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Channel: Il a osé !
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Time Out

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Time Out est de A à Z le bébé d'Andrew Niccol. Andrew Niccol, à ne pas confondre avec Mike Nichols, le réalisateur des excellents Carnal Knowledge ou La Guerre selon Charlie Wilson, à ne pas confondre non plus avec Jeff Nichols, jeune cinéaste américain très talentueux et ultra prometteur, auteur de Shotgun Stories et de Take Shelter, ni avec Nicolò Cherubin, latéral gauche du Bologne Football Club 1909, auteur de trois buts depuis le début de sa carrière professionnelle. Non Andrew Niccol est le triste bonhomme à l'allure de banquier malade qui, après avoir fait briller une lueur d'espoir dans l’œil des amateurs de science-fiction avec Bienvenue à Gattaca, s'est rendu coupable de deux étrons cinématographiques : S1mOne, film qui a contribué à faire passer Al Pacino de la vie à la mort, puis l'infâme Lord of War, navet pseudo politique et visuellement affreux avec au premier plan un Nicolas Cage maniaco-dépressif sous l'emprise de la coke. Voilà qui se cache derrière le nom d'Andrew Niccol, un réalisateur médiocre qui creuse sa propre tombe avec énergie, et Time Out ("In Time" en VO, merci aux distributeurs français d'avoir rendu le titre beaucoup plus clair) est son bébé, il l'a écrit et réalisé : accrochez vos ceintures, ça vole en rase-motte !


Dommage qu'Andrew Niccol ait choisi pour décor de son film d'action et de science-fiction futuriste les rangées de garages d'un immeuble de la banlieue de Roubaix.

Le projet de ce nouveau film d'anticipation, pessimiste par définition, s'annonçait bien mal, entre autres à cause de la présence en tête d'affiche du pâle Justin Timberlake, le rappeur blanc adulescent embauché comme sextoy humain chez Giorgio Armani. Et le couac filmique annoncé sur le papier se concrétise à l'écran sous la direction d'un Niccol qui n'a pas décidé d'être doué ! L'histoire repose entièrement sur une seule idée, à priori pas bête et finalement très conne, comme souvent dans ce genre de film (l'idée ultra symbolique qui tient sur un feuillet de PQ étant l'apanage des maîtres du genre, de Richard Matheson à Philip K. "Huge" Dick, mais tout le monde n'a pas leur talent). L'idée de Niccol ? "Le temps c'est de l'argent". Vieil adage s'il en est, pris au pied de la lettre par un cinéaste dont les neurones jouent des coudes sous nos yeux. Mais comment adapter cette mise à plat d'un proverbe universel à un scénario de deux heures ? Niccol est aux manettes et il a la tronche dans le guidon, jugez plutôt : dans le film les gens ne vieillissent que jusqu'à l'âge de 25 ans, âge à partir duquel leur corps n'évolue plus et reste à jamais le même. La mère de Justin Timberlake semble avoir le même âge que son jeune fils alors qu'elle se paye la cinquantaine en réalité. Mais pourquoi avoir engagé Olivia Wilde ? Pourquoi avoir casté cette actrice bangbros au rabais, sosie d'Anita Dark qui à moins de 24 ans semble plastifiée de la tête aux pieds, pour incarner la mère du héros ? Cet élément de scénario était déjà assez difficile à accepter comme ça pour ériger un tel rempart à notre crédulité. Voir Justin Timberlake dire "Merci m'man !" à une playmate au look de gogo danseuse trash transsexuelle qui lui sert son bol de chocapic matinal en tenant une bouteille de lait coincée entre ses deux plastic boobs en pneus réchappés, bizarrement ça ne passe pas. Par ailleurs le scénario ne dit rien des complexes d’œdipe morbides que ce mode de vie futuriste doit engendrer, ni des ravages psychologiques que doit provoquer chez certaines jeunes filles la seule idée de triquer à mort sur leur grand-père, ou chez certaines arrière-arrière-arrière-grand-mères bodybuildées celle de faire danser le slip de leur ptit ptit ptit ptit ptit fillot, mais passons.


"Salut m'man !"

Toujours est-il que les gens doivent donc gagner du temps en guise d'argent, à la sueur de leur front, travaillant d'arrache-pied pour recevoir non pas un salaire en cash mais quelques heures, voire quelques minutes, avec lesquelles ils sont supposés acheter tout ce qui se vend sans oublier d'en garder sous le coude pour ne pas passer l'arme à gauche au moindre découvert bancaire. Ils ont tous un compte à rebours luminescent incrusté dans l'avant-bras (cf. l'affiche du film) - qui rappelle les tatouages par lesquels les nazis marquaient les juifs des camps, mais le scénario ne fait rien de cette idée que Niccol n'a manifestement pas fait exprès d'avoir - et si ce compte à rebours atteint zéro, son porteur meurt comme d'un arrêt cardiaque. Dans ce monde-là les riches sont immortels et les plus pauvres crèvent à 25 balais et une seconde, pour résumer.


A en juger par le torticolis que s'inflige Timberlake, Amanda Seyfried, qui ne vieillit pas non plus mais dont la coupe de cheveux a environ mille ans, ne lui convient pas comme female partner.

C'est d'ailleurs sur cet écart entre les plus riches et les plus démunis que s'étend Niccol, heureux d'étaler ses trois idées : les pauvres de la banlieue périphérique vivent le plus vite possible (idée dont le réalisateur ne fait pas grand chose non plus du reste) et subsistent difficilement à l'aide de secondes grappillées ici ou là tandis que les super-riches du centre-ville s'ennuient à mourir et se dorent la pilule pendant les siècles des siècles. C'est tout ce que le film tire de son thème initial, une parabole enfantine et usée jusqu'à la corde sur les inégalités et l'injustice sociale. Après avoir reçu en don un milliard d'années (un peu plus, un peu moins, qu'est-ce qu'on s'en fout) de la part d'un jeune-vieux riche lassé de vivre, Timberlake voit sa mère mourir dans ses bras à une seconde près à cause d'un bus raté. La poisse. Tarder à déposer son chèque de paie n'est pas un projet dans ce monde de merde. La jeune maman de Justin, aux mollets et au cul galbés par des jours et des nuits de fitness hardcore, au visage creusé par les régimes et les anabolisants, aurait dû courir plus vite vers son fiston plein aux as prêt à lui refiler un peu de son fluide temporel, mais elle se traîne, trottine à deux à l'heure et s'éteint à un mètre des bras et de la verge tendus de son bambin incapable de se retenir de raidir devant un tel phénomène malgré le lien de famille étroit qui les unit... Contrarié par ce décès, Timberlake décide de s'infiltrer dans le centre-ville, fort de sa nouvelle fortune tant convoitée par les affamés du temps, afin de foutre la merde dans le système avec l'aide d'une gosse de riche au physique pourtant très pauvre, pressée quant à elle de vivre l'aventure. Il vaincra à coups de bras de fer (véridique) et de courses à pied, puis il partagera la richesse des milliardaires - soit des centaines et des centaines d'années de vie - avec tous les pauvres de son quartier. C'est pitoyable.


Timberlake n'est pas près de franchir la Ligne Seyfried !

Pour finir, une trivia allociné m'apprend que c'est le film le plus cher dans lequel ait joué Justin Timberlake, après Shrek le troisième et ses 160 millions de dollars flingués en airbooks, en palettes graphiques et en club sandwichs destinés à nourrir les geeks obèses qui se dépatouillaient de leurs gros doigts boudinés sur tout l'appareillage Apple offert par leurs patrons pour accoucher de gros connards verts. Justin T. a prêté son filet de voix pour ce film d'animation, malheureux de ne pas pouvoir faire reluquer sa plastique de rêve à des enfants condamnés à s'extasier devant l'âne de merde et le chat poté de mes deux. Time Out a coûté 40 millions de dollars, sachant que le seul effet spécial du film c'est le beeper implanté sous la peau du bras de l'acteur. Et si, comme a voulu me l'apprendre le bienveillant et si éclairé Andrew Niccol, "le temps c'est de l'argent", entendu que je n'ai pas dépensé un kopeck pour me procurer sa connerie de film, je m'estime en droit de lui réclamer mon dû : une heure et demi. Une heure et quarante et une minutes précisément, fusillées par ce ramassis de lieux communs estramassés dans un scénario infâme, mis en scène par ce qu'il faut bien appeler un pur zonard.


Time Out d'Andrew Niccol avec Justin Timberlake, Cillian Murphy et Olivia Wilde (2011)

Le Hobbit : un voyage inattendu

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A déconseiller fermement à tous les réfractaires au Seigneur des Anneaux, qui auront envie de se pendre et trouveront le temps de mettre leur plan morbide à exécution avant le début de la fin du film, qui est très long. Mais comme ce n'est pas vraiment mon cas je l'ai maté, avec quand même une petite appréhension. Je vais commencer par vous faire la liste de mes craintes. J'ai eu un peu peur au départ des nains. D'abord parce que j'ai un peu peur des nains dans la vie, ensuite parce que ceux de Peter Jackson sont éminemment laids et qu'ils chantent, deux ou trois fois au début du film, or les chansons débiles dans les films ça me fusille l'humeur à bout portant. J'ai eu peur aussi parce que j'ai cru dans la première scène que le film s'adressait très directement, voire exclusivement, aux gosses, la faute aux nains avec leurs gros nez en plastique et leurs perruques de prisunic, à leurs chansons à la con bien sûr et aussi à Gangstarap le black, petit magicien accro à la ganja qui se fait littéralement tirer par des lapins surexcités.


 Je reste un peu déçu par le design de Smaug, le grand dragon de feu, j'avoue.

J'ai cru enfin que Le Hobbit, voyage inattendu dans lequel j'ai embarqué sans paquetage et sans m'être renseigné sur la destination ni sur les escales (et encore moins sur le prix du billet si vous voyez ce que je veux dire), avait été réalisé avec la moitié des moyens du premier épisode de LOTR, vu que dans l'introduction, où un dragon de feu fout la merde, Peter Jackson filme à peine le bout de la queue (et un bout de son autre queue aussi, si on met l'image au ralenti au bon moment on peut la voir se balancer de droite et de gauche dans l'écran) de l'immense Smaug (aka "Bill Callahan", en langage elfique),dragon supposé immanquable qui vient cramer le cul des nains dans leur montagne bourrée de dollars. Mais en fait non, le film est rempli de fric comme ladite montagne des nains et c'est une grande fresque d'aventure pleine à gueule-que-veux-tu d'effets spéciaux, de bastons et de tout ce qu'il faut pour occuper les fans pendant près de 3 jours de métrage.


Et ça c'est censé être un nain ? Je rappelle aux premiers intéressés que Warwick Davis, qui s'actualise chaque mois très assidument au Pôle Emploi depuis 1996 et son rôle pitoyable dans Leprechaun 4 : In Space, vient de créer son millième "espace candidat" sur le site de l'organisme.

Et quand on ne perd pas les eaux devantLe Seigneur des anneaux, on mate ça comme on mate Le Seigneur des anneaux, c'est-à-dire qu'on le mate comme s'il n'y avait rien de mieux à foutre, like there was no tomorrow. C'est plein d'histoires là-dedans, ça regorge d'épisodes, des géants de pierre qui se bastonnent gratos au milieu d'un orage (on s'interroge quand même sur le fait que des montagnes portent des slips et des gants de boxe et qu'une troisième caillasse fasse l'arbitre…), des trolls transformés en pierre par le soleil, des aigles qui sauvent les gentils nains grâce à Gandalf, qui souffle son haleine putride dans un petit papillon jusqu'à ce qu'il gonfle suffisamment pour pouvoir porter une poignée de nabots en armures sur son dos, pareil que dans la trilogie, et puis on se régale des aventures du fameux magicien fumé aux oinjs qui s'est fait chier dessus par une mouette d'envergure et qui se trimballe avec du guano séché sur la joue pendant tout le film. J'en passe et des meilleures.


S'il paraît assez évident que Peter Jackson s'est lancé dans une nouvelle trilogie de l'anneau pour à nouveau perdre quelques millions de kilos et gagner quelques millions de millions depesos, il n'est pas impossible que les spectateurs du film, aidés par les déguisements antidatés des nains, perdent quelques années et regagnent leur enfance via un voyage inattendu vers quelques films tels que L'Histoire sans finou Willow (avec Warwick Davis, qui arrive au bout de ses droits !).

Et de la même façon qu'on retrouve les "meilleurs" acteurs de la trilogie, on retrouve aussi les "meilleures" scènes de la trilogie. Peter Jackson nous refourgue la même pitance et comme pour bien nous le signifier il est allé récupérer tous les décors du Seigneur des anneaux pour filmer à nouveau dedans à moindres frais (y compris les fonds bleus voués à être recouverts des mêmes CGI aux formats .jpeg et .png). Soit Jamel Radagast Reykjavik (J.R.R. pour les non-initiés) Tolkien tournait lui-même méchamment en rond sur son stylo bic quatre couleurs, soit c'est Pierre Jackson qui nous la refait à l'envers, mais le coup de la nuit passée sur le sommet d'une vieille ruine, celui de la bataille contre les gros chats sauvages dans la plaine ou celui de la baston contre les orques et les gobelins sur les escaliers de la mine, c'est du réchauffé, sans parler de Gandalf le gland qui n'arrête pas de hurler "Run, da fools !" comme dans chaque épisode du Seigneur des Anneaux (et il le refait ici au moins dix fois !).


Énième film dont les fans nous diront qu'il "fallait le voir avec...". En l'occurrence il fallait peut-être mater ce gros film d'écolo avec Cécile Duflot en guise d'accoudoir et avec quelques champignons hallucinogènes mortels dans l'estomac. (En tout cas pas avec Warwick Davis, qui a officiellement mis la tête de Peter Jackson à prix d'or).

Bref, je ne vais pas faire le résumé. Et je ne vais pas le faire parce que ça prendrait la journée vu que le film est putain de long. C'est son gros défaut. Il dure une éternité qui en parait le triple, même si c'est bourré d'action. La faute à des séquences qui durent et qui durent au-delà du nécessaire et du raisonnable, et pour rien en prime : on observe les nains qui mangent et qui font la vaisselle pendant vingt minutes, de même qu'on subit la mort dans l'âme le jeu de devinettes entre Bilbo (interprété par un Martin Freeman dénué de tout charisme, Morgan Freeman eût fait un bien meilleur hobbit) et Gollum (toujours campé par l'infatigable Marion Cotillard without make-up), qui dure une bonne plombe et n'impressionnera que le Père Fourra. On sent que Jackson a étiré pour étirer, pour faire trois films au lieu d'un très long à partir d'un bouquin de trente pages à tout casser (dans la traduction de Daniel Lauzon et Michael Laudrup), et c'est chaud. Mais ça se mate. Quand on n'est pas encore vacciné contre les grands mouvements d'appareil épiques opérés depuis un hélicoptère en rase-motte sur des kilomètres de tapis vert par Andrew Lesnie, et contre la musique ronflante d'Howard Snore, ça se mate tranquillement, comme si c'était fin août début septembre (pas le film d'Assayas) et qu'on ne voulait surtout pas rentrer à l'école, quitte à perdre ses cheveux devant trois plombes de grappes de nains maquillés par un alcoolique anonyme et filmés par un cachalot devenu sardine avant que de retourner cachalot.


Le Hobbit : un voyage inattendu de Peter Jackson avec Martin Freeman, Ian McKellen, Christopher Lee, Ian Holm, Hugo Weaving, Cate Blanchett et une chiée plus quinze de nains hideux (2012)

Oblivion

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On pourrait vous restituer les premières lignes prononcées en voix off par Tom Cruise lors du pré-générique pour vous planter le décor mais comme il s'agit d'une série de mensonges trompant immédiatement le spectateur, nous préférons ne pas le faire. Pour faire court, dites vous que Tom Cruise est une sorte de plombier de l'espace, mais au lieu de bricoler des chauffe-eaux, il répare des drones veillant sur une Terre dévastée suite à une guerre nucléaire. Il travaille en binôme avec une jeune femme rousse possédant certains arguments qui lui permettent de "tenir" toute la durée de sa mission. Des rêves mettant en scène Olga Kurylenko perturbent toutefois sa quiétude. Une série de pannes anormales détectées chez les drones mène progressivement notre omniprésent héros vers la découverte d'une réalité plus complexe qu'il le croyait. Cela vous avance peu, certes, mais au moins, nous ne vous avons pas menti ni spoilé !


Est-ce qu'un jour Tom Cruise se mettra en ménage à l'écran avec une femme à son image, c'est-à-dire petite, râblée, vieille mais étrangement bien conservée et avec un gros nez ?

Oblivion contentera sans doute les amateurs de SF peu exigeants, notamment grâce à son univers visuel peu original mais plutôt réussi. Rien à dire sur les effets spéciaux, l'aspect des machines, l'état de la planète, le design des vaisseaux, les tenues d'astronautes, ou que sais-je. Pas de problème, l'argent a été bien dépensé et il y a derrière tout ça de sérieux artisans. Mais malgré ce décorum soigné, rien ne s'avère véritablement marquant, car Joseph Kosinski n'offre jamais le temps de nous laisser habiter son décor. Son film démarre en trombe, et le rythme ne faiblit pratiquement jamais. Ce n'est ici pas un compliment, bien au contraire. Joseph Kosinski enchaîne les scènes lourdement explicatives et celles d'action musclée avec la cadence d'une pub ou d'un clip à peine bridée, le tout accompagné par une musique omniprésente signée M83, qui rappelle par sa lourdeur dérangeante les bandes originales signées Hans Zimmer pour Christopher Nolan, en plus électronique. Devant cela, on a bien du mal à rentrer dans le film, malgré son évidente volonté de nous saisir dès ses premières secondes en nous en collant plein les mirettes. C'est bien dommage...


Parfois, certains effets spéciaux sont tout de même un peu ratés, comme ici, Tom Cruise aux côtés d'un de ses supposés clones.

L'efficacité tant recherchée de ce divertissement que l'on imagine concocté en étroite collaboration par sa superstar Tom Cruise et son docile réalisateur est également affaiblie par un scénario finalement fort peu original, qui semble être le fruit de collages plus ou moins harmonieux. Présenté comme un hommage aux films de science-fiction des années 70 par son auteur, Oblivion fait surtout penser au récent et autrement plus humble et réussi Moon de Duncan Jones. On peut aussi penser à 2001, Matrix, La Planète des Singes, et même Wall-E, liste évidemment non exhaustive tant il serait laborieux d'établir le compte exact. Le fantôme du beau Silent Running plane aussi quelque part, au loin, bien au-dessus de cette bouillie. Oblivion peine considérablement à se faire un nom au milieu de tous ceux-là, et apparaît au bout du compte comme une mixture certes comestible mais tout à fait oubliable. On aura ainsi vite fait de ne plus s'interroger sur ses quelques incohérences tant leur souvenir nous aura rapidement abandonné et désintéressé. Bref, Oblivion, ça se mate, à condition de supporter encore Tom Cruise dans le rôle d'un héros messianique hors norme, mais, bientôt, son titre prendra tout son sens.  


Oblivion de Joseph Kosinski avec Tom Cruise, Olga Kurylenko, Andrea Riseborough et Morgan Freeman (2013)

Ensemble, c'est tout

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C'était le dernier film non-posthume de Claude Berri, avant l'affreux Trésor. En vedettes, tous les acteurs qui à l'époque bataillaient pour avoir la carte Claude Berri, le pass allociné qui leur donnerait l'accès à tous les rôles, tous les Césars, tous les Oscars, bref à tout ce dont rêvent tous les Tautou et les Canet du monde. Lisez l'affiche et vous entrerez dans la même dépression qui semble frapper tous les personnages qui la décorent : d'après un roman d'Anna Gavalda, déjà. Combien de "a" dans Anna Gavalda ? Cinq fois plus que de talent en tout cas. Assise devant une feuille blanche à remplir le plus vite et le plus connement possible pour engranger des biffetons, c'est la meilleure. On dirait que cette femme écrit tous ses bouquins dans la situation où se trouve James Caan au plus fort de Misery : verrouillée sur un lit, pieds et poings liés, les chevilles broyées, le moral à zéro et, forcément, parce que ça joue un peu : l'inspiration en berne. Alors qu'en réalité elle écrit ses torchons sur un matelas de gros billets, en train de chier dans la soie. Avec Musso, Foenkinos et Levy entre autres, Gavalda est la reine du roman de grande surface écrit le temps d'une lessive à 30 degrés et à 600 tours minutes. Cette "écrivaine" n'entretient rien de la flamme révolutionnaire jadis allumée par son aïeul latino Ché Gavalda.



Sans entrer dans le détail, l'affiche jette tout de suite un gros froid. Ce halo flou de taches marronnasses en fond et, collés les uns sur les autres, tous ces acteurs à l'air malade... Sans parler de la petite vieille au milieu, qui gâche moins l'affiche qu'elle ne gâche le film. Eh oui car Ensemble, c'est tout fait partie de cette flopée de films français des années 2000 mettant en scène un personnage de vieillarde en bout de course, obsédée par sa mission, qui consiste à faire croquer son mal-être à tout le plateau. Comme les autres, ce film de Berri donne des envies d'euthanasie. Pour le reste, c'est un jeu du chat et de la souris dans un immense appartement glauque entre Canet et Tautou, dont on sait très bien qu'ils vont tôt ou tard finir par se rentrer dedans avec pour spectateur Laurent Stocker, sociétaire de la Comédie Française, qui dans ce film nous donne plutôt l'impression d'être sociétaire du Conseil Régional de la région PACA et d'avoir envie de se pendre en allant tous les matins faire son office administratif.



Un mot sur ses cheveux de paille, qui l'empêchent d'incarner un quelconque personnage principal dans quelque film que ce soit (récemment encore il brillait en bon second rôle dans L'Exercice de l’État ou L'Art d'aimer). Cet acteur ne pourra jamais être un héros. Pour la petite histoire, il a d'abord tenté Médecine après avoir obtenu un bac S avec mention AB, croyant que ça allait être "un boulevard". Dès les premiers mois, enfermé dans une cité U avec comme seule échappatoire le spectacle offert par son micro-ondes, d'énormes pellicules sont apparues sur ses épaules sous le coup du stress intense et de l'absence de femme dans son entourage depuis sa naissance. Il a cru devoir exterminer ces pellicules massives à coups de Head & Shoulders et de Desktop. Son shampooing antipelliculaire était indiqué pour un usage hebdomadaire, hélas la posologie perso de Laurent Stocker le contraignait à un usage quotidien de ce pur désherbant capillaire, et son rendu graphique en a pris un coup pour toujours. Au terme de sa première année de Médecine, Laurent Stocker culminait à 5,09/20, et il a terminé sa deuxième première année aux alentours de 259ème sur 270 étudiants (les 11 derrière lui se sont réunis et ont formé un club de foot à Petit-Quevilly). Après cet échec cuisant sur tous les tableaux Laurent Stocker s'est tourné vers la comédie. Il rêve toujours d'incarner Dracula sans maquillage dans une adaptation du célèbre roman de son homonyme Bram Stoker et, pas bégueule, se satisfait déjà de ce qu'il a : chaque jour plusieurs piétons foutent le camp quand ils le croisent, persuadés d'être tombés sur le Comte de Dracula, aka Vlad l'Empaleur de Pennsylvanie.



Ensemble, c'est tout fait partie de ces films où Audrey Tautou fait penser à Fantomas. On a tous dans nos familles un cousin, un frère ou un neveu qui culminent à des milliards de "sessions" (comprenne qui pourra) sur Audrey Tautou, mais il est certain qu'aucun d'entre eux n'aura songé à battre son record devant ce film, y compris devant les scènes où l'actrice est alitée. Quant à Guillaume Canet, il a récemment déclaré qu'il a surtout accepté de tourner dans ce pire film pour prendre des notes sur le métier de cinéaste en admirant le maître aux manettes du film, et ça se ressent. Les Petits mouchoirs sont un véritable manuel du petit Claude Berri illustré. Certains ont dit que Trésor n'était pas vraiment à prendre en compte dans la filmo du grand magnat de la finance cinématographique française, et il est vrai que Claude Berri est décédé au début du tournage, mais il était par contre bel et bien aux commandes d'Ensemble, c'est tout, et en pleine possession de ses moyens vu qu'il disait "péter le feu", et pourtant ce film est également naze à mourir. Claude Berri n'a de toute façon jamais réalisé que des gros navets, sauf peut-être le diptyque Jean de Florette et Manon des Sources, les deux films préférés de ma tante aveugle, qui adore la "musicalité" de l’œuvre, musicalité qu'il faut davantage attribuer à Montand, Auteuil, Neuilly, Passy qu'à Berri himself, et dans tous les cas ça reste un drôle de compliment.


Ensemble, c'est tout de Claude Berri avec Guillaume Canet, Audrey Tautou et Laurent Stocker (2007)

Restless

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On pourrait, en y regardant trop vite, prendre ce film pour un énième produit du cinéma américain indépendant "à-la-Sundance", plein de bons sentiments, légèrement niais sur les bords, bourré à craquer de musique cool posée sur des chromos anesthésiants, avec un zeste de mignonne fantaisie et la dose indispensable de triste aphasie. Sauf que Restless est l'anti-Like Crazy, l'anti-Terri et l'antidote à tous ces films qui n'ont d'indépendant que leur production en-dehors du cadre des grands studios, leur manque de moyen et l'absence de Sandra Bullock et Chris Evans en têtes d'affiche (voire la présence au casting de freaks notoires aux trajectoires forcément attristantes), mais qui sont, en dehors de ces considérations, de parfaits films académiques asphyxiés, manquant de vie et de liberté, dépourvus de la patte d'un auteur singulier et de tout projet esthétique notoire. Parce qu'il s'inscrit dans une grande œuvre cohérente et parce qu'il appréhende le genre avec distance, Restless est supérieur à un film somme toute agréable tel que Lonesome Jim, le haut du panier de la tendance Sundance. Si l'on ne s'en tient pas au seul projet du film et que l'on en juge plus en détail par le traitement qu'il fait de son sujet ou par le simple travail de mise en scène de Van Sant, on est loin d'un certain cinéma indépendant contemporain vaguement sympathique et parfaitement inoffensif, lénifiant et inconscient de ses propres limites. Pour peu que l'on veuille bien accepter de voir Restless comme un nouveau jalon dans la tendance plus académique de Van Sant, avec ce que cela comporte d'investissement conscient et intelligent du cliché et du sentiment, alors il y a de bonnes chances d'être ému par ce film comme on ne le sera jamais par ceux pré-cités.



Restless est profondément touchant, et en ce qui me concerne cela suffit presque. Cela me suffit pour une raison simple, c'est que Van Sant est formidablement capable de nous émouvoir aussi sobrement qu'intelligemment, en plongeant complètement et avec sincérité dans le genre très balisé du drame romantique. On sait que le cinéaste admire l'art cinématographique dans son spectre le plus large, de l'abstraction expérimentale au mélodrame hollywoodien grand public, et qu'il aime à naviguer d'un bord à l'autre sans mépris ni condescendance pour le plus "facile" des deux extrêmes. Aussi assume-t-il un style conventionnel jusque dans ses clichés quand il se laisse aller à tourner un film "mainstream" (Will Hunting, A la rencontre de Forrester, etc.), et il le fait avec une simplicité entière, pour son plaisir et pour celui du spectateur qui voudra bien se prêter au jeu. Pour cela il faut accepter cette séquence musicale au milieu du film, ce "syntagme en accolade" (je reprends là une expression de ce cher Christian Metz, qui mettait dans ses livres le soleil qu'il n'avait pas dans son blaze), où les personnages courent, s'amusent, s'aiment et jettent des pierres sur les trains de marchandises en souriant. Par une série de plans rapides baignés d'une musique tendre, ces séquences sont censées signifier rapidement le passage du temps et la répétition d'une série de gestes favorisant le plus souvent la naissance d'un sentiment. Van Sant investit le genre et le respecte au point de tourner ce type de séquence facilement insupportable, mais il peut se le permettre parce que tout ce qui précède et suit cette scène est d'une délicatesse et d'une qualité telle qu'elle n'apparaît pas au spectateur comme le couronnement d'une entreprise d'endormissement généralisée vouée à produire de la confiture cérébrale en quantité. Car il y a de très belles idées qui parcourent l'avant-dernier film en date du cinéaste, basé sur son thème obsessionnel, celui d'une jeunesse fauchée en plein essor, et narrant la rencontre entre Enoch (Henry Hopper), un jeune homme bien vivant obsédé par la mort, et Annabel (Mia Wasikowska), une jeune femme mourante qui ne voudrait que vivre, rencontre marquée par l'intervention du fantôme d'un kamikaze japonais qui vient apporter une forme de légèreté mélancolique au film. Ces purs personnages de fiction, invraisemblables mais pleins d'humanité et profondément touchants, ainsi que le traitement légèrement décalé du récit ne manquent pas d'évoquer un film comme Trust Me de Hal Hartley. Mais c'est dans la mise en scène au plus près des corps, prompte à jouer de l'organisation de l'espace et à créer des configurations frappantes, que Van Sant élève son propos et son spectateur par la même occasion.



Et puis le film comporte deux séquences particulièrement réussies et mémorables. D'abord celle où les personnages se retrouvent dans un petit cabanon après la fête d'Halloween et où Van Sant, rarement porté sur l'intimité amoureuse des corps (alors qu'on trouve dans son œuvre plusieurs scènes consacrées à une intimité plus strictement sexuelle, du rapport trivial de Mala Noche interrompu par la quête d'un tube de vaseline à la courte et triste première fois d'Alex dans Paranoïd Park en passant par les arrêts sur images de My Own Private Idaho), tourne une scène sinon érotique du moins étonnamment sensuelle et émouvante, faisant un usage extraordinairement sensible du gros plan et du flou qui embrassent le grain de la peau. Et puis il y a surtout cette séquence géniale où Enoch vient retrouver Annabel chez elle et la découvre allongée sur le sol, agonisante. Le jeune homme prend sa jeune amie dans ses bras et recueille ses dernières paroles quand celle-ci se relève soudain, éteint le magnétophone qui diffusait la mélodie bien pathos de la scène et reproche à Enoch de ne pas avoir respecté le scénario archétypal qu'ils avaient pré-écrit ensemble. Avec cette scène Van Sant nous dit qu'il est parfaitement conscient de tourner une romance, un drame sentimental, un mélo, de convoquer de grandes émotions sur une histoire d'amour tragique, mais qu'il le fait comme on joue un jeu, sans être totalement dupe bien qu'en y croyant à fond. Et il est tout aussi capital de ne pas se laisser berner par les engrenages de ce jeu facile mais dangereux que d'y croire à cent pour cent, de marcher dans la combine, pour que l'entreprise rodée et quasi-mécanique du drame romantique fonctionne à plein. Van Sant nous demande par conséquent la même croyance tout en nous mettant à relative distance via un traitement particulièrement intelligent du film de genre a priori académique. C'est cette conscience - inscrite à même le film - de son médium, concomitante à son appropriation sincère, qui confère à Restless un charme particulier et le sort allègrement de la mêlée, dès lors qu'il échappe à un académisme affiché et accède à la poésie. Van Sant s'extrait du carcan du "film romantique" pour tendre vers le Romantisme, celui de l'amalgame mélancolique et teinté de fantastique du morbide et du sublime, de la finitude et de la grâce (sur ce sujet il faut lire la critique du film par le grand Dominique Païni dans les Cahiers du Cinéma de septembre 2011, où il convoque autant Baudelaire que Shelley). Partant, il ne reste plus qu'à être touché - et le film agira ou non au cas par cas - pour estimer Restlessà sa juste valeur et l'aimer simplement comme le film simple qu'il est.


Restless de Gus Van Sant avec Mia Wasikowska, Henry Hopper et Ryo Kase (2011)

Garden State

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Qui se souvient de ce film ? Qui se souvient de ce film à part Zach Braff himself ? Il se résume pour lui en une "occasion manquée", lui qui a maintenant une poupée vaudou de Benjamin Millepied sur sa table de chevet. Il lui plante rageusement des aiguilles dans le ventre chaque matin en se levant et il est sans doute responsable des légendaires maux d'estomac du nouveau Directeur de la Danse de l'Opéra de Paris. Zach Braff était pourtant à deux doigts ! A deux doigts de conclure avec celle qui émoustillait déjà la planète entière et qui mit le groupe The Shins sur orbite avec cette seule réplique : "Listen to it, it gonna change your life". Que dire de ce film en dehors de ces quelques remarques ? Va-t-on saluer la performance de Ian Holm en père absent ? Va-t-on applaudir l'interprétation à la limite du hors-jeu de Peter Sarsgaard, plus occupé à s'inquiéter de la gestation de sa femme qu'à interpréter le pote paumé de l'acteur-réalisateur ? Non, rien de tout cela, Garden State est typiquement le faux feel-good-movie à ne jamais voir une deuxième fois sous peine de s'autotraiter de connard. Rappelez-vous pourtant du petit phénomène que fut ce film à sa sortie ! Zach Braff est passé du jour au lendemain du statut de tête de nœud de série télé à celui de réalisateur prometteur du cinéma indé américain ! Aujourd'hui, on attend encore son second long métrage pour lequel il mendie quelques sous à ses rares amis !




Garden State s'inspire très fortement de la vie de son auteur. Petit rappel des faits : Zach Braff est un acteur raté qui a voulu tenter sa chance à Los Angeles et qui gagne sa vie en tant que serveur dans un resto chinois. Sa mère casse sa pipe, ce qui l'incite à retourner au bled pour assister à l'enterrement. Le bled étant le New Jersey, surnommé "le Garden State", seule chose que le film nous aura appris à nous autres non-américains. De retour dans sa ville natale, Zach Braff renoue le contact avec ses amis banlieusards qui n'ont pas bougé d'un iota en dehors du fait qu'ils abusent dorénavant de toutes sortes de drogues pour oublier leur quotidien cafardeux fait de solitude, de consanguinité, de chômage et de désœuvrement. Cependant, le hasard lui fera croiser la route d'une fan des Shins (groupe inconnu à son bataillon personnel) qui provoquera de manière incontrôlé un petit tiraillement curieux et pas désagréable juste au-dessus de ses deux couilles. Cette rencontre l'ouvre à la musique du monde.

 


Petit aparté sur la bande-son aux petits oignons du film, choisie par Zach Braff dans le but de nous proposer un best of de la pop indé américaine du moment. Inutile de revenir sur The Shins, qui a trusté les premières places au hit-parade suite au succès du film et qui dorénavant envoie chaque année son nouvel album à Zach Braff plus une photo du cul de James Mercer légendée "Whenever wherever". On retrouve également feu Nick Drake, traîné dans la boue et condamné à accompagner les balades en mobylette de l'idiot du village accroché à la tarée du bled. De son vivant, nul doute que le mage dépressif de Rangoon aurait empêché de toutes ses maigres forces cette utilisation frauduleuse de l'une de ses chansons. Moins étonnante, la présence de "Don't Panic", le tube de Coldplay, chanson jetable par excellence et utilisée au premier degré par Zach Braff lors d'une de ses fréquentes crises d'angoisse, nous prouvant là toute sa subtilité. Il est presque bizarre de ne pas entendre "Oops I Did It Again" lorsque Zach Braff éjacule précocement à l'intérieur de son froc, mais il y a quand même cette séquence poignante où l'acteur-réalisateur-scénariste-chef-chauffagiste précise à sa comparse qu'il n'a jamais rien baisé en dehors de son futal, avec l'hymne pré-pubère de Madonna "Like a virgin" qui résonne à cet instant précis.
 



Natalie Portman incarne une jeune fille détraquée qu'on a envie d'encore plus détraquer. Il faut la voir dans la première scène où elle apparaît, les genoux sous le menton, un casque géant sur les oreilles, à rire pour un rien, prête à montrer sa teuch au plus curieux, prête à soulever son t-shirt sous les yeux exorbités et à jamais globuleux du fils du voisin en s'étonnant d'avoir des boobs. De quoi rendre enragé le plus chaste d'entre nous. Ce film tire sur la corde raide en essayant de nous faire culpabiliser d'éprouver un désir coupable pour une mineure de 25 balais. Qui n'a pas déjà à demi craqué sur une jeune femme perchée au point de chialer comme un oignon devant un hamster crevé ? Qui ne s'est pas involontairement attendri pour une gamine débile se comportant comme la dernière des excentriques insupportables ? Qui n'a jamais eu envie d'enterrer vivant ce type d'individu particulièrement excitant ? Qui peut rester zen devant ce personnage bouffon qui amasse plus de connerie qu'il n'y en a jamais eu sur Terre ? Qui peut endurer sans craquer ce moment où elle rend tout à coup la vie merveilleuse à Zach Braff en lui donnant un espoir copulatoire s'il parvient à être l'auteur d'un geste unique, d'une mimique nouvelle, d'une expression improbable, d'un pet, d'un bruit totalement inédit ? Natalie Portman est donc ce genre de femme devant qui il faut inventer un pet extraordinaire pour parvenir à ses fins. Zach Braff est ce genre d'homme assez con pour mordre à l'hameçon. La scène où ils enterrent le hamster Tonton David fait partie du zapping des pires moments filmés des années 2000.
 


Zach Braff parsème son film d'idées de court métrage à gerber. On pense par exemple à cette image où l'apprenti cinéaste porte une chemise en accord parfait avec son papier peint. On se souvient aussi avec horreur de cette scène innommable où il reste immobile sur un canapé lors d'une soirée tandis qu'autour de lui les personnages boivent, fument, baisent, jouent au Kéno en avance rapide. Le pire est peut-être cette scène exutoire où les trois jeunes protagonistes se mettent à hurler sur le toit d'un bus désaffecté pour se purger de leur mal-être, accroissant de manière exponentielle celui du spectateur. Subir ça de nouveau aujourd'hui, c'est la garantie de tout casser chez soi. C'est un truc à faire si, en tant que locataire, vous avez décidé de ne pas vous faire rembourser votre caution. C'est une idée à garder en tête si la décoration entière de votre salon est à revoir. Zach Braff est au cinéma ce que le phoque est au règne animal : un enculé. 


Garden State de Zach Braff avec Natalie Portman, Zach Braff, Peter Sarsgaard et Ian Holm (2004)

Stoker

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Notre collaborateur Paul-Emile Geoffroy est allé voir le nouveau film de Park-Chan Wook en avant-première accompagné d'Emilie B., et tous deux ont cordialement détesté la chose. Ils nous font part de leur sentiment sur cette œuvre et des pensées qu'elle a occasionnées :

Ce film, qui nous fut présenté par un agent de promotion en roues libres lors de son avant-première parisienne comme un OCNI (Objet Cinématographique Non Indentifié, sic), ce film, en dépit des désirs des responsables de son marketing, nous l'avons parfaitement identifié. Il ne s'agit certes pas d'une fabrication "absurde et belle", comme on voudrait nous en persuader. Tout spectacle cinématographique est une représentation et toute représentation donne à voir une interprétation. Lorsque le film est une oeuvre conjointe, comme c'est le cas ici (Park-Chan Wook à la technique, Wentworth Miller à la rédaction et au financement, le trio Goode-Wasikowska-Kidman à la rhétorique des corps), il peut s'agir d'un mélange d'interprétations. C'est le résultat de ce mélange que l'on voudrait occulter avec des mots-masques comme "absurde", "spectacle" ou "non identifié". C'est pourtant le résultat de ce mélange que nous avons vu et que nous ressentons le devoir de dénoncer.




Ce film est une œuvre totalitaire de propagande immorale. En apparence, l'intention de ses faiseurs et de ses vendeurs est de masquer cet état de fait, tant il est vrai que les démoconsocraties modernes ne sont pas encore tout à fait à l'aise avec l'idée d'acheter du dogme. Pourtant, le scénario écrit par Wentworth Miller (le jeune tatoué de la série Prison Break) semble dévier de cette prudente trajectoire puisqu'il s'affirme comme une très lisible profession de foi.

Il s'agit là de propagande puisque le scénario de Stoker fait la promotion, dénuée de toute critique, d'une opinion politique particulière, et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit de l'opinion selon laquelle aucune morale n'est valable lorsque le sur-être dépasse l'homme.

Cette amoralité pourrait cependant être défendue. Un auteur usant de dialectique et de critique, un auteur proposant le jugement serait sans doute en mesure de tirer son épingle de ce jeu dangereux, en s'inspirant de La Corde de Hitchcock, par exemple. Tristement, l'amoralité de Stoker ne se traduit que par la représentation d'une implacable immoralité de ses personnages. Le scénario fait ainsi l'étalage de l'inceste, du mensonge, de la tromperie, du meurtre, du viol, de l'envie, du mépris, de la jalousie et soyons clairs : du vice sous toutes ses formes et tous ses aspects.

Dans la mesure où toutes lesdites horreurs (espérons que nous nous accorderons sur cette qualification, et dans le cas contraire, permettez-nous de nous inquiéter de vous, chers lecteurs) nous sont assénées sans aucune critique , avec pour seule explication les premiers mots de Mia Wasikowska "je suis comme ça", nous avons choisi de juger dangereux et criminel un tel film.




L'art du storytelling de Wentworth Miller, dont il faut pour dénicher l'inspiration ne pas chercher à remonter plus loin que la série Dexter, est lui-même dénué de toute nuance ou de toute réflexion, c'est une écriture bête. Non seulement parce qu'elle commet des bêtises, des erreurs en jouant ainsi avec la morale (ces "bêtises"-là ne sont d'ailleurs pas des impairs aisés à excuser), mais aussi parce qu'elle ne propose rien du point de vue scénaristique. Que l'on cite Hitchcock pour vendre ce film est un comble. Entendre évoquer le maitre du suspense et se trouver devant un film à l'intrigue aussi prévisible serait déjà suffisant pour s'en prendre violemment aux publicitaires à l'origine de la remarque, mais on en viendrait ensuite à leur pardonner leur faute, car ce n'est sans doute point de méchanceté qu'elle fut issue, mais d'ignorance, puisque les pauvres gens qui vendent Stoker n'ont en réalité pas dû voir le moindre film de Sir Alfred. Comment en effet citer Hitchcock, dont les films étaient en bonne partie des réflexions morales, quand on se réfère à un film aussi dogmatique dans son immoralité ?

Ainsi croise-t-on une Nicole Kidman refaite à neuf, eugénique, vantant son éducation haut-de-gamme avec ironie (la seule et unique trace d'ironie de tout le film). Son personnage est prêt à oublier la mort de son mari dès le lendemain de l'enterrement, et à tomber dans les bras du frère du défunt. Cette femme, et c'est là le drame, représente la normalité. Elle est le relais du spectateur, en tant qu'elle est elle-même spectatrice du jeu des deux sur-êtres qui tournent autour d'elle et dont elle ne partage ni l'omnipotence ni la connaissance de soi. De là cette légère touche d'ironie, qui voudrait nous rappeler au monde réel et à un début (avorté) de critique mais qui sonne si faux dans la bouche de cette femme, elle-même proprement immorale et laide, même face aux deux monstres que sont sa fille et son beau-frère.




Eux, dotés de talents supersensoriels (une ouïe, une vision et un toucher magnifiés par des années d'apprentissage de maitrise de soi), sont montrés indépendants à toute technique voire incapables de toute bêtise. Ils sont dits extrêmement intelligents (India est la meilleure élève du lycée, Charlie a prévu tout le scénario depuis 18 ans) et doués de tous les dons imaginables. Ils savent disparaitre et apparaitre n'importe où, n'ont peur de rien, jouent du piano comme des maîtres, cuisinent comme des maîtres, s'habillent avec le meilleur goût, étalent leur culture européenne (le shérif ne connaissant pas Verdi, il méritera sans doute de mourir comme un chien, comme un être inférieur) et tuent avec une simple ceinture de cuir. On nous donne à voir des modèles de perfection, magnifiés par une mise en scène et des acteurs apologiaques et séduisants. Le film nous dessine leur portrait et nous sourit. Ils sont, ils le disent, "du même sang", c'est une affaire de sang, il faut avoir leur sang pour être comme eux, parfaits. Et ces êtres parfaits n'ont que faire des lois, que faire de la morale, que faire d'autrui en fait. Leur perfection ne fait-elle pas d'eux des dieux ? Tuer sans sourciller un membre de leur propre famille ne leur posera pas problème car ni les tables de la loi ni l'empathie ne sont dignes d'eux. Seule leur propre jouissance l'est.

Voici le modèle humain présenté sans fard ni échappatoire dans le film de Park Chan-Wook et Wentworth Miller. Un modèle sinon raciste du moins aryen, dogmatique et immoral. Oh cette idée selon laquelle l'amélioration du logiciel humain vaut tous les sacrifices et toutes nos admirations n'est pas restreinte au scénario de Stoker, c'est certain. Des navets peut-être moins dangereux mais tout aussi séduisants se sont déjà parés de cette fascination pour le sur-être (on pense notamment à Limitless) et il est certain que Stoker ne sort pas de nulle part et ne fait qu'aggraver une tendance inquiétante.




Ce film s'inscrit par ailleurs dans une actualité morbide, il est l'oeuvre d'une industrie de la déshumanisation. Il fait acte d'objet supplémentaire sur la longue chaine de montage produisant la prolétarisation des personnes.

Comme tout instrument de cette machinerie (laquelle tend ces dernières années vers des proportions gulliveriennes), Stoker ne se contente pas de montrer la fin de la personne humaine, il est aussi dans son être-propre un acte déshumanisant. Ergo sa présentation promotionnelle abrutissante qui n'est rien d'autre que la même entreprise de marketing utilisée depuis des années pour vendre un produit par les mots sans en rien dire, une méthode dont le grand âge n'appelle ni respect ni retenue et dont la critique n'est jamais obsolète. Les acteurs de l'objet-film en sont ses spectateurs, ceux-là mêmes que l'on rend bêtes en leur pré-mâchant la pensée à grands coups d'adjectifs. Parmi eux, ceux qui devraient être au rang des premiers critiques de l'objet-film, c'est-à-dire précisément les blogueurs et autres journalistes culturels invités lors des avant-premières promotionnelles, ceux-là sont ciblés et mitraillés avec une violence redoublée par les artisans de la prolétarisation : on leur offre la séance, on les bombarde de bande-annonces, de textes sans substance résumant film, projet et "accomplissements", on leur donne les mots qui leur serviront à écrire leurs papiers et on ne manque pas de leur projeter un bonus (le vidéo-clip d'une chanson présente sur la bande-originale, sur des images de la réalisation d'une affiche pour le film, finalement jamais parue, sic) avant-même que le film ne démarre. Plus encore qu'au bas-public, on met à bas les remparts de la critique en écrivant directement dans l'esprit des "spécialistes" ce qu'ils devront penser du film : voilà une "fable absurde" d'une "sauvage beauté" magistralement mise en œuvre par "celui qui vous a apporté Old Boy".

C'est ainsi que l'on espère retirer aux acteurs du film-objet tout choix.




Quant aux acteurs de l’œuvre filmique, leur rôle n'est pas moins dénué de sens. Qu'il s'agisse de l'unique expression faciale de Matthew Goode (le sourire en coin du vainqueur), chantre du mannequinat hollywoodien, de l'immobilité du visage recréé de Nicole Kidman (qui ressemble de plus en plus à Lana Del Rey) ou de l'apprentissage par Mia Wasikowska de l'apathie (même la suicidaire Lydia interprétée par Winona Ryder dans Beetlejuice, ou la fantomatique Mercredi de la Famille Adams véhiculaient un plus large panel d'émotions), tout est fait pour n'imposer qu'une seule et unique impression sur le spectateur, celle d'un détachement du réel, d'un divertissement, d'une diversion. On fait du spectateur une larve en lui offrant comme modèles des larves, substituts d'humanité, simulacres de personnes et même pas individus, des caractères dénués de tempérament : un mannequin, une poupée de cire et dans le rôle principal de ce "conte" iniatique, le jeune sur-être en apprentissage de son inhumanité, prêt à séduire le spectateur dans son non-acte de jugement, et donc à l'inspirer à n'être pas.




Jugerons-nous la création visuelle de Park Chan-Wook ? Ce serait une question vite résolue tant le "savoir-faire" et la "maîtrise" délivrés par le réalisateur s'apparentent moins à de l'art qu'à une démonstration technique. Les effets spéciaux pullulent avec ostentation (et parcimonie car le "goût" l'impose) et ne servent à rien, du très éprouvant générique à l'apparition récurrente et futile d'une araignée. Comme lorsque Charlie et India jouent un quatre-mains au piano, il ne s'agit que pour celui qui fait de jouir de son faire, en exposant à tous l'étendue de son savoir(-faire). C'est exactement le même sentiment que nous évoque l'anecdote symbolique et lourde des souliers offerts par l'oncle, finalement échangés contre une paire de Louboutin de 20cm de haut en peau de crocodile, placement de produit aussi fortuit que le sont les intérieurs de la maison, les décors extérieurs et autres vêtements tous du meilleur goût, rappelant un catalogue de tendances (un concours fut d'ailleurs organisé par Fox Searchlight sur Pinterest pour récompenser ceux qui réussiraient le mieux à retranscrire l'"ambiance" du film"). Jamais ne croyons-nous à la tangibilité de cette maison ou de cette famille trop lisse, trop propre (même quand elle se salit et c'est monnaie courante). Cet amoncellement de clichés et de "bon goût" participe de l'étouffement qu'exerce le film sur le spectateur et que la mise en scène très plate et les dialogues attendus ne soutiennent même pas au point d'en faire une oeuvre dite "maîtrisée".

Il n'y a rien à sauver de Stoker mais ce n'est pas un film "oubliable", au contraire. Il faut nous en souvenir et nous souvenir de notre humanité. Il nous faut combattre de tels films et surtout ne pas les laisser faire sans proposer un dévoilement sinon de leurs intentions au moins de leurs erreurs. Nous pouvons encore croire Stoker l'oeuvre commune d'une bande de faiseurs trop divertis de la réalité pour mériter l'opprobre mais alors nous n'excuserons leur ignorance qu'au prix d'une prise de conscience par eux et par tous du danger que représente la multiplication de telles catastrophes culturelles, de tels monuments bâtis par bêtise à la gloire de l'immoral et du vice. Il est indispensable que la dialectique ne disparaisse jamais au cinéma, ni nulle part ailleurs, tout comme il est essentiel que jamais nous autres spectateurs ne nous laissions départir de notre jugement.


Stoker de Park-Chan Wook avec Mia Wasikowska, Nicole Kidman et Harmony Korine (2013)

Une Créature de rêve

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La série Code Lisa a bercé notre adolescence. Quand nous avons appris qu'un remake du film de John Hughes à l'origine de la série et tourné en 85 était en branle, nous nous sommes dits qu'il était temps d'enfin le regarder ! On connait tous l'histoire (en tout cas Poulpard et moi) : Gary et Wyatt, deux nerds, risées de leur bahut, n'arrivent à rien avec les filles. Rien de rien ! Un soir d'ennui, ils décident donc d'inventer la femme de leur rêve sur l'ordinateur surpuissant à 1Mo de RAM de Wyatt. Après moult éclairs, une sublime créature débarque alors dans leur chambre comme par magie, exauçant tous leurs vœux, même les plus humides...

C'est donc à John Hughes, le fameux spécialiste du cinéma adolescent américain des années 80, que l'on doit cette idée ma foi toute bête mais diablement excitante, une variation du mythe de Frankenstein, revue et corrigée à la sauce teens et sexy. Le film, hélas, a terriblement vieilli, à l'image de son actrice principale, devenue une sorte de tract vivant anti chirurghie esthétique. Une Créature de rêve (en VO : Weird Science) a de bien nombreux défauts, liés en partie à son époque. La garde-robe des années 80 est une infamie, notamment sur une femme bien faite lorsque la tenue se veut aguichante. Le film est mal rythmé et trop rarement marrant, à l'exception d'une ou deux répliques surprenantes de vulgarité et du personnage de Chet, ici campé par un Bill Paxton sous tension (autre star au casting : Robert Downey Jr. en loubard très laid). A partir de son idée de départ, le scénario part dans tous les sens, quitte à nous perdre complètement en route, et se conclut n'importe comment. En bref, on est très très loin du meilleur de John Hughes, même si nous sommes contents d'avoir comblé cette lacune. 

Malgré cela, il faut reconnaître à John Hughes qu'il connaît bien son sujet. Il tient plutôt compte des réalités adolescentes, dans les limites imposées par une comédie tout public. Les ados du film n'ont que deux idées en tête : faire la fête et triquer. Son film est très tendancieux et n'occulte rien des envies sexuelles des personnages envers la femme créée. La première chose que font Gary et Wyatt après l'apparition de Lisa est de prendre une douche avec elle pour mieux la contempler dans son plus simple appareil. On devine alors qu'ils ont le sexe tellement dur qu'il pourrait fendre un chêne centenaire. D'autres allusions équivoques et des détails clairement craspecs parsèment le film et nous font régulièrement relever la tête à l'heure où les comédies pour adolescents sont tout ce qu'il y a de plus sage, totalement aseptisées et sans aucun esprit transgressif.

La série produite dans les années 90 et diffusée par France 2 était quant à elle tout ce qu'il y a de plus politiquement correct. Elle donnait cependant suffisamment d'idées pour mettre un adolescent en ébullition. Il faut dire que Vanessa Angel était une vraie tigresse. L'actrice avait trouvé le rôle de sa vie (on ne la recroisera ensuite que chez les frères Farelly). La série proposait un véritable festival sons et lumières pour tout amateur de belles pépés. Vanessa Angel apparaissait dans les tenues les plus affriolantes et plaçait la plupart des épisodes sur orbite, en particulier ceux de la première saison. Face à ça, on ne pouvait que serrer les dents et les poings en pensant à Wyatt qui, astuce scénaristique ridicule car pas du tout crédible, avait décidé de mettre des gardes fous pour empêcher tout abus d'ordre sexuel avec ou sur la créature. Bien conscient d'ailleurs qu'il s'agissait d'une question à vite évacuer, Lisa apparaissait nue mais censurée dès le tout premier épisode. Les scénaristes étaient ainsi immédiatement soulagés et délestés d'un épineux problème. Poulpard, quant à lui, maudit encore ces maudites barres noires...

Joel Silver, qui produira le remake, nous a promis une comédie interdite au moins de 18 ans, comme Very Bad Trip et 21 Jump Street. De quoi faire peur dans notre époque sclérosée, sachant que les deux comédies suscitées sont aussi subversives qu'un disque de Laurent Voulzy. Nous n'en attendons donc rien. Mais nous sommes tout de même curieux de connaître l'identité de celle qui sera condamnée à nous faire fantasmer et devra nécessairement correspondre aux rêves adolescents de son époque. Qui succédera à la sympathique Kelly LeBrock et à l'inoubliable Vannesa Angel ? On redoute Mila Kunis, Jennifer Lawrence ou Megan Fox, qui feraient perdre tout espèce d'intérêt au projet, et on conseille d'autres noms comme Amber Heard ou Jean Galfione. Petite requête perso : MEW... Mais dans le fond, on sait bien qu'un tel remake aurait plutôt dû être réalisé par Marc Dorcel ou John B. Root pour XXIst Sextury...


Une Créature de rêve de John Hughes avec Anthony Michael Hall, Kelly LeBrock, Ian Mitchell-Smith et Bill Paxton (1985)

Les 4 fantastiques et le surfeur d'argent

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La plupart des films de super-héros délivrent un message de paix, de tolérance, d'acceptation de la différence. C'est particulièrement le cheval de bataille de la saga X-Men, où les mutants luttent avec des armes très différentes contre l'exclusion et le rejet, et qui traite d'ailleurs le sujet avec plus d'intelligence que la plupart de ses concurrents. Récemment on a pu constater la quantité de gens, en France notamment, qui sont prêts à se battre corps et âme pour prôner une soi-disant normalité, une pseudo "loi naturelle", un modèle divin, qui parfois même affirment ouvertement leur mépris de l'autre, et qui sans le vote des députés du 23 avril 2013 se mobiliseraient sans fin pour prôner encore et toujours le conservatisme, quitte à stigmatiser autrui et à cultiver la haine.




Si au moins cette immense part de la population pouvait se montrer cohérente en rejetant et en boycottant la production hollywoodienne majoritaire actuelle, celle des super-héros en collants et des mutants capables de traverser les murs, de pisser des glaçons ou de mater à travers les fringues, cette masse de blockbusters merdiques qui ont le mérite de vanter, vite fait mal fait, la tolérance, l'altérité, le respect et l'amour du prochain, tout ne serait pas perdu, et ça leur donnerait peut-être un premier argument recevable auprès de nous. Mais même pas.


Les 4 fantastiques et le surfeur d'argent de Tim Story avec Ioan Gruffudd, Jessica Alba, Chris Evans, Michael Chiklis et Julian McMahon (2007)

Mama

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Lors du dernier festival du film fantastique de Gérardmer, le président du jury, Christophe Lambert, a parait-il prononcé un discours étonnant, mais plein de bon sens, où il se plaignait de la piètre qualité des films sélectionnés en compétition. Il est vrai que le festival, qui soufflait sa 20ème bougie, et que l'on annonce en perte de vitesse et sur le point de disparaître depuis toutes ces années, ne s'est jamais véritablement distingué par la pertinence de ses choix. Le discours de Christophe Lambert, assez osé et original pour un président du jury, faisait donc du bien à entendre, et son courage fut logiquement salué avec ferveur dans une revue comme Metaluna. La question que je me pose aujourd'hui est donc la suivante : après avoir établi un tel constat, comment peut-on décemment décerner le Grand Prix à un film comme Mama ? Comment peut-on ?




Mama est un nouvelle production de Guillermo Del Toro, décidément pas décidé à faire du bien au genre qu'il affectionne tant, après le déjà ultra merdique Don't Be Afraid of the Dark. Mama est le remake et l'extension, en long métrage, d'un court du même auteur, l'argentin Andrès Muschietti. Le court métrage aurait apparemment tapé dans l’œil, et pas le bon, du mexicain obèse fan de robotique, qui aurait aussitôt flairé les dollars et proposé à son nouveau poulain d'en faire un film d'une durée approximative d'1h40. Mama nous narre l'histoire de deux fillettes abandonnées dans la forêt et retrouvées des années après par leur oncle (Najat Vallaud-Belkacem), qui les accueille chez lui avec sa petite amie rockeuse (Jessica Chastain). Le couple ignore que les gamines sont désormais sous la protection d'une entité vengeresse qu'elles nomment ridiculement "Mama", un fantôme au caractère peu commode qui verra d'un très mauvais œil qu'on lui retire de façon très arbitraire la responsabilité parentale qu'il s'était lui-même attribué.




Derrière cette histoire faussement compliquée où l'on essaie timidement de nous faire douter de la personnalité des deux gamines, se cache finalement un bête film de fantôme insupportable, qui s'enlise immédiatement dans des situations déjà vues milles fois ailleurs. Il n'y a strictement rien à sauver. Bon, allez, je sauve un court passage où la mise en scène fait pour une fois preuve d'un peu d'intelligence : ce long plan fixe où l'une des gosses joue avec ce que l'on imagine être sa sœur, hors champ, avant que celle-ci apparaisse à côté dans le couloir. Je ne suis pas clair, mais ceux qui auront vu le film comprendront, et cela préservera aux autres aventureux le seul moment un peu malin du film. Car à part ça, RAS. Et on a droit à tous les clichés, de la petite vieille qui nous sort en trois répliques le b.a -ba des grands principes qui régissent l'existence des fantômes parmi nous, à la découverte du douloureux passé du fantôme en question, dans un flashback proprement hideux, où le comble du ridicule scénaristique et de la laideur visuelle sont atteints.




Les scènes de trouille sont très pauvres aussi, et sentent sacrément le rance. Je pense par exemple à cette scène où le docteur des gamines retourne dans la cabane où ses patientes ont grandi afin d'en savoir un peu plus sur Mama. Soudainement plongé dans le noir, le toubib se met à se servir du flash de son appareil photo pour voir ce qui l'entoure. Au fil des flashs successifs, Mama pointe le bout de son nez, et nous sommes supposés avoir les chocottes comme jamais, sauf que Muschietti semble ignorer qu'on a déjà vu exactement la même scène dans des titres bien connus tels Saw ou Shutter, pour ne citer qu'eux, où son efficacité était tout autre car diablement mieux amenées et exécutées. Bref, c'est tout simplement navrant. Et ce n'est là qu'un exemple parmi tant d'autres...




Les 40 premières minutes de Mama se suivent d'un œil distrait, le rythme est tel que l'on regarde tout cela tant bien que mal, déjà passablement agacé, mais ça va encore. La deuxième partie du film est autrement plus terrible pour les nerfs, et je ne parle évidemment pas d'anxiété ni d'un quelconque effroi ressenti devant ce recyclage ignoble. Il devient alors évident qu'il n'y aura plus aucun retournement de situation capable de sauver les meubles. D'ailleurs, de surprise, il y en a finalement aucune, dans ce scénario où un revenant doit simplement accomplir un dernier méfait pour venger sa mort cruelle avant de décamper une bonne fois pour toute. Le pire du pire nous est réservé pour la toute fin, une conclusion grotesque qui nous propose une partie improvisée de tir à la corde opposant la terrible Mama à Jessica Chastain, sur une corniche, avec, au milieu, les deux gamines et, en guise de corde, la ceinture à nouer d'une robe de chambre. Et je ne raconte pas des blagues...




En parlant de Chastain, on se demande bien ce que la belle est venue faire dans cette galère. Affublée d'une tignasse noire qui ne lui sied guère, l'actrice assure le minimum syndical, et se contente d'arborer des tenues de rockeuse tutoyant trop souvent le ridicule. Certaines d'entre elles nous laissent cependant admirer une poitrine sautillante qu'on ne lui connaissait pas si volumineuse, tandis que d'autres s'avèrent impitoyables pour tout son bottom : moulée dans ses jeans grunges troués, la charmante Jessica a l'air d'avoir un gros cul et deux poteaux en guise de jambes ! C'est cruel ! On la préfère en rousse aérienne chez des cinéastes réellement inspirés par son visage si particulier, qu'en patate gothique dans cette horreur de film commis par un footballeur raté... Rien à dire des autres acteurs qui pataugent eux aussi là-dedans, notamment sur les deux petites, auxquelles j'avoue qu'on ne peut rien reprocher. Quoique si, j'ajouterai un mot sur ce dénommé Nikolaj Coster-Waldau : il est beau gosse, certes, y'a pas à dire, il ressemble à un surfeur viking, mais qu'il retourne donc chercher les vagues en Mer du Nord, il ne manquera à personne !




L'important succès rencontré par le film de Muschietti au box office américain doit laisser penser aux personnes peu curieuses que, cette année, Gérardmer ne s'est pas trompé. Et pourtant... Et pourtant ! Un festival comme celui-ci ne devrait-il pas plutôt mettre en avant des films moins faciles, plus exigeants et originaux, comme Berberian Sound Studio ou You're Next, qui concourraient aux côtés de Mama lors de cette sinistre édition ? Je n'ai pas vu ces deux films, je m'appuie seulement sur quelques avis de confiance, et je suis persuadé qu'ils sont infiniment mieux que la daube infâme de Muschietti. De toute façon, je me dis qu'on peut difficilement faire pire.

Pendant le générique d'ouverture, ma compagne a poussé un cri d'horreur lorsqu'elle a lu "Produced by Guillermo Del Toro". Elle se souvenait de Don't Be Afraid of the Dark. J'aurais dû l'écouter. Elle m'en veut encore. Elle m'en veut encore ! Meurs, Gérardmer !


Mama d'Andres Muschietti avec Jessica Chastain, Nikolaj Coster-Waldau et Megan Charpentier (2013)

Mud

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On l'a dit, on l'a redit, et on le répète, Jeff Nichols fait partie des jeunes cinéastes contemporains les plus doués et les plus intelligents. Mud, son troisième film, est un peu moins strictement indépendant que les deux précédents - avec tout ce que cela implique : davantage de personnages, de noms connus à l'affiche, d'action, de modèles narratifs canoniques et de musique, toutes proportions gardées -, et prend de vrais risques en multipliant les sujets (l'amour sous toutes ses facettes, amour filial, amical ou conjugal à tous âges) et les approches (conte pour enfant, drame adolescent, film d'aventure, récit d'apprentissage, drame familial, drame social, film de gangster), mais Nichols brave les difficultés, ressort grandi de tout ce qu'il tente, évite tous les écueils et réussit à nouveau un petit miracle.




L'intelligence du cinéaste est telle qu'il se tire de tous les guêpiers dans lesquels il s'est lui-même fourré (rappelons qu'il est aussi scénariste de ses films). Et si l'on ne peut s'empêcher de donner une fois de plus dans la critique positive par la négative, vantant les mérites d'un artiste pour tout ce qu'il ne fait pas et que tant d'autres à sa place auraient malheureusement fait, chose qui ne viendrait pas à l'esprit pour d'autres cinéastes de l'acabit de Nichols (ne citons que Kelly Reichardt), c'est que Jeff Nichols, au lieu de se tenir à l'écart des sentiers battus, se les impose et les affronte, quitte à composer avec des situations narratives éculées qui suscitent des attentes inquiètes chez les spectateurs mal-habitués que nous sommes. Il faut dire à quel point on se désespère, devant un film d'une telle subtilité, d'être à ce point conditionné par la vision répétée de films qui n'en ont aucune. Qui ne s'attend pas, quand Galen (le toujours excellent Michael Shannon) aperçoit son neveu en train de causer avec Mud (le très beau McConaughey), à ce que l'oncle du petit Neckbone (Jacob Lofland) dénonce le meurtrier en cavale, ou empêche son protégé de l'aider ? Qui n'est pas persuadé qu'Ellis (le jeune Tye Sheridan est déjà impressionnant) va se faire attraper par les chasseurs de prime quand il retourne voir Juniper (Reese Witherspoon) au motel ? Qui ne craint pas, dans la fusillade finale, que le père d'Ellis tire sur Mud en le prenant pour l'agresseur de son fils ? Ou que les salopards de l'histoire ne s'en prennent au petit Neckbone qu'ils viennent de capturer, pour parvenir à leurs fins ?




Et pourtant rien de tout cela n'arrive. Et quel soulagement. Mais le plus fort dans tout ça, c'est que Nichols, qui a le don pour prendre des tournants surprenants face à la plupart des pièges qu'il s'est créés, se laisse néanmoins aller à certaines facilités, glisse parfois vers l'attendu et le redouté, comme lorqu'Ellis tombe dans le ruisseau ou quand le vieux Tom Blankenship (gigantesque Sam Shepard), ancien tireur d'élite, comme le scénario nous l'a plusieurs fois répété, reprend finalement du service et fait parler la poudre au moment opportun. Dans ce dernier cas, on est typiquement face à un "truc" de scénario qu'on attend d'un film d'action bateau, d'ailleurs c'est plus ou moins ce qu'on nous sert à la fin du récent Jack Reacher, et si tant est qu'on l'accepte dans un film avec Tom Cruise, c'est tout ce qu'on ne veut pas voir chez Nichols. Pourtant, allez savoir comment, le cinéaste a un talent tel que rien ne paraît idiot ou facile chez lui, et qu'on marche à fond dans son histoire, y compris quand il emprunte quelques raccourcis et marche sur des cordes bien usées. C'est que la beauté des personnages écrits par Jeff Nichols, caractères sensibles, intelligents et touchants, tous aimables, au sens littéral, ajoutée au talent immense du cinéaste pour choisir et diriger ses acteurs, à la finesse qui se dégage du script ainsi que de la mise en scène, emporte le morceau et nous a conquis de longue date quand ces éventuels poncifs surviennent.




Se confronter à des stéréotypes narratifs et les sublimer - le jeune Ellis est à l'image de son auteur, lui qui projette un idéal romantique cliché et tente de le reproduire en mieux - n'est qu'une preuve parmi d'autres du courage du jeune cinéaste américain. Écrire un film d'une telle richesse thématique, entremêler autant de personnages, de genres et d'émotions, convoquer qui plus est tout un réseau de références littéraires, cinématographiques ou mythologiques, n'était pas une mince affaire. C'est par conséquent sur le récit, les personnages et l'émotion que Nichols se concentre en grand "storyteller", quitte à retourner vers une mise en scène discrète, digne de son premier film Shotgun Stories, moins audacieuse ou frappante que celle déployée dans le sublime Take Shelter. Le cinéaste travaille clairement ici sur l'histoire, une histoire qui rappelle les romans d'aventure de l'enfance. On pense, dès le début du film, aux oeuvres de Mark Twain (quand Ellis et Neckbone traversent le fleuve Mississippi), voire à L’île aux pirates de Stevenson (via l'apparition de Mud, avec son empreinte marquée d'une croix), mais aussi au cinéma de Robert Mulligan (To Kill a Mockingbird) ou à Stand by Me, films centrés sur des petits sudistes, rendus matures par les difficultés économiques et sociales de leur coin et déjà marqués par les aléas sentimentaux de leurs parents ou par leur absence, qui se mettent en quête d'une histoire à vivre, quitte à grandir d'un coup et à recevoir quelques coups. Nichols évoque aussi de grands récits métaphysiques (peut-être Fitzcarraldo, avec ce bateau perché dans un arbre) et propose une plongée franche au cœur du romanesque, celui des contes fantastiques (après tout l'histoire est engendrée par un gamin, et même les noms évoquent les romans de piraterie ou la mythologie : Mud, Neckbone, Juniper...) avec leur lot de magie et de cruauté.




Mud apparaît donc autant comme un film d'aventure que comme une réelle aventure cinématographique pour son auteur qui, contrairement à ce que pourrait laisser croire la tournure (relativement) plus commerciale de son nouveau film, prend des risques et gagne encore en ampleur avec ce récit très riche, très étoffé, ancré dans une foule de genres et de courants romanesques réinvestis avec talent. On a hâte que le cinéaste renoue avec les tentatives formelles plus franches et très réussies de son deuxième film, mais on se réjouit de le voir nous embarquer avec brio dans un grand récit sur l'amour, ses conditions et sa force de conviction. D'autant que le cinéaste, principalement occupé à raconter, n'en oublie pas de filmer et le fait magnifiquement, qu'il s'agisse de mettre en avant ses superbes acteurs ou la nature sauvage, mystique, de l'île secrète et réservée. Ces plans de paysage qui ponctuent les trajets de Mud et des deux garçons sur la petite jungle flottante, sont tout sauf des plans de coupe ou des contemplations extatiques et esthétisantes, ils participent de l'envoûtement fantastique du récit et sont autant de lieux parcourus ou à parcourir par une enfance en voie de métamorphose, sur le point d'apprendre le mensonge et la trahison et d'essayer de se maintenir hors de leur portée. Car même si l'espoir demeure un horizon, rien n'est simple dans le monde dépeint par Jeff Nichols, qui mêle les histoires et les registres, parvient aussi à jongler entre humour et émotion, et réussit son nouveau défi avec l'intelligence qu'on lui connaît, intelligence qui désormais n'est plus à prouver.


Mud de Jeff Nichols avec Tye Sheridan, Matthew McConaughey, Reese Witherspoon, Sam Shepard, Sarah Paulson, Ray McKinnon et Michael Shannon (2013)

The Grandmaster

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Wong Kar-Wai est typiquement le genre de cinéaste dont les films semblent plus enclins à laisser des images en guise d'empreintes durables dans l'esprit de leurs spectateurs plutôt que des histoires, des personnages ou des dialogues marquants. Le problème de The Grandmaster,c'est que ce constat - que l'on fait d'habitude a posteriori, lorsque l'on cherche les traces que les films ont laissées en nous ou quand ils nous reviennent en mémoire d'eux-mêmes - on peut le faire alors même que le film se déroule sous nos yeux pour la première fois. La raison à ce phénomène n'est malheureusement pas la puissance écrasante des images du nouveau film du cinéaste, qui nous laisseraient sidérés et bloqueraient jusqu'à la compréhension du récit, mais bien la faiblesse de ce dernier.




Le scénario de The Grandmaster est parfois confus mais surtout brouillon dans son organisation même et dans sa visée globale. C'est la difficulté du biopic, ou de la fresque historique : l'histoire est déjà écrite et ne s'écrit pas toujours de façon aussi limpide ou efficace qu'on pourrait l'espérer. La tâche du conteur est alors de travailler sur ce matériau pré-existant et de le façonner de telle sorte qu'il devienne non seulement suffisamment clair mais qu'il prenne un semblant de direction définie, et surtout semble vouloir dire quelque chose. Or Wong Kar-Wai, qui veut coller la grande histoire de la Chine sur la petite histoire du Kung-Fu, et qui s'attarde parfois sur des personnages secondaires sans doute primordiaux dans cette histoire mais malheureusement préjudiciables à l'économie narrative du film et à son équilibre, n'a pas toujours l'air de savoir ce qu'il veut faire de ce récit, ni ce qu'il a finalement à nous dire.




On ne sait jamais très bien ce que le cinéaste est en train de nous raconter, au point d'ailleurs que cette incertitude permanente nous empêche de fabriquer, consciemment ou inconsciemment, un horizon d'attente. Nous voilà donc abandonnés à la pure contemplation d'images quasiment dépourvues de tout socle narratif solide, et un spectateur qui ne sait pas où il va peut facilement trouver le temps long (puisqu'il n'attend rien et ne saurait même s'exercer à prévoir la portée finale du récit). Il faut donc à tout prix être absolument fasciné par les images pour les admirer pendant deux heures sans savoir leur idée profonde ni le propos qui les relie. Or les images de The Grandmaster sont souvent belles, et c'est ce qui sauve assez largement le film de Wong Kar-Wai. La scène d'introduction, où Ip Man (Tony Leung) se bat sous la pluie, à condition que l'on accepte les codes du genre et l'esthétique excessive du cinéaste, séduit. Mais les suivantes du même acabit en répètent les effets et perdent en puissance. D'autant que certains des effets de style déployés dans In the Mood for Love et 2046 sont ici poussés à l'extrême et utilisés sans interruption : ralentis, mouvements de caméra, chatoiement de l'image, effets de flou, monochromes noirs et or, etc. Si bien que le projet de Wong Kar-Wai, que l'on peut soupçonner d'avoir sciemment installé un flou autour de son script pour bercer le spectateur dans le vague et le laisser seul face à la plastique de l'image, montre vite ses limites.




In the Mood for Love gagnait à ne faire intervenir cette forme sur-stylisée que par intermittences, comme un leitmotiv mélancolique. Les plans-séquences en mouvement et au ralenti scandaient des séquences au style opposé, faites de plans fixes et réalistes sur des scènes très prosaïques. 2046, film volontairement et très judicieusement complexe voire bordélique, variait les styles et les tons dans un amalgame joyeux et savant de réalisme romantique et de science-fiction futuriste. Dans The Grandmaster il n'y a pas de contrepoint à une esthétique unique et jusqu'au-boutiste. Sauf à considérer les variations de rythme entre les scènes de combat et les autres, car il est vrai que l'on avait un peu oublié l'aptitude de Wong Kar-Wai à la vitesse et au montage effréné. Mais les scènes de combat, quand elles ne sont pas magnifiées par l'ambiance particulière des scènes de pluie, tombent dans une démonstration de force à la Matrix (même si c'est vache pour Wong Kar-Wai). Ces scènes fonctionnent mais finissent par lasser, et si des effets de ralenti avec jeux de lumières et mouvements des formes sont bienvenus quand ils magnifient la figure d'une femme en robe descendant un escalier, ils ne font que rajouter de la forme à la forme déjà emphatique des gestes du Kung-Fu.




Rien d'étonnant donc à ce que les deux plus belles scènes du film soient celles où Wong Kar-Wai fait ce qu'il a toujours fait de mieux : filmer la beauté expressive des visages dans un bar, la présence des corps amoureux mais interdits dans une rue (c'est la scène où Gong Er, le personnage interprété par la sublime Zhang Ziyi, se livre au maître Ip Man), ou restituer aux mouvements des corps leur grâce et les déployer dans le temps (dans la séquence où la petite Gong Er apprend les arts martiaux dans le jardin de son père, séquence calme où la mise en scène du cinéaste sublime une scène non sur-chargée et donne enfin à voir le Kung-fu comme de la danse). The Grandmaster, pour résumer, devient beau quand Wong Kar-Wai suit les préceptes des grands maîtres de son film et se détourne de toute quête de gloire et de toute volonté d'épate au bénéfice de l'art.


The Grandmaster de Wong Kar-Wai avec Tony Leung, Zhang Ziyi, Jin Zhang et Chang Chen (2013)

De rouille et d'os

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De Rouille et d'os, comme Un Prophète en 2009, a su émerveiller public et critique à sa sortie, dans une grande orgie dégueulasse et insupportable dont Jacques Audiard, cinéaste salué comme le plus important de sa génération dans notre beau pays, était l'élément central, récipiendaire de nombreux cumshots verbaux et tapuscrits. Je m'étais arrêté au bout de la première demi-heure de son précédent film, j'étais allé suffisamment loin pour savoir que je ne mangeais pas de ce pain-là et pour tout de même comprendre comment cela avait pu plaire à ce point. En ce qui concerne De Rouille et d'os, par contre, c'est un grand mystère ! Je lis les extraits des critiques presse sur Allociné, et ça me fout les chocottes... Comme pour Looper, les seuls qui soient lucides, ce sont les Cahiers du Cinéma, qui le traitent comme il se doit ! Je peux aisément comprendre que des personnes regardant peu de films et habituées aux documentaires racoleurs qui passent à la télé puissent être touchées par un tel film. Mais la critique et les cinéphiles de tous poils, comme toutes les personnes ayant une haute estime de l'art cinématographique, devraient logiquement enfoncer ce film et son réalisateur à la noix, cet escroc qui passe pour un génie... Sa dernière livraison pèse des milliards de tonnes. C'est bête et laid, c'est plein de tics de mise en scène qui se veulent beaux (Audiard adore notamment filmer le soleil et faire des effets de lumières super cons dignes d'un adolescent qui découvre à peine la photographie) et la bande originale vous proposera un bel aperçu des chanteurs qui étaient à la mode au premier semestre 2012 et dont on ne se souviendra même plus dans six mois. C'est ultra too much dans le mélo, le pathos, tout ce que vous voulez, tout est surligné par la musique quand ça ne l'est pas par autre chose, c'est vraiment, vraiment, mais vraiment nul.


Quelle idée d'avoir mêlé à ce désastre cet animal si noble et majestueux qu'est l'orque, "la baleine tueuse" ? Il y avait mille autres façons de perdre ses jambes !

Ce qu'il y a de dingue à constater, c'est que ça ne donne pas du tout envie de s'en prendre à Marion Cotillard (une cible qu'on adore pourtant !). On ne peut rien lui reprocher de spécial, si ce n'est que c'est évidemment ridicule de la retrouver dans ce rôle taillé sur mesures où elle joue sans maquillage, sans soutien-gorge, sans jambes, sans rien, où elle se met totalement à nu pour aller à l'envers d'une glamourisation hollywoodienne qui lui tend les bras. Le choix est trop voyant et ça rend le tout assez risible. Mais dans le film, la faute ne lui revient pas, elle fait son travail ; et si son principal conseiller s'appelle Guillaume Canet, on comprend qu'elle aligne les choix les plus attendus. A la limite l'acteur belge Matthias Schoenaerts est plus énervant... Faut dire que son personnage de crétin complet ne l'aide pas. Il joue un père incapable de s'occuper de son gosse albinos. Vers la fin du film, son beau-frère lui amène son fils pour qu'il puisse passer une après-midi avec lui. Ni une ni deux, il décide que la meilleure chose à faire est d'aller s'amuser à glisser avec le gamin sur un lac gelé. Avant que ça n'arrive, j'ai dit à voix haute : "Si la glace craque et que le gosse se noie dans l'eau glacée, c'est l'un des piiiiiiiires films au monde". A peine j'avais fini de dire le mot "pire" que le gosse se neiguait ! Au cinéma, je pense que j'aurais réagi comme devant le Paris de Klapisch au moment où l'ignoble Julie Ferrier chute en scooter après avoir pris quelques virages inutiles le sourire aux lèvres, c'est à dire en m'esclaffant bruyamment. C'est du même niveau ! Klapisch, Audiard, même combat ! Bref. Le gosse passe donc cinq bonnes minutes dans l'eau glacée, jusqu'à ce que son enflure de père brise la glace à l'aide de ses poings (lui qui, au quotidien, gagne de l'argent au black grâce à des combats de rue ridicules - ses poings lui servent enfin à faire le bien, c'est beau, snif !). Mais le gosse ne crève pas, on parvient à le réanimer à l'hosto après "3 heures de coma" (sic). C'est l'avant-dernière scène du film et c'est du lourd lourd lourd !


Je me suis toujours méfié de David Lynch, Tim Burton, Jim Jarmusch et tous ces autres cinéastes qui font trop gaffe à leur style...

Il faut traiter Audiard comme il se doit : mal. Ma "critique" en révoltera certains, d'où les guillemets. C'est un cri du cœur. Je suis le cinquième "hater" de Jacques Audiard sur Vodkaster. Nous sommes 5 face à ses 127 fans, et c'est un site encore mal connu, il sont des milliers et des milliers dans la nature ! C'est pas normal. Si je pouvais concevoir que ce cinéaste de pacotille réussisse à faire illusion avec ses précédents films, l'arnaque aurait dû éclater au grand jour avec celui-ci. Je répète à qui mieux mieux qu'il faut toujours se méfier des cinéastes qui prêtent trop attention à leur look, qui soignent trop leur allure. Il y a quelques contre-exemples dans l'Histoire du cinéma, comme Jean-Luc Godard et ses petites lunettes de soleil rondes (ce qui explique toutefois la photographie trop lumineuse de quelques-uns de ses films), Eric Rohmer et ses pantalons de velours à grosses côtes (l'homme avait simplement du goût !), Ron Howard et ses pulls sans manches... C'est vrai, vous en trouverez d'autres, même outre-Atlantique, mais ce sont autant d'exceptions qui confirment la règle ! Un grand réalisateur se doit d'avoir l'air d'un chien, d'un clodo à peine présentable, il demeure derrière la caméra, et non sous le feu des projecteurs, il peut magnifier ses acteurs dans ses propres films, mais non sa propre personne sur les tapis rouges. A partir du moment où un cinéaste se soucie trop de son apparence, j'éprouve naturellement beaucoup de méfiance à son égard. Au dernier festival de Cannes, où son film fut très justement ignoré par un Jury par ailleurs totalement à côté de la plaque, Jacques Audiard s'est présenté le sourire jusqu'aux oreilles, gagnant d'avance, naïf, idiot, en smoking trois pièces bien ajusté, des lunettes à grosse monture noire sur le bout du nez, écharpe rouge autour du cou à la Jean Moulin, crâne rasé de près à la Lénine, le tout surmonté d'un chapeau melon noir du plus bel effet à la Emma Peel, avec pour ne rien gâcher le petit bouc poivre et sel à la Gérard Jugnot des grands jours. Bref, Jacques Audiard avait toute la panoplie du pur salop qui étale enfin la vaste mascarade qu'il incarne sur le devant de la scène. Quand je l'ai vu accoutré comme ça, je n'ai pas du tout été étonné. Cela faisait sens. Un tel guignol se doit de parader avec des habits de luxe et de soigner son image avec la minutie d'un dangereux criminel ; mais par pitié, n'en faites pas le plus grand cinéaste hexagonal actuel, car en réalité, c'est peut-être l'un des pires !


De Rouille et d'os de Jacques Audiard avec Marion Cotillard et Matthias Schoenaerts qui devra changer de nom s'il veut réussir à Hollywood (2012)

Australia

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Il était temps que je vous raconte le truc pas banal qui m'est arrivé devant ce film. Vous devez bien savoir qu'au cinéma, lorsqu'on va voir des films un peu longs, s'hydrater intensément et bouger régulièrement sont les deux conditions sine qua nonà une séance sans danger pour la santé. Australia dure 165 minutes, 163 de trop. Cette séance de ciné anodine a bien failli me coûter la vie. C'est ce qu'il en coûte à rester 165 minutes pétrifié, littéralement transformé en statue de cire. Pris de court par la monstruosité de l'oeuvre de Bazile Lurhmann, j'ai choisi comme solution de repli de m'abstenir de tout mouvement pour ne pas gifler le premier venu ou me servir du sommet du crane de mon voisin de devant comme d'un djembé. Je me suis aussi, pour les mêmes raisons, interdit de me lever pour ne pas fuir et perdre ainsi les 3,5€ du tarif réduit que j'avais obtenu en me tassant un peu devant une guichetière à la ramasse. C'est donc tout honteux que je suis resté enfoncé dans mon siège pendant les cinq heures qu'a duré le viol. Pas question de péter non plus, de peur de ne pas pouvoir balancer l'odeur sur mes voisins avec quelques moulinets des deux bras, puisqu'à force d'immobilisme volontaire j'étais pétrifié sur place. Impossible de me lever après la fin du générique de clôture. J'ai frôlé l'embolie pulmonaire. Je suis sorti de la salle les deux pieds devant, sur une civière, un paracétamol entre chaque orteil en éventail. Amené à l'hôpital le plus proche, on m'a appris que je souffrais d'une thrombose veineuse profonde. Ce problème de circulation était dû à une position statique tenue trop longtemps, dite de la "statue de sel", pouvant mener à la mort. A bord de ma civière je ne faisais plus le fier.


Australia de Baz Lhurmann avec Hugh Jackman et Nicole Kidman (2008)

Somewhere

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Pas de salamalecs entre nous, Somewhere est infâme. Même parmi ceux qui, après trois films seulement, avaient volontiers placé Sofia Coppola sur le toit du monde, au sommet du cinéma américain contemporain, même parmi ceux qui l'avaient déclarée surdouée et qui s'étaient empressés de faire d'elle la cinéaste la plus géniale des temps modernes, même parmi ceux-là beaucoup se sont parjurés, ont renié leur jugement, revu à la baisse le soi-disant génie de cette fille à papa, une fois face à face avec Somewhere, ce film malingre, insignifiant. La critique professionnelle s'est majoritairement contentée de saluerle film(on ne touche pas aux idoles, et la fille Coppola suit son père en entrant petit à petit au panthéon des auteurs admirés quoi qu'ils fassent), mais le public ne s'est quant à lui pas fait prier pour descendre la jeune femme de son piédestal usurpé. Et c'est triste pour la réalisatrice quand on pense que Somewhere est le film le plus intime de Sofia Coppola, qui a voulu dresser le tableau de son enfance passée, semble-t-il, à péter dans la soie et à se nourrir exclusivement de truffes (d'où sa tronche) grâce aux paquets de dollars accumulés sous son matelas par son brave tas de papa.


Francis Ford avait revendiqué la paternité de Virgin Suicides en découvrant le succès inattendu du film de sa fille, il n'en a pas fait autant pour Somewhere, même si la tâche lui était rendue facile par la présence dans l'équipe du très regretté Harris Savides, le célèbre dirlo photo qui tient la caméra sur cette photo et qui lui ressemblait beaucoup, d'extrêmement loin.

Le film raconte l'histoire d'un type qui fait des tours en solitaire et en boucle sur un circuit en plein désert, au volant de sa Ferrari ronflante et rutilante. "Raconte une histoire", c'est beaucoup dire, on est ici dans la veine indé américaine où prime le quotidien, le non-événementiel et le vide narratif volontaire, à ceci près que des gens comme Van Sant ou Jarmusch ont déjà maintes fois travaillé cette matière et, armés d'une vraie vision doublée d'un grand talent, en ont tiré des films brillants. Chez Sofia Coppola, le vide sonne creux et les silences sont trop parlant. En affichant à l'écran, et à tous les étages, un désert morne, la réalisatrice ne fait qu'avouer la pauvreté de son propos. Elle filme platement et durant d'interminables séquences un gros blaireau qui est aussi un acteur célèbre et qui s'emmerde à cent sous de l'heure. Le personnage principal est une star pleine aux as qui se fait chier au volant de son bolide comme il se fait chier sur son lit d'hôtel devant le spectacle pathétique des deux plus mauvaises pole danseuses de Los Angeles convoquées par ses soins. Il se fait également chier en regardant sa fille faire du patinage, il se fait chier de même en conférence de presse, en interview, en nageant dans une piscine de rêve, en mangeant des farfalles, bref il se fait tout le temps chier et Sofia Coppola croit que c'est une raison suffisante pour nous faire chier aussi. Le héros du film se fait même chier sous la douche car il doit tenir son bras dans le plâtre hors de portée du jet d'eau : la séquence revient plusieurs fois tant elle est éloquente. Bref cet acteur se fait chier tout le temps, comme tous ces gens riches que Sofia Coppola connaît si bien pour en faire partie (c'est elle qui le dit), qui n'ont pas d'amis, qui ne se divertissent jamais, qui n'ont rien à faire de leur temps, qui n'ont d'intérêt pour rien, qui ne travaillent pas, qui ne lisent pas, ne se promènent pas, ne parlent pas...


Dans la réalité on était plus près du casting de La Planète des singes que de la couverture de playboy ou du catalogue des 3 Suisses que nous vend le film à chaque seconde.

Or, si l'on en croit la réalisatrice, on tient là le premier biopic déguisé de Francis Ford Coppola. Et il nous glace le sang ! Biopic "déguisé" car c'était pas été assez cool pour Sofia de filmer un obèse à barbe énorme en pantalon blanc et en tongs aux côtés de sa fille aux traits ingrats d'adolescente, aux cheveux en bois massif et aux dents hippiques, sorte d'Eva Longoria complètement dégénérée. D'où l'acteur jeune et séduisant (Stephen Dorff, un nom à ne surtout pas retenir) et sa petite fille blonde trop cute (la réellement douée Elle Fanning, que l'on préfère dans Twixt de papa Coppola) avec son sourire jusqu'aux oreilles et ses dents si joliment tordues, pour remplacer le cachalot au cigarillo et la jeune autiste au bec de lièvre. Toujours est-il que grâce à cette biographie oblique de Francis Ford Coppola, on comprend mieux la dérive du gros cinéaste et le léger écart de niveau entre des films comme Apocalypse Now et Jack (clairement le film d'un dépressif rendu dingue par sa progéniture). On pige mieux le black-out terrible qui dura 8 ans dans la carrière du réalisateur suite à la sortie du premier grand film de sa fille en 1999, Virgin Suicides. Cette déperdition cinématographique du parrain du cinéma italo-américain alla de pair avec une prise de poids démentielle et laissa le champ libre à sa fille pour une carrière népotique et navrante dont Somewhere est une sorte d'acmé.


Les stars de cinéma bourrées aux as ressemblent donc à ça ? Je préfère encore palper les bourses universitaires du Cnous échelon 5.

Mais revenons à Sofia Coppola, qui confond minimalisme et vacuité, plan-séquence et montage aux abonnés absents, qui confond Virgin Suicides, son film sur des adolescentes façon American Beauty, et Elephant. Qu'est-ce que c'est que Somewhere ? C'est, à travers une suite de scènes très scolaires, où rien n'affleure, où rien n'arrive, ni à l'image ni à l'intérieur de l'image, le portrait d'un gros connard bourré de fric et creux comme une barrique. On passe une heure et demi à regarder un débile qui ne fait strictement rien à part se gratter le cul avec sa main plâtrée et sentir le bout de ses doigts. Le plus triste dans l'affaire c'est que ça se croit malin en usant et en abusant d'un symbolisme de devoir sur table de français de 4ème. Je veux parler par exemple de la première séquence, vaguement inspirée d'un certain cinéma indépendant américain des années 70 (Macadam à deux voies, etc.) où la voiture de l'acteur tourne en rond sur un circuit dans le désert, sans but, en bonne métaphore du destin du personnage et à l'image de l'ensemble du film à venir. Bravo. Idem quand les personnages ont pour seule occupation les jeux vidéo, et surtout la Wii, qui leur permet de s'enfoncer dans la superficialité d'une activité virtuelle et dans un ersatz d'existence tangible. Chapeau bas. Le spectateur n'a plus qu'à bouffer sa main et garder l'autre pour demain. Ça se croit beau et impérieux, comme dans cette scène de dix minutes où la caméra balaye et re-balaye lentement le patinage de la gamine dans une veine très japonisante de type cinéma contemplatif asiatique et où la glace s'empare des membres du spectateur alors qu'il est assis sur son canapé en plein cagnard. Ça se sent branché et irrésistible parce que la musique employée pour le film l'est soi-disant. A l'ouest rien de nouveau avec celle qui reste et restera l'ex de Tarantino, le grand manitou de la BO de fou, lequel l'a récompensée en lui remettant le Lion d'Or de la Mostra de Venise 2010. Ce film apathique a pourtant dû procurer un ulcère à l'autre excité du bonnet, mais c'était signé par son ex-femme et après tout ça ne fait que rajouter de petits arrangements entre amis au déjà pesant soupçon de piston ambiant (c'est moins une attaque contre le père ou la fille Coppola que contre certains médias qui s'excitent sur les films de la fille en partie parce qu'elle porte le nom du papa).


Si ce revers slicé en passing ne finit pas derrière la haie, je ne suis plus blogueur ciné.

Ça se croit surtout brillant avec ce dernier plan où notre abruti de comédien réunit ses dix neurones après avoir chialé un bon coup - car je ne l'ai pas assez dit mais le propos passionnant de Sofia Coppola c'est que les riches sont tristes aussi et que les stars dépriment comme nous - et décide d'arrêter sa belle voiture sur le bord d'une route désertique pour en descendre et marcher vers la caméra d'un pas assuré, tout sourire, libéré comme par enchantement du carcan d'ennui de sa morne existence. Le film coupe là-dessus et Sofia nous envoie le générique, mais dans la version longue on voit l'acteur s'arrêter net, dire : "Où je vais comme ça, à pattes dans le désert, en laissant mon cabriolet super cher derrière moi la con de ma race ?", et retourner poser son cul sur le cuir brûlant du siège de sa bagnole d'enfer pour faire encore et encore des tours en solitaire. Mais Sofia a préféré sauver son personnage, son gros papa, Francis "Ford" Coppola, qui a fini par sortir de sa dépression pour continuer à avancer. On allait s'en douter en voyant ses nouveaux films, pas la peine de nous raser gratis, Sofia... Somewhere, comme sa réalisatrice, se croit alors qu'il n'est pas. Film de la pire espèce, comble de vanité et de misère intellectuelle, sommet d'indigence artistique et de niaiserie totale, c'est une sacrée daube, et on peut parier que quiconque aurait réalisé ce film n'aurait plus le crédit nécessaire pour en tourner aucun, mais Madame s'appelle Coppola, alors elle enchaîne, elle va à Cannes, et on aura longtemps droit à de nouvelles chieries sans se faire de souci, promis.


Somewhere de Sofia Coppola avec Stephen Dorff et Elle Fanning (2011)

La Femme des sables

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La Femme des sables, réalisé par Hiroshi Teshigahara en 1964 et auréolé du Prix du Jury à Cannes la même année, est un conte cruel sur la condition humaine. Un jeune entomologiste (Eiji Okada) marche dans un désert de sable à la recherche d'insectes rares. Lors d'une halte, il rencontre une poignée de villageois qui l'invitent à se désaltérer chez eux et le conduisent dans une auberge, au creux d'un puits de sable. Son hôte, une sympathique jeune femme (Kyôko Kishida), lui offre le gîte et le couvert et répond à ses questions tout en déblayant le sable qui s'écoule continuellement du plafond. Le lendemain matin, l'homme se rend compte qu'il vient d'être fait prisonnier et qu'il est condamné à demeurer avec la femme des sables pour le restant de ses jours, travaillant d'arrache-pied à faire remonter aux villageois les quantités de sable qui s'abattent sur sa tête.




C'est une très complète métaphore de la vie moderne, une parabole où l'homme est insecte, fourmi ouvrière, pris au piège d'un tube à essai géant, Sisyphe réduit à l'absurdité du travail, appâté par la carotte d'une misérable pitance, récompensé par un minimum absolu de ressources vitales. Et pas le droit de se plaindre. Et même qu'il doit s'estimer heureux. Quand le héros demande à la femme des sables "est-ce que tu travailles pour vivre ou est-ce que tu vis pour travailler ?", c'est une autre formulation de la fameuse sentence entendue chez Leone dans Le Bon, la brute et le truand : "If you work for a living, why do you kill yourself working ?". L'entomologiste et la femme des sables, héros et héroïne enterrés vivants de cette histoire, miroirs de l'humanité entière, se satisfont de presque rien, s'échinent pour obtenir une radio supposée les divertir, s'abrutissent à force d'isolement et de vacuité, travaillent bêtement à enrichir de plus gros qu'eux quitte à participer à une entreprise néfaste pour d'autres populations dont finalement ils doivent bien se foutre, et ce quitte à vivre repliés dans un quant à soi égoïste et naïf, voué au déclin de chacun.




Voilà le genre de pensées qui nous traversent devant ce film. On songe à la prostitution consentie et implicite des foules (littérale dans le film) qui remettent leur liberté à demain. Au syndrome de Stockholm généralisé à l'ensemble de la population humaine, plongée dans la servitude volontaire de La Boétie jusqu'au cou. Reclus dans la Caverne de Platon, les hommes vivent sans jamais voir le jour, rejettent l'expérience aveuglante du soleil et retournent à la noirceur de leur trou confortable. A ceci près que le héros du film, contrairement à la femme des sables, a connu le soleil avant l'obscurité, la liberté avant la captivité, mais la vraie question pour lui est de savoir si ledit soleil était réel, et s'il ne vit pas finalement (à l'intérieur du trou de sable, avec la petite marotte obsédante de sa découverte : obtenir de l'eau par capillarité) dans un microcosme reproduisant exactement, à une échelle réduite, les conditions du monde réel, plus vaste bien qu'identique. Dès lors pourquoi quitter son trou ? Pourquoi ne pas y rester comme nous restons tous dans notre carcan quotidien ?




La femme des sables est un film très riche, suffisamment ingénieux et minimaliste pour contenir en puissance une foule d'idées, d'hypothèses et de conceptions philosophiques, et pour parvenir à les faire germer en nous par grappes. Le seul bémol, c'est que le film n'est pas non plus toujours d'une grande finesse, et que la plupart de ces thématiques (tendance très japonaise à donner dans la grande critique pessimiste du sort tragique et absurde de l'humanité dans un conte farfelu et intriguant) sont très explicites, voire lourdement explicitées par les dialogues.




En revanche le film contient de très belles choses sur le plan formel, des choses moins directement écrites, moins dialoguées (à l'image de la tirade sur le travail ou la vie) ou scénarisées (tel le cartoon débile qui rend le héros bêtement hilare avant de l'agacer tout à coup). Par exemple, Teshigahara excelle à filmer les corps, fait des gros plans sur les gorges des personnages, brisant l'humanité des figures pour les rendre animales et placer sous notre regard de voyeurs, et sous le sien d'expérimentateur, l'humain observé à la loupe tel un insecte fascinant. On trouve aussi de magnifiques plans sur le sable qui s'affaisse et qui coule sur les parois du trou comme dans un sablier géant, créant un vrai sentiment du temps écoulé (la durée du film y contribue aussi mais ça ne suffit pas). Ces images du sable fondant sur lui-même par ridules, presque abstraites et un peu érotiques en elles-mêmes, rajoutent au côté fablesque du film, à sa part fantastique déroutante aussi, qui trouve son apogée dans cette séquence terrible de la "demande de viol" où les figures des villageois masqués, monstrueux, juxtaposés par un montage brutal, éclatent dans le plan et font réellement peur.




Le film doit aussi beaucoup à son acteur principal, Eiji Okada, le premier rôle masculin de Hiroshima mon amour. On retrouve chez Teshigahara des plans quasi identiques à ceux de l'introduction sublime du premier film de Resnais (tourné 5 ans plus tôt) quand Okada fait l'amour avec la femme des sables et qu'on voit son dos filmé en gros plan, parcouru par les mains de sa maîtresse et recouvert tantôt de sueur tantôt de sable, plans qui comptent parmi les plus beaux moments du film, comme toutes les scènes où le cinéaste se décide à ne plus trop verbaliser, théoriser et réfléchir, pour mieux montrer, matérialiser, faire surgir.


La Femme des sables de Hiroshi Teshigahara avec Eiji Okada et Kyoko Kishida (1964)

Cannes 2013 - Notes sur un début de festival

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Notre collaborateur Simon était à Cannes en ce début de festival et a couvert le festival pour nous. Il nous présente aujourd'hui son bilan sur la première moitié du festival avec des notes sur une quinzaine de films dont sept titres de la Sélection Officielle, un titre sélectionné à Un certain regard et deux à la Semaine de la critique. Mais laissons-lui la parole sans plus tarder :




A l’annonce de la sélection officielle il y a quelques semaines, certains se sont inquiétés de l’absence de potentielles découvertes, du peu de place donnée aux jeunes cinéastes et du retour perpétuel des mêmes noms, membres d’une chapelle qu’il est bien difficile d’intégrer quand on n’a pas déjà fait ses preuves avec plusieurs films dans les sélections parallèles. C’est en effet dommage, et c'est la marque d’un manque d’audace aussi bien que de l’obligation, un peu fatigante, de montées des marches glamour, mais l’espoir d’une compétition de haute tenue entre ces grands noms pouvait atténuer la déception. Les 7 films en compétition que j’ai pu voir jusqu’alors donnent plutôt raison aux esprits chagrins : s’il y a bien évidemment déjà eu de belles choses chez certains « habitués » (Jia Zhangke, Arnaud Desplechin, Alexander Payne) et s’il y en aura d’autres dans les jours à venir (Haroun, Kechiche, Gray, Des Pallières, Jarmusch ?), aucun vrai choc n’est encore à signaler, et surtout plusieurs ratages intégraux interrogent sur les critères de sélection de l’équipe de Thierry Frémaux, dont on sait qu’elle reçoit et visionne plusieurs milliers de films...




Comment expliquer la sélection en compétition de Shield of Straw, de Takashi Miike, déjà présent il y a deux ans avec le poussif Hara-Kiri, mort d’un samouraï ? Peut-être que la nécessité d’étoffer le contingent asiatique, notamment suite au retrait tardif du prometteur Transperceneige de Bong Joon-ho (sur décision du comité, du réalisateur ou parce que le film n’était pas prêt ?) y est pour quelque chose. Quoi qu’il en soit, ce polar narrant le transfert d’un assassin pédophile du sud du pays à Tokyo, dont la tête est mise à prix par le grand-père de sa dernière victime à hauteur d'un milliard de yens, est extrêmement mauvais : entre quelques scènes d’action pas particulièrement palpitantes s’étendent de longs tunnels de dialogues distillant une psychologie de bas étage, alors que l’intrigue à la fois banale et échevelée se déroule péniblement.




Une épreuve, mais peut-être pas autant que celle que constitue le visionnage de Borgman, nouveau film du hollandais Alex van Warmerdam, à qui on devait le remarqué Les Habitants, qui date quand même de 1992. Borgman raconte l’irruption dans la vie d’une jeune famille bourgeoise d’un homme étrange, barbu et dépenaillé, qu’on voit au début du film sortir d’une tanière où il se terrait avec quelques autres individus, dans la forêt, chassés par des hommes armés. Si un certain mystère se dégage de cette première séquence, il laisse vite la place à de l’exaspération devant cette déclinaison racoleuse et ridicule du Théorème de Pasolini, où sexe, violence et surnaturel s’empilent dans une espèce de charge anti-bourgeoise sensationnaliste. Van Warmerdam joue au plus malin et le résultat est extrêmement déplaisant, évoquant un peu l’irritation ressentie devant La Chasse de Thomas Vinterberg, également en compétition l’an dernier.




Dans une moindre mesure, la présence de Jeune et jolie de François Ozon en compétition est également une énigme, surtout lorsqu’on sait que le nombre de places dans le contingent français est limité, et que beaucoup d’autres œuvres françaises plus excitantes sont au programme des sélections parallèles. Si Jeune et jolie est moins pire que bien d’autres films d’Ozon descendus dans ces pages, et si son sujet pouvait exciter (une jeune fille de 17 ans découvre l’amour physique et décide de se prostituer « pour le plaisir »), il évoque davantage la joliesse aseptisée et creuse du Sleeping Beautyde Julia Leigh que la crudité des premiers films de Catherine Breillat. On se demande tout au long de ce film à quoi bon : l’opacité du personnage d’Isabelle (interprétée par la jeune Marine Vacht, sur laquelle beaucoup de monde s’émerveille mais qui en mouvement m’évoque personnellement moins Laetitia Casta qu’une version juvénile et toute en os de Maïwenn le Besco) n’est pas un problème, mais Ozon ne semble jamais vraiment porter un vrai regard sur elle, aucun amour du personnage ne se dégage de sa clinquante et plate mise en scène. Les parents (Géraldine Pailhas et Frédéric Pierrot) ne sont que des figures naïves et grotesques qui participent de la vanité du film. Finalement le personnage le plus intéressant est celui du petit frère d’Isabelle, qui à 11 ans découvre lui aussi la sexualité, la sienne et celle de sa sœur, à qui il voue une admiration fraternelle parfois teintée d’ambiguïté amoureuse. Probablement la partie la plus originale et intime de ce film par ailleurs peu intéressant, à défaut d’être totalement désagréable.




Au rayon des réussites relatives, Le Passé, le nouveau film d’Asghar Farhadi dont on se demandait bien comment il allait assumer la succession du triomphal Une séparation. La curiosité était d’autant plus forte devant sa décision de tourner son nouveau film en France avec des comédiens français. L’histoire, à la fois simple et à entrées multiples, suit trois personnages principaux, une femme prise entre son ex-mari iranien, dont elle est depuis longtemps séparée mais pas encore divorcée, et son nouveau compagnon, dont la femme est dans le coma depuis plusieurs mois. Tous ces gens ont aussi des enfants, parfois de mariages précédents. Tous sont à fleur de peau et ont beaucoup de problèmes. Il faut avouer que le film a des défauts évidents (dont certains étaient à mon avis déjà présents dans Une Séparation, qui ne me compte pas parmi ses admirateurs inconditionnels) : en premier lieu une abondance de dialogues qui fait tomber le film dans une certaine surécriture, une intrigue qui vire dans la deuxième partie au whodunnit et étire inutilement le film en longueur, mais aussi un certain côté « vase clos », une désagréable impression de voir des personnages enfermés dans leur monde et leurs soucis, et que le film manque d’ouverture, de respiration et d’ampleur. C’est paradoxal car ça participe aussi d’un des points forts du film (en plus de la qualité de l’interprétation) : une indéniable qualité de regard, grâce à une mise en scène discrète mais immersive qui fait exister les personnages très fort. Ce qui faisait déjà le prix d’Une séparation, réussite plus évidente qui avait aussi pour lui ses étonnantes qualités documentaires auprès du public étranger. Le Passé est un bon film imparfait.




Nebraska, d’Alexander Payne, ne sera projeté que jeudi mais j’ai pu le voir un peu en avance. Il s’agit d’un road-movie à deux à l’heure (oui, on pense souvent à Une histoire vraie de Lynch), la balade d’un homme d’une trentaine d’années un peu loser (Will Forte) et de son père (Bruce Dern), vieil homme qui perd un peu la boule et se persuade qu’il a gagné 100.000 dollars à la loterie. Il convainc donc son fils, qui n’est pourtant pas dupe, de partir du Montana pour le Nebraska retirer son prix. Ce voyage sera l’occasion pour le fils d’entraîner son père sur les lieux de son enfance, où une partie de sa famille vit encore. Filmé dans un beau noir et blanc, Nebraska a les qualités des précédents films de Payne, en premier lieu une mise en scène élégante et une douceur de ton non dénuée de cruauté, une douce mélancolie teintée d’humour. Il est d’autant plus dommage que l’émotion soit parfois un peu noyée sous les flots de musique, et que la fin du film vire au sentimentalisme à outrance, ce qui jette un petit voile sur ce joli film au classicisme discret.




Il en est un autre qu’on attendait moins sur le terrain du classicisme, c’est Arnaud Desplechin, dont le Jimmy P., psychanalyse d’un indien des plaines, avec Mathieu Amalric et Benicio Del Toro, s’annonçait très excitant. Et si le résultat est en effet très beau, la grande économie de moyens et certains procédés très « hollywoodiens » (notamment l’usage de la musique) étonnent. Le film, situé à la fin des années 40, relate donc la psychanalyse de l’indien d’Amérique James Picard (Del Toro), vétéran traumatisé de la seconde guerre mondiale, par Georges Devereux (Amalric), un psychothérapeute qui se clame français mais laisse entendre lors d’une réplique qu’il serait en fait plutôt originaire d’Europe de l’est (Amalric s’en donne à cœur joie sur les accents). Par la force des choses et de son sujet, le film est extrêmement bavard et, il faut bien le dire, parfois un peu ennuyeux lors de certaines scènes dont les dialogues s’étirent à l’extrême. Il finit tout de même par emporter le morceau, d’abord grâce à la qualité de son interprétation (Del Toro notamment est génial, dans un rôle aux petits oignons qui pourrait lui rapporter le prix d’interprétation), mais surtout grâce à la douceur et à la bonté du regard de Desplechin sur ces deux personnages. C’est là que la forme très classique du film, si elle ne laisse pas de surprendre et de décevoir de prime abord, trouve tout son sens. Et lorsque Desplechin nous embarque dans les rêves torturés de Jimmy, il lâche enfin délicatement la bride, nous offrant des visions à la fois étranges et épurées, dépouillées, nous prouvant qu’il reste un grand metteur en scène.




Finalement, le meilleur film de la compétition que j’ai pu voir est celui de Jia Zhangke, A Touch of Sin. Extrêmement ambitieux et sombre, il témoigne en 4 histoires de la violence impitoyable qui frappe la Chine contemporaine, celle de la « croissance harmonieuse », et en particulier les plus modestes, souffrant quotidiennement de conditions de travail lamentables (insécurité, absence de couverture sociale, iniquité des salaires…), de l’inflation des prix des logements, et de la violence morale et physique qu’exercent les classes dirigeantes et gouvernantes, en réponse à d’éventuelles velléités d’insurrection ou non. Ce retour du cinéaste chinois à la fiction, après le documentaire I Wish I Knew, est d’une ampleur impressionnante. Quatre histoires glaçantes (dont la première et la dernière sont reliées par un personnage), que Jia Zhangke a écrites après avoir compilé des tonnes de coupures de presse relatant des faits divers, et mises en scène avec un mélange de retenue et de rage brute. Les paysages, qu’ils soient campagnards ou urbains, sont autant d’étendues rugueuses et hostiles où la violence est quotidienne, admise, ignorée (dans une des histoires, le personnage principal devient fou et flingue une femme en pleine rue, au milieu d’une foule indifférente qui passe son chemin l’air de rien). Les éclats de violence sont remarquables, Jia Zhangke n’hésitant pas à convoquer certains cinémas de genre (film de samouraïs, film noir américain…) tout en conservant une grande sécheresse, évitant ainsi tout phénomène de jubilation devant ces vengeances des sans-grades sur leurs oppresseurs. Un film éprouvant et peu aimable, mais un grand film. 




Voilà pour la sélection officielle jusqu’à présent, qui semble donc confirmer que pour d’éventuelles découvertes, il faudra regarder ailleurs, dans les sélections parallèles. Pour ma part il y en a eu deux, les deux à la Semaine de la critique, et les deux réalisées par un duo de cinéastes : d’abord Salvo, premier long-métrage des italiens Fabio Grassadonia et Antonio Piazza. Un joli film noir qui raconte la rencontre d’un tueur de la mafia sicilienne avec la sœur aveugle d’une de ses victimes, qui retrouve miraculeusement la vue au moment du meurtre. Le film, qui se déroule dans les paysages crasseux et désolés de la banlieue de Palerme, a le grand mérite de tenir jusqu’au bout son parti pris de noirceur et de sécheresse, tout en laissant la violence hors champ. Le travail sur le son est très beau et rend d’autant plus prégnant le personnage de la sœur aveugle et son rapport au monde extérieur. Celui sur le temps l’est également, le découpage très lâche laissant les plans s’étirer, y compris lors des scènes d’action dont la plus belle est un vertigineux plan-séquence en intérieur qui voit les deux personnages se « rencontrer » pour la première fois. Si l’aspect fermé et monolithique du tueur Salvo (très impressionnant physiquement) frôle parfois la caricature, la relation qui se tisse lentement entre les deux personnages est surprenante et culmine dans une dernière scène très émouvante.




La deuxième découverte est argentine et se nomme Los Dueños, de Agustin Toscano et Ezequiel Radusky. Le film se déroule dans une propriété de la campagne argentine, que deux hommes modestes entretiennent à l’année. Quand les riches propriétaires sont absents, ils s’introduisent dans la maison, se servent dans le frigo, dorment dans les grands lits, regardent des DVD. Ils « jouent aux riches » et en jouissent autant qu’ils s’en amusent. Mais quand la fille aînée du propriétaire, Pia, débarque pour y passer quelques jours, tout va être bouleversé. Un film cynique, tendu, discrètement « lutte des classes » et plutôt réjouissant, où tensions sociales et sexuelles se rejoignent avec autant d’humour que de suspense. Une bonne surprise, qui n’a pas encore de distributeur en France.

Les sélections parallèles offrent aussi leur lot de (très) mauvais films : ainsi Fruitvale Station, premier film américain de Ryan Coogler et Grand Prix à Sundance (festival qui ne cesse donc de dégringoler), se sert d’un fait divers qui a fait grand bruit aux États-Unis (l’assassinat d’un jeune noir par la police à Oakland le 1er de l’an 2009) pour livrer un drame au mieux maladroit, au pire atrocement manipulateur. Très mauvais aussi, le bien nommé Ugly, polar indien et hystérique de Anurag Kashyap (auteur de Gangs of Wasseypur l’an dernier) ; ou bien encore l’insupportable A Strange Course of Events, merdouille verbeuse de Raphaël Nadjari.

Déception plus relative mais inattendue, le nouveau film de Claire Denis, Les Salauds, dont l’extrême noirceur vire vite à l’absolument sordide, ce que ses indéniables qualités plastiques ne peuvent totalement rattraper, d’autant que le propos du film reste tout à fait mystérieux, pour ne pas dire douteux. Même les Tindersticks, encore une fois à la musique, n’y peuvent rien.




Je dois avouer pour finir que mon plus beau moment de ce début de festival est à mettre au crédit d’un film dont je n’ai pu voir que la première heure pour obligations professionnelles, c’est le film d’Alain Guiraudie, L’Inconnu du lac. Une heure lumineuse, drôle, touchante, excitante (pourtant les gros et les moustachus qui se sucent la bite en temps normal c’est pas mon truc), simplement mais merveilleusement mise en scène, idéale quoi. Une heure que j’ai extrêmement hâte de revivre et de compléter par la deuxième, qui est paraît-il « hitchcokienne », qualificatif on ne peut plus galvaudé mais que je crois Guiradie assez audacieux et talentueux pour honorer. On en reparle à coup sûr ici aux alentours du 12 juin, date de sa sortie en salles.

This must be the place

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Qui voilà ? Qui va là ? Le Joker ? The Undertaker ? The Crow ? Le fantôme de Patrick Dewaere ? Celui de Steve Savidan ? Nom de code Sean Penn. Après une fine analyse de la carrière des plus grands acteurs hollywoodiens, les vraies légendes telles que Humphrey Bodiguard, James Steward ou Gary Croupier, Sean Penn s'est rendu compte que tous ont eu au moins un rôle de travelo dans leur filmographie. Très soucieux de pouvoir faire partie de cette dream team, Sean Penn a passé des années à la recherche du projet susceptible de lui apporter ce rôle-clé. C'est finalement l'italien Paolo Sorrentino, plus connu pour ses apparitions endiablées au sein des meilleures bandas de la côte Basque, qui lui a offert la chance de sa vie, un rôle sur mesure, celui de Cheyenne, un gloubi-boulga entre Robert Smith des Cure et Claude Lanzmann.




Sean Penn, rendu fou par ses deux statuettes dorées du meilleur acteur remportées en 2004 et 2009 avec Mystic River et Harvey Milk, pas rassasié pour un sou, voulait surtout gagner une batterie d'Oscars d'élevages grâce à ce rôle de freak mal dans sa peau en quête identitaire, se découvrant le fruit d'un accouplement interdit entre une sorcière d'Eastwick et un nazi aryen décomplexé. Le résultat est ce balais à chiottes fatigué, doté d'une voix de crécelle ignoble, d'un sourire crispé insupportable et d'un manteau en fourrure de chez Jean-Paul Gautier. Malheureusement pour lui et Dieu soit loué, Sean Penn n'a reçu aucun prix pour ce rôle de composition atroce et a même perdu quelques admiratrices au passage. Quant à Paolo Sorrentino, il propose à un tarif intéressant l'animation de vos soirées mariage, anniversaire, boom, barmitzvah et autres colloques universitaires en assurant l'accompagnement musical de vos activités les plus gaies avec sa banda au piment d'Espelette. Et entre deux coups de trompette bien placés il n'est pas avare en anecdotes de tournages quand il a un verre de trop dans le pif, racontant facilement par exemple cette fameuse journée où il a dû prêter sa cravate à Sean, qui la possède toujours. Comme Thom Yorke qui fait les mêmes blagues entre Idioteque et How to HTTP, à base de "Iciiii c'est Pariiiis !" et autres "This one is for La Môme Piaf" (et ça coûte 65 euros la vanne), Sorrentino re-narre ses gags de tournage chaque soir pour que dalle et ça peut faire oublier ses films ainsi que nos petits tracas du quotidien, tant il y met de la bonne humeur. Il y a des gens comme ça qui par leur bonhommie savent nous foutre de bon poil.


This must be the place de Paolo Sorrentino avec Sean Penn (2011)

Broken Flowers

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Jarmusch ! Le ciné-rockeur, comme ils disent. C'est toujours super difficile de commencer la critique d'un film de Jarmusch. Peut-être qu'on pourrait s'y risquer en parlant de la façon dont Jarmusch commence lui-même le processus de création d'une œuvre ? Feuille blanche oblige. Le petit café qui va bien. Les clopes au bec. L'attirail normal pour le réalisateur deCoffee and cigarettes. Et surtout du gros son, du bon gros son psyché d'extrême-orient, ou à la limite du Ry Cooder épaulé par Ali Farka Touré. Le genre de truc qui t'envoie dans les vapes dès les premiers décibels. Le tout dans une ambiance brumeuse, à cause des clopes et des joints. Jarmusch invente entouré de ses animaux de compagnie dans le pire des cas (des iguanodons en général, dont Iggy Pop himself, l'iguanodon humain larvant sur sa méridienne), ou de tout un tas de mecs prêts pour le sauna, dans le meilleur cas de figure. Voilà le contexte dans lequel Jim Jarmusch crache ses idées sur une feuille. Une fois le premier jet lancé, il appelle un de ses acteurs fétiches, et y'en a quand même une paire qui gravitent autour de la galaxie Jarmusch, de Isaach de Bankolé à Tilda Swinton en passant par Roberto Benigni, Tom Waits, et surtout, l'astre noir de l'univers jarmuschien : Bill Murray. C'est lui que Jarmusch a appelé pour Broken Flowers, en pensant bien que le rôle d'un gros queutard eurasien sexagénaire n'irait pas des masses à Swinton, magré sa tronche de vieux mec. Quand il l'a appelé, Jarmusch a dit à Murray : "C'est ton histoire. Je l'ai écrite pour toi. Ok c'est court mais avec de la musique thaï ça fera un long métrage. Ça fera un long !". C'est aussi ce qu'il avait dit à chaque acteur fétiche mis en vedette dans les sketches de Coffee and cigarettes, sauf que cette fois-là ça avait donné une chiée de courts métrages que le cinéaste avait collés cul-à-cul pour quand même en faire un long.


Bill Murray hésite à s'envoyer sa super ex-girlfriend, aka Sharon Stone en personne, ou la fille mineure de sa super (s)ex-girlfriend, qui est peut-être aussi la sienne !

La biographie de Murray par Jarmusch ça donne l'histoire d'un célibataire endurci largué par sa dernière conquête (Julie Delpy), qui reçoit une lettre anonyme d'une ancienne petite amie lui annonçant qu'il a un fils de 19 ans et que ce dernier s'apprête à le rejoindre. Notre homme fouille dans sa mémoire et passe en revue tout son tableau de chasse féminin long comme le bras à l'aide un voisin informaticien, donc thaï, qui fait les comptes et lui passe des disques de ragga pour le détendre, tout en lui rabachant : "Je peux pas trop t'aider sur ce coup-là mais je te passe mes meilleurs vinyles". C'est ce voisin bienveillant, également fan de Columbo, qui, constatant l'état léthargique de son vieil ami, le motive à mener l'enquête. Ainsi Murray retourne sur ses traces de sperme et se lance dans une sorte de road movie nostalgique, bercé par une zique tout droit venue de Putuccēri. Il va retrouver, en vrac, tous les profils de la femme de cinquante ans. Sharon Stone incarne la femme cougar, divorcée mais épanouie, célibataire mais en feu, qui s'habille comme sa fille de 18 ans et qui vit pour le vit. Jessica Lange, avec sa méta-gueule qui fait office de clin d’œil aux heures de gloire de la filmographie de Murray, puisqu'elle est un copié-collé de Vigo, le Seigneur des Carpates, dans SOS Fantômes 2, incarne une gouine médiumnique gaga de clebs. La dénommée Frances Conroy prête ses traits fatigués à une caricature de la femme au foyer désespérée, en pleine crise de la soixantaine, dépressive à souhait et haïssant en silence son mari beauf et toute sa vie bien réglée, rangée au millimètre près. Puis enfin, Tilda Swinton, dans le premier rôle féminin de sa carrière, interprète la femme qui a le plus mal tourné puisqu'elle est vit dans une caravane entourée de gens au ban de la société. C'est le rôle qu'elle tient dans strictement tous ses films, même dans Narnia : The Golden Compass, et ça la fout mal. Bref, autant de scènes mi-figue mi-raisin malgré le talent de Jarmusch et qui, avec un autre acteur que Bill Murray, seraient un parfait supplice.


Bill Murray porte beau malgré les nichons de vieillesse qui dardent sous son jogging Quetchua.

Quand Tilda Swinton voit arriver Murray, sa réaction est de lui casser la gueule. Ce qui m'a valu un petit quiproquo savoureux puisque j'ai vu le film en compagnie d'une jeune fille tout de noir vêtue et qui n'avait pas plus de couleurs dans sa vie que sur ses habits. Quand on est sortis de la projection-test (j'appelle "projection-test" toutes mes sorties ciné avec des meufs, sorties qui s'avèrent en général être de véritables crash-tests), ma compagne du soir ne sifflait pas mot, comme d'habitude en fait, puis 3 kilomètres plus loin, elle a fini par murmurer : "Tu sais ça m'est arrivé aussi". Tout de go, et heureux que la discussion soit lancée, le silence enfin rompu, je lui ai demandé : "Toi aussi tu t'es fait péter la gueule par un ex ?". Et elle m'a juste répondu : "Non moi j'ai juste jamais connu mon fumier de papa". Pour essayer de rattraper la situation tout en la fuyant, j'ai eu un réflexe que je ne m'explique toujours pas aujourd'hui. J'ai pivoté sur moi-même et je me suis mis à marcher à reculons, à côté de la fille, pour éviter son regard. Pourtant j'avais encore plus de risque d'attirer son attention ou d'entrer dans son champ de vision mais ça m'a paru la meilleure chose à faire à ce moment-là. Concernant le film, je n'ai pas osé en reparler depuis...


Broker Flowers de Jim Jarmusch avec Bill Murray, Sharon Stone, Tilda Swinton et Julie Delpy (2005)

We Need to Talk About Kevin

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Je croyais que la double-peine avait été abolie dans ce pays, apparemment non puisqu'après avoir vu ce film, je vais en parler. Je pourrais copier-coller la critique de Sleeping Beautyen changeant le titre du film, et en rajoutant peut-être un gros zeste de rage et d'effarement, mais ça ne suffirait pas. Nous avons là affaire à un autre film sûr de lui et qui se sait malin, un film suffisant qui se présente comme génial et subtil alors qu'il n'est que facilités, raccourcis, bêtise crasse, et se révèle idéologiquement puantissime. Proposant un discours nauséabond servi par une esthétique aléatoirement dispensable ou insupportable, We Need to Talk About Kevin pousse le vice jusqu'au racolage en faisant tenir le spectateur par un suspense morbide, comme s'il souhaitait à toute force le rendre aussi crétin et voyeur qu'il l'est lui-même. Nous citons le film de Julia Leigh mais on peut aussi penser à Haneke, au Haneke de Funny Games notamment (mais pas seulement), puisque le film, qui fait le portrait d'un jeune tueur, coupable d'un massacre de masse au sein de son lycée, tâche de nous asséner une thèse et de nous rendre coupables de ce qu'il est : voyeuriste et malsain. C'est ce que tente par exemple Lynne Ramsay quand la mère du tueur (Tilda Swinton) regarde une interview télévisée de son fils après le drame, où ce dernier s'adresse au spectateur (de l'émission et du film) en affirmant que seuls les gens comme lui intéressent les autres et que tout le monde aurait déjà zappé sur une autre chaîne s'il était sympathique et doué à l'école. La brillante mise en abyme a pour fonction de nous incriminer directement : vous-mêmes, spectateurs, regardez mon œuvre parce que je filme un cas psychologique aberrant et séduisant, nous dit Lynne Ramsay, et vous vous régalez. Nous sommes faibles, nous sommes médiocres, Lynne Ramsay le sait et nous le reproche. Elle nous pervertit et nous accuse de l'être dans le même temps. Si l'on regarde son film jusqu'au bout c'est en partie parce que le point de vue porté sur ce cas psychologique est si puant qu'il interroge (on ne peut pas y croire, on attend un revirement, qui viendra bel et bien, et on regrettera de l'avoir souhaité), mais c'est aussi parce que la cinéaste met tout en œuvre pour qu'on soit fasciné par ce personnage improbable, par les atrocités qu'il a commises et qui tardent à nous être présentées. Ou quand le suspense cinématographique ne sert plus qu'à faire bander les foules avec une bonne dose de sensationnalisme morbide à la clé. Un peu comme dans Sleeping Beauty, le film repose sur une étrange fascination pour son acteur vedette juvénile, au physique si particulier, Ezra Miller (qui semble-t-il prêtait déjà ses traits à un personnage équivalent dans Afterschool en 2008, que je n'ai pas vu), bizarrement aussi beau que laid ; et fonctionne sur l'attente de l'horreur macabre à laquelle ce drôle de personnage au physique ambivalent va se retrouvé mêlé. Mais en vérité ce film est plus détestable encore que celui de Julia Leigh, car il n'est pas qu'une fumisterie esthétique et intellectuelle, il est un manifeste idéologique en tous points gerbant.


Voici la mère de Kevin, l'imbuvable Tilda Swinton, dans une fête de la tomate, figure à la fois christique et souillée par le sang du Diable. C'est un des premiers plans de ce film qui sera donc placé sous le sceau du symbolisme le plus lourd du monde.

Pendant tout le film, on tient uniquement grâce à l'attente du carnage et de la clé du mystère, la solution à l'énigme Kevin. Pour résumer l'histoire que nous raconte Lynne Ramsay, la vie du couple formé par Tilda Swinton et John C. Reilly (que fout-il là mon Dieu...) bascule à la naissance de leur petit garçon, un trublion XXL bien décidé dès son premier jour à leur cramer l'humeur, en particulier celle de sa mère complètement désarçonnée face à tant de haine gratuite (on la comprend). Le finale consiste en une tuerie dans un lycée qui nous sera dévoilée à rebours et au compte-goutte au travers des réminiscences fragmentaires d'une mère démolie. On est donc dès le début du film placé dans l'esprit de Tilda Swinton, mais la réalisatrice Lynne Ramsay, qui nous transporte à intervalles réguliers depuis le présent post-massacre de cette mère traumatisée à son passé remémoré, organise les souvenirs du personnage dans un ordre chronologique bien respecté : la mère se rappelle régulièrement le fil des événements menant de la naissance de son fils à son emprisonnement, sauf qu'à chaque fois qu'elle s'est interrompue dans son roman intérieur, pour dormir ou autre, elle reprend gentiment le film de sa vie là où elle l'avait laissé, comme un magnétoscope humain. Mieux, la maman a la bonté d'interrompre ses pensées toujours au bon moment, ellipses idéalement distillées pour qu'on doive attendre la fin des deux heures que dure le supplice avant de savoir ce qu'a réellement fait son sale gosse. Une scène résume bien les effets de ce procédé narratif : on voit dans un premier gros plan la main de la mère qui aligne des cotons-tiges pleins de pus avec lesquels elle nettoie l’œil mort de sa fille (sans doute crevé par Kevin, ou avec son aide, on l'ignore, la très subtile Lynne Ramsay ayant encore une fois placé une ellipse au moment crucial), puis le plan suivant montre la mère de dos, placée devant la fille et cachant l’œil crevé de celle-ci, et on attend et on craint de voir une cavité purulente dès que la mère va bouger, sauf que quand elle le fait on ne voit qu'un pansement. La réalisatrice nous a foutu les glandes en nous préparant un déballage horrible et finalement ne montre rien. Tant mieux. Mais alors pourquoi nous faire croire qu'elle allait nous le montrer ? Voilà un condensé de Lynne Ramsay. La réalisatrice se plaît à instaurer un suspense répugnant voué à nous scotcher à l'écran avec une suite de scènes anxiogènes et manipulatrices. C'est l'intégralité du projet du film que cette séquence résume. On ne tient ce long métrage misérable jusqu'au bout que pour découvrir ce qui s'est passé, de la même manière qu'on approche sur l'autoroute d'un accident qu'on ne veut pas voir mais qu'on regarde quand même. Pourtant il n'y a strictement rien à voir. Les incessants flashbacks sur l'enfance du meurtrier ne sont là que pour présenter toujours le même problème immuable, qui n'évolue jamais, Kevin étant une ordure sans nom et sans raison dès le départ, et chaque retour en arrière enfonce le clou, nous rapprochant du dérapage, c'est-à-dire du massacre, que l'on espère voir quand même, tant qu'à faire... Lynne Ramsay ne veut pas s'embêter à tenter de montrer ce qu'est réellement un tel personnage, elle veut nous montrer un monstre commettant des forfaits toujours plus sordides, et le film fonctionne donc comme n'importe quel thriller présentant les crimes toujours plus sanglants d'un individu maléfique. We need to talk about Kevin ne veut ni voir ni comprendre, il veut séduire avec un monstre séduisant par nature, car forcément mystérieux. Voici la grande idée de Lynne Ramsay, ou son aveu d'impuissance et d'insuffisance intellectuelle : parce qu'il est impossible d'expliquer un personnage comme Kevin, il faut du coup selon elle se complaire dans cet impossibilité en faisant du personnage un être inhumain, ce qui dès lors résout l'équation, puisque le mystère est résolu sans l'être. Si c'est impossible à comprendre autant rendre la chose définitivement incompréhensible, et comment s'y prendre mieux qu'en faisant de Kevin un alien ? Cqfd.


Dans cette séquence, qui se situe après le massacre commis par son fils, la mère, postée devant douze mille boîtes de sauce tomate rouge sang qui en disent long sur la finesse d’exécution de Lynne Ramsay, est évidemment coiffée comme un balais à chiottes et maquillée comme un cadavre, mais, étant mal dans sa peau, elle porte en outre un immense imperméable gris qui la recouvre jusqu'aux chevilles, un imper que même le tueur de Seven n'oserait pas porter...

On pense encore à Sleeping Beauty (désolé d'y revenir... les deux films sont sortis presque en même temps et inspirent le même agacement terrible) pour le symbolisme lourd à mourir de Lynne Ramsay, notamment l'usage de la couleur rouge, la pierre angulaire de l'échafaudage symboliste du film, qu'il s'agisse d'un souvenir de bain de tomate de la mère, des éclaboussures de peinture jetée gratuitement par Kevin sur les murs fraîchement tapissés par sa génitrice (qui, entre parenthèses, décore son bureau avec un patchwork de cartes de géographie grisâtres, révélant par cet acte une forme de folie qui expliquerait en partie celle du gosse, affublé d'un antécédent psychologique certain) à l'aide d'un pistolet à eau, arme qui préfigure son déferlement de violence ultérieur alors qu'il n'a encore que 4 ans, ou qu'il s'agisse encore du gamin salop devenu ado qui porte un t-shirt à taches rouges quand ses parents le sermonnent pour avoir laissé - ou poussé - sa sœur à se griller un œil avec du Desktop. Il y a aussi ce plan, au supermarché (cf. photogramme ci-dessus), où Swinton Tilda, que j'ai envie de rebaptiser Sweeney Todd, est tétanisée devant un rayon de boîtes de conserves de jus concentré de tomate… L'utilisation du rouge atteint son comble quand la mère nettoie son porche que des voisins ont maculé de peinture pour la faire chier et l'incriminer façon Scarlet Letter. Ramsay, scénariste dont les talents d'écriture font décidément froid dans le dos, étend cette séance de nettoyage à tout le film, Swinton lessivant son passé par un travail de mémoire tout en faisant son ascèse en souffrant d'abord - cheminement obligatoire pour se mettre dans la peau de son fils (qui ronge ses ongles et les aligne sur la table du parloir comme elle mange de la coquille d’œuf et en aligne les copeaux sur le bord de son assiette dans un montage parallèle fort délicat) - en nettoyant le sang déversé aussi, ou ce qui le représente (la peinture rouge si vous suivez), accédant ainsi au pardon et compagnie. Sweeney Todd atteint carrément dans le dernier plan la lumière de Dieu, ouvrant la porte du parloir où son fils vient de la prendre dans ses bras pour sortir dans un grand halo de lumière aveuglante qui s'éteint pour laisser place au générique... Ce n'est pas lourd du tout.


Malgré sa posture et sa tronche en biais, ce n'est pas César, le singe numérique star de La Planète des singes : les origines, mais bien Kevin, un être tout aussi "programmé", qui vient de flinguer la tapisserie et les vitres de sa mère gratos. César, d'apparence simiesque, avait une intelligence humaine. Pour Kevin c'est l'inverse.

Tout ce "travail" narratif et iconographique porte en prime un discours dégueulasse à souhait : le film veut nous apprendre que le ver est dans la pomme, que le mal est là dès le départ, que la délinquance serait génétique (ce film devrait plaire à quelques personnes, qui furent notamment à la tête de notre beau pays récemment...), et que les meurtriers le seraient par nature. L'enfant du film n'est pas un enfant, c'est Damien la malédiction, un monstre pur et simple, un diable, un salopard machiavélique, cruel, inhumain, qui calcule son coup depuis la naissance. Sa mère l'aime, quand bien même elle pète un plomb après l'accouchement, car l'enfant ne cesse de pleurer, mais Kevin est convaincu du contraire, aussi n'aime-t-il personne et encore moins sa mère. Il tarde volontairement à parler, chie dans sa couche jusqu'à neuf ans pour embêter sa maman, ne sourit jamais, ne rit jamais, n'a aucun ami, lance des regards de tueur depuis le berceau et finit par tuer amis et proches de sang froid. C'est Belzébuth réincarné. La réalisatrice égrène rapidement d'autres causes à la folie meurtrière de son personnage, qu'elle balaye cependant tout aussi rapidement, tels le jeu vidéo violent, la passion pour le tir-à-l'arc, une jalousie consécutive à la naissance de sa petite sœur, voire peut-être une homosexualité refoulée, le héros dégingandé et au regard presque maquillé ne portant que des pantalons treize fois trop étroits pour lui (au point qu'il reste moins de tissu sur son corps qu'à l'intérieur) et des t-shirts qui lui arrivent au nombril... voire encore un complexe d’œdipe king size. Mais contrairement à l'entreprise van santienne dans Elephant de présenter toutes les explications possibles à un tel geste pour en montrer les limites et pour dire à quel point elles ne peuvent suffire à comprendre les agissements meurtriers de jeunes personnages humains (trop humains, pour reprendre un titre Nietzschéen) et filmés avec humanité, Lynne Ramsay, qui ne manifeste aucun amour pour ses marionnettes ni aucun respect pour l'intelligence et la sensibilité de son spectateur, écrase ses propres tentatives d'explications et les réduit à néant tant Kevin est présenté depuis sa conception comme une créature maléfique irrécupérable et née pour faire le mal. La réalisatrice nous l'a très vite signifié avec un plan magnifique sur un spermatozoïde de John C. Reilly contaminant un ovule de Tilda Swinton - on pense aux plans in utero,ou in cerebro, difficile à dire, de La Guerre est déclarée, qui pointent l'origine du mal chez l'enfant - durant la première copulation du couple d'amants, bourrés, éclairés par un néon rouge durant toute l'étreinte et jusqu'à ce que le père éjacule à minuit pile (un réveil filmé en gros plan nous l'a prouvé, et non, ce n'est pas l'ébauche d'une quelconque piste de scénario fantastique). Cet enfant est le Diable sur Terre, et il est venu foutre la merde. Voilà la seule et unique explication, tous les autres facteurs n'ayant eu aucune influence sur le cours de l'existence de Kevin puisque l'enfant affiche le même comportement depuis son premier cri.


Pour moi John C. Reilly ne joue pas dans ce film. C'est dit. Foutez-moi la paix, ça me fait du bien.

Du coup la démonstration de Ramsay se mord sans arrêt la queue et se contredit. Les parents sont incriminés, car la mère est maladroite, ne parvient pas à communiquer avec son enfant et ne lui montre pas suffisamment d'affection tandis que le père est aussi absent qu'aveugle, mais ils ont ensuite une petite fille avec qui tout se passe à merveille, un vrai petit ange, aussi ne sont-ils pas responsables d'avoir engendré le démon. A force de dire tout et son contraire, de montrer la mère comme une Rosemary moderne, innocente et coupable à la fois (puisqu'elle casse quand même le bras de son bambin, mais je ferais pareil si j'avais ce truc à la maison 24h/24, je le jure, foutez-moi en taule si c'est mal, makkash), à force de confondre qui plus est sentiment de culpabilité et culpabilité, bref avec cet indigeste gloubi-boulga psychologique le film n'assied finalement qu'une seule option : Kevin est né monstrueux, point barre. Cette idée, récurrente dans le cinéma fantastique, devient ici aussi ridicule que franchement douteuse dans un film qui se veut profondément réaliste, et qui entend donner un éclairage sérieux sur des faits divers actuels à peine détournés.


Immédiatement après la scène du coït alcoolisé, ce plan in utero sur la contamination, l'origine du Mal.

Le film n'assume même pas ce postulat aussi audacieux qu'abruti puisque dans la dernière minute Lynne Ramsay rachète son personnage monstrueux, qui tout d'un coup ne se rappelle plus pourquoi il a fait tout ça, pourquoi il a passé l'intégralité de ses 16 premières années de vie à pourrir celle de sa mère et de ses proches, y compris en prévoyant dès la prime enfance de la détester et de faire semblant d'adorer son père juste pour la faire chier (puisqu'il n'aime pas non plus son père, qu'il tuera sèchement à la fin d'une flèche tirée dans le dos, en même temps que sa petite sœur, meurtres principalement voués à faire suer la maman et commis à domicile avant d'aller massacrer les étudiants du lycée avec le même arc de compétition offert par un papa poule) ; y compris aussi en préparant un cd gravé sur lequel il écrit "I Love You", que sa mère pique dans sa chambre un jour où il est absent pour le lire sur son ordinateur afin de comprendre son enfant, découvrant en fait un virus vieux de dix piges qu'elle était la seule à ne pas connaître et qui crame son PC en deux secondes... et la mère dépitée d'aller voir Kevin dans sa chambre le soir venu, qui, sans la regarder, lui lance de sa voix éraillée : "Alors ? Ton ordi est mort ?", fier comme Artaban que son énième piège ait fonctionné à merveille. La loi de l'emmerdement maximum que pratique Kevin depuis le plus jeune âge et chaque jour que Dieu fait passe aussi par de plus menues actions, comme coincer le hamster de sa sœur dans le siphon de l'évier de la cuisine, ou bouffer (avec les doigts) un énorme poulet rôti entier juste avant d'aller au resto avec ses parents (il y a quand même du génie chez ce gosse).


Le symbolisme de Lynne Ramsay n'a pas de limites, la métaphore visuelle, c'est son grand dada. Ce plan est augmenté d'un lent zoom sur le centre de la cible reflétée et contenue dans la pupille de Kevin, constitutive de son regard, partie prenante de son être tout entier, la violence et le meurtre étant inscrits dans son empreinte génétique profonde.

A la fin, Kevin tombe donc finalement dans les bras de sa mère pour un rachat improbable par lequel la cinéaste croit s'éviter l'extrémisme idéologique des 119 minutes qui précèdent et qui se sont acharnées à nous détruire l'humeur à petit feu. De la même manière qu'il n'y avait aucune cause autre que génétique et innée à sa monstruosité, Kevin redevient humain sans préavis, le libre arbitre, le travail de conscience, l'éducation n'y sont pour rien, son regain potentiel de bonté, voire d'humanité, en passe par un déclic involontaire, chimique, risible. "Il faut qu'on parle de Kevin"... Très bien mais pour en dire quoi ? Il n'y a plus rien à dire après l'exposé de Lynne Ramsay. Plus rien à dire des tueurs de Columbine, d'Aurora et d'ailleurs : ce sont des tueurs-nés irrécupérables à moins d'une improbable épiphanie cérébrale miraculeuse, qu'on ferait aussi bien non pas d'envoyer à la chaise électrique mais de dépister in utero, ou au pire dans les crèches et les cours de récré, pour en débarrasser le monde illico. Ne regardons pas l'éléphant qui trône au milieu de la pièce, ou alors supprimons-le ni plus ni moins. Fin du débat.


We Need To Talk About Kevin de Lynne Ramsay avec Tilda Swinton, Ezra Miller et John C. Reilly (2011)
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