 1 et 2) nous a quelques fois fait marrer ?




Jason Reitman nous l'a faite à l'envers une fois encore. Suite à l'échec commercial inattendu de Labor Day, l'homme est allé présenter ses excuses publiques auprès d'un parterre de commerçants ambulants sur le marché de St Aubin. Et pourtant ce mélo minable pour mamans, inoffensif et scolaire, est son meilleur film, d'assez loin. On vous conseille aussi de le mater d'assez loin, avec un petit bouquin à portée de main, la sono à fond, une immense baie vitrée face à vous, offrant le spectacle d'un grand paysage dans lequel se perdre, et le vieux chocolat chaud à l'ancienne, épais comme du cambouis, disposé sur la tablette non loin, qu'on peut attraper juste en tendant le bras, ainsi que les galettes bretonnes au beurre demi-sel qui fondent dans le lait sans se désagréger ni éponger toute la tasse en un seul voyage. Dans ces conditions-là, on peut sans doute passer un super moment devant Labor Day, ou d'ailleurs devant n'importe quel navet. C'est plutôt les traducteurs français qui auraient dû s'excuser, car le titre original, "Fête du travail", autrement dit "1er mai", est légèrement trahi par le titre "français" : Last Days of Summer, aka "Derniers jours d'août". 




L'affiche, qui entretient un amalgame pernicieux avec les Noces Rebelles de Sam Mendes, met en avant Kate Winslet, les mains plongées dans la farine, et, collé à son dos, Josh Brownie, préparant sans doute un sacré brolin. C'est un clin d’œil à la scène clé du film, largement commentée sur les réseaux sociaux, où Kate Winslet et le taulard qui lui redonne goût à la vie concrétisent la nouvelle famille qu'ils forment avec le larbin de Winslet, âgé de 14 ans, en se lançant dans une production industrielle de brownies. C'est un travail à la chaîne que nous dépeint Reitman, suivant les grands préceptes de John Ford et son fameux "fordisme", chacun a sa tâche, chacun se spécialise dans un artisanat, dans un savoir-faire, un geste. A sauver dans tout ça, une assez jolie scène où les personnages vont faire les courses en famille. Seul bémol, Josh Brolin n'est pas tout à fait tranquille, de par son passif d'ancien taulard : il a sa liste, il s'y tient, mais il zone dans les rayons sa casquette vissée sur le crâne pour passer incognito sous les caméras de surveillance, et il semble très très anxieux. Sans ce détail, cette scène serait vraiment une belle scène de courses.




C'est le genre de scène qu'on regarde avec bonheur si on n'a pas fait les courses depuis un bail. La scène qu'on mate en faisant soi-même sa liste, et pour une fois on notera de changer l'ampoule grillée de l'entrée de notre T1, morte depuis un bail, et qui a fait dire à nos parents, lors de leur première visite de l'appart, le jour de l'état des lieux : "C'est cool, t'as donc une cave, t'es dans les bonnes conditions pour réussir ton année à l'université, pour tout péter à la fac, t'as un bon lieu de travail, ici". Mais aussi les sacs congélation ! Ces foutus sacs congélation qu'on oublie à chaque fois, et qui seraient bien utiles pour se débarrasser des plats qu'on a laissé pourrir sur notre comptoir américain, ainsi que du chat du voisin. On pense même à rajouter un ultime tiret sur la liste pour la petite touche légumineuse : le petit corbac (c'est comme ça qu'on appelle les cornichons) qui te sauve une tartine de pâté un peu fade et qui permet de respecter la règle des cinq ou six fruits et légumes par jour, vu que tu te fais cinq ou six corbacs par jour. Les petits aigre-doux de chez Amora, ils sont bons... Ils rappellent le goût du Big Mac, la grosse tranche de lard du Big Mac. Mieux, si y'a des Malossol au Liddl, ça te fait un repas complet. Quand on a appris que le corbac était une petite courgette, gros big up pour la courgette dans notre cœur (on savait pas que ça pouvait être si bon ! Pourquoi diable les faire vieillir ?). Bref, Jason Reitman a au moins le mérite de nous remplir le frigo.




A la fin du film le spectateur n'est pas malheureux que les amants se retrouvent. On se dit : "tant mieux pour eux", et c'est bien le signe que tout cela fonctionne à peu près. On aurait aimé consacrer le dernier paraphet à établir une relation de causalité entre ce film et deux autres longs métrages contemporains, issus du même pays (beaucoup de points communs donc), à savoir Joe et Mud. Mais en dehors du gamin obnubilé par une vieux taulard, très peu de rapports... Ça se passe l'été le plus souvent... On trouve un pistolet au moins dans chaque film, mais ça marche pour tous les autres films ricains... On va peut-être changer de paragraphe du coup. C'est une piste, vous nous voyez contents de l'ouvrir (nous sommes pionniers sur cette approche analytique du film), on est les premiers à nommer cette mouvance (peut-on parler de mouvance ?), à pointer du doigt ce phénomène, on sera ravis si on finit en note de bas de page à la fin DU mémoire de master 1 qui sera consacré à ce sujet en 2168, quand l'étudiant de base inscrit en fac de socio car refusé en fac de ciné suite à la mise en place d'un numerus closus impliqué par la réduction des budgets de l'université aura eu le recul suffisant pour se rendre compte de ce lien qu'on pointait déjà un siècle avant lui, presque deux siècles...




Le mea culpa de Jason Reitman, qui avait signé un film propre sur lui, mauvais mais appliqué, tel un cancre qui sue sur sa rédac de fin d'année pour dérocher enfin une note non-négative, ce mea culpa est d'autant plus triste et incompréhensible qu'il range automatiquement Jason Reitman dans la catégorie des fumiers pur jus. Défendre son film contre vents et marées ? Assumer un peu ce qu'on vient de chier ? Non... Pas quand on n'a pas de roustons... Autant directement chialer et lécher le sol devant quelques maraîchers qui n'ont rien demandé. Reitman ne doit pas être au courant que, dans l'histoire du ciné, une poignée de films sympas n'ont pas reçu l'accueil escompté et mérité. Exemple : Titanic, que l'on est à peine en train de remettre à sa place d'assez bon film. Idem pour Autant en emporte le vent qui, malgré un petit coup de pouce de l'Académie des Oscars, n'a pas marché, et qui finalement a eu droit à sa petite édition collector, puis à son bluray... Certains malins ont flairé un public potentiel pour ce truc, surfant sur la vague Obama pour sortir le film de l'oubli.




Après cet échec très mal vécu par Jason Reitman, qui affirme avoir passé une après-midi entière dans sa chambre, coupé du monde, la porte fermée à clé de l'extérieur, avec l'intégrale de Leonard Cohen en boucle sur son Itunes, le cinéaste avait à cœur d'enchaîner très très vite avec un sujet qui l'obsédait, à savoir le médium qui nous permet de suivre sa carrière de si près : internet. 


Last Days of Summer (Labor Day) de Jason Reitman avec Josh Brolin et Kate Winslet (2014) 

Men, Women & Children

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Men, Women & Children est, tenez-vous bien, une étude anthropologique sur l'homme. Et plus précisément sur l'homme face à ce nouveau NTIC qu'est Internet. En fin sociologue, en observateur sans parti pris, en analyste bergmanien de la société de ses contemporains, Jason Reitman se plaît à disséquer l'impact d'internet sur la vie de différents personnages représentatifs de l'ensemble de la population mondiale connectée. D'où le titre, assez globalisant, ambitieux mais à raison, audacieux, en un mot. Le film débute par un regard impitoyable sur un père de famille lambda, clean, qui travaille dans un bureau, un brin frustré de la bite mais bon bougre, intègre, avec son petit jardin secret pas tant rempli de cadavres que ça, mais dont l'imaginaire est, la faute au web, littéralement tapissé d'imagerie porno. Des scènes chocs, rappelant quelques moments clés d'Orange Mécanique, nous montrent Adam Sandler incapable de regarder sa fille de 12 ans dans les yeux, car il la visualise aussitôt dans des gang bangs antiques, à la mise en scène volontairement négligée, et plaque malgré lui le visage innocent de la chair de sa chair sur tous les corps huileux et couverts de chapelure, gonflés aux amphétamines et parsemés de cicatrices, des actrices professionnelles qu'il admire à longueur de journée sur la toile. 




Ne laissant aucun répit au spectateur, Jason Reitman enchaîne avec un portrait efficace et étonnamment parlant du fils d'Adam Sandler, celui-là même qui, quand il retrouve son Macbook Air ouvert sur la fenêtre porno laissée béante par son père, se dit : "Je vais m'en tailler une aussi...", et dont le subconscient est parasité du matin au soir par des images flash de déviance porno, au point que cela dénature ses relations amoureuses naissantes. Plus machiavélique que jamais, Jason Reitman s'intéresse ensuite à la copine blonde de ce gamin, la bombasse du lycée, qui pose à moitié nue sur le blog MangerSansGluttenMaisAvecLaGaule.com, une adresse web mise au point par sa mère, qui profite des jolies formes de sa fille pour s'arrondir les fins de mois. Cette jeune demoiselle, au mental totalement hacké par des visions porno, s’engouffre dans une spirale du X dont elle ne ressortira jamais. 




Un échange de textos, a priori complètement anodin, entre elle et son copain, dit tout des dégâts causés par internet sur la jeune génération. Le premier sms est mignon : "Tu fais quoi ce soir ?", demande le gamin. Dès la réponse, ça commence à sentir la chkoumoune : "Ce soir, j'avais imaginé, dis-moi ce que t'en penses en toute honnêteté, que tu pourrais me réfracter le col du fémur tout en matant un snuff-gonzo hardcore plus soft que nos préliminaires d'hier." Troisième missive électronique : "Porqué no... A priori ça me va. Mais je te propose a contrario que nous fassions tout cela sous le regard de ta grand-mère, histoire de nous tailler une place dans l'antre du diable le jour du jugement dernier." Nouvelle rasade de mms, avec mst à télécharger en pièces jointes, qui, agrémentée d'une photo sans équivoque, nous prouve que l'un des deux membres du duo est déjà paré, voire sur le point d'avoir besoin d'un petit quart d'heure de break pour se remettre en jambe : "Ok, mais, petite réclamation de mon côté, c'est donnant-donnant, j'aimerais pouvoir me vanter, demain, au petit déjeuner, d'avoir frôlé la mort et de m'être fait avorter". Ultime réponse : "Je veux te tuer". 




Relation banale de deux teenagers de l'an 2000 selon Reitman, qui ne s'arrête pas en si bon chemin puisque la mère de famille et la mamie y passent aussi. Autre sujet, autre dépendance, autre symptôme de la génération Y (qui a fait la guerre de 14, concernant la mamie du groupe). Quid donc de la mère qui, en passant l'aspirateur dans la chambre du fils, bouscule vaguement la souris de son ordinateur et rallume ainsi le diable (le fils a d'ailleurs nommé son "outil de travail", soit ce fameux PC officiellement acheté pour ses "TPE" de terminale ES : Proteus IV), découvrant l'esprit de Caïn à même le moniteur, sous la forme d'un truc en cours, d'un truc bien entamé, qui a été arrêté puis repris à de nombreuses reprises, sans véritable voyage dans la salle d'eau entre deux séances de lutte. D'abord un peu rebutée, la maman finit par s'approcher de l'écran à la façon de l'alien qui traque Bruce Willis dans la cave de Tom Robbins au cœur de la meilleure scène de La Guerre des mondes. Curiosity killed the cat, comme dit l'adage. Maman finit par se faire bouffer par le porno, comme tout le monde. Et comme, du coup, la mamie de la famille, qui ne pensait pas qu'un Ipad pouvait être autre chose qu'un plateau-repas, et qui troquera quelques séances de Scrabble contre autant de sessions "compte-triple" online. 




Dans une succursale de ce film à tiroirs, Reitman s'inspire ouvertement de Claude Sautet et nous gratifie d'une parenthèse enchantée et glaciale à la fois. Celle-ci met en scène Jennifer Garner, une autre maman obsédée par le porno et par le contrôle parental de sa fille de 14 ans. Contrôle qu'elle avoue lors d'un petit échange confidentiel avec la caméra de Reitman, où elle nous dit qu'elle essaye au mieux de reproduire toutes les techniques de Marcel "The Rock" Dessailly : travail au corps, épuisement nerveux de l'adversaire, épaule contre épaule, tentative d'épuisement moral de l'attaquant adverse collé à la culotte et poussé à s'arracher les cheveux et à frapper le sol du poing, sans oublier le menottage de l'ennemi sur les corners. Rappelons à toutes fins utiles que le but ultime de tout défenseur en zone est de rendre cliniquement fou l'avant-centre dont il a la charge, l'être humain qu'il a pour mission d'annihiler. Peu importe le nombre de buts concédés, la victoire, la défaite, les cartons, le fair-play, tout cela n'a aucune importance, seuls comptent la rage incontrôlable et le début de schizophrénie provoqués chez le numéro 9 d'en face. Jennifer Garner, donc, s'applique à décocher chaque item de l'historique web de sa fille mano à mano, s'inspirant des paroles de Manu Chao, alors qu'il suffit de cliquer sur "supprimer tout l'historique récent, passé et futur".

 


Reitman, dans la scène maîtresse de son œuvre, quitte alors une Jennifer Garner studieuse, méthodique, les lunettes vissées au nez et le nez vissé à l'écran, certaine de son efficacité, pour grimper les escaliers de la baraque, marche après marche, caméra au poing, afin de bien établir une continuité de temps entre deux espaces contigus mais à des années-lumières en termes d'usage du net, tandis qu'il débarque en douce dans la chambre toute illuminée de rose de la fille et que retentit en fond sonore un bon Farka Touré staccato qui réchauffe l'ambiance, pour nous dévoiler une gamine en réalité bien au fait des dernières possibilités offertes par TumblR et FaceTime, compressant ses seins à l'aide de ses mains face à une webcam qui tressaute sur son pied. De quoi mettre à la retraite le défenseur central qui cire le banc de touche dans le living-room au rez-de-chaussée, soit une Jennifer Garner littéralement aux fraises, sur le point d'apprendre, impuissante, que tous ses matchs ont été perdus sur tapis vert. Ce Reitman-là est donc le film choral définitif sur le net et ses répercussions sur le village-monde, un film qui enterre Disconnect, dans la même catégorie.


Men, Women & Children de Jason Reitman avec Adam Sandler, Jennifer Garner, Ansel Elgort et Olivia Crocicchia (2014)

La French

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Le vrai Heat français, le voici enfin ! Dujardin versus Lellouche, l'affiche à de quoi faire rêver... La confrontation est-elle à la hauteur de l'attente suscitée ? William Friedkin, qui n'a pas vu le film, aurait déclaré sur Twitter "I don't give a damn". La French se veut le film miroir de son French Connection, l'un des polars phares du Nouvel Hollywood. Voici donc le point de vue français sur la croisade antidrogue menée contre cette fameuse mafia qui a régné sur la cité phocéenne durant les années 70 et 80. Jean Dujardin interprète un magistrat super zélé qui va se lancer corps et âme dans son entreprise de démantèlement d'un réseau mieux organisé qu'il le croyait. Gilles Lellouche prête quant à lui ses traits particulièrement disgracieux à l'indéboulonnable parrain du "milieu".




La première confrontation entre les deux superstars doit survenir après une bonne heure de film. Malheureusement, la scène est totalement flinguée par le mistral ! Cédric Jimenez avait pourtant attendu son moment, un coucher se soleil rasant, se reflétant parfaitement dans la Méditerranée, la lumière à hauteur des acteurs, face à face, sur un cap fouetté par les vagues. Toutes les conditions étaient réunies pour mettre en boîte un petit échange savoureux entre les deux rivaux. Hélas, Dame Nature en a décidé tout autrement. Et aucune nouvelle chance ne fut accordée à Cédric Jimenez, qui pouvait déjà s'estimer heureux que de tels moyens lui aient été octroyés dès son second long métrage. Harcelés par des rafales ininterrompues, Dujardin et Lellouche ont un mal fou à garder leurs costards sur le dos. Leurs mèches folles se font mieux entendre que leurs dialogues. On ne pige strictement rien à ce qu'ils disent, la prise de son morfle, le perchman est encore porté disparu. En bref, la scène est totalement foirée. Dommage !




Soulignons d'ailleurs que la compréhension des dialogues est ici un problème récurrent. Pendant tout le film, j'ai lutté pour piger le moindre mot qui sortait du vieux clapet puant de Gilles Lellouche... J'avais pourtant fait attention de correctement régler mon système audio 2.0, en diminuant sensiblement les basses. En vain. J'ai vite abandonné espoir de comprendre une seule tirade du boss de la mafia, protagoniste pourtant central dans cette petite histoire... Je ne comprenais tout simplement pas ce qu'il disait. Même phénomène avec Benoît Magimel, qui trouve ici sans conteste l'un des pires rôles de sa carrière, bien qu'il s'agisse, en ce qui le concerne, d'un problème lié au personnage de gitan qu'il est supposé incarner. Magimel se retrouve dans la peau d'un gangster minable surnommé "le Fou". Il se fait buter une première fois dans un parking souterrain, en prenant une douzaine de balles dans les poumons. Il est rafistolé on ne sait comment par une infirmière surdouée, uniquement pour se faire arrêter par les flics dans la foulée ! Magimel doit avoir quatre lignes de dialogue à tout péter, et aucune n'est intelligible. Il faut dire qu'il surjoue assez ridiculement l'accent marseillais... Terrible descente aux enfers pour cet acteur jadis prometteur qu'Etienne Chatliez a peut-être mis un peu trop tôt sous le feu des projecteurs...




En ce qui concerne Gilles Lellouche, il s'agit simplement d'un gros souci de diction, qu'il serait grand temps de corriger. Trop de films ont déjà été gâchés. La croyance que l’orthophonie est "réservée" aux enfants est fausse. De plus en plus d’adultes se retrouvent en séances de rééducation, pour des troubles qui ont parfois de lourdes conséquences sociologiques et psychologiques mais qui tous touchent la communication. Il n'y a pas à avoir honte, c'est déjà un petit miracle (ou un vaste malentendu) que M. Lellouche soit arrivé si loin avec un tel handicap ! Mais revenons plutôt au film. La French est plutôt naze, mais tout de même un peu mieux que ce que je craignais. C'est facilement supérieur à ce que j'appellerai un "Olivier Marchal-like", c'est-à-dire à tous ces polars nauséabonds qui ont envahi nos écrans suite au succès du détestable 36 quai des orfèvres, un film qui a fait beaucoup de mal au cinéma français. La reconstitution d'époque n'est, pour une fois, pas très lourdaude, à condition de faire l'impasse sur toutes ces femmes qui semblent sortir tout droit d'un catalogue de mode vintage. Les 2h15 passent sans réel accroc. Jean Dujardin, bien qu'il ait toujours autant de difficulté à être crédible dans un registre sérieux, se donne beaucoup de mal, je ne lui jetterai donc pas la pierre. Mais nous sommes tout de même loin de la réussite annoncée par certains médias, trop désireux de voir le polar à la française rebondir enfin.




En outre, le film a la sale idée de nous quitter sur une fausse note, à savoir la pitoyable mort du personnage campé par Dujardin. Rentrant peinard du boulot en scooter, le juge se fait abattre froidement d'une balle dans le coccyx à un feu rouge, par des gangsters revanchards arrivés lentement à sa hauteur en motocyclette. Nous voyons alors, en plan large, le scooter, à l'arrêt, se renverser tout bêtement sur le côté, dans une chute lamentable. "Quand la légende dépasse la réalité, imprime la légende" suggère un célèbre adage fordien. Jimenez, sans doute obnubilé par la sacrosainte véracité historique, aurait dû en prendre de la graine pour offrir à son héros une fin moins pathétique... 


La French de Cédric Jimenez avec Jean Dujardin, Gilles Lellouch, Céline Sallette et Mélanie Doutey (2014)

Jeanne captive

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Que c'est triste un film pareil. Pourtant tout était là : une histoire qui a fait ses preuves, rien moins que l'un des épisodes les plus fameux de l'Histoire de France, qui aura inspiré le cinéma peut-être mieux que nul autre ; une approche plutôt originale de cette histoire, évitant au cinéaste la redite et surtout la comparaison, puisque le script ne porte ni sur l'ascension de Jeanne d'Arc, filmée entre autres par Rossellini ou Rivette, ni sur son procès devant l'évêque Cauchon, représenté à l'écran par Dreyer ou par Bresson, mais sur cet épisode méconnu de l'histoire où Jeanne, déjà captive, donc, attendant d'être remise aux anglais et n'entendant plus les voix, décide de mettre fin à ses jours en se jetant du troisième étage de la tour où elle est retenue prisonnière, sans succès ; et pour incarner tout ça de bons acteurs, car outre Clémence Poesy et Thierry Frémont, dont les talents restent relatifs à mes yeux, on croise là-dedans Jean-François Stévenin, Louis-Do de Lencquesaing ou encore Mathieu Amalric. Certains déjouent, le deuxième de la liste notamment (qui inquiète, à force de rôder dans des crimes cinématographiques avérés), mais on a moins envie de les accuser que de s'interroger sur les talents de Philippe Ramos en matière de direction d'acteur et d'écriture de scénario (entre autres).


 Philippe Ramos, sur le tournage du film, s'en remet à Dieu, tel Jeanne la pucelle en son temps. Que faire ? Tourner un truc pas trop moche ? Arrêter tout de suite le cinoche ? Les voix du Seigneur sont impénétrables.

Avec une histoire pourtant passionnante en soi et un axe d'approche relativement nouveau, Ramos ne parvient jamais, jamais, à nous intéresser tant soit peu à ce qu'il fait, à ce qu'il montre ou raconte. Impossible de se sentir le moins du monde concerné par ces images numériques si lisses et pauvrement filmées, ces cadres télévisuels si mal composés, cette lumière sous-travaillée, cette voix-off désagréable, ces arrêts sur image ridicules, ces ralentis copieusement hideux et j'en passe. La réalisation s'améliore un brinavec l'arrivée de Mathieu Amalric dans la deuxième partie du film (moins intéressante puisque centrée sur la condamnation de Jeanne et sa conduite au bûcher), comme si Ramos et son équipe avaient saisi quelques rudiments de mise en scène sur le tas ou au contact de sieur Amalric, mais le niveau demeure extrêmement bas. Quelle tristesse qu'un film si mal réalisé que l'on a dès le départ et à chaque instant l'envie urgente de physiquement s'en détourner.


Jeanne captive de Philippe Ramos avec Clémence Poesy, Thierry Frémont, Louis-Do de Lencquesaing, Jean-François Stévenin et Mathieu Amalric (2012)

Lost River

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C'est avec beaucoup d'appréhension que nous nous lancions dans ce Lost River, premier long métrage très attendu de l'acteur et sex symbol Ryan Gosling. Les premiers échos cannois nous avaient fait redouter un pénible essai autocentré, s'aventurant sur les rives d'une expérimentation de façade pour en réalité se noyer sous une masse de références trop évidentes et terriblement prévisibles. Certains articles rédigés par des fans amoureux, entièrement acquis à la cause de l'acteur-réalisateur, avaient amplifié notre méfiance. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir le film d'un auteur certes sous influence mais à la personnalité intéressante et déjà bien affirmée, méritant amplement le détour.




Lost River est un film fragile qui dégage une forte odeur de cinéma. Dès les premières images, et même dès le générique (un peu longuet), une vraie envie de cinéma suinte littéralement de l'écran. Ryan Gosling utilise son enviable popularité auprès des jeunes filles et sa si grande notoriété pour mettre en garde contre les dérives d'un système qui fait fi des laissés pour compte et des marginaux. Le beau gosse se mue alors en cinéaste engagé, prenant courageusement pour décor la ville désaffectée de Détroit, dont il filme les dessous sans pudeur tout en nous faisant admirer sa technique. Parfois, Gosling semble ne plus maîtriser son art, comme si la recherche de son inconscient dévoilait des horizons inconnus, qu'il ne peut lui même expliquer : une caractéristique chère aux plus grands. On repense à cette réponse sans équivoque de Hitchcock à Truffaut tirée du fameux Hitchcock/Truffaut : "Cette scène ? Aucune idée de comment ça m'est venu, désolé..." Travelling bilatéraux en contre-champ et double contre plongée... Effets de manche inattendus et plans américains qui n'ont rien à envier à ceux, très européens, des cinéastes actuels (suivez notre regard...). Il y aurait aussi toute une thèse à écrire sur le rôle du hors champ et des jeux de reflets dans les débuts derrière la caméra du beau Ryan. On est plutôt sur le cul face à cet abécédaire revisité du cinématographe de poche.




Dans une ambiance lynchéenne à souhait, Ryan Gosling casse les règles pour mieux en dicter de nouvelles. Son récit, très éparpillé, parvient néanmoins à nous captiver. Certains passages, que l'on devine autobiographiques, réussissent à retranscrire une certaine vérité du mal être adulescent. Dans son rôle de mère courage, Christina Hendricks étonne et s'impose comme une image moderne d'un féminisme très actuel qui ne dit pas son nom. Le réalisateur parvient à être touchant sans pour autant céder aux violons insupportables, sans jamais sombrer dans le pathos. La "lost river" du titre n'était-elle pas ce filet de larme qui coulait sur nos joues pendant la projection ?




Aspect guère étonnant quand on connaît également la carrière musicale de l'acteur-réalisateur surdoué : la bande son de Lost River est extrêmement travaillée. Une musique planante tout droit sortie de la scène underground new-yorkaise, où l'électronique et l'acoustique se disputent la vedette, vient sublimer de vrais moments de cinéma. Sans difficulté, on ressent l'influence électronique de Trent Reznor et de l'école de Düsseldorf ; influences mêlées à la musique tzigane dans laquelle notre cinéaste a grandi et dont il a su s’empreigner sans perdre son identité (au contraire d'un Johnny Depp). Le film caresse les yeux en plus de nous chatouiller les oreilles. Les plus jeunes, à l'ouïe plus fine, ont dû apprécier.




En équilibre, Ryan Gosling accomplit un grand écart épatant : il endosse en toute humilité le rôle du maître du temple tout en adoptant une position avant-gardiste. Il s'impose comme la figure de proue d'une nouvelle génération à suivre de près et qui saura redonner un nouveau souffle au cinéma américain. Et il le fait avec cette modestie délicate qui le caractérise depuis toujours. Au contraire de l'ultra-référencé Quentin Tarantino, Ryan Gosling distille sa connaissance encyclopédique du 7ème art par petites touches et sans lourdeur, invoquant tour à tour Murnau, Scorsese, Godard, Reed, Méliès, Kurosawa... Malgré cela, le film dégage une maturité impressionnante.




Sachant que son image de sex symbol lui collerait à la peau, il signe un film autodestructeur et véritablement modeste, comme s'il ne voulait pas entrer dans la cour des grands qu'il tutoie pourtant sur quelques scènes, quitte à tirer une balle dans son propre pied. Lost River est à l'évidence le premier titre d'une filmographie qui nous réservera bien des surprises et dont on a hâte de connaître le prochain tournant. Du cinéma en voie d'extinction.


Lost River de Ryan Gosling avec Christina Hendricks, Saoirse Ronan et Eva Mendes (2015)

Un Château en Italie

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En effet c'est une vraie merde. Prenez tout ce que vous pouvez imaginer de pire quand vous pensez à un nouveau et énième film de Valéria Bruni-Tedeschi avec toute la smala qui joue dedans, multipliez ça par cent, par mille même, et vous obtenez Un château en Italie. Ou comment subir pendant presque deux heures le spectacle d'une famille de grands bourgeois à problèmes (vendre le château ou pas ? vendre un Bruegel à 2,6 millions d'euros ou pas ? Dilemmes...), avec en son centre Valéria Bruni-Tedeschi elle-même dans son rôle habituel puissance quatre (quarantenaire perchée, névrosée, seule, ex-actrice en mal d'amour et de progéniture, irritante et irritée, d'une seconde à l'autre anesthésiée ou hystérique, complexée et excentrique, folle, neurasthénique, obsessionnelle et agressive, bref, je ne vais pas vous faire un dessin, je sens que vous la tenez !). Gravitent autour de cet horripilant personnage un frère sidaique, une mère insupportable et un amant (Louis Garrel), forcément las de son métier d'acteur lui aussi, attiré par les vieilles, allergique aux enfants, blafard et cerné, suicidaire sans doute, né d'une mère hippie (Marie Rivière, que faites-vous là ?) qui déballe toujours le truc déplacé à ne surtout pas dire (« Mon fils avait un sexe énorme quand il est né, et quand la tête est passée, j'ai eu un orgasme »...) et d'un père acteur (André Wilms, décidément paumé dans pas mal de coups fourrés du récent cinéma français) qui, comme par hasard, a jadis, des années plus tôt, sur un tournage, baisé la nouvelle compagne de son fils (Tesdeschi donc, si vous suivez).


Si on réunit les deux affiches de The Grand Budapest Hotel, on obtient celle d'Un Château en Italie. C'est cadeau. Faites-en ce que vous voulez.

Le pire c'est qu'au tout début, on croit percevoir un potentiel. Minime, mais réel. Dans cette scène, quasi d'introduction, où Louis Garrel, au beau milieu d'un tournage, est au volant d'une petite voiture montée sur un camion, sous une pluie battante, et semble se laisser aller à la dérive. C'est fugace mais c'est bien là, un soupçon de mystère, de force, de beauté même, dans le plan. Et puis très vite tout fout le camp. Tedeschi préfère enchaîner les saynètes pseudo-comiques et archi-pathétiques, comme celle où, parce qu'elle rêve d'enfanter tandis que son jeune amant s'y refuse, nous la voyons faire des pieds et des mains pour aller poser son cul dans un couvent, sur un fauteuil soi-disant miraculeux susceptible de la faire engendrer, tandis que des bonnes sœurs tentent de l'éjecter des lieux. Et parfois la tentative d'humour n'y est même pas, laissant la gêne régner en maître, quand la même Tedeschi répète "NON !... NON !... NON !..." en boucle, d'une voix sordide, quand sa mère débarque en grande pompe à l'hôpital où le frère malade vient de mourir.


 Qui parvient encore à endurer ça ?

Mais au-delà du malaise sidérant qu'on éprouve devant la quasi-totalité de ces séquences parfaitement déprimantes, le film est, dans son ensemble, d'un nombrilisme horripilant. Pour s'autoriser à se répandre sur son propre cas, Tedeschi tourne tout en dérision et charge l'intégralité de ses personnages des pires tares du monde, histoire qu'on ne puisse pas la soupçonner de s'adorer et qu'on lui pardonne de se farfouiller le nombril ouvertement. Et, prenant les devants pour prévenir les reproches qu'on pourrait légitimement lui adresser (filmer les tracas misérables d'une bande de bourgeois imbuvables), elle place, vers la fin du film, une allusion finaude, pareille à un gros coup de coude dans nos côtes qui n'avaient rien demandé, à une série mexicaine intitulée Les riches pleurent aussi. Mais Un Château en Italie n'est qu'encore plus détestable quand il s'efforce de parer par avance aux critiques qui lui seront forcément adressées en dénonçant lui-même sa bassesse. Bruni-Tedeschi n'a toujours pas compris qu'on sait aussi bien qu'elle que l'argent ne fait pas le bonheur, et que les riches aussi peuvent chialer, mais qu'il est absolument insupportable de s'en faire donner la leçon par des gens complexés qui se tournent en ridicule et se rendent plus odieux qu'ils ne sont dans le seul but de nous noyer dans leurs larmes tout en s'excusant de pleurer.


Un Château en Italie de Valéria Bruni-Tedeschi avec Valéria Bruni-Tedeschi, Louis Garrel, Marisa Borini, Céline Salette, Filippo Timi, Xavier Beauvois, André Wilms et Marie Rivière (2013)
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