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Des Saumons dans le désert

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Après Le Cochon de Gaza, De l'eau pour les éléphants et Les Chèvres du Pentagone, voici Des Saumons dans le désert, qui s'ajoute à la liste de ces films qui par leur seul titre dégoûteraient même un cinéphile tel que Laurent Weil du cinéma de quartier. Que fait-on avec des saumons dans le désert ? Un gros casse-dalle peut-être mais pas un film. Les saumons dans le désert sont chose rare, dans la flotte un peu moins, et sur l'affiche on peut voir que McGregor n'est pas en reste pour les pêcher avec ses deux gros panards épilés de près, que des saumons auront tôt fait de prendre pour des congénères : c'est l'une des meilleures scènes de ce long métrage.Dès qu'il sent que ça mord à l'hameçon, McGregor, en digne héritier de Chris Waddle, fait un retourné acrobatique pour se ramener le poiscaille dans le gosier, à la Gollum (à la Cotillard, synonyme), avant de hurler : "Des saumons pour le dessert !" Afin d'un peu retirer le voile de désagréable mystère planant autour de ce titre, on va vous révéler l'origine d'un tel intitulé : 59ème minute du film, après s'être tourné autour pendant 58 minutes, Ewan McGregor et Emily Blunt finissent par se retrouver assis à la Daurade, les pieds dans l'eau, quand le bellâtre McGregor s'étonne de cette étrange destinée qui est la leur et lâche à sa future partenaire sexuelle : "On est un peu comme deux gros saumons dans le désert", à quoi la belle répond : "Pas faux". En effet, McGregor, incarne un Erasmus issu de la riche aristocratie, étudiant dans le désert, tandis qu'Emily Blunt joue une orpheline de père en fille, roturière de son état, qui gagne sa vie en cousant de beaux tapis persans et propose du thé vert aux passants dans le désert.


Du saumon dans le dessert...

Tout ça pour ça. Alors qu'on croirait à une référence littéraire haut perchée, c'est juste un dialogue de la clique Apatow, sorti par un personnage masculin plus efféminé que le personnage féminin. McGregor déballe cette ligne en se roulant un gros bédave assis en terrasse, sous la castagne et sans parasol. Zoom avant (mais pas trop pour ne pas devenir pédé dans la seconde) sur Emily Blunt, qui sur l'affiche est photoshopée au maximum, apparaissant presque en noir et blanc à force de retouches, d'anti-cernes et autre anti-yeux rouges. Voilà trois ou quatre ans qu'Emily Blunt gâche les films. Elle passe assez bizarrement pour une belle gosse... comme si Emmanuelle Devos devenait en France l'égérie Chanel. On trouve la frenchy très belle gosse, attention, mais sa cousine anglaise ressemble, en tout cas sur cette affiche, à un jellyfish humain sur lequel on viendrait de péter. En dehors de ce poster, l'actrice a son vrai petit charme, indéniablement, avec ce regard chiasseux, cet air bête et sa raie du cul au menton (ça peut être beau sur certaines femmes : Aaron Eckhart, Cary Grant ou Kirk Douglas, le roi du pot d'échappement au menton, du tout-à-l'égout perso). Et puis l'accent anglais à couper au couteau, l'accent cockney, pour être pointu, ça peut passer, mais quand c'est doublé d'une voix anglaise, une voix déjà suraigüe de vieillarde flasque qui te fera sursauter à chaque mot à coups de remarques chiantes, une voix faite pour pomper l'air en résumé, ce n'est plus possible et notre réquisitoire se justifie d'un seul coup. On ne comprend donc pas que dans chaque film d'Emily Blunt des tonnes de boloss se plient en quatre pour assouvir ses quatre volontés et finir avec elle pendue au bras. On retombe ici dans nos plus sombres travers, la pure pendaison de crémaillère, la crucifixion gratuite pour mini délit de sale tronche, mais ce petit délit devient gigantesque sur une affiche comme celle de ce film, format A5.


Des Saumons dans le désert de Lasse Hallström avec Ewan McGregor et Emily Blunt (2011)

Hors de prix

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Je suis retombé sur ce film hier, diffusé sur France 2. C'était ça ou France-Danemark sur TF1. « Retombé », c’est bien le mot. Et plus dure fut la chute. Je me souviens avoir découvert Hors de prix en compagnie de mon acolyte à une époque où nous partagions les mêmes murs, les mêmes tomes de gruyère et, parfois, les mêmes dessous. Un jour, Félix a dû me dire quelque chose comme : « Mec ! j’ai pécho Hors de prix et ça m'a pas coûté cher. Avec Audrey Tautou ! Wow ! ». Le soir même, nous nous sommes lancés dans le film sans appréhension, avec confiance au contraire, munis du seul espoir de passer un chouette moment devant une comédie finaude et sympathique, réalisée par Pierre Salvadori, qui nous avait offert l’excellent Les Apprentis, portée par Gad Elmaleh, comique de métier, et potentiellement surélevée par les charmes d’Audrey Tatum. C’est typiquement le genre de soirée qu’on ne peut pas trop foirer, sur le papier. On avait tout pour se mettre bien.


La robe de Gad Elmaleh (si je me fie à l'affiche, c'est le nom de l'actrice) a changé de couleur entre le poster et le film, énième preuve qu'on ne peut se fier à rien.

Mais au bout de quoi, cinq secondes ? dix secondes ? un quart d’heure à tout casser ? pas longtemps en tout cas, je nous vois d’ici, on a dû se mater en chiens de faïence, se scanner mutuellement, avec des rayons X de haine dans chaque pupille, des kilo-tonnes d’amertume arrimés aux commissures des lèvres, et accessoirement un moribond dans chaque caleçon. Comment ne pas en vouloir à la terre entière face à un tel spectacle. Pour résumer : Audrey le Toum' joue une pute qui se vend aux vieillards pleins aux as les plus offrants. Gad Elmaleh, lui, joue un employé d’hôtel qui couche avec elle en se faisant passer pour un milliardaire. Tautou, dont le personnage est une vraie connasse, découvre finalement le pot aux roses et demande à Elmaleh de remballer le matos. Elmaleh justement, dont le personnage est un pur débile, se ruine ensuite pour tirer sa pute encore une ou deux fois. Sur la paille, il finit par devenir gigolo lui aussi. Tout en essayant de faire cracher leurs riches victimes au maximum, les deux prostitués jouent de connivence et finissent par tomber amoureux. Fin de l’histoire. Et jusqu’au bout du supplice, pas l’ombre d’une vanne. Aux côtés du vague atout charme Tautou*, Gad Elmaleh joue pieds et poings liés. On a l’impression qu’il s’est fait bodysnatcher, qu’il est incapable d’exprimer quoi que ce soit. Selon certaines sources proches du comédien, ce dernier était en communication, par voie d’oreillette, avec les ravisseurs de ses parents, qui l’insultaient en continu et lui demandaient une gigantesque rançon tout en lui disant de ne rien laisser paraître sous peine de tailler les crayons de son père et de buter son chien. Triste film quoi qu'il en soit, sorti au milieu de pas mal d’autres du même genre, qui semble nous dire : c’est la crise, tout tourne autour du pognon, tout chlingue autour de vous, et c’est pas ce soir que vous allez prendre votre pied.

* battue à plate couture, la même année, par Isabelle Carré dans Quatre étoiles, film tout aussi triste mais au moins réveillé, à intervalles réguliers, par un François Cluzet allumé. L'acteur, à l'époque, transportait de temps en temps de la cocaïne dans son tube digestif. Précision : il n'était pas passeur, c'était simplement le moyen "le plus pratique" (sic.) que Cluzet avait trouvé pour trimballer ses doses de tournage en tournage. Régulièrement, notre acteur était victime d'un éclatement de body pack. Aucun de ces accidents n'a eu la peau de François, coriace s'il en est, mais 100 grammes de drogue dure dispersés en une fraction de seconde et sans prévenir dans son corps eurent des effets visibles et spectaculaires sur son jeu d'acteur, contribuant largement à sa résurrection artistique (toutes ces informations sont disponibles sur la page wikipédia du comédien).


Hors de prix de Pierre Salvadori avec Gad Elmaleh et Audrey Tautou (2006)

La Maison des Ombres

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La Maison des Ombres (The Awakening en VO) est un film fantastique anglais réalisé par le jeune Nick Murphy, qui signe-là son premier long métrage. Porté par l'actrice Rebecca Hall, il nous raconte l'histoire d'une chasseuse de fantômes professionnelle appelée à enquêter sur la mort mystérieuse d'un petit garçon dans un pensionnat réputé hanté. L'action se déroule en 1921 dans une Angleterre où les fantômes les plus envahissants sont ceux des soldats tombés sur le champ de bataille. La medium est une jeune femme très marquée par les événements récents puisqu'elle y a perdu son époux. Assez austère et aigrie, elle est bien déterminée à prouver qu'il n'existe pas de phénomènes paranormaux et que la mort ne laisse rien derrière elle, si ce n'est un vide cruel et étouffant. Respectant le schéma très classique d'un film de maison hantée lambda, les convictions scientifiques et rationnelles de l'héroïne seront évidemment mises à rude épreuve par les expériences qu'elle sera amenée à vivre dans le pensionnat pour garçons qu'elle est chargée d'inspecter à l'aide d'un attirail dernier cri.




Doté d'une interprétation solide, d'une réalisation assez soignée et d'un scénario plutôt costaud mais tardant beaucoup trop à nous révéler ses secrets, La Maison des Ombres n'est pas vraiment désagréable à regarder. On tient là un titre horrifique clairement supérieur à la moyenne et qui s'inscrit du côté de ce cinéma fantastique d'un classicisme affirmé, récemment ravivé par des réalisateurs espagnols, et bien éloigné des plus pénibles modes actuelles (torture porn, temps réel, vue subjective, possessions diaboliques, remakes en série, et j'en passe). Hélas, il manque tout de même au film de Nick Murphy un cachet particulier et, surtout, une vraie originalité pour qu'on ait réellement affaire à un bon film de genre. On s'ennuie parfois un peu devant la banalité des évènements qui nous sont dépeints, jusqu'à un final plutôt bien mené, mais tout de même un peu tiré par les cheveux, où d'un seul coup tout s'éclaircit, par l'intermédiaire de flashbacks trop démonstratifs et ma foi assez faciles. Peut-être le réalisateur avait-il trop confiance en son scénario très alambiqué et en son twist programmé, tant et si bien qu'il prend bien trop son temps pour nous en dévoiler les petites ficelles et qu'il nous perd un peu en cours de route. Dommage... Plus dommage encore, le film n'a semble-t-il pas été jugé suffisamment bon pour bénéficier d'une sortie en salles dans notre beau pays. Si l'on s'amuse au petit jeu des comparaisons avec les productions du genre qui, quant à elles, jouissent de sorties en grande pompe, cette décision apparaît bien stupide.




Il faut tout de même relever qu'il y a dans ce film une assez belle idée qui nous offre une scène tout bonnement remarquable, ce qui est, si l'on pratique encore la politique du pire, déjà pas si mal dans ce sous-genre si balisé qu'est le film de maison hantée. Alors qu'elle est à la poursuite du fantôme dans les couloirs du pensionnat, Rebecca Hall se dirige vers l'imposante maquette miniature du bâtiment, seule attraction d'une pièce laissée à l'abandon. Elle découvre alors que les scènes les plus marquantes du film, c'est-à-dire celles des apparitions du mystérieux fantôme, sont reproduites en taille réduite dans chacune des pièces du pensionnat où elles ont eu lieu, avec des petites poupées représentant chaque personnage. L'héroïne découvre chacune de ces scènes dans leur ordre chronologique et remonte ainsi le temps jusqu'à orienter son regard vers le présent, qui se déroule donc dans la pièce où elle est actuellement et où elle découvre une petite version d'elle-même en train d'inspecter la maquette dans la maquette, tandis qu'un spectre se tient nonchalamment derrière elle... Avec cette scène ultra tendue qui survole nettement tout le reste du film, La Maison des Ombres nous rappelle à nouveau la récente vague fantastique espagnole. Des œuvres en général très inégales mais souvent capables de surprendre par le biais de quelques idées simples mais lumineuses qui laissent un souvenir durable dans la mémoire du spectateur amateur de cinéma d'horreur. Je pense par exemple à L'Orphelinat de Juan Antonio Bayona et à ce passage très réussi où la très gentille Belén Rueda organise une partie improvisée d'Un Deux Trois Soleil avec les fantômes des enfants hantant la demeure. Ces seules scènes me suffisent amplement à défendre de tels films et m'invitent même à espérer un avenir plus radieux pour leurs auteurs.


La Maison des Ombres (The Awakening) de Nick Murphy avec Rebecca Hall et Dominic West (2012)

Cujo

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Adapté d’un roman de Stephen King et réalisé par le peu connu Lewis Teague, Cujo est un film d’horreur dont la créature maléfique est un bon gros Saint-Bernard. Ca n'a peut-être l'air de rien dit comme ça, mais il vous fera vite oublier Beethoven et son clébard mélomane, boule de poils baveuse aux yeux rieurs quoique morts. Je vous entends d'ici. Non, ce film ne prétend pas que les Saint-Bernard sont de vrais bâtards, attention. Au début du film, alors que le chien est encore lui-même, on sent que ce n'est qu'un brave toutou qui a envie de jouer. Le film s’ouvre sur une ambiance pastorale de toute beauté : la caméra suit un petit lapin magnifique qui se promène, tranquille, dans la forêt. Un zoom arrière nous révèle alors, au premier plan, les pattes de Cujo, notre fameux Saint-Bernard, qui observe le lapin innocent en chien de faïence et qui s’apprête à lui couper les oreilles.




S’ensuit une course poursuite entre les deux bestiaux, et il faut bien avouer que le lapin s’en tire assez bien. Si bien d’ailleurs qu’il trouve refuge dans un terrier dont Cujo cherche à le dénicher. Mais ses aboiements agacés, la tête enfouie dans l’ouverture de la tanière, réveillent une petite tribu de chauves-souris mal lunées, et ce con de Saint-Bernard se fait mordre le bout du museau par l’un des chiroptères sorti de sa sieste. A partir de là, et de façon lente mais inéluctable, tout va changer pour Cujo. Et pas seulement pour lui, car ce chien est celui d’une petite famille, les Camber, dont le garage automobile est sis en bordure de la ville voisine.




Dans la ville en question réside une autre famille, celle de Vic et Donna Trenton, couple qui bat de l’aile, n’a plus grand chose à se dire (on sent que madame à un truc pas clair dans le placard), et qui ne trouve, pour se souder, qu’un sujet : leur fils, Tadd. Ce dernier, petit blondinet, a peur des monstres, et il va être servi. Bientôt, monsieur Trenton découvre que sa femme Donna le trompe avec un ami. L’épouse adultère est incarnée par l’actrice Dee Wallace, qui renoue avec l’horreur deux ans après le Hurlements de Joe Dante, et prend sa revanche sur son personnage d’épouse trompée dans E.T., tourné un an plus tôt, en 82. Vic, déboussolé par cette découverte, et sous le coup, car il est publicitaire, d’un scandale lié à l’empoisonnement d’enfants par des céréales contaminées (ce mcguffin s’avère révéler une véritable fixette sur les cornflakes quand, dans la scène finale, et de façon totalement gratuite, un gros paquet de Quaker Oats apparaît en plein cœur d’une scène violente où il fait sacrément tache), décide de se tirer une dizaine de jours pour prendre du recul et envisager les suites de son mariage. Donna se retrouve donc seule avec son fils et se rend avec lui chez le garagiste local, Joe Camber, pour faire réparer sa bagnole sur le point de rendre l’âme. Sauf qu’entretemps la femme (prénommée Cageot, Cageot Camber, une touche de second degré de la part des traducteurs français de Stephane King) et le fils du garagiste sont partis en vacances et que ledit garagiste, un rustre imbuvable, s’est fait bouffer par son chien, Cujo, qui a également massacré un voisin. Or, quand Donna et Tadd arrivent chez les Camber, ils ne trouvent que le Saint-Bernard pour les accueillir, et il n’est pas d’humeur.




Leur voiture ayant rendu l’âme dans la cour des Camber, la mère et le fils devront faire face au chien fou, pris au piège dans l’habitacle d’un véhicule immobilisé, sous un soleil de plomb. Qui dit personnages en huis-clos menacés par un monstre déchaîné dit Jaws, et Lewis Teague (ou Stephen King avant lui ?) y a songé, rendant un petit tribut à Spielberg quand le gamin, au début du film, en plein dîner, tente de dérider ses parents en se glissant sous la table et en mimant l’aileron d’un requin avec son cul. Sans chercher à hiérarchiser quoi que ce soit, il faut dire que le film a la bonne idée de ne pas faire de son chien éponyme une sorte de créature supérieurement intelligente (Serge Daney avait parlé, à propos de Bruce, le requin de Spielby, d’un « amas de matière grise ») qui aurait focalisé sur telle ou telle victime et n’en démordrait pas.




Le Saint-Bernard du film de Lewis Teague, une fois rentré chez lui le museau massacré par une chauve-souris, se contente de chasser tout ce qu’il croise et qui fait du bruit. Tout au plus sait-il se planquer et contourner sa proie, mais les animaux en sont capables. Ce qui ne l’empêche pas d’être terrifiant et de flirter, sans en avoir l’air, avec le fantastique. Juste avant de se faire tuer, son maître, le gros beauf Joe Camber, a le temps de penser que Cujo a la rage. Pas idiot, mais c’est peut-être plus compliqué que ça. Après avoir été mordu par une chauve-souris, le chien se cache dans des coins sombres, semble ne supporter aucun bruit (comme les créatures de la nuit qu’il a réveillées), et attaque ses victimes en les mordant au cou, aussi, difficile de s’empêcher de voir là l’un des rares spécimens de chien vampire de l’histoire du cinéma (en 89 on croisera des chats et des chiens zombies dans Simetierre, autre adaptation du King). C’est comme par hasard avec un pieu que Donna tentera à un moment de se débarrasser du iench…




Le fantastique est donc là, à portée, suggéré par cette belle scène (soignée par le directeur de la photo du film, j’ai nommé Jan de Bont, toujours dans les bons coups, enfin disons 1% du temps), survenant au premier tiers du film, où Cujo, à l’aube, sort d’une épaisse brume face au fils de son maître, quelques temps seulement après avoir été contaminé : il grogne, aboie comme s’il était possédé, puis, à force d’entendre son nom hurlé par l’enfant apeuré, le chien semble revenir à lui un instant (pour la dernière fois), et tourne les pattes, s’enfonçant à nouveau dans le brouillard. Mais le film est aussi et avant tout d’un réalisme étonnant. On se demande, dans les premières scènes, alors que Cujo n’a pas encore pété un plomb, se contentant de zoner autour de la ferme et de pioncer, la gueule infectée de sang et de pus mais les yeux couchés et l’air épuisé, comment ce bon gros Saint-Bernard pourrait devenir effrayant. Pourtant il le devient, grâce à un travail de maquillage au poil et à une direction « d’acteur » sans faille (le chien joue extrêmement bien ! c'est pas un hasard si j'ai farci l'article de photos de lui, il aurait largement eu sa place parmi les nominés à l'Oscar du meilleur acteur en 83, face à Ben Kingsley et Dustin Hoffman. Je ne vous cache pas que dans mon cœur Cujo prend Tootsie en levrette pendant que Ghandi mate assis en lotus).




Le réalisme passe aussi par des scènes d’attaque impressionnantes, où le montage est d’une précision redoutable et donne une puissance incroyable à la bête. Sans oublier le traitement des autres personnages. Leur comportement est parfaitement crédible d’un bout à l’autre du film. Depuis l’une des premières scènes, où l’on voit le petit Tadd, inquiet du noir et des monstres, qui s’apprête à éteindre la lumière de sa chambre, sur les starting blocks, dans l'idée de bientôt décoller vers son lit et sauter sur son matelas de très loin, afin bien sûr d’éviter de se faire attraper par une créature tapie sous son plumard : il se met finalement à cavaler si vite qu’il n’a pas eu le temps d’appuyer sur le bouton, et doit revenir en arrière… On peut facilement se reconnaître dans ce détail criant de vérité. L’enfant est et restera un vrai gosse. Quand le chien attaque la voiture, Tadd se met à crier et pleure, inconsolable, suppliant sa mère de rentrer à la maison. Pas d’idée d’adulte dans sa petite tête, ni de réaction héroïque, y compris quand sa mère est en train de se faire bouffer la jambe par le chien. Ni acte de bravoure, ni réaction débile, d’ailleurs, qu’il s’agisse du fils, de la mère (qui ne quitte le véhicule qu’en dernier recours), ou de tous les autres personnages. Et c’est chose rare dans les films d’horreur, il faut bien le dire.




Mais ce réalisme se teinte à nouveau d’une atmosphère fantastique, d’une bizarrerie inquiétante, quand la folie du chien, sa maladie, semble se propager. A l'intérieur de la bagnole, la mère change assez rapidement de visage, décoiffée et les yeux profondément cernés, de même que le petit Tadd, qui finit en slip, pâle, les lèvres gonflées, peinant à respirer, le regard perdu. Au chien la métamorphose en vampire, à la mère et l’enfant le devenir-zombie. C’est notamment le cas dans cette scène, qui aurait pu virer au kitsch mais qui fonctionne à bloc, où la mère, qui vient d’essuyer l’attaque la plus violente du chien, tombe peu à peu dans les vapes, étendue sur les deux sièges avant, sous le regard du petit Tadd, retranché au niveau du coffre de la voiture et appelant sa mère : la caméra, plantée entre les deux, au milieu du véhicule, tourne sur son axe dans un panoramique horizontal à 360°, ralentissant légèrement à chaque fois qu’elle passe devant la mère ou l’enfant, avant d’augmenter sa vitesse de rotation au fur et à mesure que Donna perd connaissance. Une force centripète maintient les deux personnages en apnée dans un lieu de plus en plus étroit et leur vertige est communicatif, qui entre en écho avec ce chien qui tourne autour de la voiture en panne, puis avec le petit Tadd qui, asthmatique et victime de la déshydratation comme du manque d’oxygène, finira par perdre conscience à son tour, les yeux révulsés.


 


On aura eu l’impression d’y vivre un peu, dans cette épave menacée, et on ne regardera plus les Saint-Bernard de la même façon après avoir croisé Cujo, ce monstre dont toute la force est non seulement d’être une incarnation de l’innocence tournée en créature féroce, mais de rester une simple bête, un chasseur, présent, patient, sans mobile et sans conscience, prêt à tout pour tuer, en toute simplicité.


Cujo de Lewis Teague avec Dee Wallace, Danny Pintauro, Daniel Hugh Kelly et Christopher Stone (1983)

The Sacrament

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Quand j'ai su que le jadis prometteur Ti West allait s'essayer au found footage j'ai eu du mal à comprendre, tant cette exaspérante ramification faisandée du cinéma d'horreur n'a jamais rien apporté de bon et me semble à mille lieues de la veine assez classique dans laquelle s'est engagée, plutôt avec talent, le réalisateur depuis ses débuts. Mais j'espérais tout de même, tout au fond de moi, que le jeune américain réussisse à signer un film de qualité et rompe ainsi avec les tristes standards du genre. J'ai hélas bien vite déchanté. Si The Sacrament se hisse, sans grande difficulté, au-dessus de la moyenne de sa catégorie (dont je situerai la note à 1,75/10 environ), il s'agit d'une nouvelle déception et peut-être du plus mauvais film de son auteur, ici produit par Eli Roth (c'était mauvais signe...).




Ça commence mal : une introduction très brouillonne et visuellement agressive nous révèle d'emblée tous les enjeux du scénario, elle est ponctuée de panneaux explicatifs lourdingues venant simplement répéter, via quelques phrases très sommaires, ce que les personnages nous apprennent déjà à l'écran. Il est donc question de retrouver la sœur d'untel partie à la recherche du bonheur dans une communauté religieuse perdue au milieu d'un pays tropical, un prétexte comme un autre pour que deux journalistes décident de suivre leur ami afin de réaliser un reportage sur ce qui s'avérera bien entendu être une secte des plus inquiétantes dominée par un pasteur tout-puissant et révéré...




L'idée de nous laisser poireauter quelque temps avant de découvrir enfin ledit pasteur n'est pas mauvaise. Celle de nous faire d'abord entendre, de façon tout à fait inopinée, son inquiétante voix donner ses consignes quotidiennes, diffusée par les hauts-parleurs du camp, est encore meilleure et contribue à nous intriguer davantage. La scène-clé du film, où le pasteur est interviewé face à ses fidèles par l'un des journalistes, est plutôt réussie, elle nous rappelle que Ti West sait créer de la tension avec trois fois rien, patiemment et habilement. Les acteurs, des gueules connues du cinéma d'horreur indé US (AJ Bowen, Joe Swanberg et Amy Seimetz, que l'on retrouve au grand complet dans You're Next), sont tous bons. Hélas, en disant tout cela, je crois avoir déjà fait le tour du rayon des satisfactions...




L'un des personnages est caméraman de formation, cela permet au film d'éviter quelques uns de ces tics hideux chers aux found footage. Mais ça ne suffit pas... Ce qu'il y a peut-être de plus agaçant dans The Sacrament est cette incohérence formelle de chaque instant. Rien ne tient debout. A quoi bon choisir la forme du found footage si c'est pour ne jamais s'y tenir ? On se le demande... Je ne veux pas passer pour un type borné, à cheval sur certains principes, mais quand l'illusion est maintenue, même très artificiellement, et quand on nous permet réellement de croire que nous sommes en train de regarder un "enregistrement retrouvé", l'immersion a plus de chance de fonctionner. Ce n'est apparemment pas dans l'idée de respecter et de justifier les codes du genre que Ti West s'est lancé dans son entreprise, bien au contraire. Rien ne tient la route, le montage n'a aucun sens, les images nous viennent d'on ne sait où, en particulier lors du final, et la musique, trop présente, n'a pas lieu d'être, elle a l'air d'avoir été mise là pour sauver les meubles. C'est assez triste à voir.




Cette histoire devrait nous saisir par les tripes, nous faire froid dans le dos, nous laisser sur le cul, ce que vous voulez... Elle parvient tout juste à nous amener à lire la page Wikipédia consacrée au suicide collectif de Jonestown dont le film s'inspire et, ce faisant, à ressentir, à éprouver davantage ce terrible abîme d'incompréhension et de mystère vers lequel Ti West a été bien incapable de nous pousser. On relit Wiki les larmes aux yeux, non pas pour les victimes, mais en pensant au film à côté duquel nous sommes passés. On se fiche pas mal de ce qui se déroule à l'écran, on n'y croit pas, c'est aussi simple que ça. Aussi gênants puissent être les nouveaux arrivants pour cette secte, nous n'arrivons pas une seconde à penser que leur présence est une raison suffisante pour faire basculer la communauté entière dans le chaos et finalement opter pour l'autodestruction. L'inéluctabilité de la conclusion connue d'avance pourrait ajouter à l'horreur ambiante, mais que nenni, cela contribue seulement à rendre le film d'autant plus plat et anecdotique. Ti West paraît s'être saisi d'un sujet trop lourd, il n'en tire finalement rien du tout. The Sacrament nous révèle cruellement toutes ses limites et nous plonge même dans le doute quant à son réel talent. 


The Sacrament de Ti West avec AJ Bowen, Joe Swanberg, Amy Seimetz et Gene Jones (2014)

Le Bazaar de l'épouvante

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Parmi les très nombreuses adaptations de Stephen King, il y en a une que l'on oublie trop facilement quand il s'agit de citer les plus réussies : celle réalisée en 1993 par le dénommé Fraser Clarke Heston, Le Bazaar de l'Epouvante. Je n'ai pas lu le livre et j'ai vu ce film il y a des années, quand internet n'existait pas et que je scrutais de près les programmations des fameux Jeudis de l'angoisse d'M6 pour m'offrir quelques frissons, mais j'en garde un si bon souvenir que j'ai bien envie de vous en dire quelques mots. Déjà, ça n'est pas dans toutes les sombres adaptations du King que l'on croise un tel casting. Jugez du peu : Ed Harris, auquel il restait encore quelques cheveux et qui avait à l'époque toute l'étoffe d'un héros, Max Von Sydow, l'incontournable acteur bicentenaire qui a parcouru tout l'éventail du cinéma mondial, Bonnie Bedelia, la  femme de John McClane qui était alors au top de ses formes et au zénith de sa carrière, et enfin Amanda Plummer, fille et sosie de Sir Christopher Plummer, rien que ça. Derrière la caméra, et derrière un abominable nom à rallonge, se cache en réalité le fils de Charlton Heston, un type peu intéressé par le cinéma mais qui comptait bien profiter des ficelles de papa pour concrétiser son rêve d'enfance : mettre en image son bouquin préféré.





Dès les premières minutes du générique, on est dedans. Je me souviens de ces plans flottant autour d'une énorme Mercedes noire en route vers Castle Rock. A l'intérieur, un conducteur pour l'instant invisible derrière les vitres teintées mais dont la présence se fait déjà menaçante car accompagnée d'une musique grandiloquente qui en envoie plein les tympans. Ce n'est pourtant qu'un vieil homme apparemment sympathique et inoffensif que l'imposant carrosse amène. Un antiquaire de métier, bien décidé à installer son petit commerce dans la ville mythique du King. Son enseigne, "Needful Things", est le titre original du film et du bouquin. Chaque habitant de la ville y trouvera son bonheur, l'objet rêvé et recherché depuis longue date, pour une somme dérisoire. Au lieu d'argent, l'as de la brocante demande souvent un petit service à son client, un simple tour à jouer, un petit message à déposer à un autre habitant du village... Mais sous leurs apparences anodines, ces petits tours (saloper le linge étendu du voisin, pisser sur le seuil de sa porte, poster des commentaires insultants sur son blog ciné...) dressent progressivement les habitants les uns contre les autres et ravivent des tensions enfouies. Seul le shérif, Ed Harris, se méfiera des ruses de cet antiquaire obnubilé par l'idée de foutre la merde partout où il passe car il n'est autre que... le Diable himself !





Avant d'accepter ce rôle, Max Von Sydow avait déjà pratiquement tout joué. Tout. Un exorciste, un chevalier, un chien, un aveugle, une pelle, un joueur d'échec, un druide, un paysan, un loup, un chien d'aveugle... Bref, tout. Mais jamais Max Von Sydow n'avait incarné le Diable en personne. L'acteur au mille visages estimait qu'il tenait là une belle occasion pour rompre définitivement avec son image d'exorciste efficace qui lui collait à la peau. Il faut savoir qu'à l'époque, le grand Max recevait tous les jours des coups de fil de parents impuissants et désespérés lui demandant de pratiquer son art dans la chambre de leurs enfants possédés. Celui que l'on surnomme "le Caméléon immortel" n'a pas hésité une seconde quand Fraser Heston lui a proposé ce rôle, c'était une main tendue, inespérée. Avec sa petite mine innocente, son sourire en coin, tantôt malicieux tantôt incrédule, il était le choix idéal pour incarner Lucifer. Rien ne laisse à penser qu'il est le Mal incarné, si ce n'est ces ongles dégueulasses et interminables qu'il se plaît à frotter un peu partout et lui permettent d'aller chercher des crottes de nez de concours. Max Von Sydow est un des grands atouts du film, il faut bien le souligner.





On aime à penser que le Diable roule en Mercedes et n'a rien de mieux à foutre qu'aller se paumer dans des petits villages pour y semer patiemment la discorde. Comme ça, modestement. Par petites touches. La prochaine fois, il s'attaquera peut-être à une agglomération dépassant le millier d'habitants, qui sait ? C'est typique du King une idée comme ça. C'est terriblement con mais on accroche ! Et comment parler de ce film sans passer par son meilleur moment : la toute fin. Le Bazaar de l'épouvante a la chic idée de finir en apothéose, ce qui était une qualité à laquelle j'étais tout particulièrement sensible quand j'étais adolescent. Le final est explosif. Après que l'on ait découvert la réelle identité de l'antiquaire, en fouillant notamment dans son grenier où traînait un tas d'archives louches comme des unes de vieux journaux célébrant l'Anschluss ou la victoire de la RFA en 82 contre la bande à Platoche, un habitant de Castle Rock voit rouge et décide de faire sauter la boutique. Mais Max Von Sydow ressort indemne de l'incendie. Les dernières minutes nous le montrent surgir des flammes, narguer la foule de villageois venue admirer le feu d'artifices, puis annoncer, le poing levé, "24 octobre 2015. Retenez bien cette date. A cette date, je rappliquerai de nouveau, et ça sera pas du propre... Ma parole, je jure, la prochaine fois, je vous fais la miiiiiiiiiiisère. Vous pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenu !". Après ce discours riche en menaces, le Diable claudique vers sa grosse Mercedes noire, la démarre laborieusement, et met les voiles. Si la fin est la même dans le bouquin de 666 pages du King, on peut avoir la rage. Mais au bout d'un petit film d'horreur sans prétention, l'effet est garanti !


Le Bazaar de l'épouvante de Fraser Clarke Heston avec Max von Sydow, Ed Harris, Bonnie Bedelia et Amanda Plummer (1993)

Creepshow

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Creepshow est un film d’horreur à sketches réalisé par George A. Romero en 1982, d’après un recueil de nouvelles de Stephen King, The Crate and Weeds. C’est en travaillant sur l’adaptation pour le cinéma des Vampires de Salem (qu’il abandonne quand il devient question d’en faire une mini-série et qui atterrit dans les mains de Tobe Hooper, pour le beau résultat que l’on sait), que Romero sympathise avec Stephen King. Ils montent alors ce projet, Creepshow, scénario sur lequel ils travaillent sans doute à quatre mains puisque le film rend directement hommage aux comics dont Romero a toujours été friand (d’ailleurs son dernier « film », Empire of the Dead, a vu le jour sous forme de bande-dessinée). L’hommage aux E.C. comics passe d'abord par le prologue du film.




Dans le prologue, un père de famille complètement con interdit à son bambin de lire les comics horrifiques dont il raffole, aussi, après avoir reçu la visite d'un fantôme, le gamin aura l'idée de se venger à l'aide d'une poupée vaudou. Mais King et Romero s'inspirent également de la bande dessinée pour les transitions entre chacune des cinq histoires de leur film : chaque histoire apparaît résumée sur une planche, puis la première case, via un fondu enchaîné, passe du dessin au "réel", s’incarne sous nos yeux et prend vie. L’idée s’avère finalement assez anecdotique, mais à vrai dire peu importe, car ce sont les sketches qui comptent et ils sont, pour la plupart, assez sympathiques.




Le premier segment, « La Fête des pères », est ceci dit l’un des moins réussis. En cause, des personnages peu fouillés et guère attachants. Pure chair à canon, ils ne sont là que pour se faire trucider, l'un après l'autre, généralement hors-champ, par un zombie sorti de sa tombe. C’est bien de lui dont on se souviendra, ce squelette répugnant qui, d’une voix métallique sortie des tréfonds, ne cesse de répéter « I want my cake » (l’individu fut en effet empoisonné le jour de la fête des pères, et il veut son gâteau, qui prendra finalement la forme d’une tête coupée surmontée de quelques bougies assez sommairement disposées - on ne lui en veut pas trop). La créature a une sacrée allure, et sauve l’épisode. D'autant que cette façon de demander un truc à manger avec une voix qui fout les j'tons m'a personnellement rappelé mon ancien colocataire. Le seul problème est qu'on ne côtoie pas suffisamment ce mort-vivant et que l’on se fout totalement de ceux à qui il s’en prend. Pourtant cela inclus ce cher Ed Harris, qui n’a pas ici l’occasion de marquer la pellicule comme il en sera capable ailleurs.




La deuxième histoire, « La mort solitaire de Jordy Verrill », a le mérite d’être plutôt originale et mémorable. On y retrouve, seul devant la caméra, Stephen King en personne (peu avare en caméos dans les adaptations de ses bouquins, il tient ici le « premier » rôle, dans un film qui certes en compte plusieurs). Il incarne le héros éponyme de l’affaire, un fermier complètement décérébré. King passe le sketch à loucher comme un abruti, et le gazon qui se met à lui pousser dans les trous de nez ne lui donne l'air qu'à peine plus crétin. Le personnage, au début de l’épisode, est tout jouasse d'apercevoir une météorite qui vient s’écraser dans son champ. Malheureusement, le caillou réagit vivement quand il le touche et contamine tout ce qui l'entoure. Drôle de contamination du reste, qui consiste à faire pousser une végétation luxuriante et légèrement envahissante tout autour du point de chute, soit sur le domaine de Jordy Verrill, et sur Jordy Verrill lui-même, qui a posé le doigt sur la pierre extraterrestre. Le fermier trépané finit donc par ressembler à un buisson humain. Bizarre, cette histoire, au fond, mais suffisamment surprenante pour marquer les esprits. Stephen King, qui a me semble-t-il eu la main lourde, quelques fois, sur la question de l’écologie, met ici les pieds dans le plat et à vrai dire c'est plutôt réussi !




Le troisième sketch, « Something to Tide you Over » (que les distributeurs français ont tenté, non sans difficulté, de traduire sans tout perdre du jeu de mot original par « Un truc pour se marrer »), est le ventre mou du film. Un peu trop long, un rien banal, c’est l’épisode le moins réussi (car le premier a le mérite de nous présenter une créature sympathique). On y découvre Leslie Nielsen dans un rôle à contre-emploi de mari jaloux et meurtrier. Il enterre sa femme d’abord (Gaylen Ross, actrice principale de Zombie), puis l’amant de sa femme ensuite (Ted Dansen, l'un de ses premiers rôles), dans le sable, sur la plage, à quelques kilomètres de distance, ne laissant dépasser du sol que leurs têtes, tournées face à la marée montante. Puis il installe une caméra ainsi qu’un poste émetteur en face de chacune des victimes afin qu’elles ne ratent rien de leurs morts respectives. Les amants sont engloutis, et le mari psychopathe, tout satisfait, va dormir sur ses deux oreilles. Du moins le croit-il, jusqu’à ce que ses victimes reviennent le hanter, sous forme de cadavres bleus trempés de la tête aux pieds, increvables en bons zombies (deux segments sur cinq leur font la part belle, Romero a dû y être sensible), et bien décidés à lui rendre la pareille. La mise en place du double meurtre est trop laborieuse et le retour tant attendu des deux morts-vivants nous laisse sur notre faim, car ils n’ont rien de bien effrayant, ni dans leur allure ni dans leurs déplacements. Histoire cousue de fil blanc et rythme paresseux aident cependant à d’autant mieux apprécier ce qui suit.




Le quatrième récit, « La Caisse », est selon moi, et malgré son titre peu avenant, le meilleur du film, en tout cas celui que j’aurais bien vu s’étaler sur la durée d’un long métrage entier (à condition bien sûr de donner plus d’épaisseur qu’ils n’en ont déjà aux personnages). Le concierge de l’université de Carnegie-Mellon découvre, en faisant le ménage un soir dans le lieu déserté, une gros caisse, planquée sous un escalier, sur laquelle est inscrit quelque chose comme : « Expédition en Arctique, juin 1834 ». Il dérange Dexter Stanley, un éminent professeur d’université, en pleine garden party, pour le prévenir de sa découverte. L’autre rapplique et les deux hommes tirent la lourde caisse poussiéreuse de sa cachette pour découvrir ce qu’elle contient, et qui semble se mouvoir à l’intérieur… La scène de l’ouverture de cette fameuse boîte de Pandore est particulièrement réussie, tandis que les deux hommes entreprennent de desceller le couvercle, retirant un par un les vieux clous qui maintiennent le secret enfermé. Le concierge, croyant apercevoir un regard qui le toise du fond de la caisse, est mal avisé d'y plonger un bras : il se fait aussitôt engloutir par la créature tapie à l’intérieur. On pense à la fois à The Thing et à la séquence d’introduction de Jurassic Park. Sauf qu’à l’intérieur de la boîte ne se trouve ni un virus alien, ni un raptor, simplement une sorte de singe avec une tronche pas possible. Les personnages parleront de diable de Tasmanie, mais la chose, surnommée "Fluffy" par Romero, ressemble plutôt au Big Foot du film éponyme. A ceci près qu’elle est dotée d’une rangée de crocs terribles dont elle sait faire bon usage. La créature transforme rapidement les couloirs de l’université en marre de sang. Le piquant survient quand un autre prof, Henry Northrup (interprété par Hal Holbrook, le prêtre dans Fog), auquel Dexter Stanley est venu raconter, horrifié, ce qu’il a vu, décide de profiter de cette aubaine pour se débarrasser de son insupportable épouse (qu’interprète la sur-bustée Adrienne Barbeau, par qui l’on rejoint Carpenter à nouveau, dont le nom est d'ailleurs mystérieusement inscrit sur la fameuse caisse, cf. image ci-dessus).




Le dernier épisode, « Ça grouille de partout », est le plus sérieux de l’ensemble, le plus détaché de cet humour noir qui gouverne la série de sketches, mais il n’est pas sans saveur. On y retrouve ce bon vieux E.G. Marshall, dans le rôle d’Upson Pratt, PDG d’une grande entreprise, qui méprise ses subalternes et reste cloitré chez lui, dans un appartement d’un blanc immaculé, ne communiquant avec l’extérieur qu’à travers téléphone et ordinateur. Maniaque paranoïaque, Pratt fait assez vite la rencontre d’une blatte, puis d’une autre. Les premières sont faciles à exterminer, et Pratt semble y prendre son pied, mais l’invasion prend vite une certaine ampleur, le film en annonçant un autre, tourné quinze ans plus tard par William Friedkin : Bug, qui jouera aussi de la polysémie du mot.




Sauf erreur de ma part, Romero n’a adapté qu’un seul autre roman du King après ce Creepshow. Il devait initialement signer l’adaptation de Simetierre, sur laquelle il travailla pendant un an, mais il quitta le navire suite à un différend avec les producteurs, au bénéfice de Mary Lambert (la dame récidiva d'ailleurs avec Simetierre 2, et vous avez cité pratiquement toute sa carrière, pas si dégueulasse, quand vous avez prononcé ces deux titres). Dix ans plus tard, Romero remet donc le King sur le couvert, avec La Part des ténèbres, gros échec à sa sortie, plus ou moins réhabilité aujourd’hui, et que j'ai personnellement découvert il y a quelques mois sans déplaisir, même si je serais déjà bien incapable de vous en dire quoi que ce soit. Il existe par ailleurs un Creepshow 2, tourné en 1987 par Michael Gornick, avec Romero au scénario, que j'ai de côté depuis longtemps et dont je vous parlerai peut-être quand je l'aurai vu. Une chose est sûre, Romero a bien assuré sa reconversion derrière la caméra, et c'est tout à son honneur quand on voit ce qu'est devenu son acolyte de toujours, Bebeto, qui a fini sa carrière au Al Ittihad Djeddah, en Arabie saoudite, en 2002, et qui depuis taille des pipes sur la 113 (je l'ai croisé, du moins je crois bien que c'était lui).


Creepshow de George A. Romero avec Ed Harris, Stephen King, Leslie Nielsen, Ted Danson, Hal Holbrook et E. G. Marshall (1982)

Goodnight Mommy

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J'ai eu la sale idée de regarder ce film un dimanche matin, il m'a mis de mauvais poil pour toute la journée ! On se demande bien ce qui anime ce couple d'autrichiens, ce qui les motive à filmer une telle histoire, déjà vue cent fois et dont le maigre secret est éventé dès les premières images, mais l'on reconnaît sans forcer leur influence, leur maître à penser. Avec leur cinéma terriblement austère et froid, Veronika Franz et Severin Fiala s'inscrivent dans la droite lignée de leur compatriote Michael Haneke. Certes, les images apparaissent d'abord chatoyantes, tout semble tellement précis et appliqué, tout est si joliment éclairé, nous pouvons facilement nous laisser prendre et penser que nous tenons-là un film d'horreur au-dessus du lot. Mais faut-il être un sacré maso pour apprécier un tel film...




Les premières minutes nous montrent deux garçons évoluer dans un très beau décor champêtre, jouer à cache-cache dans les champs de maïs, s'aventurer dans des bois sombres et nager dans un lac placide comme pour tuer une de ces longues journées d'été ; l'ambiance est en apparence paisible mais déjà inquiétante. Cette courte introduction est bien le seul moment du film qui dégage un petit semblant de vie, à même de susciter une certaine curiosité. Quand la mère des enfants revient, elle a le visage recouvert de pansements, comme sortie de l'oeuvre de Franju avec laquelle le film de Franz et Fiala ne partage aucun autre point commun, et se comportera de façon étrange avec les jumeaux. Dès lors, Goodnight Mommy ne quittera plus que très rarement l'austère et luxueuse baraque familiale où reste cloîtrée la mère, et s'enfoncera dans une atmosphère glauque et immobile des plus ennuyeuses, jusqu'à une dernière partie particulièrement laide nous proposant un basculement dans la violence perverse dont on se serait volontiers passé. 




A de très rares occasions, Franz et Fiala font preuve d'une belle imagination morbide et retiennent l'attention par des images cauchemardesques ou des micro scènes assez dérangeantes : je repense à cette blatte, déposée sur l'oreiller par les enfants, qui entre par la bouche de leur mère endormie, ou cette même maman, espionnée durant la nuit en train de retirer ses bandages, qui adresse un coup d’œil hideux au jeune voyeur. A part ça, rien à signaler. Goodnight Mommy est cadré, éclairé et filmé avec une rigueur rare et un soin maniaque, mais il est chiant comme la pluie et s'avère même assez détestable dans sa progression méthodique vers une horreur bêtement provocante. La tension ne naît strictement jamais, nous y voyons très clair dans le petit jeu du duo de cinéastes, dans leur scénario elliptique qui se croit beaucoup plus intelligent qu'il ne l'est, et nous nous fichons éperdument de cet énième drame familial marqué par un deuil impossible et une maternité contrariée. C'est environ le millième film d'horreur qui aborde ce sujet et il n'y apporte rien de neuf, si ce n'est son austérité extrême, sa rigueur malsaine et son climax dégueulasse. La longue torture finale de la mère par les deux frères, volontairement filmée dans un style plus brut et "documentaire", finit de nous remplir de mépris envers un couple de réalisateurs dont nous éviterons soigneusement les prochains méfaits. A fuir. 


Goodnight Mommy de Veronika Franz et Severin Fiala avec Susanne Wuest, Elias et Lukas Schwarz (2015)

Spring

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On avait drôlement envie de s'enthousiasmer sans réserve et de défendre encore avec ardeur le deuxième long métrage de Justin Benson et Aaron Moorhead, ce jeune duo dont nous avions déjà si vivement salué les remarquables débuts. Hélas, force est de reconnaître que, si l'on y retrouve bien des qualités qui en font un nouveau film de genre tout à fait recommandable et au-dessus du lot, Spring n'est pas tout à fait à la hauteur de Resolution. Nous suivons cette fois-ci Evan, un jeune homme qui fuit la Californie après y avoir perdu sa mère, seule famille qu'il lui restait, et, accessoirement, son job, pour atterrir en Italie. Là-bas, il fera la rencontre d'une étrange mais charmante fille dont il tombera rapidement amoureux, découvrant peu à peu son monstrueux secret...




Encore une fois, un scénario au premier abord très simple offre la possibilité aux deux américains de mêler les genres et de jouer avec les attentes du public. On ressent cette même volonté de surprendre et de désorienter l'audience qui semblait dicter continuellement l'étonnante progression de Resolution, même si c'est cette fois-ci un peu moins déroutant. Spring se présente comme une romance, faite de longues scènes de dialogues intimes entre les deux personnages, progressivement parasitée par des éléments horrifiques de plus en plus envahissants, eux-mêmes situés dans un décor inhabituel pour notre héros comme pour nous-mêmes. La ville italienne fantasmée par nos deux américains est réellement filmée comme s'il s'agissait d'une nouvelle planète. Benson et Moorhead réussissent assez bien à y faire naître un sentiment d'étrangeté, légèrement angoissant, par de simples inserts répétés sur des insectes et autres végétaux qui grouillent sur les murs et sous les pavés. Par des moyens très simples, Spring développe une ambiance assez originale et captivante.




En outre, le duo ose et ose encore, quitte à proposer des effets parfois limite, à commencer par cette première rencontre dans les rues italiennes, au ralenti et accompagnée par la musique de Jimmy Lavalle (plus connu sous le nom de The Album Leaf). Ça passe ou ça casse, ici ça passe tout juste. Une fois n'est pas coutume, les effets spéciaux numériques, lors des transformations horrifiques, sont globalement réussis. Ces mutations morbides et incontrôlables tendent tour à tour vers le zombie, le loup-garou, le vampire ou, moins banal, la créature lovecraftienne, innommable et tentaculaire, Benson et Moorhead s'attachant, là encore, à faire en sorte que le spectateur ne puisse jurer de rien. Aussi, certaines scènes parviennent à instaurer une tension sourde de façon très originale et inattendue, ce qui était déjà l'un des atouts de leur premier film. Je pense par exemple à ce moment dans l'église où la jeune femme, se transformant sans qu'elle en ait conscience, menace malgré elle son compagnon d'un tentacule épineux que nous voyons se tendre en direction de son cou dans le fond de l'image. Notre binôme a également ce petit souci du détail qui fait souvent tout le sel de l'horreur au cinéma, comme ce dernier plan sur un tentacule encore gesticulant suite à une mutation avortée.




Chose aujourd'hui rare et d'autant plus agréable, Moorhead et Benson prennent vraiment leur temps pour installer leur personnage principal. Ils ont bien conscience qu'il est indispensable que nous l'apprécions pour que leur film ait une chance de fonctionner. Ils ont toujours le même talent pour dépeindre des jeunes protagonistes auxquels nous avons aucun mal à croire et à nous attacher. Ils sont toujours doués de la même acuité dans le choix et la direction de leurs acteurs. Lou Taylor Pucci dégage une douceur agréable, une vulnérabilité attachante et une belle sincérité. Nadia Hilker, sa compagne à l'écran, s'en tire plutôt bien dans un rôle vraiment pas évident, elle apparaît d'abord comme une beauté tapageuse avant de dégager un charme plus subtile. Notons qu'au début du film, nous recroisons avec bonheur la grosse tronche barbue de Jeremy Gardner, l'acteur-réalisateur qui nous a récemment offert The Battery, autre perle récente de l'horreur indé US.




Sur le thème archi rebattu de l'amour impossible, Spring fait preuve d'un romantisme naïf ma foi plutôt rafraîchissant et plaisant. En voyant ce jeune couple débattre des habitudes féminines ou masculines, se livrer l'un à l'autre, et exprimer la complexité des sentiments tout en déambulant dans les rues d'une métropole européenne, il est vrai qu'on ne peut s'empêcher de penser à la trilogie amoureuse de Richard Linklater. Ces dialogues sont pour la plupart réussis, ils semblent naturels, crédibles et spontanés. Malheureusement, il leur arrive aussi de tomber dans une certaine lourdeur et, une fois le film terminé, on pourrait d'ailleurs s'interroger sur l'image qui est ici donnée des femmes à travers ce portrait d'un personnage monstrueux, condamné à enfanter pour espérer mener une existence normale... Plaçons ceci sur le compte d'une simple maladresse juvénile et préférons retenir le beau personnage d'amoureux total que Benson et Moorhead mettent ici en scène. L'essentiel est que la conclusion, que l'on sent bien venir, atteint son but, tout simplement car nous sommes attachés à notre jeune amoureux et qu'il s'en dégage une réelle sincérité.




Avant cela, nous pouvons clairement regretter que le film de Benson et Moorhead nous perde dans son dernier acte, quand le scénario se risque à une explication scientifique de la situation de la jeune fille, par des dialogues difficiles à suivre, assez mal écrits et sans grand intérêt. Cela donne un peu l'impression que Justin Benson, scénariste attitré, a trouvé son inspiration dans un article de vulgarisation accrocheur déniché au hasard de ses errements sur la toile, et que celui-ci lui est monté à la tête. Cette histoire de cellules souches à remplacer tous les 20 ans est à dormir debout. Il aurait franchement été plus judicieux de ne pas dévoiler le pourquoi du comment et de nous laisser avec cette créature bâtarde sans grande explication... C'est dommage car cela nous sort un peu du film et nous empêche de nous sentir pleinement concernés par son dénouement. Si Spring s'avère donc moins maitrisé et laisse comme un goût d'inachevé, il confirme néanmoins les belles intentions et le talent évident d'un duo de cinéastes ambitieux et amoureux du fantastique dont nous continuerons à suivre la carrière de très près.


Spring de Justin Benson et Aaron Moorhead avec Lou Taylor Pucci, Nadia Hilker et Jeremy Gardner (2015)

Invictus

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J’étais passé à travers Invictus. Je me suis empalé sur la plupart des dernières grandes purges du grabataire Eastwood, mais Invictus, j’étais passé à côté. Parfois le hasard fait bien les choses. Le film vient s’ajouter à la liste de tous ceux, récents, qui me font me demander, à propos d’Eastwood, s’il y a encore quelqu’un au volant… Le bonhomme n’a ici strictement rien à raconter, mais il le raconte quand même. L’histoire est au fond assez simple, sans grands rebondissements : en 94, Mandela est élu président de la république en Afrique du Sud et met fin à l’Apartheid. Pour réconcilier le pays, il décide de miser (et de tout miser, semble-t-il) sur un succès des Springboks, l’équipe de rugby nationale blanche à 99%, lors de la coupe du monde 95, qui se déroule justement sur ses terres. A la fin ils gagnent. Dur de bâtir un scénario costaud là-dessus, encore plus quand on a l’idée débile de faire durer le film 2h12. 




Du coup, entre deux conversations insipides entre Nelson Mandela (Morgan Freeman, qui aura donc tout joué, de Winter le dauphin à Jules César en passant par un chauffeur de taxi sans permis, un prisonnier ultraviolent, un flic tueur en série, une nurse nommée Betty, Dieu himself et donc Mandela, ce qui revient au même) et François Panard, le capitaine des Boks (Matt Damon, teint en blonde), Eastwood essaye de faire monter la tension sur du vent. Combien de fois nous montre-t-il les gardes du corps de Mandela qui balisent, se mettent en garde les uns les autres, briefent et débriefent, s'invectivent (d'où le titre), zieutent dans tous les sens ? Sauf que Mandela n’a pas l’air d’être profondément menacé et que, dans la réalité, il ne s’est rien passé concernant la sécurité du président qui mériterait d'être raconté. Autant de scènes ultra redondantes et totalement inutiles donc (et ce n'est qu'un exemple). A un moment, on voit Mandela qui danse dans une soirée, et Eastwood fait un plan rapide, tendu, inquiétant, sur son garde du corps qui roupille un peu plus loin, pour nous mettre en alerte, nous dire : "ça sent le sapin !" Mais rien ne se passe. Au mieux Mandela fait un malaise, du moins les vigiles le croient-ils : il tapait juste un roupillon au milieu de l'allée qui mène à sa baraque. Eastwood est en roues libres. Le vioque multiplie les effets d’annonce bidons pour créer d’une manière ou d’une autre un semblant de suspense dans une histoire qui en est totalement dépourvue. 




Le seul suspense que l’on pourrait attendre, à condition de ne pas être au courant de l’histoire du rugby, concerne l’issue de la coupe du monde, mais Eastwood ne filme pratiquement pas les matchs, qui semblent se gagner sur tapis vert (il préfère nous montrer les bodyguards, dans les tribunes, qui suent des torrents et doivent régulièrement se relayer pour changer de slip). Tant mieux cependant, car quand Clint décide de filmer un match, la finale bien sûr, c’est une pure horreur. D’abord la scène dure 80 minutes, soit la durée d’un vrai match. Celui-ci n’est pourtant pas filmé en temps réel : on doit voir, disons entrapercevoir (Eastwood filme vraiment ça comme un manche), trois ou quatre temps de jeu à tout casser, mais ils sont si dilatés par des effets de ralenti hideux que cela représente la durée de deux bonnes mi-temps d'un match officiel.




Les mêlées notamment sont sublimées par des ralentis parfaitement inutiles (on ne ressent rien de chez rien) et monstrueusement moches. Et le pire c’est que le son aussi est dilaté, ce qui nous donne à entendre des sortes de lents meuglements difformes de vaches folles. Un supplice. J’ai rarement été aussi dérangé par un bruit quelconque. Sauf peut-être par les petits cris de plaisir rauques, nasillards, réguliers, que poussait mon Tonton Scefo (celui que mon arrière-grand-mère traitait encore de "putanier" sur son lit de mort) à travers le trop maigre mur qui séparait la chambre d’amis de la mienne quand j’étais petit… France 2 a cru bon de diffuser ce film entre les demi-finales et la finale de la coupe du monde de rugby 2015, mais cernée par les beaux matchs que nous ont offert les professionnels sur le terrain, la vision du rugby (et du cinoche !) que nous offre Eastwood en est parue plus navrante encore.


Invictus de Clint Eastwood avec Matt Damon et Morgan Freeman (2009)

Un homme idéal

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Pierre Niney est un écrivain raté qui ne rêve que d'une chose : être publié et voir son nom en vitrine chez Ombres Blanches. Essuyant les refus successifs des maisons d'édition auxquelles il envoie son premier roman ("Un Homme de dos", tu parles d'un titre accrocheur), il survit en bossant en tant que déménageur. Pierre Niney. Déménageur. Premier goof ! Bon, passons. Sachez toutefois qu'à partir de ces premières informations, vous devriez déjà être en mesure de deviner toute la suite des événements... En vidant l'appartement d'un vieillard décédé en pleine solitude, Niney tombe par hasard sur un manuscrit bien épais, négligemment emballé dans une couverture au-dessus d'une armoire : le saisissant journal de guerre du défunt. Le sang de Niney ne fait alors qu'un tour : il a trouvé sa première œuvre ! Après l'avoir soigneusement recopié sur word sans en changer le moindre mot (nous assistons à cela via une succession de plans hideux qui nous montrent Niney sur son portable essayer toutes les positions et toutes les pièces de son T1bis), ce dur labeur mènera enfin notre ambitieux romancier sur la route du succès, aussi bien auprès du public que des critiques avec, en guise de consécration, le si convoité prix Renaudot. Un bonheur n'arrivant jamais seul, Niney flashera sur le visage anguleux d'Ana Girardot, une zonarde à la fois chercheuse et critique littéraire (quel que soit son réel métier, nous n'y croyons pas), lors de la remise du prix.




Une ellipse maladroite, brutale mais bienvenue (simplement car elle donne la fausse impression que le film passe plus vite) nous amène quelques mois plus tard, sur la Côte d'Azur. Nous découvrons que Pierre Niney a été assez dégourdi pour se foutre dans une merde noire auprès de son éditeur, auquel il a promis un nouveau livre qu'il n'arrive évidemment pas à commencer, rattrapé par son réel talent, c'est à dire le néant absolu. Niney a cependant été assez agile pour se mettre en ménage avec Ana Girardot, un très bon parti, puisque sa famille pleine aux as possède une sorte de manoir gigantesque avec plage et golf privés. C'est dans ce coin ensoleillé que se déroulera d'ailleurs l'essentiel du film, énième variation autour du thème de l'usurpateur, personnage progressivement mis dos au mur qui finira bien sûr par éveiller tous les soupçons avant d'entrer malgré lui dans une spirale criminelle fatale.




Tout est terriblement prévisible dans ce thriller de bas étage, second exercice en la matière du cinéaste Yann Gozlan après le déjà pénible Captifs. Nous sommes seulement étonnés quand le personnage principal s'enfonce davantage en prenant des décisions et en adoptant un comportement encore plus débiles que ce à quoi on s'attendait, ce qui arrive de plus en plus fréquemment à mesure que l'intrigue avance. La fin du film a tout de même le mérite de nous apprendre une chose utile : en cas d'énormes emmerdes, il existe une solution pour échapper à toutes représailles. Faites confiance à votre ceinture et à votre airbag, et proposez à un naïf quidam un petit tour en bagnole sur des routes sinueuse en ayant au préalable bien pris le soin de désactiver le système de sécurité du siège passager. Dès que possible, encastrez vous à pleine vitesse contre un obstacle quelconque, ce faux accident de voiture provoquera la mort instantanée de votre invité. Inversez alors les positions en plaçant le cadavre sur le siège conducteur, attachez votre montre autour de son poignet et mettez votre portefeuille dans sa poche. Ultime effort : videz un bidon d'essence entier sur le macchabée et partout sur le véhicule, un grand brasier vous lavera de tout soupçon et vous garantira une nouvelle vie d'homme libre, quand bien même tous les flics du pays étaient à vos trousses. Tenez-vous le pour dit. Si vous êtes au fond du trou, il existe ce moyen, même s'il faudra ensuite vous créer une nouvelle identité (Yann Gozlan ne nous en dit pas beaucoup plus là-dessus, les dernières images nous apprennent simplement que Pierre Niney est redevenu déménageur à temps plein).




Drôle de coïncidence, le scénario pourri d'Un homme idéal rappelle étonnamment celui du récent The Words, piètre mais plus habile thriller américain sorti directement en vidéo où Bradley Cooper trouvait son premier bouquin dans une sublime besace en cuir achetée pour trois fois rien dans une friperie parisienne. Le bellâtre scribouillard luttait ensuite pour cacher son mensonge au monde et, surtout, à sa dulcinée, la fameuse actrice na'avi Zoé Saldana. Je crois bien que j'avais pris plus de plaisir devant The Words, je garde même un souvenir assez net de la fameuse besace... On pense aussi beaucoup au célèbre Plein Soleil, que je n'ai pas encore vu, mais dont je sais suffisamment de choses pour reconnaître une évidente filiation ; en outre, une bonne partie du film se déroule effectivement en plein soleil. La mise en abyme d'usurpation ne s'arrête pas là : rappelez-vous que Pierre Niney a remporté le César du Meilleur Acteur au moment même où le navet de Yann Gozlan sortait en salles, une nouvelle imposture qui tombait à point nommé... Et, autre effet spécial étonnant, Ana Girardot n'est pas Barbara Schulz. C'est pourtant ce que j'ai cru tout le long !


Un homme idéal de Yann Gozlan avec Pierre Niney, Ana Girardot et André Marcon (2015)

L'Art de la fugue

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L’Art de la fugue fait partie de ces trucs qu’on a tellement vus et revus qu’à chaque fois, et tant pis pour la redite, le même besoin se fait ressentir : comment se retenir, devant un film qui nous a tant pompé l’air, de lui lâcher ne fût-ce qu’une petite vesse* dans la gueule ? D'abord, vous présenter l’affaire... Le résumé hallucinant d’Allociné donne une assez rapide idée du désastre : « Antoine vit avec Radar, mais il rêve d’Alexis... Louis est amoureux de Mathilde alors il va épouser Julie... Gérard, qui n’aime qu’Hélène, tombera-t-il dans les bras d’Ariel ?… Trois frères en pleine confusion... Comment, dès lors, retrouver un droit chemin ou ... échapper à ses responsabilités ?… C’est là tout L’Art de la Fugue… ». Normalement j’aurais dû ponctuer cette citation de quelques points de suspension mais je crois que ça va aller.


Nestor Burma passe tout le film à essayer de planquer son braquos en présence d'Élodie Frégé. Ce que tous les acteurs autour de lui sont incapables de dissimuler en revanche, c'est leur profonde gêne. Pas celle de voir papa triquer à mort sur son lit de mort, mais bien celle de faire partie de cette fétide entreprise.

En fait, dès l’affiche, mons-tru-euse, on sait que L’Art de la fugue sera un film choral, donc un film d’acteurs. Et quels acteurs. Au centre, Antoine (Laurent Lafitte), puis ses deux frères, Louis et Gérard (Nicolas Bedos et Benji Biolay : on se demande qui de plus exaspérant aurait pu se glisser dans cette fratrie de la mort, qui ? Yann Barthes ? Il a failli faire partie du casting, véridique). Ils incarnent trois fils. De pute, certes. Mais aussi trois fils de commerçants acariâtres (Marie-Christine Barrault et Guy Marchand, ou Guy Charmand pour les intimes, déjà papa accablé du duo de frères morbides Romain Duris et Louis Garrel dans Dans Paris ; film pénible jusque dans son titre, qui force la répétition, "dans Dans" : lourd...). Le premier fils, Lafitte, est un galeriste bobo, homo, amoureusement instable et sensible, le deuxième, Bedos, un homme d’affaire égoïste, putanier et traitre, et le dernier, Biolay, un chômeur sentimental suicidaire, qui vivent et pensent forcément l’amour très différemment. C’est pas mal original. Et assez surprenant, ces tempéraments, associés à ces statuts sociaux. Du jamais vu. Et puis autour d’eux gravitent quelques tronches connues, comme Agnès Glaoui ou Bruno Puducu. On se demande comment un scénario aussi immonde (adapté d’un bouquin de l’américain Stephen McCauley, auteur déjà porté à l’écran par Sam Karmann dans le tout aussi choral et fumeux La Vérité ou presque, film culte dans lequel Dussolier et Cluzet échangeaient leurs sexes) a pu attirer autant de gens. Ce type de film devrait se tourner à deux ou trois, par des crève-la-faim, dans des caves. Il paraît qu’on n’attire pas les mouches à merde avec du vinaigre, mais ce long métrage prouve, et il n’est malheureusement pas le seul, qu’on peut les attirer avec d’autres mouches. Lequel, parmi ce brillant casting, a signé le premier ? Mystère. Mais les autres, en voyant son blaze qui tache associé au projet, ont cru flairer le bon plan et se sont jetés dans la gueule du loup.


 Élodie Frégé, dans l'émission Au Battle Field Earth de la Nuit, présentée par Michel Battle Field Earth, nous parle du film. Là elle essaie de résumer son personnage.

Et puis le copinage n’y est sans doute pas pour rien : on va faire mumuse avec les copains. Benjamin Biolay avait déjà joué pour et avec Agnès Jaoui dans Au bout du conte. Comme on se retrouve ! Et cette fois-ci il a ramené avec lui Elodie Frégé, qui n’est là que pour être à poil et la fermer. Cette dernière confirme, même si tout le monde s’en foutait, qu’elle n’est pas encore actrice (on l’avait déjà vue dans Potiche), tout comme l'horripilant Nicolas Bedos**, dont on espère quant à lui qu'il ne s'acharnera pas davantage à le devenir, acteur, et qui se contente ici de s’admirer beaucoup et de s’écouter parler, comme d’hab'. Les autres ne sont pas tous détestables en règle générale, et peuvent même se montrer plutôt bons, y compris Laurent Lafitte (que j’ai peut-être la naïveté de ne pas condamner tout de suite à la chaise électrique, mais il est à ça...) et Bruno Putzulu, sôciétaires la cômédie frônçaise, mais le film est si atroce qu’ils ne peuvent que l’être aussi. On devine d’ailleurs qu’ils le savent, que le réalisateur le sait. Que tous ces gens sont courant qu’ils sont en train de tourner une minuscule chose hideuse et absolument nulle, mais ils le font quand même, parce que c'est sans doute moins désagréable que de ne rien faire. De notre côté, on préférerait ne rien voir.

* petit pet silencieux et malodorant.
** petit pet silencieux et malodorant.


L'Art de la fugue de Brice Cauvin avec Laurent Lafitte, Nicolas Bedos, Benjamin Biolay, Bruno Putzulu, Agnès Jaoui, Guy Marchand, Marie-Christine Barrault et Élodie Frégé (2015)

Crazy Amy

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Trois ans après le très pénible et déprimant 40 ans : mode d'emploi, qui parvenait à rassembler tous ses plus insupportables tics et défauts, Judd Apatow revient derrière la caméra pour cette fois-ci mettre en image un scénario qui n'est pas le sien mais celui de son actrice vedette, j'ai nommé Amy Schumer. Celle-ci incarne une journaliste new-yorkaise à la vie totalement désinhibée, multipliant les conquêtes masculines et ne s'engageant jamais sérieusement en amour. Sa rencontre avec un homme différent de ceux qu'elle a la fâcheuse habitude de fréquenter, doux et attentionné, médecin du sport de son état, et sur lequel elle doit écrire un article pour son magazine, va changer la donne et amener notre héroïne à s'essayer à la vie de couple...




Comique de stand-up à la popularité grandissante outre-atlantique, Amy Schumer signe ce qui apparaît progressivement comme une bonne grosse comédie romantique avec beaucoup d'éléments que l'on devine autobiographiques. Habilement, la star parvient tout de même à éviter le film trop auto-centré et se distingue en cela du précédent méfait de son réalisateur, parfois très enclin à se regarder le nombril. Alors certes, il faut supporter de voir la comique, au charme tout relatif, faire tomber tous les hommes qu'elle croise et s'entendre régulièrement dire qu'elle est une vraie bombe. Le pêché d'égocentrisme la guette plus d'une fois, mais nous lui pardonnons ces travers, tant nous sourions et rions régulièrement devant son petit manège. On finit même par apprécier son personnage dont nous suivons avec plaisir les mésaventures. 




Le scénario d'Amy Schumer n'échappe pas au schéma archi rebattu et toujours agaçant des romcoms habituels. Ainsi, la dernière demi-heure, où l'on attend les inéluctables retrouvailles finales du couple temporairement séparé, est assez laborieuse et bien plus pauvre en moments comiques. On ne peut alors guère s'empêcher de penser que Crazy Amy, qui dépasse de peu les deux heures, aurait vraiment gagné à être légèrement raccourci. Heureusement, quelques scènes très drôles, du niveau d'un bon Will Ferrell (et venant de moi, c'est un sacré compliment !), sont bien réparties dans les trois premiers quarts du film et font passer la pilule sans accro. 




Tous les acteurs sont au diapason. Bill Hader, autre habitué d'Apatow, également vu dans l'excellent Hot Rod, est très bon dans le rôle de ce médecin amoureux d'Amy aux agissements crédibles et compréhensifs (chose rarement vérifiée dans ce genre de romcoms où les personnages ont souvent des attitudes totalement débiles). Le catcheur John Cena, ce "Mark Wahlberg qui aurait mangé Mark Wahlberg", boyfriend éphémère d'Amy, est tordant en homo refoulé. Brie Larson, qui interprète la sœur d'Amy, n'apporte aucune valeur ajoutée comique à l'ensemble mais reconnaissons qu'elle est tout à fait agréable à l’œil. Colin Quinn, le père malade d'Amy, fait preuve d'un bel abattage et sort quelques répliques cinglantes avec une mauvaise humeur délectable. Tilda Swinton, la patronne d'Amy, méconnaissable grimée en bimbo, est parfaite dans la peau de cette bonne femme infecte qui déblatère des horreurs sans jamais se soucier des autres. 




Quelques guest stars viennent également faire leurs petits numéros (notamment Daniel Radcliffe et Marisa Tomei dans une inoffensive mais amusante parodie de film de Sundance que les protagonistes vont s'infliger au cinéma), et comme ceux-ci sont généralement drôles, leurs apparitions n'ont jamais l'air totalement gratuites. LeBron James, la plus grande "guest star" du lot n'en est d'ailleurs pas vraiment une puisque le basketteur campe ici un vrai rôle. Il joue le meilleur ami du médecin, personnage très protecteur et ultra radin qui nous vaut quelques-uns des meilleurs moments du film (je pense surtout à cette scène au resto où LeBron James finit par promouvoir de très belle manière sa ville de Cleveland face à son ami, désespéré par son discours et sa pingrerie). Quand il arrêtera de briller sur les parquets, LeBron James a un chemin tout tracé dans la comédie !




Grâce à son scénario particulièrement riche en personnages secondaires sympathiques et enchaînant, à un bon rythme, les situations cocasses et les répliques bien senties, Amy Schumer réussit plutôt haut la main ses grands débuts au cinéma. Elle permet en même temps à Judd Apatow d'effectuer un retour gagnant à la réalisation et peut-être même de signer son meilleur film. Nous leur souhaitons de poursuivre sur cette voie... 


Crazy Amy de Judd Apatow avec Amy Schumer, Bill Hader, LeBron James, Brie Larson et Tilda Swinton (2015)

Hunger Games - La Révolte : Partie 2

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Tout le monde a parlé de cet homme atteint d’une maladie incurable et condamné à une mort imminente qui a écrit à J.J. Abrams pour obtenir de lui cette faveur : avoir le privilège de découvrir Star Wars Episode VII en avant-première, longtemps avant le reste du monde, histoire d’être sûr de pouvoir se le faire avant de décéder. Aussi suis-je un peu étonné de constater que personne dans les médias n’a parlé de cet autre homme, un vieux pote à moi en l’occurrence (dont je tairai le nom par respect, mais qu’on surnomme Leigh Braguette), qui va lui aussi bientôt mourir des suites d’une maladie inconnue, et qui a lui aussi écrit une lettre à un cinéaste pour lui faire une requête similaire, requête qui n’a pas été entendue ni donc relayée, ce que je trouve honteux.


Y a-t-il une âme dans ces babouches ? Y a-t-il de la place pour des couilles sous ce jean slim ?

Mon ancien camarade d’école a en effet envoyé un courrier en recommandé à Francis Lawrence pour lui demander non pas de rapprocher la sortie de son film, Hunger Games - La Révolte : Partie 2, mais de la reporter de quelques mois, voire de quelques années si possible (car il est optimiste mon ami, il voit la vie en putain de rose), afin d’être certain de n’avoir aucune chance de voir le film avant de disparaître. Mon pote s’est déjà tapé les trois premiers épisodes de "cette saga de merde" (je le cite texto, il est même convaincu, contre l’avis de ses médecins, que c’est lors du visionnage du premier film, en 2012, que s’est déclenchée sa maladie orpheline mortelle, comme un phénomène d’autodéfense par la suppression de soi par soi pour soi), et il aimerait bien s’éviter le plus petit risque de se fracasser sur le 4ème opus avant de mourir. Francis Lawrence, qui est décidément un être misérable, n’a pas décalé la sortie de son film. Hunger Games - La Partie : Révolte 2 et son titre putride ont débarqué sur les écrans ce mercredi. Et Francis n’a pas même répondu à mon teupo. Aucun média ni aucun crétin sur Facebook n’a eu l’idée de faire tourner l’histoire. C’est dégueulasse.

PS. Petit message aux journalistes et autres éditorialistes écumeurs du web en quête d’anecdotes morbides croustillantes : si vous entendez parler de lettres semblables à celle de mon ami reçues ces derniers jours par Quentin Tarantino, à propos des Huit salopards, ou par Zack Snyder, au sujet de Batman v Superman : L’aube de la Justice, ne faites pas tourner non plus, c’est moi qui les ai écrites. Je vais bien, rassurez-vous. Mais le monde, lui, va mal, et il va déjà assez mal comme ça, alors si on peut tenter de retarder la sortie de quelques saloperies au coût d’un simple timbre poste, c’est toujours ça de pris. J’ai aussi écrit à Taika Waititi, le réalisateur de Thor : Ragnarok, pour lui demander non seulement d’ajourner la sortie de son truc de quelques siècles mais aussi pour lui demander si je pourrais emprunter son nom de maboule pour m’en faire un blaze de scène (à côté de ma carrière de blogueur ciné, je suis breakdancer).


Hunger Games - La Révolte : Partie 2 de Francis Lawrence avec Jenifer Lawrence (2015)

Manglehorn

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Si vous voulez (continuer à) assister à la déchéance professionnelle d'Al Pacino, alors n'hésitez pas une seule seconde, prenez une grande inspiration et lancez-vous dans Manglehorn de David Gordon Green (DGG pour les intimes). Par contre, si vous voulez garder un souvenir émerveillé de cet acteur-caméléon, tirez le frein à main juste après Heat.

Dans Manglehorn, Al Pacino incarne A. J. Manglehorn, un serrurier vieux et fatigué, plutôt grincheux, ayant largement dépassé l'âge de la retraite et vivant seul avec sa chatte Fannie. Il passe une bonne partie de son temps libre à rédiger d'une écriture d'écolier parkinsonien, des lettres enflammées et mélancoliques à une certaine Clara, son amour perdu, lettres qui retournent toutes à l'envoyeur, sans exception, et qu'il stocke chez lui dans une pièce fermée à clef après les avoir récupérées dans sa boite aux lettres infestée d'abeilles. Son unique fils, qui n'est pas le fils de Clara mais d'une femme qu'Al Pacino déclare n'avoir jamais aimée, est présenté comme un connard puisqu'il est un riche trader qui joue à dépouiller les gens en leur proposant des investissements foireux tout en se faisant des millions au passage. Ce fils indigne traite son père avec mépris, lui reprochant d'aimer d'avantage la chatte que sa propre famille (cette série de reproche se déroule lors d'une scène au restaurant à couper l'appétit même aux plus affamés)... Par contre Manglehorn s'entend bien avec sa petite-fille qui a la langue bien pendue et une mère chicanos. En dehors de ça, il aime papoter avec sa guichetière préférée (Holly Hunter, victime d'un lifting malheureux) lorsqu'il effectue son dépôt hebdomadaire à la banque du coin, notamment parce qu'elle est propriétaire d'un chien victime de nombreux soucis d'ordre vétérinaire, comme lui avec sa chatte.




Heureusement que c'est Al Pacino à l'écran : il peut jouer n'importe quoi et n'importe comment, il reste tout de même fascinant. Et heureusement qu'il est là sinon je n'aurais pas réussi à tenir quarante minutes devant ce gros navet. Tantôt farceur, tantôt déprimé, tantôt exalté, toujours Pacino, il nous sort toute sa palette, engoncé dans ses habits fatigués sous une touffe de cheveux fous grisonnants. Il faut le voir changer une ampoule au tout début du film, un acte qu'il accomplit comme s'il jouait Richard III. Bref, Al Pacino joue exactement le même rôle depuis vingt ans, à tel point que tous les personnages qu'il incarne devraient dorénavant s'appeler Albert Pacino, ce serait plus honnête pour les spectateurs. N'ayant pas vu la seconde moitié du film, j'ignore ce qu'il advient de ce personnage mais on peut soupçonner qu'il va se rapprocher de Holly Hunter et retrouver une certaine joie de vivre sur fond de musique indé. Ces films américains pseudo-indépendants sont tous plus ou moins prévisibles et chiants.




David Gordon Green commet donc ici un autre navet. Il a bel et bien définitivement perdu toute espèce de crédit après avoir tenté de remonter la pente ces dernières années avec un retour vers le southern gothic, son genre de prédilection. Après un début prometteur quoiqu'en dents de scie (L'Autre Rive pour le meilleur, Snow Angels pour le pire), il s'est fourvoyé dans quelques productions Apatow sans intérêt en loupant même le coche de mettre en valeur Natalie Portman dans le registre de la comédie dans Votre Majesté (parmi ses films, je garde tout de même un petit faible pour Baby-sitter malgré lui mais c'est vraiment pas grand chose). Il est étonnant de voir qu'il garde encore assez de crédit pour attirer Al Pacino dans son désastre sur pellicule, mais ce dernier commence peut-être à perdre la boule (Danny Collins, où il joue Albert Pacino, exactement comme dans Manglehorn, en serait la preuve). Dernièrement Prince of Texas n'était déjà pas fameux mais se laissait voir, tandis que Joe alternait le bon (surtout pour les fans de Nick Cage dont nous faisons partie !) et le très mauvais, et c'est le très mauvais qui finissait par l'emporter. Au bout du compte, David Gordon Green, réalisateur caméléon avec toujours le cul entre trois ou quatre chaises, ne sait pas trop quoi faire de ses deux mains ni de ses deux pieds. Il gagnerait à s'entourer d'un bon scénariste et d'un bon producteur qui lui permettraient de "retrouver le chemin des filets" de ses débuts, ou bien à définitivement arrêter une activité qui ne semble pas faite pour lui. Il pourrait faire ébéniste, c'est chouette ébéniste comme métier.


Manglehorn de David Gordon Green avec Al Pacino et Holly Hunter (2015)

Take This Waltz

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Il y a des films qui vous dégoûteraient de l'Amour et de la vie en couple. Il y a des films qui auraient le don d'endurcir illico les plus insatisfaits et malheureux célibataires. Take This Waltz, deuxième long métrage écrit et réalisé par l'actrice Sarah Polley, est tout à fait de ceux-là. On y suit les hésitations et les malheurs existentiels de Michelle Williams, heureuse épouse de Seth Rogen (comment peut-on ?) tombée éperdument sous le charme de son voisin, un beau brun de 57 kilogrammes (Luke Kirby's Dream Land). Elle aime les cheveux crépus et la gentillesse à toute épreuve du premier ; elle est irrésistiblement attirée par les yeux azuréens et les chemisettes à carreaux du second. Elle ne se lasse pas des bons plats cuisinés de l'un, concepteur de recettes de cuisine à base de poulet de son état ; elle est tout simplement en extase face aux petits dessins à l'encre de Chine et à l'exceptionnelle endurance du second, artiste maudit et conducteur de pousse-pousse de profession (les métiers de chacun ont au moins le mérite d'être originaux, même s'ils ne justifient pas leurs baraques d'enfer et leur train de vie en général). Bref, Michelle Williams ne sait pas quoi faire, ses certitudes vacillent, son mariage est en danger. Pendant 1h30, elle tergiverse, puis finit par craquer. Le film, d'un romantisme fabriqué imbuvable, atteint alors des sommets dans l'horreur et l'innommable.




Pour bien nous montrer le bonheur total dans lequel nage Michelle Williams quand celle-ci a pour de bon décidé de quitter son moche époux pour les bras maigrelets du voisin, la caméra de Sarah Polley se met à tournoyer follement autour d'une gigantesque pièce faite de mille colonnes (comme je vous l'ai dit, tous les personnages vivent dans des palaces impossibles). Comme dans un insupportable clip, la "scène" de cette nouvelle vie conjugale change systématiquement quand la caméra passe derrière l'une des colonnes, sans transition visible. Michelle Williams et son jules jouent tranquillement au Scrabble... partagent un bon vin rouge et quelques tapas... se chuchotent des mots doux et se câlinent tendrement ...puis baisent comme des animaux sauvages ! D'abord dans une position inspirée des plus craspecs porno US, avec le pied du mec posé sur la joue de sa partenaire consentante, et ensuite dans une position plus banale où Michelle Williams se défoule cette fois-ci sur son homme, quitte à risquer une rupture de l’albuginée et des corps caverneux. Bref, le petit couple déglingué se démonte passionnément, et on est censé trouver ça sublime, alors que la mise en scène, déjà vue mille fois ailleurs, fout la gerbe en plus du tournis. En ce qui me concerne, j'espérais en secret que ce petit spectacle se prolonge, dure encore, j'attendais qu'on nous propose un petit abécédaire du kama sutra et j'imaginais qu'on irait crescendo dans la sauvagerie et le dégueulasse. Mais c'était bien trop espérer de Sarah Polley, cette femme n'a en réalité aucune suite dans les idées : ce passage ne dure pas assez pour être marrant, juste ce qu'il faut pour foutre les nerfs à vif !




Que dire de la prestation de Michelle Williams ? La filmographie de l'actrice ressemble à un abominable fourre-tout avec peut-être, en guise de très mince fil rouge, la volonté apparente de tourner avec des auteurs plus ou moins respectés et reconnus. Elle combine le pire et le meilleur du cinéma américain, du film indé imbuvable (il y en a beaucoup) au vrai film d'auteur remarquable (ses collaborations avec Kelly Reichard), en passant par le gros blockbuster qui tâche (Le Monde fantastique d'Oz) et le biopic à Oscars raté (My Week with Marilyn). A chaque fois, l'actrice est totalement à l'image du film dans lequel elle joue. Elle est excellente et bluffante dans Wendy & Lucy. Elle fout la rage en Marilyn Monroe. Et elle déprimerait donc n'importe qui dans Take This Waltz, où son regard perdu et ses gestes hasardeux siéent parfaitement à son insupportable personnage. Cette actrice et ses choix de carrière sont tour à tour désolants et encourageants. En réalité, je crois qu'elle commence à me fatiguer. Cette fois-ci, je ne lui jetterai pas la pierre, je viserai plutôt Seth Rogen, c'est plus facile : il est tout gros et je n'aime pas son énorme visage.




D'après ce que j'ai lu sur internet, beaucoup s'accordent à dire que le personnage campé par Michelle Williams est une chieuse XXL qui mérite un bon coup de pied au cul. C'est bien, je suis d'accord, je me joins au pugilat. Beaucoup prétendent aussi que le film est joliment filmé, parfaitement mis en scène, qu'il fourmille de belles images et de plans magnifiques. Là par contre, je m'inscris en faux. Sarah Polley développe une esthétique "instagram" faite de flous et de contre-jour intempestifs qui se veut paradoxalement naturaliste et proche des corps (Michelle Williams s'y fout à poil une demi dizaine de fois, et on s'en passerait volontiers) dont le résultat est très souvent d'une incroyable laideur. Le tout est enrobé de quelques chansons sans doute directement issues de l'iPod de la réalisatrice, fan de Micah P. Hinson, et le film emprunte son titre à un morceau du pauvre Leonard Cohen qu'on ne pourra plus jamais écouter librement.




Savoir que Sarah Polley a écrit et réalisé ce film qu'elle doit présenter et considérer comme une œuvre infiniment personnelle inspire le plus profond mépris. C'est typiquement un film qui pense cerner des "trucs" de couple bien connus (les petits jeux amoureux de Seth Rogen et Michelle Williams peuvent rendre fou), qui veut parler directement et intimement à son auditoire, le remuer dans son expérience personnelle, le questionner au plus profond de lui-même. En ce qui me concerne, quand, effectivement, le film me parlait un peu, j'avais envie de m'insulter copieusement puis de filer sous la douche fissa, comme pour me nettoyer de cet affreux rapprochement et pour avoir définitivement et strictement aucun rapport avec cette horreur signée Sarah Polley. Ce film m'a dérangé. J'en ai fait des cauchemars terribles où la ganache de Michelle Williams était remplacée par celle de ma chère et tendre. Véridique.


Take This Waltz de Sarah Polley avec Michelle Williams, Seth Rogen et Luke Kirby (2011)

Crime in the Streets

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Ce film oublié de Don Siegel mérite que l’on y revienne. Ne vous fiez pas à l’affiche, intégralement mensongère. Elle représente une scène que vous ne verrez jamais dans le film, et la phrase d’accroche (« How can you tell them to be good when their girl friends like them better when they’re bad !… ») est non seulement stupide mais littéralement contraire à tout ce que montre et dit Don Siegel. Prévenons d’emblée les fans de l’inspecteur Harry, nous sommes ici aux antipodes de la série menée par un Eastwood grinçant qui contourne les lois pour faire régner la sienne. Pour situer un peu, l’ouverture du film (qui date de 1956), préfigure celle de West Side Story (tourné cinq ans plus tard). On y voit deux bandes de jeunes qui s’affrontent dans une rue déserte à coups de bâtons et de couteaux. L’une de ces bandes est menée par John Cassavetes, qui tient le premier rôle du film. La façon dont les mauvais garçons prennent possession des lieux en sautant silencieusement par-dessus un mur, leur progression dans la rue vers la troupe ennemie, filmée via une série de gros plans sur leurs mains armées (ils battent le rythme avec leurs armes comme les Jets claqueront des doigts), et le départ soudain d’un air de jazz quand le premier coup est donné, laissent penser que Robert Wise et Jerome Robbins ont pu apprécier le film à sa sortie et s’en souvenir au moment de mettre en boîte la première séquence de leur comédie musicale.





Mais très vite le film s’éloigne de toute fresque chorégraphique entre troupes d’adolescents belliqueux pour réduire son décor à une rue, puis, peu à peu, à une seule impasse, qui s'enfonce perpendiculairement à la rue et au plan du décor, digne de celle qui sert de décor principal à The Set-Up (sinon en termes de temps passé, du moins en matière d’impact sur la mémoire du spectateur), autre film, cette fois antérieur (1949), signé Robert Wise, qui peut-être inspira, en premier, Don Siegel. La belle scène d’introduction, avec sa guerre des gangs sans préambule, n’était qu’un prétexte : après la bataille, la bande menée par le jeune Frankie Dane (Cassavetes) se défoule sur un prisonnier de guerre dans la fameuse impasse, mais un voisin les surprend et va prévenir la police, qui débarque chez l’un des coupables et le conduit en prison. Pour se venger, Frankie, meneur d’hommes enragé, décide de tuer le délateur, avec la complicité de deux de ses complices, Lou (Mark Rydell), grand échalas rieur, et Angelo « Baby » Gioia (Sal Mineo), l’éternel Platon poupain de La Fureur de vivre.





Et non seulement le film ne fera pas le récit d’un conflit ouvert entre deux groupes de jeunes gens désœuvrés et violents, mais il ne sera pas non plus, ou pas vraiment, le film noir qu’il annonce ensuite. Resserré sur une quasi unité de temps et de lieu, basé sur de nombreux dialogues sur fond de jazz angoissé, parfois proche en cela de l'ambiance commune à ces quelques films basés sur les pièces de Tennessee Williams (Un Tramway nommé désir, Soudain l'été dernier, La nuit de l'iguane, ...), Crime in The Streets se focalise sur un personnage, celui de Frankie. Le jeune et fringuant John Cassavetes est à la limite de jouer à côté tout au long du film (à quel point notre connaissance de sa vraie personnalité fait-elle inconsciemment blocage quand on le voit interpréter un gamin mutique et plein de haine ?), sauf que ce jeu, que l'on pourrait qualifier, en étant vache, d’inconfortable, sert à merveille son personnage de jeune homme à part, déconnecté des autres, prisonnier d’une seule attitude et d’un seul sentiment (sa colère et sa soif de vengeance). Un peu d’ailleurs comme dans Rosemary’s Baby, où Cassavetes, qui joue moins pour Polanski que pour financer la pénible production, longue de quatre ans, du génial Faces, semble toujours avoir la tête ailleurs, posture idéale pour interpréter un soi-disant mari modèle, acteur à la vie comme à la scène, prêt sous de faux airs bien sympathiques à vendre sa femme et son fils à des voisins diaboliques.




Siegel fait le portrait d’un jeune type abandonné par un père violent, qui a grandi dans une piaule minable, n’a vu sa mère que par intermittences avant et après des journées de travail exténuantes, et que la naissance d’un petit frère né d’un autre père a contribué à refermer sur lui-même, dans un refus d’être aimé ou seulement effleuré, et une volonté d’en découdre coûte que coûte, au moindre prétexte. Le film ne dit donc rien d’exceptionnel, mais il le dit avec intelligence. Notamment dans un beau dialogue qui oppose Ben Wagner (James Whitmore), un éducateur de rue (Whitmore aura en quelque sorte joué son propre contrechamp presque 40 ans plus tard dans Les Évadés - souvenez-vous, le petit vieux, gérant de la bibliothèque, qui finit par sortir de taule et se crucifie aux poutres de sa chambre d'hôtel), au père barman du petit Angelo, qui ne comprend pas que son fils s’encanaille avec des brutes et ne voit plus qu’une solution pour l’en empêcher : lui taper dessus. Les mots prononcés par James Whitmore sont bien pesés (Reginald Rose, auteur du script, a aussi écrit celui de 12 hommes en colère, et on ne peut guère s’en étonner), ils font du bien à entendre, rappelant l’absurdité de systématiquement envoyer les très jeunes en prison, lieu idéal du repli sur soi et de la propulsion accélérée dans une spirale de violence, mais surtout l’importance de parler, plus difficile mais indispensable, d’écouter la jeunesse en colère. Siegel filme son dialogue très simplement, avec juste ce qu’il faut de mise en scène pour le mettre comme en relief sans l'écraser : en gros plans, poussés contre les bords du cadre, les visages des deux personnages sont tournés l'un vers l’autre, quitte à buter contre le cadre et contre un interlocuteur qui ne l'est pas moins, buté. Ils se parlent et s’écoutent, au risque de cogner "la tête dans le mur", pour reprendre une expression utilisée un peu plus tard par l’éducateur dans un autre discours tenu cette fois-ci directement au premier intéressé, le fameux Frankie, celui dont le repaire est une impasse.





L’une des forces du film est de constamment rappeler qu’un seul soutien ne suffit pas. Le beau discours que l’éducateur tient à Frankie n’est pas suffisant : Frankie ne répond pas et rentre chez lui, toujours décidé à s’en prendre au mouchard qui habite au-dessus. Le regard porté par la charmante jeune fille du quartier sur Frankie, perché sur son petit balcon métallique (autre écho par anticipation à West Side Story, mais doublement inversé puisque c'est le garçon qui est au balcon et que la tentative amoureuse est niée d'emblée) ne change rien non plus (contrairement à ce que l’affiche veut vendre...). Il faudra oser jeter un regard ou tendre l'oreille vers cette jeunesse (c'est ce que montrent les deux plans tout en profondeur de champ dont j'ai réuni les photogrammes plus haut, où le voisin surprend les violences des petites frappes dans l'impasse et où le frère entend l'élaboration du plan meurtrier de ses aînés), puis oser parler enfin, et si la police se contente d'enfermer, alors se tourner vers de mieux intentionnés qui feront l'effort d'écouter et de parler, à leur tour, aux premiers concernés. Il faudra tout ça mais plus encore, et pas qu’une fois, un soutien répété de chacun. Quitte à ce que le résultat ne vienne qu’au prix d’une véritable mise en danger, et c’est le soutien peut-être le plus essentiel, un proche, le petit frère, qui s'y colle. Mais même après tout cela, quand le problème semble réglé, Frankie a encore la tentation de fuir, de se dérober, de s'en retourner seul, et il faut un énième bras tendu de l’éducateur pour le rattraper in extremis : pas d’épiphanie miraculeuse, pas de retournement définitif. Le film fait le détail d’un travail pénible, constant, d’une attention permanente, d’efforts sans relâche, répétés, pour que quelque chose tienne ce gamin, et il le fait avec une simplicité désarmante.




Voici un film qu’il est réconfortant de découvrir ou de revoir par les temps qui courent. Nous avons réagi de façon brusque et triviale aux attentats du 7 janvier par un bref édito qui n’exprimait pas beaucoup plus qu’un profond dégoût pour ce qui venait de se passer, citant les mots de Warren Oates à défaut d’autres. Nous savions pertinemment que ce n’était pas la réponse la plus intelligente que nous pouvions apporter mais nous avons voulu opposer des mots et des images (une réplique cinglante et le visage fermé, sombre, hébété, de Warren Oates) à un événement dont les rares images, elles aussi agrémentées de répliques voulues définitives, constituaient pour nous et pour chacun une terrible agression, quitte à le faire dans la précipitation. En vérité, les candidats à la fameuse shit list sont beaucoup plus nombreux que ça, et se sont empressés de pointer le bout de leur nez depuis le 7 janvier, et de nouveau depuis le 13 novembre. Et c’est dans ce contexte, où l’on juge et condamne à tour de bras, où l’on envoie des enfants au commissariat, où d'autres sont condamnés à six mois de prison ferme pour avoir tagué une croix gammée, où l'on perquisitionne au petit bonheur la chance, assigne à résidence à l'emporte-pièce, garde-à-vue sur commande, où l'on parle de recruter 5000 policiers et passe sous silence l'éducation, où les médias les plus voyants et les plus bruyants se repaissent de tout cela en charognards, qu’il est bon de découvrir ou de revoir Crime in the Streets.


Crime in the Streets de Don Siegel avec John Cassavetes, Sal Mineo, Mark Rydell et James Whitmore (1956)

Slow West

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S'il ne dure que 80 minutes, Slow West, premier long métrage de John Maclean, porte toutefois bien son titre car c'est sur un rythme particulièrement tranquille que nous traversons les paysages magnifiques de la Nouvelle-Zélande, faisant office de Far West, aux côtés des deux protagonistes qu'il met en scène. Le premier, Jay (Kodi Smit-McPhee), est un jeune homme venu d’Écosse, parti en Amérique pour retrouver son grand amour. Le second, Silas (Michael Fassbender), est un vieux loup solitaire imperturbable, qui prend le garçon sous son aile et dont on découvre progressivement les réelles motivations. Le scénario, également signé Maclean, est d'une simplicité absolue et c'est ici une qualité. De courts flashbacks nous révèlent progressivement les liens qui unissaient notre jeune et frêle héros à sa dulcinée, et la raison du départ précipité de celle-ci, accompagnée de son père, vers l'Amérique. Des chasseurs de primes, menés par une tronche désormais familière, Ben Mendelsohn (croisé dans Animal Kingdom, Lost River, Prédictions...), viendront traquer, à distance, notre duo.




On craint un peu, durant les premières minutes du film, d'avoir affaire à la première œuvre d'un débutant appliqué, soigneux, prenant vraisemblablement beaucoup de plaisir à réaliser son petit western, quitte à oublier le notre et à se regarder faire. Mais progressivement, cette assez désagréable impression se dissipe quasi totalement et nous finissons par cerner les humbles et nobles ambitions de John Maclean. Salué au festival de Sundance, l'apprenti réalisateur réussit haut la main sa curieuse reconversion après avoir commencé sa carrière dans la musique, comme membre fondateur du groupe écossais The Beta Band.




La Nouvelle-Zélande, au potentiel cinégénique bien connu, est très joliment filmée et passe sans problème pour cet Ouest américain dont le cinéaste a pris plaisir à s'accaparer tous les codes. Nos deux hommes parcourent des décors sublimes et semblent toujours passer un peu après qu'un drame historique s'y soit déroulée. Les indiens sont déjà des fantômes que l'on a pratiquement tous chassés, des ombres que l'on devine à peine, des silhouettes courant à travers des forêts riches en légendes. Au début du film, notre jeune héros, d'abord perdu dans une épaisse fumée blanche et peu à peu recouvert d'une poudre grisâtre à l'origine inconnue, finit par sillonner les restes d'un camp indien réduit en cendres, lors d'une scène captivante, à l'ambiance funèbre et flottante très réussie.




Très vite, le jeune Jay devra se familiariser avec les dures lois de l'Ouest que son protecteur Silas connaît par cœur. Michael Fassbender apporte tout son charisme et sa présence physique à ce personnage de chasseur de primes endurci dont le passé et l'histoire personnelle n'ont guère besoin d'être vraiment étoffés pour exister à l'écran. Après ça, on aimerait drôlement revoir Michael Fassbender dans un western ! Rien à reprocher non plus à la prestation de l'australien Kodi Smit-McPhee, dont les traits et le regard lunaire siéent parfaitement à ce personnage romantique, seulement guidé par l'espoir de retrouver l'être aimé.




Les rencontres sont rares mais toujours marquantes. Jay croisera la route d'un personnage étonnant, un allemand plongé dans la rédaction d'une étude sur la disparition de la culture indienne, partageant son accent, son prénom et son attitude de documentariste passionné et humaniste avec le grand cinéaste teuton, Werner Herzog. Avec ce très joli clin d’œil, John Maclean ne pouvait que m'apparaître encore plus sympathique ! Les échanges de coups de feu sont toujours très brefs, souvent fatals ; John Maclean ne fait preuve d'aucune fascination pour la violence, bien au contraire. Le froid inventaire final des cadavres tombés durant le film laisse même une drôle d'impression quant à la futilité de toutes ces morts. Le dernier quart d'heure nous réserve une longue fusillade dont la conclusion, particulièrement cruelle, ne rend que plus remarquable ce personnage de jeune garçon obnubilé par sa quête amoureuse et installe définitivement Slow West parmi les belles petites découvertes cinématographiques de l'année.


Slow West de John Maclean avec Kodi Smit-McPhee, Michael Fassbender, Ben Mendelsohn et Caren Pistorius (2015)

American Ultra

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Qu'ont-ils voulu faire ? Mais qu'ont-ils voulu faire ? C'est la question qu'on se pose pendant les vingt premières minutes, avant de baisser les armes et de laisser le film mourir en silence, seulement accrochés de temps à autres par la silhouette de Kristen Stewart. Déjà, nous, on s'attendait plutôt à une comédie du genre Apatow. Donc on s'attendait à rire. Puis une illumination nous a fait comprendre qu'il s'agissait d'un stoner movie. Un de ces films qui misent tout sur l'état de défonce avancé de sa poignée de spectateurs. Il faut à tout prix voir ça complètement foncedé. Or, nous étions clean, propres comme un sou neuf, lucides, pas un gramme de substance pathogène dans notre sang, seulement des tas de Cheerios pour remplacer nos globules blancs (déficience en fer oblige). Cet état de salubrité publique nous a amenés à être extrêmement choqués durant ces scènes d'action très nombreuses qui se veulent extrêmement violentes et sanglantes. Pourquoi ? S'agit-il là encore d'un spectacle susceptible de faire triper des gens déjà bien entamés ? Nous n'avons pas compris. Voir un crâne s'éclater contre un mur et de grosses gerbes de sang fuser de tous côtés ne nous fait pas rire, ni d'Eve ni d'Adam. Ultime remarque : c'est environ la quatrième collaboration en date de Jesse Eisenberg et Kristen Stewart, deux acteurs que l'on a connus plus inspirés dans leurs choix de carrière. Que s'imaginent-ils ? Peut-être croient-ils former l'équivalent contemporain de Bogart/Chazal... Ce n'est pas le cas ! Grosse, grosse, grosse incompréhension sur ce film.




American Ultra de Nima Nourizadeh avec Jesse Eisenberg et Kristen Stewart (2015)

Mustang

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D'abord le titre. Quand on entend Mustang on pense tout de suite à la fameuse marque de guitare. Puis on se souvient que tout le monde n'est pas aussi pointu que nous en matière de zique, et que l'association la plus commune dans la majorité des cerveaux humains est sans doute celle avec le fameux cheval du même nom. Devant le film, on se dit "Non, cela doit être plus malin que cela". Peut-être qu'une Ford Mustang va heurter tout le casting d'un seul coup (un strike) et justifier le titre ? Eh bien non, nous n'aurons pas cette chance. Le titre du film est bel et bien une référence quasi directe au cheval. Quasi si on retire l'aspect guitare, auquel on pense évidemment en premier. Ce groupe de filles, cette sororité visible sur l'affiche (ÉQUIVOQUE !...), toujours filmée en plan large, cheveux au vent, toute entière contenue dans le cadre, pendant les quinze premières minutes, est bel et bien associée à un troupeau de chevals. 




Ce film sur la condition des femmes en Turquie associe donc la femme à un cheval. Nous, ça nous gêne. Apparemment c'est passé, comme une lettre à la poste, puisque le film a été salué unanimement (à l'exclusion de tous ceux qui ont un peu de goût et de jugeote). Ce film franco-turc-allemand a été le candidat pressenti pour le si désiré Oscar du Meilleur Film Étranger de ces trois pays. Les Turcs ont finalement cherché deux secondes et trouvé un meilleur film dans leur cheptel. Les Allemands n'étaient pas intéressés outre-mesure. Et ce sont donc ces cons de français qui ont choisi de le proposer pour la statuette en marbre. Quelle belle destinée pour ce film apatride. Avouons-le tout net, c'est une bestiole à Oscars. Sujet grave, sujet lourd. Traité avec gravité, traité avec lourdeur. Des jeunes actrices accessibles, impliquées, formant une belle fratrie. Trois idées de mise en scène qui se foutent la race (dont celle des chevaux). Bref, toutes les cases sont cochées pour être un prétendant sérieux aux Césars, aux Oscar, dans toutes ces cérémonies de merde.




Un passage du film nous a gênés. Et ici nous nous mettons en mode Rivette qui assassine Truman Kapot dans l'un des épisodes les plus sanguinolents de la critique française. Contexte : deux jeunes filles vont faire des courses à Auchan avec leur paternel et l'une des deux filles (qui a 16 ans et ne rêve que d'une chose, qui peut mesurer une vingtaine de centimètres quand on a de la chance et qu'on a du sang sub-tropical) décide de rester dans la bagnole. Sur le parking rôde un clodo torse poil, taillé comme CR9 (Il Phénoméno, double-ballon d'or, double vainqueur de la coupe du monde, nemesis et meilleur ami de Zizou, amateur de hot-dogs). La jeune fille rameute le jeune clodo en lui montrant qu'elle ne porte pas de sous-vêtements et que les préliminaires seront inutiles pour que le passage soit doux, agréable, optimal. Ni une ni deux, la petite sœur fout le camp et laisse l'arrière du van aux exploits de son aînée. La caméra hypocrite de Deniz Gamze suit alors la gamine dans son errance sur le parking et un suspense s'instaure quant à savoir si le papa va débouler le caddy plein à craquer avant que le coït soit fini et promettre ainsi à sa progéniture une raclée du tonnerre. Quand le père se ramène, la caméra le suit jusqu'à l'ouverture de la porte du van. Point culminant du suspense puisque nous ne savons pas si le clodo a fait son affaire et pu s'en aller discrètement. Aucun indice ne nous a été donné. Pour un film qui s'indigne de la condition des femmes, qui veut pointer du doigt leur statut de femmes-objets impuissantes subissant le diktat d'une société rétrograde et patriarcale, il est d'assez mauvais goût, nous semble-t-il, après avoir associé les femmes à un haras, d'instaurer un suspense aussi facile, forçant le spectateur à espérer le pire. Moyen moyen Deniz Bergkampz...


Mustang de Deniz Gamze Ergüven avec Güneş Nezihe Şensoy, Doğa Zeynep Doğuşlu (2015)
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