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Channel: Il a osé !
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Lincoln

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Nous accueillons aujourd'hui notre valeureux pigiste Paul-Émile Geoffroy, que nous avons envoyé à la projection presse du nouveau Spielberg, pour couvrir la sortie de ce film très attendu et bien placé dans la course aux Oscars. Son verdict :

Pourquoi un film historique ? C'est vrai après tout, pourquoi ? Pas pour le public, le grand : peu lui importe semble-t-il et il sortira probablement de la séance (en tout cas c'est ce que j'ai pu entendre) en regrettant l'époque où Abe chassait des vampires. Rappelons-nous un instant qu'à l'origine un film était l’œuvre d'un artiste, d'un créateur, d'une subjectivité, d'un individu (et de ses assistants) et posons-nous la question de la motivation de Spielberg. Coutumier du fait, ses précédentes tentatives (les Amistad!, Il faut sauver le soldat Ryan et autres La Liste de Schindler - j'évite sciemment l'Empire du Soleil) tendaient à le placer dans la catégorie de ceux qui au jeu de celui qui se touchera la nouille avec le plus d'effet préfèrent l'artisanat de l'éveil des consciences. Lincoln ne déroge pas à la règle et est un beau montage correctement représenté de l'avènement du 13ème Amendement à la Constitution des États-Unis d'Amérique : l'abolition de l'esclavage, en 1865, à quelques mois de la défaite de la Confédération des États du Sud, après quatre ans de Guerre de Sécession.




Le film ne doit donc pas seulement être jugé sur ses qualités cinématographiques mais sur l'art de son auteur à user du cinématographe pour animer la conscience égalitaire de ses spectateurs. Or des premières dépend implicitement le second et il faut bien tirer un constat à la sortie de Lincoln : Steven Spielberg n'est pas plus un grand cinéaste que John Williams n'est un grand compositeur (certains sans doute aimeraient voir s'arrêter là la sentence) dès lors que leur intention n'est pas de se faire violence. Leurs travaux depuis dix ans ont ceci d'harmonieux (à l'exception notable du Tintind'il y a deux - lequel était d'une certaine façon une tentative tardive de se faire violence et d'entrer dans un futur possible) qu'ils embrassent le passé avec tant de franchise et d'amour que chacun sait sans peine où mettre les pieds : qui se souvient des thèmes écrits par Williams pour Cheval de Guerre ou Munich ? qui chérit tel plan d'Indiana Jones 4 ? qui s'est vu surpris par Le Terminal ? De Duel jusqu'à Schindler (et même Ryan), Spielberg écrivait une histoire du cinéma, époustouflait des enfants et impressionnait des adultes, jonglant entre un sérieux biblique et un insatiable besoin de parler à l'enfant qu'il était encore (et que l'on sent reparaitre devant Tintin). Lincoln est le film d'un vieil homme dépassé, mis en musique par un vieil homme dépassé, et au vu de ses objectifs humanistes, c'est regrettable.




C'est d'abord en s'abîmant dans les stéréotypes de son propre cinéma que Spielberg perd de la force. Le cliché de l'enfant si cher à ses habitudes est ici servi en triple exemplaire : Robert Lincoln (Joseph Gordon-Levitt) incarne sans intérêt aucun le jeune adulte désireux de se soustraire à l'ombre du modèle paternel, William Lincoln en enfant perdu dont le deuil ne peut être parce que la politique ne le permet pas, Tad Lincoln en prodigue petit malin posant les questions pour le spectateur, observateur silencieux. Trois caractères aussi futiles qu'alourdissants pour un film dont la durée (2h30) est un handicap certain à ses vues et qui devrait se contenter, comme sa chronologie le lui permet, de se concentrer sur l'émancipation des esclaves plutôt que sur une hypothétique biographie d'un Lincoln, que le seul mois concerné par le film ne suffit pas le moins du monde à éclairer. On aura aussi droit au regard caressant sur les opprimés, comme nous y a habitué Amistad!, et ce au détriment de vérité historique puisque la haine quasi absolue (dans quelque État que ce soit) des noirs se voit largement tamisée pour la bonne cause. On en vient même à croire que les bataillons "colorés" étaient légion en cette année 65 tant on voit de soldats de couleur, auxquels sont confiées d'importantes missions (accueillir les confédérés venus traiter de paix...), une manière aussi peu élégante de faire entendre son propos que les tractations et les arrangements de Lincoln et de son cabinet en vue de faire voter l'Amendement. Sauf que ça ne prend pas. Dès le début du film, ces deux soldats noirs s'adressant à un Lincoln spectateur du théâtre de guerre, le Caporal tournant le dos au président, récitant la fin du discours que ce dernier a prononcé quelques temps auparavant, complicité hollywoodienne factice, c'en est trop. Tout cela ne sert pas un film ayant valeur de testament autant (sinon moins) que de lettre de rappel. Pas plus que ces plans ratés jusqu'au ridicule qui accompagnent quelques transitions en fondu et notamment celui, posthume, d'un Lincoln-bougie tenant discours face à la foule. Ces sentimentalismes niais ont fait leur temps et je crois que tout le monde en a assez : les ficelles se voient bien trop pour que l'on se laisse pénétrer d'un message ni subtil ni subtilement amené. Certes l'humour peut encore aider, et la salle entière se laisse prendre à la légèreté des trois Stooges auxquels échoit la lourde tâche de convaincre suffisamment de membres de la Chambre pour que l'Amendement passe (une mention particulière à James Spader, à qui l'âge va bien au teint et que l'on espère déjà revoir en gras amuseur) et au tempérament "héroïque" de Thaddeus Stevens (le personnage le plus complet et le plus intéressant du lot, joué par Tommy "Lee de mort" Jones, en roues libres), mais là encore la subtilité est hors de propos.




C'est sans talent, bien que sans réel accroc, que Spielberg mène lentement sa barque d'un bout à l'autre du mois de Janvier 1865, sans passer par de grandes échauffourées spectaculaires (hormis une écharpade inauguratrice, la seule grande bataille de ce mois-là, celle de Fort Fisher, nous est entièrement diffusée depuis le centre des communications de la Maison Blanche) ni non plus nous dépeindre vraiment la souffrance du peuple opprimé (Amistad! suffisant). C'est un film politique, dont le coeur a trait aux manigances et aux stratégies politiciennes d'un petit nombre d'individus : il s'agit donc de parlotte. C'est dans l'air du temps, de faire passer le cinéma dans le langage : Cronenberg, Sokurov, Resnais en 2012 s'y sont essayé et n'ont pas démérité. Spielberg se brise les reins sur son personnage : Lincoln est un ex-avocat friand d'anecdotes, par lesquelles il explique ses décisions. Ce qui est une jolie façon de simplifier la tâche d'un auteur (2h30 de parlotte, même Cronenberg ne s'y est pas risqué) simplifie aussi l'art du langage qui est à l’œuvre et même l'art de la personnification du toujours-très-bon Daniel Day-Lewis mais que l'on a l'impression de voir cabotiner tant son vieux Abraham ressemble à une caricature.




Certes le message passe. Tout de même... Pourquoi faire ce film ? Faire plein feux sur l'émancipation - non, ça n'est pas ça. "Émancipation" impliquerait que le film montre des hommes et des femmes de couleur brisant leurs chaines. Disons plutôt : Faire plein feux sur une manœuvre politique (tordue, irrégulière), sur des compromis politiques, dans un but d'avancée sociale... Aujourd'hui... Serait-ce vraiment anodin ? Spielberg est-il un homme si naïf qu'il filme "oui" en pensant "peut-être" ? Je n'y crois pas. Amistad! existait, pourquoi revenir sur l'esclavagisme ? Pourquoi le faire d'un point de vue politicien ? Pour un portrait de Lincoln, ce président on l'aura compris admirable (il a aussi été l'instaurateur de l'impôt sur le revenu outre-Atlantique), pour le seul intérêt du biopic, parce que le personnage le passionnait ? Allons... Steven Spielberg n'est pas le cinéaste politique par excellence mais on sait qu'il a une conscience plutôt humaniste. Je ne puis m'empêcher de me poser la question que cache Lincoln : pourquoi ce film maintenant ?




Et quelle qu'en soit la réponse, de me décevoir du résultat. Un film qui tient la route mais dont la portée d'éveil me semble trop courte. Un film facile à suivre mais trop long. A tout prendre, un film sur l'art de convaincre par la parole devrait s'éviter l'écueil du sophisme par anecdote et se concentrer plutôt sur la magie-même du langage, comme Alexandre Sokurov, Alain Resnais ou dans une moindre mesure David Cronenberg ont su le faire ces derniers mois.


Lincoln de Steven Spielberg avec Daniel Day-Lewis, Tommy Lee Jones, Sally Field, Joseph Gordon-Levitt, James Spader et John Hawkes (2013)

Django Unchained

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On l'attendait depuis longtemps, il est enfin arrivé pour embellir cette rentrée, je parle bien entendu du nouveau cru de Quentin Tarantino, de son tant espéré western-spaghetti à la sauce dé-chaî-né. Film parfait de A à Z, à la mise en scène jouissive et jubilatoire, au casting jouissif et impeccable, à la bande originale jouissive et tonitruante, ce Django Unchained est tout simplement un chef-d’œuvre. Le pied ce film. J'étais mort de rire tout le long. J'avais des frissons qui me parcouraient l'échine depuis la première scène (le générique), quand apparaît le titre, "DJANGO UNCHAINED", écrit et réalisé par "Quentin Tarantino", avec la musique sublime du Django de Sergio Corbucci en fond ("Djangoooo, have you ever been alone ? Djangooooo, have you ever fucked your son ?"), jusqu'à la fin, avec le gros délire sanglant et l'explosion énorme en forme de feu d'artifice délirant, en passant par tout ce qui se passe entre-temps, toutes ces punch-lines fracassantes, cet humour décapant, ce slow-motion tripant, ce hip-hop jumpant, toute cette violence décomplexée, et notamment le caméo de Tarantino himself et la façon dont crève son personnage. Juste jouissif. C'est bien simple, j'avais envie d'applaudir l'écran de ciné toutes les deux secondes, et je l'ai fait d'ailleurs, je me suis pas fait prier, même si je me suis fait tabasser gentiment par un type à la sortie du ciné. Un nazi ou un raciste. Un chien qui n'a rien compris au génie intégral du grand Tarantino, le mec le plus fun du monde, qui vient de réaliser le meilleur film de l'année, et même des trois années à venir, jusqu'au prochain opus signé QT quoi. Même si je me demande comment il va bien pouvoir faire mieux que cette tuerie. Whaoou, merci Quentin. Spike Lee, va crever pauvre con, tu mérites le fouet ! Dans un monde idéal on te foutrait au fond d'une cale en espérant que le bateau coule ! Django Unchained est magnifique, peut-être le meilleur film de son auteur. Ce film est une claque qu'on est trop heureux de recevoir en pleine tronche, et on serait même prêt à tendre l'autre joue pour en recevoir une autre du même genre mais deux fois pire, voire pourquoi pas tendre son joufflu (car c'est comme ça que j'appelle mon gros cul) pour se faire défenestrer et en redemander encore et encore. Tarantino nous ravage les boyaux et le cerveau, et on en redemande comme des cons qui prennent leur pied à deux mains. Le film dure presque 3 plombes mais il passe comme une balle de fusil à lunette entre les deux yeux d'un salopard d'esclavagiste, il passe comme un doigt dans le cul. Joui-ssif.




Voilà en gros ce qu'on peut lire absolument de partout à propos de ce film qui de notre côté ne nous a pas fait "jouir" une seconde. Mais il est difficile de s'en prendre aux fans qui font dans l'exagération et dans le répétitif puisque c'est le régime cinématographique que Tarantino lui-même ne cesse d'installer dans sa filmographie. Et puis l'homme n'est pas le dernier à se faire mousser, quand il déclare par exemple à certains journaux des choses aussi nuancées que : "Je suis à mon apogée". Quand nous avons fait notre édito sur les mégalos d'Hollywood, nous n'avons pas évoqué Tarantino, mais c'est évidemment le pire de tous. Bref, vous l'aurez compris, de notre côté on a comme une grosse dent contre Tarantino, plus ou moins depuis Kill Bill, qui s'est mutée en infection buccale pestilentielle de film en film. Mais avouons-le, si on craignait - et on avait raison - d'être à nouveau accablé par la plate stupidité du cinéaste, et surtout d'être agacé encore une fois par ses effets de manche stylistiques ressassés jusqu'à la lie (car il est difficile de reprocher à quelqu'un d'être intellectuellement aux abois mais plus légitime de lui reprocher une esthétique poussive et bégayante), on ne pensait pas s'ennuyer à ce point devant son nouveau bébé (sachant que quand on parle d'un nouveau bébé de Tarantino il faut imaginer un nourrisson difforme et bodybuildé). A force de répétition (le film est en lui-même d'un répétitif assommant) et d'insistance (on se croirait parfois non plus devant un patchwork de pastiches et d'influences mais devant une parodie par Tarantino de lui-même), feu le "style Tarantino" s'est muté en système, en une machine qui jadis, et même très tôt, était assez bien huilée, et que nous retrouvons déjà bien vieille, en train de rouiller sous nos yeux, de s'encrasser et de coincer, sabotée par son mécanicien en personne. Devant Django Unchained on se demande d'un bout à l'autre où est passée la légendaire "efficacité" de Tarantino, le dernier argument du cinéaste, son ultime bastion, cette qualité de réalisation, ce savoir-faire, ce petit sens du cinéma que l'on pouvait encore vaguement reconnaître à des films pourtant aussi médiocres et puants que Death Proof et Inglorious Basterds. Ici l'ennui est total. Rien ne fonctionne. On regarde sa montre.




Avant même de parler d'ultra-violence, de soif de vengeance primaire et abrutie, de simplisme idéologique épuisant et du reste, il faut dire que Django Unchained est un très mauvais film. Mal fait, mal monté, souvent mal filmé. Tarantino a perdu jusqu'à son art du rythme. Rythme de la musique (jamais aussi mal employée et montée que dans ce film), rythme des dialogues (bien mal écrits, au point qu'on aimerait renvoyer l'élève Quentin à sa rédaction de deuxième cycle pour entendre la version corrigée de ce triste premier jet), rythme des scènes et de l'ensemble du film enfin (puisque le montage est souvent un supplice, et fait parfois place à des séquences d'une parfaite inutilité qui rallongent un déjà trop long métrage tout en échouant à donner le sentiment du temps qui passe, comme cette scène où les deux héros se rendent en plein hiver et avec quelques cadavres sur les bras chez un inconnu qui les invite à manger un morceau de gâteau (...) avant que ne déboule un salvateur intertitre plus prompt à signifier le déroulement des mois ou des années). Même les personnages - le film tient pour héros deux chasseurs de prime, professionnel et amateur, qui abattent des gens sur contrat par simple appât du gain - sont nuls, à part à se délecter des deux gueulantes que pousse Leonardo DiCaprio, de l'accent insupportable de Christoph Waltz, qui se fait une habitude de détacher les syllabes avec emphase et de les prononcer avec du jus de salive dans la bouche, ou du charisme de Jamie Foxx, "premier héros pour les noirs" offert par Tarantino à ceux qu'il entend venger, mais qui se résume à une bonne gueule, deux costumes et beaucoup de connerie (il faut le voir, quatre ou cinq fois d'affilé, mettre la main sur son colt dès que quelqu'un s'approche de sa femme, quitte à mettre la vie de sa protégée en danger par pure stupidité de bourrique sanguine énervée). Django parlons-en, le personnage éponyme, le héros du film. Qu'est-il ? Un mari qui veut sauver sa femme. Soit. Un esclave qui veut se venger quand un brave maître d'école allemand lui en inspire l'idée, d'accord. Et à part ça ? Rien du tout. Aucune épaisseur, aucun caractère, rien qu'une belle coupe de cheveux façon casque et des muscles saillants autour desquels tourne la caméra fiévreuse d'un Tarantino vendeur de fripes et de biscottes. Faut-il vraiment s'extasier devant son épopée aussi interminable qu'absolument dépourvue d'ampleur ? Dur. Et par-dessus tout ce vide Tarantino roule des mécaniques, nous épuise par sa frime risible, ses dialogues plombants, et nous harasse, le comble pour ce dialoguiste et conteur hors-pair conscient de son soi-disant génie au point de l'annihiler par abus de confiance, par un scénario aux longueurs morbides.




Car l'ennui vient aussi du fond de l'affaire, ce scénario crétin, creux et débilitant à souhait. Tarantino prouve encore et rappelle à quel point il est bovin dans ses raisonnements. Son propos est comme toujours simpliste pour ne pas dire absolument niais. Sa grande idée, on l'aura compris vu qu'il nous la serine péniblement depuis des lustres, c'est qu'il faut se venger des salops en se faisant salop, qu'on peut et qu'on doit devenir mauvais dans un monde mauvais du moment qu'on est gentil au départ et qu'on s'attaque à des méchants. Les grandes dichotomies sont de mise et, sans aucune mise en perspective historique, de même que tous les esclavagistes sont d'ignobles personnages, les héros sont des anti-racistes notoires, comme projetés en 1858 depuis notre ère, mettant un point d'honneur à rendre la monnaie de leur pièce aux salops de ce monde. Par conséquent la violence est gore et répugnante quand elle est le fait des méchants messieurs, cool et jouissive quand elle est celui des gentils justiciers, reflets de ce bon et courageux Tarantino lui-même qui, après avoir vengé les juifs contre les méchants nazis, venge les noirs contre les méchants blancs du haut d'un esprit d'une profondeur qui laisse pantois. Bravo Quentin, c'est très fin. Au moins autant que les longs dialogues qui plombent le film pour délivrer ton idée géniale, digne d'un enfant de 12 ans. Au moins aussi savoureux que ces autres dialogues voués à ne rien dire du tout (c'est la marque de fabrique de Tarantino, les dialogues "à côté du sujet", on le sait, sauf qu'avant il savait à peu près écrire et que les conversations mémorables qu'il plaçait dans la bouche de personnages truculents se sont mutées en un procédé laborieux), ou que ceux qui sont là pour faire grimper en flèche non pas le suspense mais l'ennui du spectateur, quand les personnages débattent pendant des heures de la bonne façon de sceller un contrat dans le Sud des États-Unis. Le pire n'est pas que l'on sache absolument ce vers quoi le dialogue nous mène (comme on s'attend du reste à chaque événement du scénario et à chaque dénouement violent succédant à chaque dialogue sans qualité, et ce dès la première séquence où le docteur Schultz libère Django), non le pire c'est qu'on s'en foute royalement, parce qu'on se fout totalement des personnages et de l'histoire, comme on se fout des scènes de combat à grand renfort de gerbes de sang, surtout depuis qu'existe un jeu comme Red Dead Redemption, où l'on peut s'amuser à créer le même type de situations et à tirer dans les cadavres jusqu'à plus soif, sauf qu'on tient la manette à la place de Tarantino...




Et quand on a compris la vaste étendue du propos (fouettons les fouetteurs et massacrons les massacreurs, en gros, quoique non, pas en gros, on est déjà dans le détail de l'idée de QT en croyant la résumer), on peut se lamenter devant sa mise en images et en sons. Il y a quelque chose d'assez pathétique à voir quelqu'un qui ne l'est plus depuis longtemps s'acharner à paraître cool. Surtout quand tout ce qu'il met en œuvre pour y parvenir tombe à l'eau, de la bande son, forcément trop fun et anachronique, mal placée et mal plaquée sur les images (et notamment sur celles qui illustrent les voyages à cheval du duo d'acteurs ponctués par d'incessantes et consternantes apparitions de l'épouse de Django) aux ralentis lourdingues sur des plans insignifiants, tournés peut-être trop rapidement et ne recelant aucune force visuelle, des zooms rapides trop attendus sur réactions faciales des personnages aux flash-back et flash-forward inutiles et visuellement hideux, en passant par ces rares instants où Tarantino se rappelle qu'il fut aimé pour la structure complexe et retorse de Pulp Fiction et tente de surprendre la routine déprimante de son récit par un montage violent (je pense au découpage de la scène du Ku Klux Klan), mais de façon si bâclée et maladroite (même si on a compris qu'il voulait interrompre brutalement la scène de l'attaque du feu de camp pour glisser une boutade sur le Ku Klux Klan et en ridiculiser l'image), qu'on a l'impression d'assister à un montage non-définitif et qu'on a envie de pleurer.




Sans oublier ces scènes où notre fat et colérique cinéaste fait le malin, quand Django apparaît dans le nuage de fumée (effet digne d'un Michael Bay, et je pèse mes mots) laissé par l'explosion du gros personnage d'abruti joué par notre bon mégalo de cinéaste en personne, ou à la fin du film, quand ce dernier s'extasie derrière sa caméra sur le sourire allbright et les lunettes de soleil de Jamie Foxx, qui embarque sa poule devant la "grande maison de l'esclavagisme en feu" (laquelle renvoie à la "grande maison du nazisme en feu" de la fin d'Inglourious Basterds, sauf que là le héros ne se défoule pas sur l'équivalent esclavagiste d'Hitler mais sur pire que ça, le noir collabo, ce qui nous fait dire que si Tarantino devait tourner à nouveau son film précédent, Eli Roth viderait son chargeur dans le visage d'un kapo, et par conséquent on se réjouit qu'il n'ait pas à le tourner à nouveau). Ces effets pompiers font évidemment appel à des codes de série B et à certains westerns spaghettis, mais en essayant d'être cool au carré, par l'usage au premier degré de ces effets et par l'ironie qu'implique leur reprise consciente et appliquée, et tournant ces séquences comme un pied, Tarantino sombre dans le ridicule le plus insondable.




L'esthétique Tarantinienne fait donc plus que jamais tomber les yeux et se révèle aussi crasse, bête et vulgaire que les idées du bonhomme. Cette bassesse nous pousse à considérer Tarantino en triste pornographe dès ces gros plans, au début du film, où Christoph Waltz remplit des chopes de bière dans un saloon, plans brefs qui ont pour but de créer du rythme, une tension, mais qui n'y parviennent pas, et dont ne restent que l'image de verres remplis de mousse à rabord avant d'être raclés pour en foutre de partout, et le son juteux - comme la bouche de l'acteur Waltz - de cette bière qui gicle, qui mousse, qui remplit et qui déborde salement. Ces plans peuvent d'abord être perçus comme une sorte de tentative étrange de doter les images d'une matérialité, de les incarner, comme une sorte de porte d'entrée offerte au spectateur pour investir la réalité de la fiction, pour s'installer dans un monde concret bien qu'imaginaire et laisser aller notre créance vers ces lieux palpables. C'est un des soucis de Tarantino, qui a beaucoup interrogé la notion même de fiction, ses conditions d'existence et les possibilités de sa remise en question, qui poursuit théoriquement dans cette voie en réécrivant l'Histoire avec une grand H dans des fables politiques, et qui semble vouloir d'ailleurs projeter cette problématique, sérieuse et ludique à la fois, dans son film, via les scènes où le docteur Schultz et Django se préparent à incarner des personnages et à jouer des rôles pour s'introduire dans les plantations - sujet qu'il laisse malheureusement complètement tomber ensuite, soustrayant un intérêt potentiel à son film et entérinant sa criante pauvreté. Mais ces plans et les bruits de succion qui les accompagnent prennent une autre dimension, moins glorieuse et piètrement pornographique, quand, à la fin du film, les mêmes sons reviennent lors du grand massacre dans la maison de "Monsieur Candie", au moment où les sbires de ce dernier tirent à n'en plus finir et sans raison sur des cadavres pour en faire jaillir plus d'hémoglobine qu'ils n'en peuvent contenir à grand renfort de "schpluitz !" ridicules. C'est gras, c'est lourd, c'est bête, lassant et plutôt laid. Mais ça semble encore marcher. Tant mieux pour Tarantino et pour ceux qui se délectent de son artisanat, même si, avouons-le, cette ferveur déférente et béate autour de lui et de films comme celui-là nous fait véritablement froid dans le dos.


Django Unchained de Quentin Tarantino avec Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio, Jamie Foxx, Quentin Tarantino et Samuel L. Jackson (2013)

The Master

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Sincèrement, nous aurions adoré aimer The Master. Nous avions plutôt apprécié Boogie Nights et Magnoliaà l'époque de leurs sorties, et après l'inconfort et l'ennui ressentis devant l'improbable et trop loufoque pour être honnête Punch-Drunk Love, nous avions repris confiance en son auteur grâce à l'envoûtant There Will Be Blood. Aussi pensions-nous Paul Thomas Anderson tout à fait capable de nous livrer le premier très grand film de l'année. Mais, à la sortie de la séance, force est de constater que nous affichions des mines peu réjouies, pleines de regrets et d'amertume. Nous étions terriblement déçus. Nous venions de passer environ 5 heures à nous ennuyer comme rarement, très étonnés d'apprendre par la suite que le film ne durait en réalité que 144 petites minutes. Le temps nous a en effet paru très, très long devant The Master. Paul Thomas Anderson a pourtant un talent de cinéaste indéniable et il réussit parfois de très belles choses. On peut penser à la séquence du bal où le personnage joué par Joaquin Phoenix hallucine toutes les femmes de l'assemblée complètement nues dans un délire étrange, mais cette scène, sans doute la plus étonnante de l’œuvre, pâtit de la faiblesse de celles qui l'entourent immédiatement et ne peut prendre assise sur aucune autre pour s'élever comme elle le mériterait. "PTA", comme il est d'usage de l'appeler, parvient à furtivement capter notre attention, sans jamais, hélas, que tout cela ne semble lié et que ces fulgurances renforcent ou donnent du souffle à l'ensemble. Systématiquement, ces moments forts ne débouchent sur rien, ou pas grand chose. Nous avons donc fini par décrocher et par nous désintéresser totalement du film.




La première partie, qui doit durer grosso modo une demi heure, et qui se concentre sur le parcours de Freddie Quell (Joaquin Phoenix), avait pourtant su relativement nous intriguer avec ces premiers plans où Paul Thomas Anderson joue des concordances entre la bande sonore et la bande musicale de son film comme il l'avait expérimenté dans son film précédent, puis avec ces scènes où le comportement sexuel de Freddie Quell, soldat de la marine américaine attendant la fin de la seconde guerre mondiale avec sa compagnie sur une île du pacifique, surprend au moins autant que le mystérieux breuvage qu'il semble concocter dans une torpille de son bateau. L'intérêt ne décroît d'ailleurs pas immédiatement puisque le retour au pays du héros est marqué par sa relation sulfureuse avec une mannequin pour prêt-à-porter sortie de nulle part (la scène où elle déambule en disant le prix de son manteau en fourrure à toutes les femmes qu'elle croise rappelle vaguement l'ambiance de certaines scènes de Catch me if you can) et par la reprise d'une carrière de photographe compromise par un comportement brutal et grotesque d'ancien soldat traumatisé. Mais notre implication dans le récit chute dès après le plutôt beau travelling qui accompagne l'entrée de Freddie Quell dans le navire de Lancaster Dodd (un Philip Seymour Hoffman toujours plus rougeaud). A partir de cet instant on sort du film peu à peu pour ne plus jamais y entrer à nouveau, désintéressés à tout jamais de ces personnages inconsistants ou grossiers et des rapports bizarres qu'ils entretiennent, plus anecdotiques que d'une grande portée. Le plus gros problème du film est sans doute qu'il ne raconte pratiquement rien. Nous n'avons même pas évoqué le fait que Lancaster Dodd est censé être l'initiateur de l’Église de Scientologie et qu'il prend Freddie Quell comme associé-patient-cobaye en le soumettant à toutes sortes d'exercices idiots sous la houlette de son épouse autoritaire (Amy Adams), mais vu que le film parle de tout cela sans en parler et qu'il ne nous dit finalement rien d'intéressant à ce sujet, c'est de bonne guerre. Son vrai sujet serait plutôt la relation difficile de deux hommes qui s'attirent et se repoussent, qui s'aiment sans pouvoir faire tomber le mur qui les sépare. Ce père d'adoption et ce fils spirituel finiront par se quitter dans un ultime dialogue de sourds autour d'un bureau, exactement comme à la fin de There Will Be Blood, mais avec l'ampleur d'un vrai scénario en moins et la chanson ridicule de Philip Seymour Hoffman en plus.




Comme Paul Thomas Anderson lui-même, ses acteurs ont un talent fou, mais ils en ont peut-être trop conscience... Ils sont très démonstratifs et donnent presque l'impression de se regarder jouer. A commencer par l'omniprésent Joaquin Phoenix, qui impressionne souvent et parvient à donner une allure très marquante à son personnage, mais qui finit par lasser. En outre, quelque chose nous manque cruellement pour que l'on se sente véritablement concerné par ses errements. Quand, lors d'un flashback, on le voit enfin à peu près heureux, aux côtés de la jolie rousse qu'il a dû quitter pour partir à la guerre, la scène vient trop tard, et on s'en moque un peu. Quand il retourne chez elle et tombe seulement sur sa mère, c'est encore pire, c'est long, et ça n'a eu plus aucun effet sur nous. En réalité, The Master manque terriblement d'enjeux et nous avons logiquement fini par lâcher prise devant ce film si maîtrisé et froid, un peu comme Phoenix lui-même quand il marche du mur à la fenêtre dans la grande maison de son gourou sans comprendre ce qu'on attend de lui, trouvant ça finalement assez couillon et faisant semblant d'y croire le temps nécessaire pour qu'on lui lâche la grappe définitivement.


The Master de Paul Thomas Anderson avec Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman et Amy Adams (2013)

Flight

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Deux grands cinéastes tout public font leur come-back sur nos écrans français en ces mois frappés par le froid intense : Bob Zemeckis et Stevie Spielberg. Deux cinéastes dont les plus grands succès sont forcément derrière eux, mais dont on espère (dans le sens français et espagnol du terme - esperar : attendre) depuis des années un sursaut d'orgueil. Les statistiques démontrent que nous avons tous au moins un film de Zemeckis et Spielberg dans nos dvdthèques. Statistique non démentie en ce qui me concerne, puisque je possède les dvds de Predator et Un Jour sans fin. Spielberg et Zemeckis, les Romario-Bebeto du 7ème Art, ont marqué le cinéma de divertissement des années 80 et 90. Le premier nous revient avec le film définitif sur l'une des plus grandes figures de la courte Histoire américaine, j'ai nommé Malcom X. En course pour les Oscars et salué unanimement par les critiques, le long film de Spielberg et ses deux heures trente minutes de dialogues non-stop aura toutefois bien du mal à s'attirer les réelles faveurs du très grand public, celui qui se lève tôt et n'a pas envie qu'on lui fusille la tronche sur la Toile le soir venu. Quant au second, j'ai nommé Bob Zemeckis, nous avons vu son Flight et nous avons été agréablement surpris, au point que nous avons décidé d'y consacrer un papelard à part entière.


Zemeckis a enfin décollé le nez de son PC pour redécouvrir la joie d'un vrai tournage aux côtés d'une pointure qui n'a pas hésité à s'ouvrir l'arcade sourcilière pour littéralement "être" son personnage !

Après être passé dans différents travers de motion capture nauséabonds, revoilà enfin le gros Zemeckis en présence de vrais acteurs et d'images réelles. Il s'attaque a priori à une histoire assez banale : un pilote d'avion cocaïnomane et alcoolo sous l'emprise de ces deux stupéfiants notoires arrive tout de même à utiliser son bolide hors de contrôle comme un fer à repasser pour un champ de maïs qui n'en demandait pas tant. Il le retourne complètement pour le faire atterrir en catastrophe mais de manière inespérée, sauvant ainsi la vie de la quasi totalité des passagers, équipage compris. Accueilli comme un héros par les médias et le grand public, le retour sur terre sera tout de même douloureux pour notre pilote ahuri quand il se rendra compte que les traditionnels tests toxicologiques réalisés après le crash-test fatidique révèlent qu'il était "high in the sky" avant même de mettre les mains sur le gros manche du cockpit. A partir de ce postulat de départ ma foi assez peu intéressant et digne d'un "60 minutes" de derrière les fagots, Robert Zemeckis, en pleine possession de ses moyens, nous livre ce que nos amis anglophones nomment modestement une "character study" portée par un acteur au top de sa forme, qui trouve en Whip-le-pilote-de-ligne-de-coke-défoncé son plus beau rôle à ce jour.


A big-ballsy man in a readamaged plane ! Bilan : 6 morts et un Oscar.

Un Oscar pour Denzel ! N'ayons pas peur des mots, Denzel Washington est ici en état de grâce, au point de faire une ombre insondable et insolente à ses partenaires, notamment la Kelly Reilly des Poupées Russes et de L'Auberge Espagnole, qui n'est là que pour agiter ses gros lolos, faire le nombre et justifier une "romance" (notez les guillemets) dont on se serait bien passé. Rappelons que Denzel Washington est pourtant le symbole d'un cinéma américain que d'ordinaire je fuis comme la peste, ce cinéma qui s'échine à nous présenter un "ordinary american hero believing in God, Jesus, and Freedom" au volant soit d'un tracteur, d'un tractopelle, d'un métro, d'une grue, d'un train, et condamné à rejouer cent fois le même rôle et à vivre l'héroïsme avec une humilité trop exagérée pour être crédible. C'est aussi lui l'acteur spécialisé dans les incarnations de personnages historiques de couleur noire et, plus largement, dans la représentation de figures réelles typiquement US : Frank Lucas, le fameux mafieux guadeloupéen de Harlem dans American Gangster, Steve Biko, l'activiste anti-apartheid serbo-croate de Cry Freedom, Rubin Carter, le boxeur poids moyen, et bientôt Steve Jobs selon les dernières rumeurs. Autant de célébrités qu'il est forcé d'imiter de manière souvent bien frustrante. Condamné par conséquent à jouer dans des biopics hollywoodiens sans saveur, adorés par les ménagères de moins de 50 ans et par l'establishment (l'AFI et la MPAA, au premier rang des accusés), l'acteur à ainsi multiplier les "rôles à Oscars". Il a même fini par obtenir la récompense tant convoitée via un rôle à contre-emploi ridicule (Training Day, où il joue un pur enfoiré) en profitant de l'ambiance hypocrite post-11 septembre tournée vers les minorités qui régnait alors à Hollywood (Halle Berry et Jim Broadbent furent récompensées la même année). 


"Écoute, poupée, c'est pas le moment de me demander des cours d'acting !" semble dire Denzel. Notez aussi qu'il lui indique subtilement que la circonférence de son avant-bras est sensiblement égale à celle de son "Python de la Fournaise".

Malgré cela, Denzel fait partie de ces types qu'on ne peut pas s'empêcher d'apprécier. A l'image d'un Vincent Lindon, d'un Bruce Willis, d'un Russel Crowe, d'un Samuel L. Jackson, d'un François Cluzet, Denzel attire de façon assez inexpliquée et instinctive la bienveillance, la sympathie, l'hilarité, voire la concupiscence chez les plus ouverts d'entre nous. Quand il rit, on pleure de rire avec lui. Quand il pète, on hume notre écran. Quand il félicite Kamel le Magicien, on a envie d'être le père de Kamel le Magicien pour pouvoir poser notre main sur son épaule et dire "je suis fier de toi mon fils, Kamelemagicien". Quand il acquiesce des yeux, on hurle "OUI !" le cul vissé sur notre canapé. S'il nous demandait de le suivre dans un combat réactionnaire, on partirait à ses côtés, sans cligner des yeux, le couteau entre les dents. S'il était l'auteur d'un homicide volontaire, je me présenterais les bras en croix au commissariat, au Central 13, comme son alibi, et je déclarerais avoir passé la soirée au lit avec lui, avec pour preuve mon sphincter anal éprouvé. D'habitude, je suis comme Zidane : tu peux me dire ce que tu veux tant que ça ne concerne ni ma maman ni ma soeur, mais Denzel saurait me faire changer d'avis même sur ce grand principe qui régit mon existence depuis le collège, à l'instar de mon idole que je considère double détenteur de la Coupe du monde de la FIFA. Bref, Denzel a de l'allure, un vrai charisme, et il est glabre, ce qui ne me laisse jamais indifférent.


Après chaque prise, les journalistes et critiques ciné s'agenouillaient face à Denzel, le micro tendu et la caméra braquée sur lui, dans l'espoir de connaître les secrets de sa performance ! Ici-même, on peut le voir répéter son "speech acceptance" qu'il donnera le 24 février !

Robert Zemeckis est-il un grand directeur d'acteurs ? Sait-il diriger un interprète de la manière la plus adéquate vis-à-vis du contexte et du cadre qu'il a choisi (plan américain, plan d'ensemble, plan rapproché...) ? Il est impossible de répondre lorsque l'acteur se nomme Denzel Washington. La star est auto-dirigeable. Denzel Washington est le Hindeburg d'Hollywood. Malgré tout, Robert Zemeckis a certainement su lâcher la bride quand il le fallait et tirer sur la laisse lorsque c'était nécessaire. Le cinéaste a beau être d'une laideur sans pareille, il sait encore séduire son public et n'a pas perdu la main quand il s'agit d'être un efficace et redoutable conteur d'histoire (à condition d'être le plus loin possible d'une palette graphique). Certes, certaines scènes sont trop faites pour nous tirer les larmes et d'autres s'avèrent assez superflues, comme celles, au début du film, qui nous présentent la triste vie du personnage campé par la fatigante Kelly Reilly. On aurait préféré connaître ce personnage en même temps que le beau Denzel, sans se taper les désormais classiques injections de drogues qui nous dépeignent à coups de rangers un personnage au fond du gouffre dont on sait qu'il ne pourra que remonter la pente. Une telle exposition était inutile pour que l'on comprenne ses bien simples turpitudes, et il ne faut jamais perdre de vue que l'intérêt du film réside en Denzel Washington et dans le personnage qu'il incarne.


Bruce Greenwood, à gauche, a ici des allures de coach de L1 dépité sur son banc de touche, dépassé par des joueurs, Samuel Cheadle et Didier Washington, qui ne pensent qu'à la troisième mi-temps.

Véritable couteau suisse de l'Actor's Studio, l'acteur marche ici sur l'eau avec une aisance qui échappe aux mots, bien que toujours à deux doigts d'en faire trop. Il parvient à tout faire passer, à sauver des scènes a priori vouées à l'échec ! Quid de cette scène consécutive à l'enterrement de l'hôtesse de l'air qui entretenait avec lui des rapports plus qu'amicaux basés sur un échange réguliers de liquide séminal ? Face à une partenaire anonyme qui s'accroche tant bien que mal pour être à la hauteur, Denzel a seulement besoin de petits mouvements jugulaires et sourciliers pour placer le film sur orbite à cet instant précis. Quid de cette scène très risquée où son personnage retourne, désoeuvré, vers son ex-femme et son con de fils, la mort dans l'âme, avec 2 grammes d'alcool par millilitres de sang (de quoi tuer un taureau de la ganadería Miura, descendant d'Islero, celui qui a eu la peau du grand Manolete aka Adrien Brody dans un film que strictement personne n'a vu) ? En allant au bout de son idée d'acting, consistant à prendre son fils dans ses bras malgré son extrême réticence, Denzel arrache cette scène du ridicule et parvient presque à la rendre assez poignante. Bref, l'acteur réussit l'impossible et tient le film à bout de bras, bien mis en valeur par le savoir-faire indéniable et toujours intact de Robert Zemeckis. 


Gros scandale à prévoir du côté de chez wam si, au bout d'une nuit à croiser les doigts et à prendre mon mal en patience face à un streaming pourri, Denzel repart de la cérémonie des Oscars sans sa statuette...

Flight est donc une bonne surprise. Un film qui remet Robert Zemeckis sur les rails et qui offre à un acteur hors norme un rôle enfin à la mesure de son charisme. En nous faisant croquer un best of des Stones, et en plaçant au moindre prétexte les chansons préférées de sa jeunesse, on sent bien que Zemeckis se fait plaisir et il parvient aisément à nous communiquer son enthousiasme sincère. On pardonnera donc ses quelques travers à ce film très hollywoodien mais si plaisant à suivre, comme il est beaucoup trop rare d'en voir depuis des années. Cet article est déjà très long, je vous laisse. Matez Flight, en cette période de vache maigre américaine, il vous apparaîtra comme un film très sympathique et réconfortant. La rédemption pour tonton Zemeckis !


Flight de Robert Zemeckis avec Denzel Washington et des figurants dont Kelly Reilly, Don Cheadle et John Goodman (2013)

Télé gaucho

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Accueillons aujourd'hui une invitée, Flavie, pour nous parler du dernier film en date du réalisateur déjà coupable en 2010 du Nom des gens. Flavie a vécu le phénomène des télés libres de l'intérieur et nous livre son impression à chaud sur la peinture qu'en propose Michel Leclerc :

« Ce film est librement inspiré de l’expérience Télé Bocal entre 1995 et 2000 ». Voilà comment Michel Leclerc justifie son forfait en tête du générique de fin de Télé gaucho. Le film est donc semi-autobiographique, « librement inspiré » de son expérience au sein d'une télé libre. Le titre annonçait déjà la couleur, le film a été à la hauteur de toutes mes appréhensions. Michel ne croit clairement plus, ou bien n'a jamais cru (difficile à dire mais dans le fond, on s'en fout) à la pluralité audiovisuelle.


 
Gauche caviar, droite jambon-beurre !

Passons sur l'absence de mise en scène et venons-en directement au cœur du problème et à la fabuleuse galerie de personnages. Belle collection de clichés, du leader paradoxal anti-charismatique et plutôt malhonnête (Elmonsnino, transparent), à sa compagne féministe hystérique (insupportable Maïwenn), la palme revenant au personnage de Clara, sombre conne incohérente et insupportable, elle aussi « librement inspirée » de l'ex-compagne du réalisateur, interprétée par une Sara Forestier embarrassante, la gène atteignant son apogée lorsque Clara met le feu au dos d'un spectateur en crachant le feu (wut ?). La seule qui tire son épingle du jeu c'est encore Emmanuelle Béart, qui dans le rôle de l'animatrice botoxée qui évolue comme un poisson dans l'eau au sein du monde cynique des médias de masse, mais qui dans le fond cache la plaie encore ouverte d'une obésité adolescente, s'en sort plutôt pas trop mal en jouant la carte de l'improbabilité.


 
Le regard profond et vide. C'est donc comme ça que Michel Leclerc voit sa femme ? A sa place je le prendrais assez mal...

Le poteau rose, court-métrage réalisé en 2000, contenait déjà toutes les bonnes idées du film et avait le mérite de raconter l'histoire personnelle de Michel Leclerc de manière drôle et candide. La version longue n'y aura ajouté que des travers : le portrait conventionnel d'une jeunesse de gauche décérébrée et inoffensive. Vision de vieux con embourbé dans sa philosophie de vie gentille, toute en consensus mou.


Le président des bisous.

J'ai eu l'occasion de vivre un petit bout de l'histoire des télés libres moi aussi, pendant 6 mois, au sein de Zalea TV. Zalea a existé de 2000 à 2007, et je connais mal la filiation avec télé bocal, mais c'était une formidable expérience de liberté et ces six mois on été une des périodes les plus enrichissantes et excitantes de ma vie. C'était certes un laboratoire foutraque, peuplé de personnages entiers, différents et souvent incompatibles, mais réunis par un combat précieux, celui de la liberté d'expression audiovisuelle, dans un amateurisme revendiqué mais éclairé. J'avais 22 ans et une conscience relative de l'ampleur de la chose, (d'autres le savaient mieux que moi fort heureusement), mais je crois que c'était plutôt pas mal, et surtout salutaire dans le paysage audiovisuel de l'époque (même limité au canal 99 de la freebox). Et plutôt éloigné du tableau de la bande de branquignoles gauchistes abrutis que nous a soigneusement peint Leclerc. Il s'agissait de donner la parole à tous ceux qui souhaitaient la prendre, collectifs et associations, évidement souvent des combats de gauche, mais aussi aux quartiers : le quartier, celui de Stalingrad, ex-plaque tournante du crack, qui se reconstruisait progressivement, avant la gentrification, et aux quartiers, ceux des banlieues qui prenaient l'antenne pour des plateaux réguliers. De donner un espace médiatique à tous les refusés de l'antenne, à tous les programmes (plateaux, courts métrages, documentaires, clips, etc.) qui sortaient des cadres ultra formatés de la télévision mainstream, pour lutter contre le modèle débilitant largement imposé. Bref, d'inventer un pluralisme audiovisuel.


Le titre du premier long métrage de Michel Leclerc (de loin son meilleur), J'invente rien, avec Kad Merad et Elsa Zylberstein, sonnait comme la prophétie d'une filmographie oubliable. 

On pourrait débattre du droit individuel de relater sa vision propre d'une expérience collective. Michel Leclerc en a bien le droit. Ça ne fait pas passer mon envie de lui cracher à la gueule. Car voilà, ce film est certainement la première introduction des télés libres dans la fiction cinématographique, qui plus est plutôt destinée à un large public. Et j'ai juste le sentiment que l'image véhiculée fait du tort à l'histoire commune des télés libres, dont tous les acteurs sont de fait un peu responsables. Je ne te dis pas merci Michel de nous faire tous passer pour des gros cons.

NB : Pour plus d'informations sur le pourquoi du comment Zalea s'est crée et dissoute, je vous invite à lire l'article "Zalea TV a décidé de se dissoudre" et "L'appel des fondateurs de Zalea TV à la société civile" sur le site de Zalea. Et à visiter le site des Mutins de Pangée, coopérative audiovisuelle crée plus tard par certains de ses membres fondateurs.


Télé gaucho de Michel Leclerc avec Eric Elmosnino, Sara Forestier, Maïwenn Le Besco et Emmanuelle Béart (2012)

Amitiés sincères

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Commençons par être aussi sincères que le titre du film. Ce film, on l'a pas vu et on le verra jamais. On a juste envie de se faire Gérard Lanvin, lui qui actuellement est une véritable mitraillette qui distribue les doigts d'honneur à tout ce qui bouge. Surfant sur l'affaire Depardieu, l'acteur a récemment fait parler de lui en déclarant entre autres "J'emmerde ces cons de journalistes". Du côté des blogueurs ciné, je pense que je ne m'avance pas trop en affirmant que la réciproque est largement vérifiée. Gérard Lanvin se vante d'être le tout premier à avoir donné aux Restos du Cœur, signant sur le front de Coluche même son chèque en bois. Quant à nous, nous serions les premiers à faire des dons pour qu'il prenne enfin sa retraite. Gérard Lanvin est un pur...

On s'arrête de suite car ça va mal tourner et demain y'a "Momon" qui va sonner chez nous pour nous foutre la rouste. Hors de question de crever pour un blog, même pour un bon mot ou pour épingler un pur...



Amitiés Sincères de Stéphan Archinard et François Prévôt-Leygonie avec Gérard Lanvin (2013)

The Impossible

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Attention, chaud devant ! Tous aux abris ! Grosse merde en vue ! La bande-annonce laissait présager d'un film larmoyant au possible et vraiment insupportable. Ne me demandez donc pas pourquoi je m'y suis risqué. Pure curiosité mal placée de blogueur ciné. En fin de compte, le film est moins affreux que je ne l'imaginais, mais il est tout de même très mauvais et ne présente surtout à mes yeux aucune sorte d'intérêt. Nous sommes fin décembre 2004 et la petite famille d'Ewan McGregor et Naomi Watts a donc la chic idée de s'envoler pour la Thaïlande pour passer des fêtes de Noël bien tranquilles, au soleil, sous les palmiers. Dans l'avion, la jolie Naomi s'inquiète : "Es-tu sûr d'avoir bien mis en marche l'alarme avant de partir, chéri ?" demande-t-elle à Ewan McGregor, rassurant, le brushing impeccable, la mèche bien relevée sur le côté, nickel. L'espagnol Juan Antonio Bayona nous montre d'emblée une maman qui s'inquiète d'un petit souci banal du quotidien, nous qui savons bien que ce quotidien sera bientôt totalement bouleversé par un raz-de-marée sans précédent. A leur arrivée dans leur superbe résidence de vacances, Naomi, intransigeante, refuse une canette de Coca à l'un de ses fils, pourtant pas bien gros, et lui conseille de se contenter d'un verre d'eau, c'est meilleur pour la santé. Là encore, nous aurons facilement compris l'allusion. Quand ils auront tous reçu une gigantesque vague d'eau sur la tronche, on se dit que la sévère Naomi regrettera d'avoir privé son fils de ce petit plaisir sucré. C'est fin, c'est bien senti, c'est signé Bayona, merci.




Tout le début du film est de cette eau-là. Cela suffit sans doute à titiller les cordes sensibles des spectateurs les plus faciles, impatients de sortir les kleenex, désireux de verser leur petite larme hebdomadaire. En ce qui me concerne, j'étais déjà passablement agacé, me demandant très tôt ce qui m'avait poussé devant un spectacle si pauvre, si convenu et prévisible. C'est qu'on la sent drôlement venir cette vague... Bayona ne fait pas dans la dentelle. Son film, d'une lourdeur sans nom, ne flotterait pas, il coulerait à pic. Il baigne dans la plus totale médiocrité. Et je vais arrêter là mes jeux de mots minables. L'idole de Bayona, sa principale influence ici, est sans conteste Steven Spielberg. Il tente, comme le papa d'ET a déjà pu le faire quelques fois, de nous proposer un drame familial poignant, larger than life, ponctué de quelques scènes spectaculaires et d'autres intimistes, mêlant les deux registres dans un alliage qu'il espère réaliser avec la même habileté que son modèle. Mais Bayona n'est pas tonton Spielby, et comment ! The Impossible ne ressemble même pas à un side project qu'aurait mené un Spielberg fatigué et en mode pilote automatique, car occupé à tourner deux autres films plus ambitieux en même temps.




Que dire de la scène tant attendue, celle dite de la grosse vague bleue ? On ne peut pas dire qu'elle soit ratée. On la mate les yeux grands ouverts, saisis, il est vrai, mais non sans trouver assez ridicules les poses  prises par chacun des personnages voyant arriver la flotte déchaînée, déjà visibles dans l'affreux trailer. Ceci dit, quel est réellement le talent du réalisateur espagnol là-dedans ? Tous les films catastrophe, même les plus mauvais (et ils le sont trop souvent !), ont ce pouvoir d'attraction sur le spectateur lors des scènes chocs. On aime tellement quand tout pète et explose dans tous les sens ! Même à la télé, aux infos, on attend que ça, un petit tremblement de terre ou, plus inoffensif et agréable à l’œil, une mignonne éruption volcanique. Notons que les effets spéciaux sont ici très bien faits, le mélange entre images réelles et ajouts de synthèse fonctionne parfaitement, on n'y voit que du feu. Pour le reste, le petit suspense mis en place par Bayona consiste à voir à quel point il va oser s'en prendre à son actrice vedette, par des plans aquatiques où nous voyons son corps fragile agressé par des branchages et autres détritus déchaînés par la vague.




Naomi Watts passe ensuite 80% du film en position allongée, recouverte d’hématomes et de blessures en tous genres, à demander dans quel état est sa jambe la plus amochée les rares fois où elle trouve la force de prononcer quelques mots. C'est donc aujourd'hui ce qui suffit à être en position de favorite pour l'Oscar de la Meilleure Actrice. Hollywood aime décidément les femmes, de préférence séduisantes, qui osent s'amocher méchamment pour les besoins d'un rôle taillé sur mesure. C'est pour cela qu'il n'aurait pas du tout été étonnant de retrouver à nouveau Marion Cotillard parmi les nominées, pour son rôle de cul-de-jatte dans l'atroce De Rouille et d'os. On se réjouit de son absence ! Naomi Watts aura toutefois fort à faire face à Emmanuelle Riva, également en lice pour la prestigieuse récompense en toc, et qui la dépasse largement en terme de souffrances subies par Amour pour le sage tyran Haneke.




Mais revenons à l'Impossible. Quand la famille, déchirée par la vague, se découpe en deux, nous sommes sans doute supposés attendre avec le cœur serré qu'ils se retrouvent enfin. Personnellement, je n'avais qu'une hâte : que la sympathique Watts retrouve ses guibolles et aille piquer une ou deux têtes en monokini ! Non en réalité, je n'étais pas si naïf, j'attendais tout simplement qu'on en finisse, que le papa ours retrouve enfin maman ours, et que leurs trois petites enflures de gosses puissent enfin s'embrasser à nouveau, en chialant en harmonie, avant d'aller jouer au ballon en attendant la rentrée. Ça a bien fini par arriver, mais je dois vous avouer que j'ai eu eu recours à un dispositif particulièrement pratique, de taille réduite, fonctionnant par infrarouge ou ondes radio, permettant d'assister aux pires catastrophes sans perdre son temps, le séant bien enfoncé dans son fauteuil. Faut dire que j'en avais ras-le-cul !




Le film nous annonce fièrement dès le générique d'ouverture qu'il se base sur ce qu'a réellement vécu une famille espagnole ayant miraculeusement survécu au tsunami du 26 décembre 2004 qui a ravagé l'Asie du Sud Est. Dans un souci de rendre l'histoire du film plus universelle et donc encore plus dénuée d'identité propre, la nationalité espagnole des protagonistes a été purement et simplement gommée. Nous savons que le fantomatique Ewan McGregor (qui garde sa chevelure parfaite avant, pendant et après le tsunami !) bosse au Japon, mais qu'il a le mal du pays, et la famille projette de déménager, on ne sait où, et à vrai dire, on s'en fout. C'est une famille sans charme, sans attache, sans identité, sans caractère, incarnée par des acteurs plus lisses que jamais nageant dans un film qui leur ressemble affreusement. On préférait Bayona orphelin.


The Impossible de Juan Antonio Bayona avec Naomi Watts, Ewan McGregor et des gosses sur lesquels je ne mise pas un kopeck (2012)

L'Appât (The Naked Spur)

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/Dossier #11 - Western/

Ce grand classique du western réalisé par Anthony Mann en 1953 a pour titre français L'Appât. Quel est donc cet appât dont les distributeurs français ont pu penser qu'il résumerait mieux le film que son titre original ? Peut-être Lina (Janet Leigh), la compagne du malfrat Ben Vandergroat (Robert Ryan), traqué par le chasseur de primes improvisé Howard Kemp (James Stewart) et ses deux associésde circonstances, rencontrés au début de la traque, le soldat déshonoré Roy (Ralph Meeker) et le vieux chercheur d'or Jesse (Millard Mitchell). Le bandit, une fois capturé par ses assaillants, se sert en effet de la jolie blonde pour détourner l'attention de ses geôliers. Ou bien s'agit-il, à la fin du film, du cadavre de l'un des membres du trio, dont le même truand use pour faire tomber les deux autres dans un traquenard ? Difficile à dire. Une chose est sûre, on retiendra plutôt le titre original : The Naked Spur, littéralement "L'éperon nu". Mann expliquait que ce drôle de titre était en fait tiré du nom du piton rocheux où il tourna la fin du film, dans les rocky mountains, et qui lui inspira l'arme utilisée par Jimmy Stewart lors de l'ultime combat. Le film s'ouvre d'ailleurs sur ce fameux éperon, filmé de façon peu banale : le premier plan représente en plan large et fixe une magnifique prairie verdoyante, dont la tranquillité est confortée par une musique paisible, quand la caméra panote brusquement sur la droite, accompagnée dans son vif mouvement horizontal par un emballement sonore, pour se retrouver braquée en très gros plan sur l'éperon de James Stewart, juché sur son cheval.




Cette ouverture peut rappeler celle de La Chevauchée fantastique de John Ford, où un même plan d'ensemble sur Monument Valley était soudain chahuté par la caméra et par une musique tout à coup guerrière pour pivoter vers un grand indien menaçant, posté sur sa monture au sommet d'un rocher pour observer la progression de la diligence en danger. Sauf que l'indien est ici remplacé par le héros blanc de l'histoire, le gendre idéal des comédies de Capra, l'américain moyen magnifique, le très anachronique et admirable James Stewart dans un rôle ambigu d'anti-héros notoire. Achevant de prendre le contrepied de son aîné, Mann reproduit le même panoramique plus loin dans le film, cette fois-ci pour passer - comme chez Ford - de la communauté des blancs à un éclaireur indien signe d'attaque imminente. Trois ans et six films plus tôt, en 1950, Mann tournait La Porte du Diable, avec Robert Taylor dans le premier rôle, où il se faisait fort d'embrasser avant tout le monde le point de vue des indiens dans un western, juste avant La Flèche brisée de Delmer Daves, avec le même James Stewart, qui demeura pourtant longtemps dans l'histoire comme le premier du genre. Bien que le conflit américano-indien ne soit pas le sujet de The Naked Spur, Mann y ramène les blancs et les natifs à niveau par la reprise à l'identique d'un même mode de représentation : les uns et les autres constituent une menace pour leur prochain. Les blancs, soldats, chercheurs d'or ou propriétaires terriens, toujours en inadéquation avec le décor qu'ils voudraient faire leur (James Stewart n'a rien d'un cowboy et peine à escalader un rocher lors du premier affrontement du film), sont une menace pour le wilderness américain au même titre que les indiens sont une légitime menace pour eux. Mais le cinéaste n'en reste pas là. Quelques scènes plus tard le film montre la petite troupe d'indiens guidée par l'éclaireur déjà aperçu s'approcher pacifiquement de la troupe des blancs avant de se faire décimer par Kemp, Roy et les autres dans la forêt. Mann filme sans détour le massacre inutile d'un peuple méconnu et réduit au silence, massacre relégué au rang d'anecdote de voyage et qui n'aura aucune réelle incidence sur le parcours des américains arpentant le soi-disant "nouveau" territoire pour se l'accaparer.




On a souvent dit que le paysage jouait un rôle de personnage dans les westerns d'Anthony Mann, au point que le cinéaste filme parfois un élément de décor comme un individu parmi les autres, notamment dans le passage sous la grotte, où il fait un panoramique de bas en haut sur la frêle colonne de pierre qui soutient le plafond jusqu'à ce que Robert Ryan la bouscule pour que la roche s'écroule sur la tête de ses adversaires. Mais le paysage mannien ne fait pas office de personnage au même titre que dans un film comme Gerry de Gus Van Sant, où le désert est peut-être le protagoniste le plus important du film, un élément agissant filmé au moins aussi longuement que les êtres qui le parcourent. Dans The Naked Spur, le paysage, omniprésent, puisque le film se déroule entièrement dans la nature, est l'agent bien opportun des actions humaines, il est l'accessoire de leurs querelles, un outil à portée de main. Il faudrait donc également parler du paysage de l'ouest américain sauvage chez Anthony Mann comme d'un gigantesque terrain de jeux, offrant une suite de décors propices à toutes les traques, à toutes les dissimulations et à tous les combats possibles et imaginables. Cela va de la colline d'où l'on fait dégringoler des rochers et qu'il faut escalader pour en déloger l'adversaire à la forêt de troncs d'arbres où l'on se disperse et se protège (même si ce "niveau" du jeu mannien concerne la tuerie des indiens et se voit donc dépourvu de réelle dimension ludique, mais nous y reviendrons), en passant par la grotte à double entrée soutenue par une poutre porteuse placée là pour être bousculée afin d'enterrer l'ennemi, pour finir par la rivière que l'on traverse suspendu entre deux cordes et sans omettre un bref retour à la situation initiale via une nouvelle roche escarpée à escalader à l'aide d'un éperon (John Boorman s'est-il rappelé de ce film en tournant le final de Délivrance ?), cette fois-ci non plus pour capturer l'autre mais pour lui donner la mort.




Si l'affrontement avec les indiens n'est qu'une étape au fil d'un long voyage, il n'apparaît pas au même titre que les autres comme une épreuve à passer pour pouvoir continuer l'aventure, à l'inverse d'une belle scène de combat contre des indiens dans le film précédent du cinéaste,  Bend of the River (Les Affameurs, 1952), où le même James Stewart, dans le rôle de Glyn McLyntock, suivi par Emerson Cole (Arthur Kennedy), compagnon rencontré par hasard (comme dans The Naked Spur, mais aussi dans L'Homme de l'ouest, Anthony Mann a l'art d'ouvrir ses films par la belle naissance d'une communauté hasardeuse), devait dès le début du film venir à bout de cinq indiens menaçants cachés sous un bois de l'autre côté de la rivière où son convoi s'apprêtait à bivouaquer. Dans cette séquence des Affameurs, les indiens étaient invisibles, sans visage, réduits à une quantité que le cowboy déduisait du nombre de leurs chevaux avant d'aller les éliminer un par un dans le hors-champ, les coups de feu signalant à son nouvel acolyte l'avancée de ses progrès. Dans The Naked Spur au contraire la bataille contre les indiens survient au beau milieu du film et marque une coupure dans son évolution. Le combat n'a plus rien de nécessaire ou d'héroïque, il n'a rien non plus d'un jeu de gosses où Stewart, comme dans sa précédente collaboration avec Mann, jouerait littéralement aux cowboys et aux indiens, avec un plaisir extrêmement communicatif, pour l'acteur comme pour le réalisateur, qui se plaît très manifestement à jouer avec les genres, faisant montre d'une joie toute enfantine qui aujourd'hui encore et peut-être plus que jamais parvient jusqu'à nous.




Déclenché par un ancien soldat de l'Union, le massacre des indiens de L'Appât est ample, sanglant, inutile et douloureux, et il marque le film de son empreinte pour le faire basculer dans une atmosphère plus obscure. Après cela, les tensions entre les membres de l'équipée sauvage s'exacerbent, le truand capturé s'empressant de jouer sur les faiblesses de chacun pour se créer l'opportunité d'une fuite, et les tourments du passé ressurgissent, notamment chez le héros trouble campé par James Stewart. Ruiné, le fermier s'est vu dépossédé de son exploitation par sa femme à son retour de la guerre, et s'est donc transformé en chasseur d'homme pour récupérer la prime de 5000 dollars promise pour la capture de Ben Vandergroat dans l'espoir de se refaire. Mann fait un plan extraordinaire quand sa caméra opère un lent panoramique vertical depuis le ciel nocturne du Kansas vers le campement de la bande endormie, déstructurant l'harmonie du plan ainsi construit et brisant le silence apaisant par l'apparition soudaine de James Stewart, réveillé en sursaut et se redressant d'un bond au premier plan en poussant un hurlement terrible, le visage déformé par la douleur d'un souvenir amer.




Le ton joyeusement espiègle qui régnait au début du film est donc abandonné et définitivement perdu quand, dans l'ultime séquence, James Stewart traverse vaille que vaille le torrent de la rivière non pas pour venir au secours de Roy, l'ancien soldat, emporté par un tronc d'arbre dans sa tentative de ramener Vandergroat, mais pour sauver le cadavre du "wanted man" et le tirer de l'eau sous le regard halluciné de Janet Leigh (il y a cette seconde où Kemp s'arrête dans son effort pour la regarder, comme s'il se rendait compte un instant de l'absurdité de ses gestes en se voyant à travers les yeux de la jeune femme). James Stewart, superbe anti-héros chez Mann et qui passait tout le film précédent (Bend of the river) à tenter de se racheter une conduite en agissant au mieux pour le bien du collectif dans l'espoir qu'on lui pardonne ses dérives passées, tarde ici à se repentir, tandis qu'on le voit harnacher un cadavre cher payé sur le dos de son cheval en maugréant, comme pour s'en excuser malgré tout, que c'est l'argent qui l'intéresse, filmé de dos par le cinéaste mais plus expressif que jamais (comme dans la plus grande scène de L'homme de la plaine (1955)), jusqu'à ce que Janet Leigh le rattrape in extremis en lui faisant une offre qu'il ne peut pas refuser dans ce qui pourra passer pour un happy end de fortune mais qui se veut un finale magnifique : comment résister quand une femme vous a vu au plus bas et vous tend quand même la main ?


L'Appât d'Anthony Mann avec James Stewart, Robert Ryan, Janet Leigh, Ralph Meeker et Millard Mitchell (1953)

Le Train sifflera trois fois

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/Dossier #11 - Western/

Tout a déjà été dit sur ce très solide western, métaphore bien sentie du maccarthysme dans laquelle un homme, Gary Cooper, se retrouve seul et abandonné de tous pour affronter un terrible criminel venu régler ses comptes avec celui qui l'a envoyé en prison cinq ans plus tôt. Tout, ou presque... Même les plus grands classiques du cinéma ont leurs faux raccords, leurs erreurs de montage, leurs gaffes de tournage et autres couacs en tous genres bien visibles à l'écran. Généralement, ces goofs sont autant d'anecdotes que les cinéphiles se plaisent à repérer, à raconter et à analyser. Finalement, ils participent pleinement à la légende de ces films. Le fameux western de Fred Zinnemann n'échappe pas à la règle, mais je dois vous avouer que je ne m'attendais tout de même pas à un tel festival de goofs !




On le sait, un film n’est jamais tourné dans l’ordre chronologique de sa narration. La scène d'introduction peut ainsi être mise en boîte le dernier jour d'un tournage, par commodité logistique, pour s'adapter à l'emploi du temps surchargé de la star, ou que sais-je. Pour éviter les erreurs dans la continuité de l'action, et même entre les raccords au sein de chaque scène, on a donc recours à une script-girl docile et, si possible, agréable à l’œil, qui note sur un calepin Rhoda tous les petits détails à respecter : de l'état de délabrement du blue-jean de monsieur jusqu'à la coiffure défraîchie de madame, en passant par les auréoles de sueur sous les aisselles de chaque personnage. Celle qui officiait sur le film de Fred Zinnemann a dû être distraite, à moins qu'il ne s'agisse d'un coup monté par des techniciens bien décidés à saboter un film écrit par un scénariste au passé écarlate de militant communiste... Tandis qu'à l'écran, Gary Cooper était délaissé par tout le monde et se retrouvait seul face à de sérieux ennuis, en coulisse, le réalisateur devait compter dans ses rangs des traîtres sans scrupules, des chasseurs de sorcières prêts à tout pour gâcher un film pas assez américain à leur goût, dont le scénario était donc signé Carol Foreman, placé sur la liste noire peu de temps après. Ces erreurs de tournage sont ici d'autant plus facile à repérer que l'action se déroule en temps réel, en continu. Cela aurait dû nécessiter une vigilance de chaque instant de la part de l'ensemble des techniciens impliqués, comme c'était le cas pour la série 24 : le tournage d'une saison s'étalant pendant des mois, ses producteurs n'hésitaient pas à engager de sacrés moyens pour que la continuité soit toujours respectée, avec par exemple des coiffeurs-visagistes qui avaient pour seule mission de veiller à ce que la barbe de trois jours de Kiefer Sutherland ne bouge pas d'un poil tout au long de sa journée de dingue.




Dans Le Train sifflera trois fois, les goofs les plus dommageables concernent surtout la fameuse étoile de shérif que porte fièrement Gary Cooper tout au long du film : elle n’est jamais épinglée sur sa chemise de la même façon d’un plan à l’autre ! Elle penche vers la gauche, vers la droite, est épinglée plus haut, plus bas, et il y a même un plan où elle est absente ! Rien de très grave, me direz-vous, mais c'est un peu plus gênant quand cette étoile de shérif se retrouve épinglée à la poche arrière de son futal dégueulasse, c'est-à-dire plantée sur le gros cul de Gary Cooper, lors d'un plan hautement symbolique où nous le voyons déambuler, avec sa démarche inimitable, dans la rue principale, désespéré et seul au monde, alors que l'arrivée du train approche. C'est un pur moment de cinéma que l'on a traîné dans le ridicule ! Et comment cet acteur mythique a-t-il pu ne pas s'en rendre compte ? Connu pour son perfectionnisme et son souci du détail exaspérant, le grand Gary Cooper devait être totalement impuissant face à la détermination des capitalistes forcenés qui avaient pour seul but de gâcher ce film. L'Histoire a heureusement démontré leur échec, même si ce film divise encore les cinéphiles. Certains fustigent sa simplicité. D'autres, que je rejoins sans toutefois crier au chef d’œuvre, trouvent son statut tout à fait justifié, mettent en avant sa valeur historique et ses belles qualités, notamment son intensité allant crescendo. Enfin, je terminerai mon modeste billet par cette question que j'adresse à vous tous, cinéphiles de tous poils : comment parvenez-vous à lire les sous-titres des dialogues de Grace Kelly ? J'en suis tout bonnement incapable. Il m'est impossible de quitter des yeux son si gracieux visage quand il apparaît à l'écran.


Le Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann avec Gary Cooper, Grace Kelly, Katy Jurado, Thomas Mitchell, Lloyd Bridges et Lon Chaney Jr. (1952)

Pat Garrett et Billy le kid

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/Dossier #11 - Western/ 

On a beaucoup parlé des westerns de Sam Peckinpah comme de westerns "crépusculaires", marquant la fin d'un genre et la mort d'une époque, partant, Pat Garrett et Billy le Kid serait un western à l'agonie. La séquence d'introduction et le montage génial de Peckinpah ont tout dit. On y voit le vieux shérif Pat Garrett (James Coburn) parcourant la lande sur un chariot en 1909 avec deux hommes qui, aidés par le premier coup de feu d'un troisième larron embusqué, retournent soudain leurs armes contre lui et l'abattent. L'action est hachée car montée en cut avec une autre scène, située quant à elle en 1881, où nous voyons Billy le kid (Kris Kristofferson, qui incarnera plus tard un autre homme d'honneur rattrapé par la civilisation dans La Porte du paradis de Michael Cimino) occupé à tirer sur des poules enterrées jusqu'au cou en compagnie d'une bande de brigands à sa botte, soudain interrompu dans son tir au pigeon par l'arrivée du même Pat Garrett, plus jeune de 28 ans, qui débarque derrière lui et s'empare de son fusil pour dégommer les cibles vivantes à sa place.



Le montage parallèle entre les deux séquences se fait de plus en plus rapide, et le dernier coup tiré par le jeune Pat Garrett atteint en contrechamp non pas une tête de poulet mais lui-même, son double âgé, s'écroulant au sol dans un ultime faux-raccord glissé là par le grand Peckinpah. La scène de 1909 est filmée en sépia, couleur habituellement dévolue aux images du passé. Celle, largement antérieure, de 1881 est filmée en couleurs, de sorte que ce sont les premières images du film qui semblent paradoxalement constituer un retour dans le temps : le présent de Pat Garrett se situe en 1881, où notre homme vit ses dernières heures d'homme intègre et s'apprête à mourir à lui-même, échéance à partir de laquelle tout n'appartiendra qu'à l'irréparable passé de cet instant crucial où il tua son doublon dans un suicide impensable.



Quatre ans après La horde sauvage, le duel opposant Pat Garrett à Billy le kid accomplit et porte à son absurde paroxysme l'antagonisme involontaire qui séparait Pike Bishop (William Holden) et Deke Thornton (Robert Ryan). La loi avait mis le grappin sur Thornton, qui se voyait contraint de traquer son ancien ami mais ratait sa cible. A l'inverse Pat Garrett a choisi de rentrer dans le rang et de prendre en marche le train du progrès mené à la baguette par l'argent-roi, en arborant l'étoile du shérif et en travaillant sous les ordres du grand propriétaire terrien Chisum, quitte à ce que cette amère décision le pousse à commettre l'acte de trahison le plus abject qui soit et le plus contraire à sa volonté : abattre son ancien compagnon. Ce faisant, Garrett se tue lui-même, il descend l'homme qu'il a toujours été et Peckinpah réalise formellement ce suicide quand, à la fin du film, dans un écho au glas sonné par l'ouverture, le personnage tire dans un miroir et brise son propre reflet. Mais cette image, d'une symbolique franche et massive, n'est pas aussi frappante que le cri instinctif et déchiré que pousse James Coburn quelques plans plus loin quand ses médiocres associés se proposent d'emporter le corps du Kid. Garrett vient de se tuer et ne veut pas assister à la profanation de son propre cadavre. Encore moins si elle doit être organisée par de pathétiques justiciers ne répondant qu'à l'appât du gain, et quand bien même sa mort a déjà eu lieu, quoique reportée dans les faits à 28 ans de là.



Entre ces deux séquences situées aux extrémités du film et qui racontent le même événement morbide, Peckinpah dilue quelque peu ses effets. On peut voir néanmoins de très belles choses : une séquence d'évasion toute en retenue et d'autant plus marquante qu'un village entier assiste à la fuite sanglante du Kid sans broncher ; un très beau plan ou le même Billy, battant la campagne à cheval, progresse lentement au crépuscule devant une montagne à contre-jour dont l'ombre le dissimule à nos regards tandis que sa silhouette se reflète dans l'eau claire d'un lac au premier plan et devient la seule image du cowboy dans le cadre, comme s'il ne restait chez Peckinpah qu'une ombre fugitive de la grande légende de l'Ouest ; et puis quelques belles scènes, de la dispute de Garrett avec sa femme, qui lui reproche d'être "mort à l'intérieur" depuis qu'il est devenu shérif, au duel inutile entre le Kid et ce bon vieux Jack Elam, avec son strabisme hallucinant (qui à cause d'une mouche récalcitrante devenait aussi convergent que divergent dans la magistrale introduction d'Il était une fois dans l'ouest), en passant par la séquence du bar où Garrett impose une partie de carte à ses ennemis tandis que Bob Dylan, qui compte parmi eux, est sommé d'enfiler ses lunettes pour lire l'emballage des boîtes de conserve derrière le comptoir.



Car ce film c'est aussi "le western de Dylan", plus de passage qu'autre chose, toujours à distance et silencieux, mais qui, avec sa voix nasillarde impayable et ses mimiques savoureuses fait grand plaisir à voir. Ses chansons servent de bande originale à l’œuvre et peuvent la sublimer comme lui imprimer des décalages à la limite du décrochage. Ce choix musical est à double tranchant dans une scène comme celle où Garrett va arrêter des types susceptibles d'avoir croisé le Kid avec l'aide d'un petit shérif sur le retour et de sa femme armée jusqu'aux dents. Quand cette dernière regarde impuissante son petit vieux mourir lentement, baigné d'une lumière de soleil couchant, dans une série de champs-contrechamps rythmés par Knockin' on heaven's door, on peut se laisser prendre par la combinaison de cette chanson mélancolique au possible et de ce mort incrédule observé de loin, ou trouver l'ensemble un peu forcé. Inutile de préciser que j'opte, et de beaucoup, pour la première option.



De même il n'est pas dit que tout un chacun entre totalement dans le film, qui s'égare volontairement et se perd pour mieux saisir les derniers râles d'un monde prêt à s'évanouir, à l'image de Pat Garrett qui marque de longues pauses dans sa morne quête afin de ne pas arriver trop tôt chez le Kid (assis sur un porche, l'air détruit, il laissera même son ami finir sa nuit dans les bras d'une femme avant d'aller l'assassiner). Le récit se veut dès lors assez déroutant, dans le sens premier du terme : on se voit parfois sortir du film et faire l'effort - doux effort il faut l'avouer - d'y entrer à nouveau. Restera la vision plus désespérée que jamais de l'Ouest américain et le portrait d'un homme ayant vendu son âme au diable pour aussitôt signer son arrêt de mort.



Lorsque Garrett s'apprête à aller tuer le Kid, on le voit s'approcher d'un type en bordure de la ville, joué par Peckinpah lui-même, qui lui dit d'une voix lasse et sur un ton dépité : "Vas-y, fais ce que t'as à faire", et Garrett d'apparaître alors comme un double du cinéaste, dont on sait qu'il estimait s'être vendu aux studios (lesquels ont d'ailleurs massacré le montage du film à sa sortie, montage depuis reconduit pour coller au plus près de la vision du cinéaste) et avoir perdu là son indépendance, s'être corrompu au contact des puissants et avoir abandonné une part de sa liberté. La liberté de Peckinpah et son talent rejaillissent malgré tout dans ce beau film apathique et dépressif sur la fin du western en tant que tel : si, dans la conclusion de la La Horde sauvage, qui vidait les cowboys de leurs derniers élans d'énergie, Robert Ryan et Edmond O'Brien s'invitaient à continuer l'aventure, aussi gangrénée fût-elle, il n'y a aucun espoir pour qu'une quelconque odyssée succède au dernier plan de Pat Garrett et Billy le kid. On y voit Coburn s'éloigner dans la profondeur de champ après qu'un enfant lui a jeté des pierres pour avoir abattu la dernière incarnation vivante de l'indépendance et de la liberté. Cette scène semble venir contredire celle où un très jeune garçon donnait le coup de grâce à William Holden à la fin de La Horde sauvage, comme si Peckinpah, après avoir filmé des vieillards dignes et valeureux, dernières incarnations d'une certaine idée de la grandeur d'âme massacrées des mains d'une jeunesse nourrie à la violence et à la cruauté, voulait désormais accuser la corruption achevée (James Coburn accomplit la mission avortée de Robert Ryan) et criminelle de ces vieux de la vieille (Peckinpah s'incluant dans le lot), leur soumission face aux puissants, ce lâche abandon dont les conséquences rejailliraient bientôt sur une jeune génération impuissante et condamnée d'avance. C'est l'abdication, la concession de l'esprit d'indépendance et le legs d'un monde vicié à des enfants démunis que symbolise le plan final, qui porte en lui sa propre finitude et que l'introduction du film prive quoi qu'il en soit de tout horizon.


Pat Garrett et Billy le kid de Sam Peckinpah avec James Coburn, Kris Kristofferson, Bob Dylan, Jack Elam et Jason Robards (1973)

Red Hill

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/Dossier #11 - Western/

Un jeune officier de police s’installe avec sa femme enceinte dans une bourgade paumée de l’Australie, une jolie petite ville plantée dans un décor magnifique, digne des images d’Épinal du Far West américain. Notre héros espère y trouver le calme et la quiétude propices à l’épanouissement de sa famille, cette tranquillité qui leur permettra bientôt de voir grandir sereinement leur gamin. Mais encore faut-il que le jeune flic survive à sa première journée de travail, qui lui réservera bien des surprises... Stop, je m'arrête là ! Je ne vous en dis pas plus, ça desservirait le film, et dites-vous bien que ce n'est qu'une histoire de playmobils ! Le réalisateur et scénariste australien Patrick Hughes devait avoir, comme nous petits, plusieurs genres de playmobils à sa disposition, tous issus de différents anniversaires ou fêtes de Noël. Des cow-boys  principalement, et tout ce qui va avec : chevaux, bétail, fusils, ranchs, bottes de paille, etc. Mais aussi des éléments plus contemporains : bagnoles, radios, télévision, talkie-walkie, bâtiments modernes, etc. Et même quelques raretés, comme par exemple une panthère noire, seule rescapée d’un cirque itinérant dont les autres pièces ont apparemment été perdues. Ne voulant pas se priver de tous ces jouets et autres gadgets divers et variés, comme nous autres quand nous étions encore des enfants plus ou moins gâtés, Patrick Hughes a jugé bon d'impliquer tous ces éléments dans l’histoire minimaliste de son film, un western moderne dans la plus pure tradition.




Ma comparaison foireuse avec les playmobils n’est pas du tout un reproche déguisé que j’adresse à ce film, bien au contraire. C’est plutôt pour insister sur certaines de ses plus évidentes qualités : la limpidité de son scénario, une appréciable économie de moyen et l’humble épure de son style, autant d'éléments qui lui donnent un cachet très plaisant. C’est une histoire de vengeance basique, ultra prévisible mais très efficace, que nous raconte finalement Patrick Hughes. Et l’on suit tout ça avec beaucoup d’entrain, car le bonhomme s’applique modestement à rendre son film très élégant. En outre, le cinéaste prend son temps pour installer ses personnages et dévoiler les quelques rares petits secrets de son intrigue. Des qualités qui sont aujourd’hui très rafraîchissantes et qui font vraiment plaisir à voir, alors que nous sommes noyés par une masse de films américains allant à toute vitesse et qui nous saoulent bien vite avec leurs scénarios sans queue ni tête se croyant pourtant tout à fait géniaux. Dans Red Hill, l’action a beau se dérouler sur une petite dizaine d’heures, le cinéaste prend son temps, et c’est ô combien appréciable.




Même quand il s’aventure dans une scène très risquée (lorsque le héros, s’éloignant très temporairement des évènements, revient voir sa femme pour lui dire quelques mots doux avant de repartir à l'aventure), Patrick Hughes s’en tire miraculeusement bien et parvient même à mettre en boîte un moment assez poignant. Faut dire qu’à ce stade-là du film, nous sommes déjà acquis à sa cause, et nous attendons seulement de savoir comment tout cela se terminera. C’est plutôt quand le réalisateur nous pond un petit flash-back explicatif qu'il n’excelle pas vraiment, car le procédé est un peu facile et on aurait peut-être même pu s’en passer. Il faut cependant noter qu'il saisit alors l’occasion pour nous gratifier de quelques très belles images dignes des meilleurs westerns. La pilule passe donc sans douleur. Red Hill est également très bien servi par ses acteurs. A commencer par le bellâtre Ryan Kwanten, l'un des acteurs principaux de la série True Blood. Mon paternel, conquis par le film, a deux hypothèses pour expliquer la performance remarquable du jeune australien dans le rôle de ce héros impliqué dans une sale histoire qui ne le concerne pas. La première : ce comédien est extrêmement mauvais et c’est pour cela qu’il a l’air de traverser le film comme un spectateur, ce qui paradoxalement convient tout à fait à son rôle. Seconde hypothèse : l’acteur est au contraire très doué, une future star, et il parvient superbement à rendre compte de l’état d’esprit de son personnage, qui se retrouve dans de beaux draps alors qu’il n’y est pour rien ! Personnellement, j’avoue avoir été moins interloqué par le jeu sans fioritures de Ryan Kwanten ; je ne sais pas si cet acteur deviendra grand, j'en doute même, je sais juste qu’il tient ici très bien sa place, il rend une copie propre, sans bavure. Quant aux autres acteurs, eux aussi dans des rôles difficiles, puisque nous ne sommes jamais bien loin des caricatures, ils s’en tirent également avec les honneurs, bien aidés par les grosses gueules patibulaires qu’ils se trimbalent naturellement.




Au bout du compte, Red Hill est donc un western très plaisant et drôlement efficace. L'histoire a beau être aussi basique que celles que l’on pouvait inventer quand on avait encore l'âge de jouer aux playmobils, on pardonne ses petites incohérences, et le film n’en demeure pas moins maîtrisé de bout en bout et ponctué de quelques passages de toute beauté. Une œuvre réellement enthousiasmante dans le paysage cinématographique actuel. Et, comme si cela ne suffisait pas, Patrick Hughes trouve le moyen de nous quitter sur un dernier plan d’une beauté sauvage tout à fait bienvenue. Une dernière image qui ne fait que nous donner encore plus envie de dire du bien de ce petit film si sympathique !


Red Hill de Patrick Hughes avec Ryan Kwanten, Steve Bisley, Tommy Lewis et Claire Van der Boom (2010)

Le convoi sauvage (Man in the Wilderness)

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/Dossier #11 - Western/

Le titre original (Man in the wilderness) et le titre français (Le convoi sauvage) de ce chef-d’œuvre méconnu de Richard C. Sarafian sorti en 1971, si on les réunit, recomposent l'image globale d'un film fracturé en deux pratiquement dès le départ. Le cinéaste nous embarque au beau milieu d'une expédition de trappeurs pour le moins improbable (mais inspirée d'une histoire vraie) dans le nord-ouest américain des années 1820. Ayant fait le plein de fourrures valant leur pesant d'or, les hommes du capitaine Henry (interprété par le grand cinéaste John Huston) se dirigent vers un fleuve en tirant un bateau monté sur roues à travers les terres à l'aide d'un attelage de 22 mules. Lors d'une halte, Zachary Bass (Richard Harris), membre de l'équipage et favori du capitaine, est attaqué par un ours qui le met en pièces. Le capitaine Henry commande à deux de ses hommes de veiller sur son protégé aux portes de la mort jusqu'à ce qu'il trépasse puis de l'enterrer pendant que lui et le reste du convoi poursuivront leur route. S'il n'est pas mort au petit matin, qu'ils l'achèvent. Mais Zach Bass n'a pas l'air de vouloir y passer et ses deux fossoyeurs attitrés, effrayés par l'approche de quelques indiens, le laissent en l'état. Petit à petit, le mourant recouvre ses forces et se remet sur pattes, au point de se lancer vaille que vaille à la poursuite de ceux qui l'ont abandonné.




Autant dire que si nous sommes bien dans un western avec cette chevauchée sans pareille de chasseurs en manteaux à franges confrontés à une Amérique du nord montagneuse, enneigée et hostile, peuplée de bêtes sauvages et d'indiens, c'est à un western bien particulier et complètement hybride que nous avons affaire. Le film s'ouvre en indiquant qu'il se base sur des faits réels mais prend immédiatement l'aspect d'un conte sidérant. Les premiers plans, où le convoi tumultueux et le bateau roulant qu'il charrie à grand bruit sur une musique géniale de Johnny Harris se distinguent lentement derrière des broussailles dans un paysage séculaire, donnent le ton en nous plaçant immédiatement devant une sorte de chimère mécanique, pure apparition jaillissant de nulle part dans un no man's land propice à l'irruption du fabuleux.




Le Convoi sauvage prend très vite l'aspect d'une légende, avec l'ancrage dans un fond de vérité historique et l'extrapolation mythologique que cela implique. Cette dualité est à l’œuvre durant tout le film (même si rien n'y est binaire ou simpliste, comme nous le confirmera la fin du récit), au point que l'histoire se scinde en deux. D'un côté le film prend la forme d'un survival, où Richard Harris se reconstruit petit à petit pour rattraper ses anciens camarades et se venger, et de l'autre celle d'une épopée homérique. La partie la plus importante de l'histoire, le titre original ne s'y était pas trompé, concerne le personnage de Zachary Bass qui, parallèlement au voyage de l'énorme véhicule monstrueux et composite du capitaine Henry, digne d'une créature féérique, va lui-même se transformer en chimère organique, mi-homme mi-bête. Après s'être fait déchiqueter par un ours, Zach sauve sa peau en pêchant le crabe à la main et en cueillant des baies, il se recouvre de feuilles pour que l'odeur de son sang n'attire pas les prédateurs, dispute la viande d'un bison agonisant - qu'il dévorera crue - à des loups sauvages, et n'hésite pas à chasser le léopard afin d'en utiliser la peau comme vêtement.




Difficile de ne pas penser à Essential Killing en voyant le film aujourd'hui, mais le héros de Sarafian emprunte finalement une trajectoire contraire à celle du personnage de Skolimowski. Le taliban joué par Vincent Gallo, peu à peu condamné à sombrer, est poussé dans ses derniers retranchements et dans ses plus bas instincts bestiaux par des circonstances sans issue, en dépit de la résistance farouche de sa conscience d'homme. Zachary quant à lui retrouve peu à peu forme humaine lorsqu'il réapprend à faire du feu et à se tenir debout, quand il se recouvre de peaux de bêtes et reprend la route. Il reste pourtant double jusqu'à la fin, humain parce que mu dans son épreuve par le souvenir de sa femme et de son fils (la première moitié du film est rythmée par des flashbacks sur la vie de Zach, visions oniriques qui contribuent d'ailleurs à installer la dimension merveilleuse du récit), sa part d'humanité rejaillissant d'un bloc lorsqu'il est bouleversé de voir une femme indienne accoucher seule au milieu de la forêt dans l'une des plus belles séquences du film, mais bestial encore en tant qu'il reste obsédé par sa haine et sa volonté de vengeance.




De l'autre côté du film progresse le convoi pour le moins exceptionnel du capitaine Henry. Et c'est par là que le film s'écarte encore davantage des codes du genre pour aller flirter avec ceux du fantastique, voire du film d'horreur (les aventures de Zach, barbare carnassier survivant dans une lointaine Amérique du XIXème siècle sauvage et enneigée, ne sont pas sans faire écho au Vorace (1999) d'Antonia Bird). Le capitaine Henry est en quelque sorte un Fitzcarraldo américain. Obsédé par l'idée de faire voyager un bateau hors de l'eau, il ne se démène pas pour l'amour de l'art, comme son homologue européen dans le film de Werner Herzog, mais pour l'amour de l'or.




Et au phonographe de Klaus Kinski se substitue le canon de John Huston, placé à la proue du navire sur roues. Avec son long manteau bleu-noir et son haut-de-forme tordu et cabossé, perché par tous les temps sur le pont de son bateau, le solitaire capitaine Henry évoque une figure de conte tragique. Plus encore dans cette scène remarquable - où l'on pense à Carpenter en croyant retrouver l'ambiance et l'univers de The Fog dans le décor de The Thing - où lui et l'un de ses hommes croient voir apparaître le fantôme de Zachary Bass dans la brume, venu se venger de leur affront.




Fantôme, Zachary Bass l'est plutôt deux fois qu'une. Revenu d'entre les morts grâce, qui sait, aux formules chamaniques proférées par quelque indien sur son corps sans forces, il est aussi le fantôme de l'Amérique elle-même. Littéralement sorti de terre, né une seconde fois de l'eau des rivières américaines et de la viande de ses créatures ancestrales, il se confond désormais avec les natifs et n'a plus rien à voir avec les trappeurs qu'il fréquentait dans sa première vie, ces pilleurs et chercheurs d'or sans scrupules défiant les lois de la nature jusqu'à l'absurde avec leur bateau traversant la lande. Quand les hommes du convoi arrivent enfin à destination, le fleuve qu'ils voulaient atteindre est desséché, et le capitaine Henry de dire "On arrive trop tard", comme si les trappeurs avides, chassant les bêtes pour leur fourrure et détruisant les ressources des premiers habitants de ces terres pour l'amour de l'or, avaient déjà pompé les dernières ressources naturelles au point d'avoir asséché jusqu'aux fleuves du pays.




La dimension politique et humaniste de ce film hétéroclite magistral apparaît ainsi en guise de conclusion, quand la dualité de Zachary Bass est résolue et sa trajectoire accomplie, une fois la leçon des indiens apprise, au point que l'ex-trappeur devient quasiment l'un des leurs, Richard Harris arborant à la fin du film des traces de suie noire sous les yeux et des tresses dans les cheveux. De sa seconde naissance à la fin de ce périple, Zachary Bass a progressé vers la sagesse pour redevenir humain, renoncer à sa soif de vengeance et se rappeler sa condition de père.




A travers l'odyssée de Zachary Bass sur des monts brumeux et glacés, le film fait aussi penser à Jeremiah Johnson, même si Sarafian revendiquait un aspect beaucoup moins hollywoodien, qui valut cependant au film de Sydney Pollack, sorti presque en même temps et par le même studio, d'être préféré au moment crucial du financement de la promotion. C'est sans doute en partie pour cela que Le convoi sauvage est un film finalement si peu connu. C'est pourtant une œuvre superbe, que les éditions Wild Side Videos ont eu la belle idée de rééditer en doublon avec The Man Who Loved Cat Dancing (Le Fantôme de Cat Dancing en Français, encore une histoire de spectres donc, et de fantôme indien qui plus est), autre western de Richard C. Sarafian réalisé en 1973 avec Burt Reynolds et Sarah Miles, plus étroitement lié au genre même s'il s'agit d'une magnifique histoire d'amour autant que d'un western. Deux films à découvrir ou à redécouvrir sans tarder, à commencer vous l'aurez compris par Le Convoi Sauvage, véritable merveille de western, qui s'éloigne du genre pour mieux le sublimer et qui, s'il a été injustement mis de côté pendant des années, n'est pas près d'être oublié par ceux qui voudront bien lui redonner une chance.


Le convoi sauvage (Man in the Wilderness) de Richard C. Sarafian avec Richard Harris, John Huston, Henry Wilcoxon, Percy Herbert et Dennis Waterman (1971)

Bandidas

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/Dossier #11 - Western/

Quelle fausse bonne idée que ce film. Nous n'étions pas beaux à voir le jour où on a lancé Bandidas. Nous en étions alors à notre cinquième année de colocation et de célibat et avions profondément envie de bandider devant ce film aux mille promesses. Désœuvrés, nous étions prêts à nous lancer dans notre première séance de stimulation de zones érogènes commune, voisine. Mais rien à faire. On aurait dû flairer l'embuscade quand on a vu le nom de Luc Besson au générique, à côté du label "producteur" (tout le monde sait que tu réalises aussi ces daubes Luc, à quoi bon se planquer quand on est gros comme un camion !). Luc Besson a-t-il déjà fait triquer quelqu'un, à part quelques garçons manqués venus des balkans ? Et pourtant, une fois n'est pas coutume, il n'a pas tapé dans le tas d'os blond platine pour Bandidas, il est allé puiser dans le vivier hispanique à cheveux d'ébène, à bonnets triple-E et à regard de braise avec Pénélopé Cruz sur ma gauche et Salma Hayek sur ma droite.




Le pire c'est que les deux actrices ne sont pas vraiment farouches, surtout Pénélopé Cruz, qu'on a déjà vue nue recto-verso mille fois mais qui s'avère étonnement frileuse sous le cagnard texan. Alchimie forcée entre ces deux actrices d'un autre monde. Rien ne se passe à l'image. On est loin de la tradition des chest-sterns (western with chests) dont Bandidas se veut l'héritier direct, fier de s'afficher en remake de cette saloperie qu'était Les Pétroleuses, avec Brigitte Bardot et surtout Claudia Cardinale, qui se plaçait "là" comme on dit, à un tout autre niveau. On est loin aussi de Belles de l'ouest, ce film qui marqua nos années de CP/CE1 avec son défilé de femmes de tous poils : Madeleine Stowe, femme froide en apparence mais nympho pure et dure en sous-sol, Andie MacDowell, qui faisait encore consensus à cette époque-là, on ne peut pas le nier, et deux connasses blondes dont, pour les plus vulgos d'entre nous, Drew Barrymore, avec son charme ricain au rendez-vous scabreux.




Marée basse à domicile, nos colts perso sont restés en west-berne devant ce film puritain, cette pure opération marketing vouée à piéger des desperate housewives dans notre genre. On sent que Steve Zahn et Sam Shepard, les seconds couteaux du film, se sont laissés berner eux aussi, quand le dernier plan du film nous les montre chevauchant au soleil couchant, bras dessus bras dessous, l'ombre de leurs gaules d'outre-tombe dessinée sur le sable chaud et remplaçant celles des cactus attendus. Finalement ce film n'est rien de plus qu'un de ces dvds-blagues qu'on offre à nos oncles à Noël. "Ah c'est ce Noël-là où tu m'avais offert Bandidas, gros fumier ! Acheté à 2 euros chez Disc King juste pour me faire chier !"




NB. L'affiche de ce film fait partie de celles qui ont été réalisées par des schnocks de première, infoutus de coller le bon nom sur la bonne actrice. Ca pose aussi problème dans Men In Black.


Bandidas de Joachim Roenning et Espen Sandberg avec Penelope Cruz et Salma Hayek (2006)

L'Étrange incident / L'Ouragan de la vengeance

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/Dossier #11 - Western/

Quand on découvre un film et qu'on aime le lieu qu'il nous ménage, le faisant nôtre petit à petit jusqu'à complètement habiter son espace, il est parfois brutal, mais l'amour du film en est souvent accru, qu'une brèche s'ouvre d'un seul coup dans ses murs confortables pour nous propulser vers un autre territoire, un autre film et une autre époque. Notre sphère vient d'entrer en dialogue avec un autre monde, et donc avec nous-mêmes, qui formons le pont entre les deux. Comment voir désormais L'Étrange incident (1943) sans penser à L'Ouragan de la vengeance (1965), et vice versa. J'ai personnellement vu le second, ultérieur, avant le premier, mais c'est en découvrant récemment l'aîné que j'ai aussi découvert le lien qui les reliait.




L'Étrange incident (The Ox-Bow Incident), film de William A. Wellman avec Henry Fonda, Dana Andrews et Anthony Quinn, raconte l'histoire de trois hommes capturés en pleine nuit, dans leur sommeil, autour d'un feu de camp allumé en rase campagne, par un groupe de citoyens persuadés (du moins pour une large majorité d'entre eux) que les trois cowboys ont volé puis tué un éleveur de leurs amis, et bien décidés à rendre justice sans attendre l'arrivéepourtant annoncée du shérif du coin. L'Ouragan de la vengeance (Ride in the whirlwind), film de Monte Hellman avec Jack Nicholson, Cameron Mitchell, Millie Perkins et Harry Dean Stanton, raconte l'histoire de trois hommes qui, après avoir dressé leur campement pour la nuit près d'une cabane occupée par des malfaiteurs en cavale, se réveillent encerclés par une armée de shérifs fermés à toute négociation et ouvrant le feu sur eux sans sommation, convaincus de l'appartenance des trois innocents au groupe de bandits et pressés de les prendre en chasse dans le désert.




Les deux films racontent donc des histoires assez similaires avec l'arbitraire et l'injustice pour sujet central. Mais surtout le film d'Hellman s'ouvre pratiquement là où se finissait celui de Wellman avec ses trois cavaliers qui, sur la route du chalet où ils seront mêlés à une fusillade inattendue, découvrent en guise de mauvais présage un pendu (ou plusieurs ? le cadrage laisse libre d'imaginer un hors-champ...). Sans doute un malfrat puni par des vigilantes, ou un marcheur qui aura servi d’exutoire à quelque mauvaise rencontre. Quoi qu'il en soit le cadavre fait dire à l'un des trois camarades circonspects : "Man gets hung…" ("Les hommes se font pendre..."). Ce pendu, symbole de fatalité, pourrait bien être l'un de ceux que Wellman ne montrait pas à la fin de son film, jouant lui aussi du hors-champ et avec quelle sensible cruauté, mais que nous ne pouvions nous empêcher de voir et avec la gorge au moins aussi nouée que la leur. 




Cette liaison entre les deux films est peut-être sur-interprétée mais la gratuité et surtout l'étrangeté de cette introduction dans L'Ouragan de la vengeance sème le doute (même si la scène - dont Peter Fonda s'est peut-être inspiré pour l'introduction de L'Homme sans frontière, tourné six ans plus tard - est terrible et annonce le destin funeste des protagonistes). Jack Nicholson, qui a produit et écrit le scénario du film de 1971, et Monte Hellman lui-même, cinéphile que l'on imagine a priori sensible au très bref western quasi-théâtral (tout le film tient sur deux décors), minimaliste et tragique de William Wellman, ont probablement vu et eu L'Étrange incident en tête au moment de tourner leur film. Le western d'Hellman s'écarte cependant du film de Wellman dans la mesure où il choisit la cavale au lieu du quasi huis-clos à ciel ouvert original, tendant bien sûr vers le road movie cher aux années 70 et à Monte Hellman en particulier (qui réalise l'année suivante un autre road-western encore plus radical tant dans la forme qu'en termes d'enjeux philosophiques, avec les mêmes Jack Nicholson et Millie perkins, The Shooting, et sublime le genre du pur road movie en 71 avec Macadam à deux voies).




Le film d'Hellman est aussi beaucoup plus pessimiste que celui de Wellman. L'Étrange incident condamne une société expéditive et vengeresse, critique en filigrane la peine de mort, clame le bienfondé du procès et l'absolue nécessité de justice en montrant un groupe d'hommes convaincus de détenir la vérité et pressés de se venger contre trois innocents, lesquels ont beau jeu de se défendre quand leur parole n'est d'aucune portée. Chez Hellman, les trois victimes n'ont pas même l'occasion de dire quoi que ce soit à leurs poursuivants, ils sont condamnés et mitraillés d'emblée (l'un d'entre eux est tué dès le départ), ils courent au devant d'une mort imminente, inévitable et injuste, ne s'arrêtant qu'un instant pour jouer aux échecs chez l'habitant (jeu qui n'aura jamais aussi bien porté son nom), et chevauchant sans espoir dans un ouragan de fatalité (le titre original est bien meilleur que le français). Ils n'ont pas plus droit à un procès que leurs homologues de 43 mais n'ont même pas la vaine possibilité de dialoguer avec leurs bourreaux ou d'écrire une dernière lettre à leur épouse. Pire, l'injustice et une mort inutile s'abattent partout autour d'eux, sur la famille chez qui ils pensaient trouver refuge et dont le bon père (figure de Sisyphe comme il y en a partout chez Hellman, qui passe ses journées à frapper avec une hache sur une souche d'arbre) est abattu bêtement. Il ne reste plus à Jack Nicholson et à Cameron Mitchell qu'à avancer en attendant d'être rattrapés par leurs poursuivants ou par le temps, ce qui donne à Hellman l'idée de cette non-fin géniale où Jack Nicholson se retrouve seul sur son cheval, chevauchant lentement vers nulle part et arbitrairement interrompu par le film lui-même au beau milieu, ou plus vraisemblablement juste avant le terme de son existence.


L'Étrange incident de William A. Wellman avec Henry Fonda, Dana Andrews et Anthony Quinn (1943)
L'Ouragan de la vengeance de Monte Hellman avec Jack Nicholson, Cameron Mitchell, Millie Perkins et Harry Dean Stanton (1965)

The Burrowers

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 /Dossier #11 - Western/

En exterminant les bisons de l'Ouest américain, l'homme blanc a bouleversé cet écosystème fragile que sont les grandes plaines de l'Ouest américain. Il a réveillé les burrowers (littéralement "les enfouisseurs"), des terribles bestioles vivant sous terre, dont le bison constituait l'unique source de nourriture. Ces burrowers, seuls les Indiens savent comment s'en débarrasser. Mais l'homme blanc, en décimant également les Indiens, a fait disparaître avec eux leur savoir ancestral. 1879, quelque part en Arkansas. Une famille a disparu suite à une attaque que l'on attribue immédiatement aux Sioux. Une petite bande de mecs, constituée entre autres d'un homme brisé à la recherche de sa fiancée, d'un commandant de cavalerie pète-sec et d'un cuistot black loquace et sympatoche, s'en va à leur recherche, bien décidée à faire la peau à quelques peaux rouges. Ils ne se doutent pas du tout qu'ils vont se confronter aux impitoyables burrowers, malgré les mises en garde d'un jeune sioux dont ils ne comprennent pas le langage, mais dont les propos nous sont sous-titrés par un traducteur qui, lui, maîtrise le quechua en plus d'en être certainement vêtu de la tête aux pieds.


Un plan qui rappelle volontairement le plan final de Indiana Jones et la Dernière Croisade !

The Burrowers, à ne pas confondre avec The Borrowers (en VF Le Petit monde des Borrowers, un petit film pour enfants avec John Goodman, aka "Jean Bonhomme", sorti en 1997, qui nous raconte la vie de lutins qui s'empruntent des choses entre eux), se présente comme le croisement d'un film de monstres et d'un western. C'est donc un weirdstern. Ce mélange, déjà effectué à plusieurs reprises par le passé, n'a jamais rien donné de notable, et c'est d'ailleurs pour cela que j'aurais bien du mal à vous citer un ou deux exemples. Cette idée de croiser ces deux genres en vaut bien une autre mais, face au film de J. T. Petty, on se demande longtemps à quoi bon situer l'histoire à cette époque et mettre en scène quelques cowboys, indiens et tout le toutim, tant cela n'apporte aucune originalité ni intérêt à l'ensemble. En réalité, si J. T. Petty a fait de son film un western, c'est simplement parce qu'il en a gros sur la patate. The Burrowers est un véritable pamphlet écolo, anti-facho et pro-Navajo. Le réalisateur dénonce à tour de bras, vide son sac à l'aide de sa caméra. Il pointe du doigt l'attitude agressive des populations d'origine européennes face aux Indiens, immédiatement considérés comme les boucs émissaires, torturés, tués, traités comme des bêtes. Il critique sévèrement le racisme des blancs envers les noirs, puisque le noir cuistot est sans cesse rabroué par ses camarades abrutis. Il accuse enfin les pionniers d'avoir provoqué la disparition des sympathiques bisons, au mépris d'un équilibre naturel fragile par définition.


Quand il était petit, J.T. Petty dessinait toute sorte de croquis (exemple flagrant ci-dessus) qui faisaient dire à son père dans son anglais natal qu'il était un "retarded" et un "copycat". 

Le design des monstres est toujours un élément crucial de ce genre de films (pensez à Alien : si le monstre n'avait pas été conçu par un malade génial nommé Hervé Giger, le film serait très probablement resté dans l'anonymat ; rappelez-vous aussi de Predator, de Critters ou, plus récemment, L'Arnacoeur). Devant de tels films, nous attendons comme le Messie ces rares moments où nous apercevrons furtivement les monstres à l'écran, quitte à faire des arrêts sur image pour mieux admirer le travail des créateurs. Les burrowers sont plutôt réussis si l'on prend en compte le maigre budget dont devait bénéficier Petty. Ils ressemblent à des sortes d'acrididées mammifères, faits de chair et de sang, à la peau pelée, mesurant près de deux mètres de long. Leur corps se termine par une tronche très brouillonne à la dentition particulièrement acérée, et nous les devinons à moitié aveugles vu le sale état de leurs mirettes. Ils ont la particularité de ramper sur le sol à l'aide de membres rabougris, donnant ainsi l'impression d'être des hommes aux bras imparfaits, évoluant laborieusement sur les coudes, avec les jambes comme retournées et placées sur le dos (des freaks humains sont d'ailleurs utilisés par Petty pour les plans d'ensemble). Pour faire plus simple : imaginez des taupes sans poil, mêlées à des criquets sans antennes, au caractère ronchon et querelleur. Ce look fait des burrowers des bestioles presque pitoyables, que l'on devine ancestrales, primitives, et condamnées à une vie monacale. Les burrowers s'attaquent à leurs victimes de nuit, exclusivement, les empoisonnent d'un coup de griffe puis les enterrent (d'où leur nom) alors qu'elles sont encore vivantes, pour mieux s'en repaître quand elles commencent à se décomposer, car c'est comme ça qu'ils préfèrent les déguster. Vous savez tout des burrowers.


La véritable histoire du dernier des Mohicans est dans ce film !

J. T. Petty, pourtant pas bien grand, a imité Sam Raimi et ses Evil Dead en faisant de son court métrage son premier long métrage. On aurait donc pu s'attendre à ce qu'il maîtrise de bout en bout son sujet, et qu'il nous livre une œuvre moins brouillonne que celle-ci. S'il avait eu du succès, on peut s'imaginer que Petty aurait remaké son premier long métrage, qui était déjà le remake de son premier court métrage, avec plus de moyens. Son film d'horreur "à charge" échoue à nous faire peur et s'avère très banal malgré son côté hybride a priori un peu original. L'engagement du cinéaste pour la cause amérindienne et afro-américaine est toutefois à saluer, même s'il survient un peu tard et après la bataille (cf. le Lincoln de Spielberg). Signalons également que The Burrowers apparaît comme une nouvelle déclinaison du chef d’œuvre de John Ford, La Prisonnière du désert (Desert's Pandemonium en version originale), dans lequel John Wayne et son éternel sourire de plombier remuait ciel et terre pour mettre la main sur Natalie Wood, qui finalement ne voulait pas rejoindre la civilisation car elle avait trouvé en "Le Balafré" un partenaire sexuel digne de la plus grande prévenance. Une déclinaison dont on aurait pu se passer, n'apportant rien à l'original et avec laquelle John Ford aurait poliment nié toute espèce de lien de parenté. 


The Burrowers de J. T. Petty avec Clancy Brown, David Busse et William Mapother (2008)

Open Range

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 /Dossier #11 - Western/

Scission dans les bureaux de la rédac' d'Il a osé ! D'un côté, une admiration sans borne pour le travail formel réalisé et interprété par Kevin "Counterbass" Costner ; de l'autre, une aversion viscérale envers un film trop long, trop chiant, trop pluvieux. D'un côté, on est allé voir le film au cinoche dans des conditions idéales (l'oeuvre de Costner ne supportant pas la miniaturisation) : écran géant, pop-corn à la sortie, fauteuils moelleux, personnes âgées conscientes d'une mort proche et qui avaient donc décidé "d'en profiter". De l'autre côté, un canapé en bois, une main forcée, une tête rivée devant un écran face aux supplications de son colocataire pour regarder "das masterpiece" sur un écran 4/3 de 35cm de diagonale devant lequel il est bien difficile d'appréhender les grands espaces sublimés par Costner et d'imaginer des bisons galopant sur ce petite tube cathodique. Bref, une partie d'entre nous est peut-être passée à côté du film de Costner tandis qu'une autre a vraisemblablement surestimé les qualités de ce western sans prétention.


 
Quand on s'appelle Kevin Costner, il suffit de mettre un chapeau pour incarner un cowboy avec classe et déférence (cf. image du haut). Même lorsqu'on doit jouer une dramatique scène de constipation suite à une trop grande ingestion de haricots plats (cf. image du bas). Et même lorsqu'on porte un prénom aussi scabreux que "Kévin".

Quid de Diego Luna et de Larry Koubiak et de l'amitié qu'ils ont développé pendant le tournage avec Ménélik (surnommé "MNLK" par Costner), le fox-terrier à poils ras sauvé des eaux par le cinéaste et jouant un rôle central dans le film ? Cette simple anecdote suffirait à nous rendre sympathique l'oeuvre de KFC. Rappelez-vous de ce moment crucial où la bestiole aboie pour prévenir ses maîtres d'un danger imminent, souvenez-vous de cette autre scène où elle donne la patte à Robert Duvall en signe de reconnaissance. Ménélik disparaît hélas trop tôt, victime d'un scénario bien cruel, mais il aurait mérité autant de louanges et la même couverture médiatique que Uggie, le chien de The Artist. Le talent de Kevin Costner est tel qu'il arrive à nous faire verser notre petite larme au moment du trépas tragique de Ménélik.


MNLK ici en présence de ses plus fidèles compagnons, qui ont à peu près autant d'importance et de lignes de dialogue que lui. Vous remarquerez avec quel professionnalisme il se laisse flatter le flanc.

Un petit mot sur Warren Beatty, le mari d'Annette Benning, qui s'est incrusté durant le tournage, donnant des conseils directoriaux à un Kevin Costner à bout de nerfs. "Moi dans Reds, j'avais décidé de faire un plan américain au moment où je rentre en scène". Si vous êtes bien attentif devant Open Range, vous pourrez voir le reflet de Warren Beatty dans toutes les scènes impliquant des fenêtres et des miroirs, mais surtout dans les yeux mouillés d'Annette Benning. La vedette de Shampoo a accepté que sa femme joue dans le film de Costner pour une somme dérisoire à condition qu'il soit présent du matin au soir et réalise les scènes dans lesquelles elle était impliquée. La conséquence malheureuse est une dichotomie évidente de la réalisation, visible même par le spectateur le plus novice en matière de technique cinématographique. Warren Beatty a pour particularité d'user et d'abuser du plan dit américain, ce qui n'est pas très heureux dans les scènes intimes, où les comédiens sont cadrés au ras de leurs parties génitales. Une plus forte concentration de plans moyens est à signaler du côté des scènes tournées par Costner, c'est-à-dire celles sans Annette Benning, soit 78% du film. Sur le commentaire audio disponible dans l'édition Zone 2 du DVD, Kevin Costner avouera son grand regret de n'avoir jamais pu filmer lui-même celle qui soufflait sa 71ème bougie lors du tournage et qui était alors au faîte de sa beauté. Depuis, à part dans The Kids Are All Right, Annette Benning n'a plus refoutu les pieds devant une caméra, sauf la JVC à bande magnétique perso de Warren Beatty, qui la filme même chez elle en plan américain.


Un exemple de scène filmée consciencieusement en plan américain par un Warren Beatty intransigeant.

Il est important de vous faire remarquer que ce film est aussi le tout dernier rôle d'un grand acteur dont on ne se souviendra pas : Michael Jeter, qui campe ici un débile léger gardien d'étable, accro à la picole, un homme avec le coeur sur la main et à la gâchette facile, ce qu'il était aussi dans la vraie vie. Jeter était en liberté conditionnelle durant le tournage et passa la fin de ses jours dans le couloir de la mort, en raison d'une erreur judiciaire. Il a quand même bénéficié d'une gloire posthume grâce aux nombreux cadavres retrouvés dans son jardin, qui ont fait croire aux enquêteurs du FBI qu'ils étaient tombés sur un cimetière indien digne d'un roman de gare du King himself. Dans Open Range, Jeter est bras-dessus bras-dessous avec la Grande Faucheuse et son interprétation habitée d'un rôle pourtant très secondaire fait littéralement froid dans le dos.


Toujours Warren Beatty derrière la caméra, toujours un scrupuleux plan américain.

Robert Duvall est le moteur octogénaire de ce western humide. Le "prédicateur" est ici en pleine possession de ses moyens, au top de sa forme, dans un rôle que Kevin Costner a écrit spécifiquement pour lui, après le refus sec de Chris Rock, mordu par Ménélik. Robert Duvall est arrivé dans le projet la bouche en coeur et les bras en croix, avec la certitude d'avoir carte blanche, ce qui a pour conséquence quelques scènes cocasses que Kevin Costner a dû garder sous la menace. Les improvisations de Robert Duvall dans ce film sont légion. On ne compte pas toutes les fois où il savate son cheval en arrière-plan. Ménélik ne lui a jamais pardonné le coup de talon dans le flanc lors de la fameuse scène du troupeau de bisons affolés. Kevin Costner se souviendra toujours de la balle qui a sifflé au-dessus de son oreille droite et qui lui a valu le surnom d'Evander Holyfield durant le reste du tournage. Mais plus mémorable encore est ce monologue de 5 minutes où Robert Duvall raconte son arrestation pour DUI à un Ménélik médusé (si vous allez sur le site mugshot.com, vous pourrez admirer la tronche de la star lors de son arrestation). Les spectateurs les plus sensibles apprécieront quant à eux ce moment particulièrement émouvant où l'acteur constate que ses pouces sont tellement grossiers qu'ils ne peuvent passer dans la anse de la tasse en porcelaine du service à thé du docteur. Le personnage est alors rappelé à sa condition de cowboy bourru, d'homme rustre dormant le plus souvent au clair de lune, avec pour seuls compagnons son cheval et Ménélik, condamné à boire son eau dans le creux de sa main. Nous n'avions pas vu scène si délicate dans un western depuis L'Homme qui tua Liberty Valance au moment où John Wayne plante sa fourchette dans son steack hâché en adressant un regard oblique au personnage éponyme. 

On a beaucoup reproché à Open Range la façon dont sont filmés les gunfights. Mais revoyez-le ! Revoyez-le à la lumière des évènements récents (Syrie, Mali, tuerie de Woodstock...). 


Open Range de Kevin Costner avec Robert Duvall, Kevin Costner, Annette Benning et Diego Luna (2003)

La Chevauchée des bannis

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Je ne connaissais pas la filmographie du cinéaste américain André de Toth avant de découvrir ce western de 1959, le dernier western (et le dernier film hollywoodien) d'un auteur qui en avait déjà signé huit avant ça. Quasi huis-clos tout en sobriété, tourné en noir et blanc dans un coin paumé et dans une relative confidentialité pour les studios Warner à une époque où sortaient dans un tout autre fracas La Mort aux trousses ou Ben-Hur, le film ne s'est pas spécialement fait remarquer à sa sortie et n'est pas tellement resté dans les mémoires. Heureusement les excellentes éditions Wild Side Video ont eu la brillante idée de sortir cette Chevauchée des bannis (Day of the Outlaw) en dvd dans leur remarquable collection "Classic Confidentials", assorti comme toujours d'un livre passionnant, ici signé Philippe Garnier, qui ne manque pas d'éclaircir les contours de cette œuvre méconnue et de la rendre plus passionnante encore.




La chevauchée des bannis nous introduit immédiatement dans la querelle, au sein d'un petit hameau du Wyoming niché dans un cul-de-sac montagneux couvert de neige, opposant un éleveur, Blaise Starrett (l'immense Robert Ryan), à un groupe de fermiers menés par Hal Crane (Alan Marshal). Le premier vit dans la région depuis toujours, a contribué à l'en nettoyer des bandits qui venaient régulièrement s'y réfugier et entend bien continuer à jouir des vastes étendues sauvages qui s'offrent à lui. Le second est un nouveau venu, et venu en groupe, projetant de s'approprier la terre et d'y planter des kilomètres de barbelés pour délimiter le terrain en propriétés privées. Dès le début du film, Starrett prend la décision de se munir d'un bidon de pétrole pour faire brûler le charriot contenant les caisses de barbelés et annonce aux premiers intéressés, pourtant plus nombreux que lui et son pauvre acolyte alcoolique, qu'il abattra quiconque tentera de l'en empêcher. Mais très vite nous est dévoilée l'autre, la véritable raison à cet affrontement : une femme, Helen Crane (Tina Louise), nouvelle épouse du fermier venu défier Starrett et ex-compagne de ce dernier, que l'éleveur est bien décidé à récupérer.




Le début du film est d'une rare efficacité. Tous les enjeux nous sont dévoilés dans une brève conversation à cheval entre Starrett et son compère tandis que les deux hommes tournent frigorifiés autour du charriot de barbelés garé dans la neige au milieu de la minuscule bourgade qui servira de décor aux trois quarts du film. Dans la deuxième séquence nos deux éleveurs entrent dans le saloon du patelin isolé, aux étagères désespérément vides, et s'y trouvent confrontés aux fermiers. De Toth met alors en place une ingénieuse scénographie en organisant l'espace du saloon dans l'horizontalité d'abord, quand les deux éleveurs se tiennent devant le comptoir et ont dans leur dos la poignée de fermiers qui les observent, dans la verticalité ensuite quand tout se joue autour de l'escalier montant vers les chambres de l'auberge, où Robert Ryan se retrouve seul face à un parterre d'adversaires et clame sur eux la colère qui l'anime, avant d'être rejoint dans sa chambre par Helen Crane, son ex-maîtresse, prête à se donner à lui s'il accepte d'épargner son nouvel époux.




André de Toth réalise alors une scène exceptionnelle. Au lendemain de cette nuit partagée avec son ex-femme passée à l'ennemi, Starrett descend au rez-de-chaussée de l'auberge et c'est comme si rien n'avait bougé, son acolyte n'a pas bronché, si ce n'est qu'il est encore plus saoul, et les fermiers se tiennent au même endroit, dans le fond de la pièce. Starrett propose alors un duel et demande à son collègue, incapable de se rendre plus utile, de faire rouler une bouteille vide le long du comptoir : quand elle tombera au sol, les coups de feu pourront pleuvoir. Le génie de De Toth ne tient pas dans l'idée, peut-être banale, de cette bouteille qui roule sur le zinc comme un tambour pour faire grimper le suspense avant la fusillade, ni dans le splendide travelling latéral opéré depuis la place du barman pour suivre le mouvement de l'objet, travelling si maîtrisé qu'on croirait le cadre littéralement tiré sur le côté par la force d'attraction de la bouteille projetée, mais dans le montage de la scène. De Toth ne reste pas sagement sur la bouteille jusqu'à ce qu'elle atteigne le bord du comptoir pour réaliser un plan parfait, il coupe brièvement pour filmer les duellistes inquiets et impatients avant de revenir à son beau travelling depuis l'arrière du comptoir, et renforce ainsi la tension de la scène en brisant la continuité régulière et idéale du mouvement d'appareil. En nous privant de l'observation continue du trajet de la bouteille, il nous transmet une part de l'anxiété des personnages qui ne craignent qu'une chose : se laisser déconcentrer, détourner l'attention de l'objet et rater le millième de seconde où le verre se cassera.






La volonté de ne pas faire de cette séquence le tour de force visuel attendu pour lui conférer davantage de puissance trouve sa conclusion logique dans une surprise de dernière minute qui vient interrompre l'action. Une seconde avant que la bouteille ne se brise au sol et que les villageois s'entretuent, la porte du saloon, située au bout de la trajectoire du travelling, s'ouvre brutalement pour laisser entrer de nouveaux personnages, une troisième force introduite au sein du hameau, qui écrase de loin les deux autres. C'est le capitaine Jack Bruhn qui débarque, et avec ses hommes, pour investir les lieux sans préavis et mettre un terme au conflit interne entre éleveurs et fermiers en prenant possession du village entier. Comme on l'apprendra ensuite, Bruhn (joué et magnifié par le gigantesque Burl Ives, l'inoubliable Bid Daddy de La Chatte sur un toit brûlant, avec sa tête ronde patibulaire et sa voix rocailleuse) est un officier déchu de l'armée américaine, désormais à la tête d'une bande de crapules aux trognes inquiétantes. Pris en chasse par les fédéraux, il trouve refuge dans cette bourgade du bout du monde et entend bien s'y faire soigner avant de reprendre la route (il a reçu une balle dans le buffet qui est sur le point de le tuer mais qu'il n'évoquera pourtant qu'après une longue et digne conversation dans le saloon). Ses hommes sont des brutes violentes et alcooliques qui n'ont qu'une idée en tête, piller le village et violer les femmes. Bruhn les retient cependant, usant de son autorité naturelle auprès d'eux pour éviter toute perte de temps sur son parcours. A partir de là, le conflit idéologique qui opposait Starrett à Crane s'efface totalement pour laisser place à une confrontation morale entre le même Starrett et le capitaine Bruhn.




Cette lutte entre les deux hommes donnera lieu à un combat aux poings assez mémorable entre Starrett et quelques uns des sbires de Bruhn, échauffourée qui donne encore une fois à De Toth l'occasion de briller par sa mise en scène, quand les coups échangés déchargent leur énergie via de grandes explosions de poudre de neige, ou quand il décide de tourner la fin du combat, à partir du moment où Bruhn envoie deux de ses hommes mettre un Starrett jusqu'alors victorieux au tapis, en plan d'ensemble très large, pour restituer l'inanité de cet affrontement au corps à corps entre une poignée d'hommes perdus dans un gigantesque brouillard de neige. Mais le conflit est principalement psychologique, comme le signifie De Toth dans cette scène inoubliable où le capitaine Bruhn se fait opérer par le vétérinaire du village tandis que Starrett l'interroge sur son passé. Dans un long plan éprouvant, où l'on voit les pinces du vétérinaire s'affairer dans le flou du premier plan tandis que l'incroyable visage d'un Bruhn épuisé et livide apparaît au second plan, ce dernier se livre et raconte un massacre de civils dont il fut le grand ordonnateur imbibé d'alcool durant la guerre de sécession. Les instruments du médecin improvisé semblent fouiller le crâne de cet homme si imposant et si puissant plutôt que son corps de géant fatigué.




De Toth s'intéresse avant tout aux hommes et aux turpitudes qui les rongent. Il place ici ses personnages dans des situations extrêmes, impossibles, révélant leur nature profonde. Le film est d'une âpreté sans concession. Le décor dans lequel De Toth fait évoluer ses personnages en est symptomatique : rarement poétiques (une seule image l'est directement, quand Helen Crane passe devant une montagne blanche qui semble détachée du sol), les paysages imposent leur brutale démesure aux hommes et l'épais manteau de neige immaculée qui recouvre tout leur donne un aspect si impraticable qu'ils semblent interdits à l'espèce humaine. Dans l'une des dernières séquences du film, c'est à se demander comment les chevaux utilisés pour le tournage, que l'on voit évoluer dans un brouillard glacial avec de la neige jusqu'au ventre, faisant un effort immense à chaque enjambée et soufflant par les naseaux une fumée blanche opaque, n'y ont pas laissé leur peau. 





Et si la nature est hostile, les hommes ne le sont pas moins, pour preuve la séquence troublante du bal, que le capitaine Bruhn finit par organiser pour ses hommes lorsqu'ils sont à deux doigts de se retourner contre lui. Il ne s'agit que de danse, si on peut appeler ça danser, et c'est pourtant presque aussi violent que la scène de striptease forcé de Julie London face à la troupe de malfrats menés par Lee J. Cobb sous le regard impuissant de Gary Cooper dans L'Homme de l'ouest d'Anthony Mann (scène brillante qui a inspiré un texte non moins brillant à Jean-Luc Godard). La tension est au maximum quand Venetia Stevenson est entre les mains du vieil indien effrayant de la troupe, qui lui attrape les épaules en lui disant "Je veux te regarder" d'un air terrible, ou quand Tina Louise et sa poitrine légendaire sont littéralement soulevées du sol (l'actrice n'était pas prévenue et ça se voit à son air littéralement terrifié), dans un panoramique latéral à 360°, par un bandit qui l'envoie valser de tous côtés plus qu'il ne valse avec elle.




Mais quelques hommes restent dignes et sauvent l'honneur. Ce sont Starrett, Gene, la plus jeune recrue de Bruhn (interprétée par David Nelson, le petit frère du Ricky Nelson de Rio Bravo), et Bruhn lui-même, qui tente de maintenir un semblant d'ordre parmi ses truands et qui finit par accepter de les éloigner du village afin de mourir proprement. Des personnages complexes, passionnants et surtout très beaux. Au-delà du plaisir non-négligeable à filmer des trognes de gredins uniques en leur genre, celles de Frank DeKova (l'indien déjà évoqué, au visage tétanisant), Paul Wexler (avec son étrange gueule allongée) ou l'effrayant Jack Lambert (aperçu dans Les Affameurs de Mann, ou dans des films noirs comme Kiss me Deadly d'Aldrich et Party Girlde Ray), on sent tout au long du film que ce sont les êtres humains qui inspirent De Toth et qui l'intéressent, quand il filme les perles de sueur sur les fronts de chaque homme lors de la scène d'opération, ou quand il tourne certains plans qui mettent les caractères à nu, y compris ceux de personnages secondaires, comme l'associé de Starrett ou Hal Crane. En entretien, André de Toth, son bandeau noir fordien sur l’œil, parlant de ce western si atypique et si éloigné des codes du genre, déclarait que seuls les gens comptaient pour lui, les vrais gens, pas leurs costumes. Certains cinéastes (je pense à Nicolas Winding Refn ou à Quentin Tarantino, avec son héros de pacotille, coquille vide en costume de cirque) devraient en prendre de la graine et s'inspirer de l'auteur de Day of the Outlaw, metteur en scène admirable sur ce film (qui donne envie de découvrir ses autres réalisations), tirant profit d'un minimalisme exemplaire, puisant sa force dans l'épure et le portrait "à coeur" de ses personnages, refusant enfin le tour de force artistique ostentatoire pour aller quêter une toute autre puissance cinématographique dans l'usage réfléchi et la maîtrise absolue de ses moyens.


La Chevauchée des bannis d'André de Toth avec Robert Ryan, Burl Ives, Tina Louise, Alan Marshal, Venetia Stevenson, David Nelson, Jack Lambert et Frank DeKova (1959) 

L'Homme sans frontière

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 /Dossier #11 - Western/

Suite au succès aussi important qu'inattendu d'Easy Rider, le studio Universal permit aux deux acteurs vedettes de réaliser un film chacun, en leur promettant l'entier contrôle artistique. C'est ainsi que fut lancée la production chaotique de The Last Movie avec un Dennis Hopper totalement fou et imprévisible aux manettes. De son côté, le plus posé Peter Fonda jeta son dévolu sur un scénario signé Alan Sharp, The Hired Hand (devenu en VF L'Homme sans frontière), un western minimaliste dans lequel un cowboy taciturne, lassé de sa vie d'errance, retourne chez sa femme, qu'il a quittée depuis près de 10 ans, accompagné par son ami et fidèle compagnon de route. Ce dernier est incarné par Warren Oates et, bien qu'il s'agissait de la première des trois collaborations entre les deux hommes, une vraie alchimie se dégage déjà de ce duo d'acteurs. Il y a une sorte de confiance mêlée de respect dans leurs regards plein de pudeurs, qui fait que l'on a aucun mal à croire au long passé que partagent les deux personnages. Peter Fonda offre quant à lui une incarnation très mémorable du cowboy solitaire, avec son corps malingre et sa barbe mal entretenue, sa présence fragile et abîmée impressionne discrètement.




Pour son premier film en tant que réalisateur, Peter Fonda a su s'entourer, puisque l'on retrouve également à ses côtés le grand Vilmos Zsigmond, l'un des chefs opérateurs emblématiques du Nouvel Hollywood, dont le talent éclate déjà à l'écran. Bruce Langhorne, guitariste surdoué qui a travaillé sur les meilleurs albums de Bob Dylan, compose quant à lui une musique magnifique où se mêlent les instruments à cordes pour le plus bel effet. Sa musique inspirée participe pleinement à l'ambiance particulièrement envoutante du film, dès ses premières secondes. On croise également dans l’œuvre de Fonda un personnage de femme étonnamment moderne, parfaitement incarné par Verna Bloom qui jouera dans L'Homme des hautes plaines de Clint Eastwood deux ans plus tard.




Le montage étonnant du film atteste que l'on devait fumer pas mal de joints en salle de montage, mais ils étaient fumés par le bon bout, ça je vous le dis ! La fascinante séquence d'ouverture vous émerveillera forcément. Nous assistons à une scène a priori très banale du quotidien des cowboys, nous les voyons se baigner dans la rivière et pêcher quelques poissons pour le repas. Mais cette ouverture est sublimée par un montage étrange et complexe, fait de fondus et de ralentis étonnants, et par des plans de toute beauté, baignés de jeux de lumière magnifiques. Les premières minutes du film créent ainsi immédiatement une ambiance singulière et comme hors du temps. Les rares paroles échangées entre les hommes plantent parfaitement le décor et les enjeux. Un drôle de sentiment nous envahit aussi lorsque survient cette apparition macabre qui conclut la scène, comme un mauvais présage pour la suite des aventures des trois hommes, qui ne seront bientôt plus que deux.




L'Homme sans frontière apparaît finalement comme une très belle et émouvante histoire d'amitié, qui est le cœur même du film et met bien du temps à abandonner nos cœurs après sa découverte. Très rapidement retiré de l'affiche à sa sortie, c'est seulement en 2001, grâce notamment à l'intervention de Martin Scorsese, qu'une version restaurée de ce western élégiaque put sortir en salles puis en DVD. Le film de Peter Fonda put enfin être reconnu à sa juste valeur. D'une beauté de chaque instant, L'Homme sans frontière est une merveille de western que d'aucuns pourraient qualifier de révisionniste ou de psychédélique, mais dont la puissance et la splendeur poétique intemporelle font que l'on se fiche assez des diverses étiquettes qu'on pourrait lui accoler. Un film terriblement envoûtant, une méditation sur l'amitié d'une délicatesse rare et touchée par la grâce, que je vous recommande chaudement.


L'Homme sans frontière de Peter Fonda avec Peter Fonda, Warren Oates et Verna Bloom (1971)

Quatre étranges cavaliers

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/Dossier #11 - Western/

Ce western d'Allan Dwan n'est pas sans charme. Réalisé en 1954, deux ans après Le Train sifflera trois fois de Fred Zinneman, Quatre étranges cavaliers (Silver Lode en anglais, du nom de la bourgade où se déroule l'histoire) en est un quasi copié-collé. Le film commence en effet quandun homme bien sous tous rapports, Dan Ballard, est sur le point de se marier avec sa blonde, interrompu au dernier moment par l'arrivée en ville des quatre cavaliers du titre, venus se venger. Sauf que le marié n'est pas un shérif rattrapé par son passé sous la forme de quatre malfrats qu'il aurait jadis coffrés, c'est un ancien joueur de poker traqué par un soi-disant shérif pour le meurtre de son frère. Et comme chez Zinneman, notre héros va tout faire pour gagner du temps afin de trouver des alliés parmi les villageois dans l'espoir d'obtenir gain de cause, du moins jusqu'à ce que l'ensemble du patelin retourne sa veste, le laissant se défendre seul, y compris contre eux. L'influence du Train sifflera trois fois n'est pas qu'artistique puisqu'on est en plein cœur d'une nouvelle dénonciation en règle du MacCarthysme et des trahisons en grappes impactées par la fameuse chasse aux sorcières. Le cinéaste n'y va pas par quatre chemins dans la symbolique pour pointer du doigt les exactions en cours dans son cher pays et pour en revendiquer les vraies valeurs : toute l'histoire a lieu sur un seul jour, le 4 juillet (d'où une profusion de fanions bleu blanc rouge dans le décor un poil agressive à l’œil nu), et le final se déroule au sommet du cloché d'une église, dont l'énorme cloche, symbole de liberté, jouera un rôle décisif dans la résolution du récit. Dwan ne cache donc pas ses desseins, au point que son grand méchant s'appelle très littéralement, je vous le donne en mille, Ned McCarthy.




Sinon un pur remake, car les enjeux narratifs dissemblent tout de même, c'est une vraie reprise du film de Zinneman que nous avons là, mais une reprise en mode mineur, réalisée sans le sou, comme une quasi série B, sans la moindre star à l'affiche si ce n'est, dans le rôle du salop de l'affaire (le bien-nommé McCarthy), l'excellent Dan Duryea, qui à défaut d'avoir été une véritable star fut le second couteau de pas mal de grands classiques et l'éternel méchant de quelques westerns (Winchester 73 d'Anthony Mann) et autres films noirs (dont le superbe diptyque de Lang : La Femme au portrait et La Rue rouge). L'acteur principal en revanche n'a pas tant marqué les esprits puisqu'il s'agit de John Payne. Virez-moi un P, donnez-moi un W et le type devenait la plus grande figure du western hollywoodien (à noter que devenir une star mondiale était le cadet des soucis du comédien, qui rêvait juste que ses collègues sur le plateau cessent de l'appeler "John Payne in the ass"). Payne, qui était à un phonème de s'appeler comme le Duke himself, était aussi un mauvais sosie de James Stewart. Et quitte à être comparé à toutes les icônes du western, il passa l'intégralité du tournage de Silver Lodeà tenter d'imiter le jeu tout en sobriété, raideur et balais dans le cul du génial Gary Cooper. La performance est plutôt ratée mais tombe à pic dans ce qui se veut une réincarnation de Will Kane, le personnage interprété par Coop' dans le matriciel High Noon.




Quatre étranges cavaliers pâtit un brin du manque de charisme de son acteur principal, et plus généralement de son aspect cheap, avec décors en carton de seconde zone, couleurs criardes et costumes de carnaval loués chez Tati, mais il surprend dans sa dernière demi heure. Le scénario, assez convenu, à base de quiproquos vaudevillesques, laisse alors place à une violence inattendue quand Ballard est contraint d'abattre certains de ses plus fidèles amis pour sauver sa peau, Dwan ne reculant pas devant une cruauté sans détour qui dépasse d'assez loin celle du film de Zinneman. Ensuite parce que l'académisme initial de la mise en scène le cède à deux soubresauts d'élégance, brefs mais frappants. Le premier (je commence en fait par le second, qui survient presque à la fin du film), consiste en une longue scène de course poursuite et de fusillade où notre héros, avec une balle dans le bras (John Payne ne savait d'ailleurs par jouer la balle dans le bras, et encore moins la course à pied avec une balle dans le bras) traverse pratiquement tout le village en parcourant une artère perpendiculaire à plusieurs petites rues d'où surgissent ses assaillants. Ballard est filmé tout le long de sa trajectoire en travelling latéral de suivi, d'abord très rapide quand il court et ne s'arrête derrière quelques barricades de circonstances que le temps d'échapper à la vue de ses ennemis, puis très lent quand il fait face à McCarthy en se planquant derrière un civil qui n'a rien demandé, le tout dans une scène d'action rondement menée et très efficacement coordonnée qui révèle une gestion de l'espace assez remarquable et fait oublier la ridicule pauvreté des décors annoncée par l'ouverture du film.




Le second soubresaut en question, antérieur dans le cours du film, tient au contraire dans un plan fixe plutôt court et se produit quand Dolly(Dolores Moran), la pute du coin affublée d'une robe impossible à brillants, plumes et froufrous fluos du dernier goût, et l'ex-compagne de Ballard abandonnée pour une blonde bourgeoise, aide son héros, qu'elle aime toujours, en s'arrangeant pour vider le bar où elle travaille afin que ce dernier puisse s'enfuir par l'arrière. Après avoir échangé quelques derniers mots pleins de nostalgie et d'affection, Ballard s'éclipse et Dolly sort par l'entrée du saloon, s'enfonçant dans la profondeur de champ et dans un vague flou de l'image non dépourvu de beauté, voire prompt à en insuffler à un personnage très secondaire et à une tenue qui dans la scène précédente prêtait encore à rire. La désormais magnifique Dolly sort de scène, d'un pas d'abord lent, auquel sa main trainante sur le comptoir confère un surplus de tristesse, avant d'accélérer un grand coup pour tourner le dos à son passé et se remettre en action.




Deux séquences pour le moins différentes donc, dans les moyens et dans la visée. Une longue scène d'action pure et de bravoure technique d'un côté, et une autre, très brève et poétique, de l'autre, qui parent avec brio à la première contrainte du cinéaste, et pas des moindres, un manque de moyens criant qui jusqu'alors se répercutait immédiatement sur la matière première de son film (acteurs, décors et costumes). Ces deux moments et quelques autres éléments contribuent à élever ce western au-dessus de ses petits moyens et de ses petits défauts. Si le film de Dwan emprunte assez peu discrètement son matériau à celui de Zinneman, le cinéaste a certainement su en influencer d'autres à son tour puisque le plan d'ouverture, sur un groupe d'enfants en train de jouer que dépasse la bande des quatre cavaliers venus semer la zizanie dans le village, fait assez directement penser à la légendaire séquence d'introduction de La Horde sauvage de Sam Peckinpah, rien que ça.


Quatre étranges cavaliers d'Allan Dwan avec John Payne, Dan Duryea, Lizabeth Scott, Dolores Moran et Harry Carey Jr. (1954)

McCabe & Mrs Miller

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/Dossier #11 - Western/

McCabe & Mrs Miller, magnifique western très bien placé au sommet de la filmographie de Robert Altman (s'il ne s'agit pas tout simplement de son chef-d’œuvre), a sa place parmi la plus étroite liste de mes films préférés. Réalisé en 1971, en plein essor du Nouvel Hollywood, le film réunit à l'écran un couple à la ville : Warren Beatty et Julie Christie (qui partageront à nouveau l'affiche, notamment dans Shampoo de Hal Hashby, en 1975). Warren Beatty incarne un anti-héros total, John McCabe, ex-tueur à gages reconverti en joueur de poker et proxénète à la petite semaine, venu s'installer en 1902 dans une bourgade minière du Nord des États-Unis pour y faire tourner bon an mal an un petit bordel qui tient plus du bouge terreux que de l'hôtel de passe. Quand le petit succès de son commerce s'ébruite, notre homme est vite rejoint par une maquerelle entreprenante, l'éternelle putain au cœur d'or des grands westerns, Mrs Miller, interprétée par la sublime Julie Christie, qui impose plus qu'elle ne propose au très influençable McCabe une association en bonne et due forme : il s'occupera de faire les comptes, si seulement il sait compter, elle prendra en charge les filles, leur toilette et la gestion des clients. McCabe accepte les avances de cette femme autoritaire et intelligente, séduit par l'appât du gain et par Mrs Miller elle-même.




Petit à petit, l'entreprise prend de l'ampleur et attire la convoitise de quelques propriétaires terriens et autres puissants nantis qui prennent contact avec McCabe pour lui racheter l'affaire. Mais ce dernier, en paradoxal pleutre obstiné, refuse et doit combattre trois tueurs envoyés sur ses traces. Le film d'Altman fait le tableau d'une Amérique bâtie sur la quête sans scrupule du profit et sur le règne absolu de la violence. La persécution des petits propriétaires par les riches possédants est un thème cher au western, mais le happy end de The Far Country (Anthony Mann, 1954) n'est plus de mise à l'aube d'une décennie, les années 70, où le révisionnisme est de circonstance, comme achèvera de le claironner l'immense Porte du paradis de Michael Cimino.




Le film, comme la plupart des grandes œuvres du Nouvel Hollywood, est d'un pessimisme total. C'est le récit, fataliste et désenchanté, d'un homme condamné d'avance face aux puissances de l'argent-roi et du commerce, voué à une mort certaine dans l'oubli d'une petite ville isolée dans les montagnes et recouverte de neige mais déjà semée d'enseignes publicitaires et marchandes, et dont le bar à putes, avec ses tables de jeu, a peu à peu vidé la jadis sacro-sainte église, dont le curé traverse le film tel une figure mortifère avant de prendre les armes lui-même. La mort est inévitable et plane sur l'ensemble du film, gratuite, aussi inévitable qu'inutile : impossible d'oublier cette scène où un gamin se fait abattre par un autre - mort absurde et choquante - et sombre dans l'eau glacée d'une rivière sous le regard hébété de ses amis.




Mais dans ce contexte morbide pointe une histoire d'amour sublime, non-exaucée, avortée même, mais sublime, entre McCabe et Mrs Miller. Notre héros minable (pourtant superbe, Warren Beatty était bel homme, c'est entendu, mais dans ce film il atteint ses sommets) tombe immédiatement amoureux de sa partenaire et quasi-patronne, qu'il ne supporte pas de voir monter avec des clients, qui lui ferme la porte au nez pour s'abandonner aux vapeurs de l'opium et qui, parce qu'elle le domine de la tête et des épaules en matière d'intelligence, lui interdit toute tentative d'approche et d'épanchement. Les plus belles séquences du film sont celles où Altman filme Warren Beatty, seul dans sa chambre, faisant les cent pas en maugréant dans sa belle barbe noire contre cette femme qu'il aime et qu'il n'aura jamais, pire, qu'il partage avec d'autres hommes et qu'il doit payer quand elle lui fait la grâce de l'accueillir dans son lit. La simplicité avec laquelle le cinéaste filme ces séquences les rend absolument bouleversantes. Idem quand il montre les amants officieux ensemble, McCabe se plaignant sans arrêt de leur condition dans un langage moins vernaculaire que de coutume tandis que Mrs Miller - et Julie Christie n'a jamais été aussi charmante qu'ici - le regarde depuis son lit, droguée, souriante, radieuse. Et l'alchimie particulière qui se crée entre cette histoire d'amour impossible, l'attente d'une mort imminente, l'ambiance froide et chaleureuse à la fois de ce village montagnard enneigé, les belles chansons mélancoliques du grand Léonard Cohen et la lumière rousse et pâle si caractéristique de Vilmos Zsigmond, définitivement rattachée au meilleur cinéma américain des années 70, font de ce film une merveille.


McCabe & Mrs Miller de Robert Altman avec Warren Beatty, Julie Christie, René Auberjonois et Shelley Duvall (1971)
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