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Channel: Il a osé !
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Sound of my voice

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Tout mon respect à Brit Marling ! Cette jeune femme est en train de se bâtir une filmographie très intéressante, constituée de petits films de genre toujours singuliers et ambitieux. Fait peu commun de nos jours, la jolie dame co-écrit les scénarios de ces films, et ceux-ci sont généralement mâtinés de science-fiction. A l'écran, cette blonde ravissante dégage naturellement quelque chose d'assez rare, un magnétisme évident, qui fait d'elle une actrice remarquable. Sans doute bien consciente de cela, elle incarne avec brio et sans effort apparent la gourou d'une étrange petite secte qui fascine et enrôle ses adeptes en affirmant venir du futur, de l'an 2054 pour être exact. Elle se garantit la fidélité de ses sujets en déclarant pouvoir les préparer à une très prochaine apocalypse. S'infiltre dans cette secte un couple bien décidé à percer son mystère et qui, par là même, compte réaliser un documentaire mémorable, voué à leur faire gagner une belle reconnaissance. Vous tenez-là l'appétissant synopsis de Sound of my voice, un étonnant film de SF indépendant au budget minuscule mais à la tête bien pleine, qui, je vous le promets, saura vous captiver du début à la fin et, je risquerais même : pourra vous scotcher complètement ! Il pourra aussi faire de vous un adepte de Brit Marling, ou au moins un sympathisant...




Brit Marling s'était déjà faite remarquer il y a deux ans avec Another Earth, co-écrit et réalisé par Mike Cahill, sorti dans nos salles de façon assez confidentielle. Il s'agissait déjà d'un simili film de science-fiction réalisé avec trois fois rien et adoubé par Sundance qui, pour une fois, avait vu juste. Une brillante idée de départ, la découverte et la rencontre attendue avec une terre jumelle soudainement apparue tel le reflet d'un miroir, y servait finalement de simple prétexte à la peinture d'un drame humain un brin maladroite et peu originale. Malgré la légère déception suscitée par de belles promesses initiales, nous avions toutefois senti des personnalités rafraîchissantes derrière tout ça et apprécié l'ambiance brumeuse et planante qui parvenait à poindre ici ou là. La présence salutaire de la révélation Brit Marling permettait aussi d'éponger nos regrets, pour mieux garder le souvenir d'une première œuvre encourageante.




Dans Sound of my voice, la science-fiction apparaît également d'abord comme une sorte de toile de fond qui serait cette fois-ci propice à un thriller psychologique. Mais, en fin de compte, le film joue à fond sur la croyance du spectateur en ces rares éléments irrationnels autour desquels tout se construit et s’emmêle. La question de l'authenticité du personnage superbement joué par Brit Marling est au centre de l'intrigue. Ce doute avec lequel joue sans cesse l'actrice et son acolyte Zal Batmanglij, jeune réalisateur dont il s'agit du premier long-métrage, représente le cœur même du film, sa raison d'être. En ce sens, la fin du film, qui pourra peut-être en décevoir quelques-uns, m'a personnellement semblé tout à fait logique. Elle m'apparaît comme la seule fin possible à ce film qui questionne tout du long notre capacité à croire et ce plus que jamais lors de sa brutale conclusion.




On pourrait reprocher au film de Zal Batmanglij son découpage en chapitres de durées apparemment égales, car cela a le menu défaut de lui donner une forme proche des plus efficaces séries télé américaines, chaque chapitre se terminant par une sorte de cliffhanger (même si le mot n'est ici pas tout à fait bien choisi). Il faut cependant reconnaître que ce dispositif est très habile et l'effet est pleinement réussi, puisque nous sommes tenus en haleine comme rarement devant ce film au rythme sans faille, qui parvient à nous faire oublier la notion du temps en même temps qu'il l'interroge. Les parties se succèdent avec délice, et la toute première, pratiquement muette, fait office d'introduction idéale puisqu'elle suscite immédiatement la curiosité. Elles apportent toutes leur mystère, au grè de ces séances rituelles qui constituent les meilleures scènes du film, notamment car elles sont orchestrées par une gourou fascinante dont chacun des mots captive et dont le charisme raffiné intrigue constamment.




Ce second essai signé Brit Marling, de nouveau accompagnée par un ami réalisateur, et tourné dans la foulée d'Another Earth, me paraît donc beaucoup plus abouti et cohérent que le premier. Sound of my voice atteint clairement son but et nous laisse avec la conviction d'avoir vu un film fichtrement ingénieux, dont l'ambition et l'intelligence rappellent un peu le sympathique Man from Earth, et dont la découverte si agréable appelle à être partagée. De nos jours, on appelle ça une perle rare. On a à présent très hâte de découvrir The East, la nouvelle création de ce même duo, qui, grâce à son casting plus clinquant pourra bientôt, je l'espère, bénéficier quant à lui d'une sortie en salles en bonne et due forme. Sound of my voice l'aurait mille fois méritée.


Sound of my voice de Zal Batmanglij avec Brit Marling, Christopher Denham et Nicole Vicius (2012)

Désirs humains

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Tourné un an après l'excellent Règlement de comptes avec le même duo d'acteurs, Human Desire, film assez mineur du grand Fritz Lang, est une très lointaine adaptation de La Bête humaine de Zola, ou plutôt un très libre remake de son adaptation par Jean Renoir. A ceci près que la bête s'est mutée en froide machine. Lantier, l'homme aux pulsions sexuelles meurtrières héritées d'un patrimoine génétique baigné dans l'alcool à brûler, incarné chez Renoir par le puissant Gabin, noir de suie, ruisselant de sueur et chevauchant (avec Carette) sa Lison, locomotive monstrueuse, créature hurlante de métal, de feu et de fumée, cède la place chez Lang au Sergent Jeff Warren, de retour de Corée, sous les traits d'un Glenn Ford gringalet, tout clean et tout sourire, assis comme un pape dans la cabine confortable d'une imposante machine automatique qui avance seule et laisse à peine deviner à travers de minuscules hublots haut perchés les rails sur lesquels elle glisse.




La scène d'introduction du film est l'une des plus efficaces du film, avec ce plan large en plongée où la locomotive tourne sur elle-même, arrimée à une plate-forme mobile. La faute à un effet d'optique, on ne sait pas immédiatement si ce mouvement vient de la caméra ou de la plateforme soutenant le mastodonte de fer endormi, véritable dinosaure inerte, manipulé sans effort. Mais c'est bien le seul plan du film qui daigne jouer de la figure mythique du train, quitte à la démythifier, et qui parvienne à lui donner un semblant d'intérêt. La locomotive n'a cependant pas de quoi se plaindre quand on sait que Glenn Ford n'aura pas la même chance... Le film tout entier en subit les conséquences, perdant un peu de son âme et progressant en pilote automatique, avec un Lang en pantoufles aux manettes, enfoncé dans son fauteuil comme Edward G. Robinson au début de La Femme au portrait, rêvant peut-être son film au lieu de le tourner.




Mais Fritz Lang, même en pantoufles, reste Fritz Lang, et le film vaut somme toute le détour. Ne serait-ce que pour voir, malgré tout, et malgré le peu de cas que le cinéaste fait de lui, Glenn Ford, minaudant avec ce sourire ravageur qui le rend assez irrésistible (et il fallait bien ça !). Les acteurs sont à leur place, même si l'alchimie n'est pas toujours idéale entre eux, notamment entre Glenn et Gloria Grahame. L'actrice, au physique atypique pour ne pas dire irritant, et au jeu ici malaisé, correspond idéalement (et à priori mieux que Rita Hayworth, que Lang envisageait d'abord dans le rôle) au personnage de demi-chienne (renoirienne ? Lang a aussi remaké La Chienne dans La Rue Rouge, avec avec plus de bonheur) que lui réserve le récit. Demi-clebs seulement parce que la chienne est ici moins coupable que victime. Poussée à un adultère longuement consommé avec son propre parrain par nul autre que son rustre de mari (encore une fois, on aurait mal cru à un couple formé par cette montage de barbaque qu'était Broderick Crawford et la majestueuse Rita…), Vicky ment sans cesse (le jeu faux de Golden Grahame y ajoute) et calcule ses idylles par intérêt ; mais elle le fait pour échapper à sa condition et à l'ennui croulant de sa vie, symboliquement enclose au milieu des rails, partagée entre une cage à oiseaux et un poste de télévision, comme cela a déjà été analysé. Lang en fait finalement la sainte de son film quand l'amant de Vicky, le sergent Warren, déçu par ses mensonges, l'abandonne à un triste sort. Vicky devient victime dans un des wagons du train que fait semblant de conduire un Glenn Ford de nouveau souriant et détaché, pilotant son corbillard sur rails sans les mains.




Au-delà des acteurs (tout de même bien peu mis en avant par Lang, et œuvrant au service de personnages assez faibles), il faut voir le film pour vérifier quelque chose. Dans la scène où le sergent Jeff, commandé par Vicky, s'apprête à tuer le mari de cette dernière, saoul comme un cochon, au milieu des rails et en pleine nuit. Lang, qui excelle toujours à construire l'espace par la mise en scène, et notamment dans les scènes de nuit à la gare, filme ses deux acteurs de dos, l'un poursuivant l'autre qui titube, en vue d'ensemble et en légère plongée, le plan de l'image étant perpendiculaire à celui des rails. Au moment où Glenn Ford est censé passer à l'acte, un train défile entre les personnages et la caméra, nous dissimulant l'action : a-t-elle eu lieu ou non ? Une chose est sûre (ou pas, en fait), c'est qu'à l'instant précis où le train arrive, et jusqu'à la coupure scandant la fin de la séquence quelques secondes plus tard, l'image noir et blanc se teinte d'un étrange et presque imperceptible filtre vert (plus ou moins perceptible selon les lecteurs, particulièrement peu remarquable sur les captures ci-dessous, par conséquent d'une grande inutilité, mais très net sur mon écran de télévision).





Je n'ai trouvé nulle part mention de cette irruption surprenante d'un semblant de couleur (en tout cas d'une altération de la teinte de l'image) dans le film de Lang, pas même chez l'illustre Bernard Eisenchitz dans Fritz Lang au travail. Cette facétie du cinéaste passe-t-elle inaperçue ? N'intéresse-t-elle pas les commentateurs de l’œuvre ? Ou bien n'existe-t-elle tout simplement pas ? Serait-ce un simple défaut de pellicule ? Une erreur de copie dans l'édition DVD du film chez Wild Side, ou sur l'exemplaire précis qui m'est passé entre les mains ? Que ce défaut surgisse sur une scène comme celle-là et s'y trouve si précisément et si idéalement placé relèverait d'une heureuse coïncidence qui donne envie de miser sur un oubli, volontaire ou non, des commentateurs du film. Toujours est-il que la séquence, qui détermine un basculement dans la conscience de Jeff Warren (ce fond verdâtre serait celui de la pourriture et de la corruption, sauf que le personnage ne tue ici sa maîtresse au lieu du mari qu'indirectement), est belle et fait gagner au film cette puissance dramatique dont il manque par ailleurs. Le surgissement inopiné de la couleur, ou à tout le moins l'altération involontaire de la pellicule, même presque invisible, déplace l'attention du spectateur (pour peu qu'il remarque ce drôle d'effet) et marque un déplacement narratif : le meurtre du mari, qui devait libérer la femme, n'a pas lieu et la condamne. Si cette scène a été tournée telle quelle, et si l'effet a été recherché, cela mérite qu'on en parle, sinon, c'est un petit miracle hasardeux qui méritait qu'on en parle aussi.


Désirs humains de Fritz Lang avec Glenn Ford, Gloria Grahame et Broderick Crawford (1954)

Only God Forgives

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Les fans de Driveseront sans doute déçus. Ceux qui n'aimaient pas Drive, à l'évidence, n'aimeront toujours pas et risqueront même de prendre définitivement en grippe Nicolas Winding Refn. Mais ceux qui appréciaient déjà plus en profondeur son cinéma, comme c'est plutôt mon cas, seront satisfaits de constater que le réalisateur danois a su conserver toute sa liberté et sa personnalité malgré le grand succès critique et public rencontré par son film précédent. Only God Forgives est un film peu aimable, pratiquement masochiste, comme l'est son personnage central et peut-être son auteur. On imagine presque en effet ce dernier accueillir avec le sourire les huées cannois... Heureusement, il ne s'agit pas d'une sorte de suite aux accents asiatiques de Drive, ce que les bandes-annonces m'avaient laissé redouter, bien que ce nouveau film s'inscrive dans une continuité formelle logique et s'éloigne encore de la mise en scène brute et spontanée de la trilogie Pusher.




NWR nous propose un drôle de thriller à l'ambiance psychédélique où la tension est sans cesse réfrénée ou simplement exclue, un faux film de boxe contenant un seul affrontement (un véritable passage à tabac se refusant d'être le long climax attendu), un film d'action hémiplégique et amorphe au "héros" totalement impuissant, un polar dénué d'intrigue policière et sans suspense, un drame familial absurde tutoyant parfois le grotesque, par ses quelques dialogues d'une vulgarité sèche, et le mauvais goût, dans des séquences où la beauté esthétique n'a d'égal que la violence de ce qui s'y passe. La vengeance, bien que présente comme élément déclencheur, passe ici au second plan, supplantée par une histoire hantée par les démons d'un personnage impuissant et centrée sur une relation mère-fils bien tordue qui rappelle les rapports très malsains qu'entretenait déjà Tony (excellent Mads Mikkelsen), le dealer paumé de Pusher 2, avec son salaud de père. C'est d'ailleurs de ce film qu'Only God Forgives est peut-être le plus proche, en raison de ces deux personnages cousins condamnés à traverser un douloureux chemin de croix, jusqu'à une possible rédemption. Cela se finit encore dans le sang, et un symbolisme plus rentre-dedans, révélateur d'un profond besoin de psychanalyse chez NWR.




Comme son cinéaste, Ryan Gosling ne fera pas taire ses détracteurs, bien au contraire. Sans jamais bouger les sourcils, il incarne encore un rôle-marionnette, une figure cette fois-ci d'impuissance, de frustration et d'incapacité, que Refn maltraite du début à la fin. Un incapable conjointement manipulé : à l'écran, par sa mère abominablement tyrannique et vulgaire, et en coulisse, par un réalisateur s'amusant peut-être à ravager et ridiculiser l'icône érigée par son précédent film. Un personnage assez éloigné du driver, donc, qui laissait les cadavres dans son sillage en suivant sa voie, guidé par sa seule détermination, mais que l'acteur campe avec une même torpeur, propice aux railleries dont on imagine le duo se moquer comme il faut. Malgré sa faiblesse et son impuissance, ce personnage et son cheminement psychologique semblent au cœur du film, de ce trip curieux où nous sommes invités. Il est coincé dans une apesanteur irréelle, suspendu dans un labyrinthe d'images mentales issues de son mal-être. Face à lui, Kristin Scott Thomas étonne beaucoup dans un rôle inhabituel de mère atroce et castratrice, qu'elle incarne avec un brio tout à fait inédit. On a même du mal à la reconnaître !




On est encore en présence d'un méli-mélo d'influences très diverses, de références connues, bis, cultes et occultes qui, passées à la machine NWR, donnent quelque chose d'assez unique et remarquable. Dans les dédales d'Only God Forgives, on pense pêle-mêle à Dario Argento, pour ces couleurs tranchantes sorties tout droit d'un giallo comme Suspiria, à John Carpenter, pour certains des meilleurs moments d'une bande originale de nouveau signée Cliff Martinez, à David Lynch, pour cette ambiance onirique ponctuée d'images cauchemardesques très stylisées, à Stanley Kubrick, pour ces travellings "cérébraux" dans les couloirs du club de boxe thaï, et à Alejandro Jodorowsky, quand son nom apparaît en hommage dès le générique de fin (car on connait mal son cinéma !)... On pourrait peut-être continuer ainsi encore un peu. Comme Drive avant lui, Only God Forgivesévoque également un thriller coréen, par sa violence crue et soudaine, mais aussi un bête slasher, où les scènes de meurtres s'enchaîneraient à un rythme anormalement lent, tendant à chaque fois vers plus d'inventivité visuelle et malsaine. Nicolas Winding Refn donne alors l'impression de s'échiner à élever un sous-genre d'ordinaire purement commercial et condamné à la médiocrité, ce qui n'est pas vraiment pour déplaire.




On termine la vision de ce film étrange et malade un peu désorienté, sans précisément savoir quoi en penser, avec toutefois l'assurance de ne pas avoir été insensible à l'art singulier d'un cinéaste atypique qui semble savoir exactement ce qu'il fait et dont, accessoirement, on ne veut pas connaître les problèmes familiaux ou les traumas infantiles... Un film qui pourra ensuite nous accompagner comme nos plus marquants cauchemars, avec ses images obsédantes, sa narration déstructurée, son ambiance décomposée et ses situations dérangeantes, mais que d'autres oublieront aussitôt après l'avoir chassé ou rejetteront immédiatement.


Only God Forgives de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling, Kristin Scott Thomas et Vithaya Pansringarm (2013)

Le Village

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C'était le début de la fin pour Schumi, aka M. Night Shyamalan, qui à l'époque n'était enfin plus résumé par ce sobriquet dont tant d'autres ont été affublés : "le prochain Spielberg". Il était enfin devenu "Schumi", celui qu'on ne comparait plus systématiquement à ses illustres aïeuls et que l'on pouvait enfin considérer comme un auteur à part entière, une identité forte. La crème de la crème hollywoodienne se battait pour intégrer le casting de ses films. Le Village en est la preuve puisqu'on y retrouve de grands noms tels que Sigourney Weaver et William Hurt, ainsi que les grands espoirs de l'époque : Bryce Dallas Howard, Joaquin Phoenix, Michael Pitt ou Adrien Brody, qui avait affirmé après Le Pianiste qu'il allait enfin pouvoir tourner avec de grands réalisateurs, ce qu'il fit donc selon lui en intégrant les rangs de Schumi. Malheureusement pour lui, Brody avait choisi le pire moment. Le Village fut le début de la fin. Après les succès consécutifs de Sixième sens,Incassable et Signes, Shyamalan était à la recherche du pitch fou et du twist qui va avec.




La pression était telle sur ses petites épaules d'amérindien que le cinéaste s'abaissa à des procédés pas très catholiques, consistant notamment à aller piocher son inspiration ailleurs... On ne jettera pas la pierre à Schumi, on ne le condamnera pas pour son plagiat honteux. Qui n'a pas, un jour d'exam, été tenté d'avaler la petite pilule magique ? Qui ne s'est pas tatoué à vie l'intérieur des avant-bras pour un oral un peu trop stressant ? Qui n'a pas intitulé sa rédaction de fin de 4ème "A la recherche du temps perdu" en pensant que ça passerait inaperçu ? Qui n'a pas recopié l'intégralité d'une des nouvelles du King himself, Steph de son prénom, à l'âge où on lit et où on aime le King, c'est-à-dire en 6ème grand max, pour frimer devant les copains ? Qui ne s'est pas fait une permanente avant d'aller emprunter vite fait quelques concepts de Michel Onfray sur wikipédia afin de briller en société ? On en est tous là, Schumi le premier, et si son film avait été réussi en tant que tel, plagiat compris, nous ne serions pas allés fouiller le flux RSS consacré aux dernières dérives judiciaires de Schumi (qui n'est pas à ça près) !




Sauf que quand on s'est infligé le film au cinéma en 2004 on a forcément envie d'aller taquiner Schumi à propos des bouquins qu'il a pompés pour en tirer une idée qu'il a cru géante et qui s'est révélée bancale, en tout cas pas du tout à la hauteur du foin qu'il en a fait. Le Village fut l'un des premiers films post 11 septembre, traitant de cette Amérique recroquevillée sur elle-même, fondée sur une chimère : la peur de l'autre et du monde extérieur. Pour illustrer cette idée, un village coupé du monde, maintenu à un stade reculé de l'évolution, bercé de religion, cerné par une forêt épaisse déclarée interdite selon la lubie de quelques vieux allumés. Le film est un peu trop lent, Schumi semble se regarder filmer, ayant chopé la grosse tête après ses premiers succès et surestimant en outre son idée de scénario (qui, rappelons-le, n'est pas de lui), et tout ça pour aboutir à un twist franchement pas faramineux, qu'il fallait être aveugle pour ne pas voir venir. Quoique, Bryce Dallas Howard incarne une aveugle paradoxalement plus clairvoyante que ses concitoyens. A la fin du film, Shyamalan nous raconte, ou plutôt nous explique lui-même le fin mot de son histoire, filmé dans un reflet de vitre dans l'un de ces caméos dont il a le secret, achevant de se rendre pas mal irritant aux yeux de son public, massivement déçu à l'époque par ce film en manque de vigueur après les promesses faites par le cinéaste au début de sa carrière.




En revoyant le film aujourd'hui, et à la lumière des derniers films de Schumi (l'imbuvable Phénoménomes et ses deux immondices à gros budgets - d'accord, on n'a pas encore vu After Earth mais "mon petit doigt m'a dit..."), on aurait tendance à mesurer nos propos et à le revoir à la hausse. On ne passe pas forcément un mauvais moment dans ce hameau, loin s'en faut, et on peut même trouver des qualités à cette œuvre somme toute assez prenante, aux personnages intrigants, à l'ambiance inquiétante, et parfois assez efficace dans la peinture de la terreur collective. Deux scènes en particulier sont à retenir, celle de la fête de village perturbée par l'intrusion de la bête, où Shyamalan instaure un beau suspense avec ce plan sur la main tendue de Bryce Dallas Howard, et la séquence de déclaration sur le porche entre cette dernière et l'excellent Joaquin Phoenix. Le seul problème c'est que si le film se regarde plus aisément aujourd'hui qu'il y a dix ans et passe sans véritables encombres le contrôle technique, il faut bien avouer que quelques mois voire quelques semaines seulement après cette fameuse révision le souvenir laissé par Le Village s'estompe de nouveau, au point qu'il reste difficile de se remémorer les bonnes scènes. Le doute sur les réelles qualités de l’œuvre se réinstalle peu à peu. N'est-ce pas le signe d'un film bel et bien boiteux ? Une chose est sûre : c'était le dernier jalon à peu près potable d'une filmographie en perdition. On n'a pas fini de sonder le gouffre dans lequel Schumi s'enfonce depuis, creusant sa tombe avec une belle énergie.


Le Village de M. Night Shyamalan avec Sigourney Weaver, William Hurt, Bryce Dallas Howard, Adrien Brody et Joaquin Phoenix (2004)

The Plague Dogs

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On avait déjà les impôts, la CAF, le CROUS, Free, la MAAF et l'État sur le dos, à nous relancer chaque mois avec des menaces, et maintenant s'ajoute à la liste le site Cinétrafic.com. Le deal c'était "un dvd contre une critique". C'est d'ailleurs le slogan de leur site, à leur plus grand désarroi puisque depuis que nous avons ouvert le blog, en février 2008, nous leur envoyons un mail de réclamation à chaque critique publiée, pour obtenir gain de cause. On est à presque 800 critiques publiées, soit autant de spams suppliants dans la boîte mail de contact@cinétrafic.com et autant de dvds jamais reçus (et, petit erratum à notre mail du 9 décembre 2012, on aimerait bien un coffret réunissant tous les volets de la saga de l'anneau de Peter Jackson, car finalement on les a tous critiqués). Bref,  chez Cinétrafic, on attend de pied ferme notre papier signalant la sortie du dvd de The Plague Dogs le 4 avril 2013. Et ils ont raison, car on est à la bourre ! Le voici enfin.




Hantés par l'urgence d'écrire cet article, on a tagué "04.04.13" sur tous les murs de notre ville pour ne pas oublier. C'était forcément l'ultime deadline avant de plus gros problèmes avec les aimables webmasters du site Cinétrafic. Faut savoir que d'habitude nous sommes d'authentiques critiques freelance (pour ne pas dire "blogueurs ciné" (aïe...) car on sait que cette expression fout à cran), nous agissons selon notre seul libre arbitre, guidés par notre seule passion. Il nous arrive même, quand on va voir un film au ciné, de nous permettre de ne pas écrire dessus (bien qu'on avoue parfois se foutre une pression monstre à blanc sur des titres où personne ne nous attend, typiquement Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer). Du coup on s'est retrouvés comme deux ronds de flan quand on s'est plantés face à la page blanche d'un document vierge intitulé "The Plague" tout court ("La Plaie" en français pour les non-anglophones). Depuis presque deux mois Word97 est ouvert en permanence sur nos ordis, avec le curseur qui clignote dans le vide en haut à gauche de la page. On a même hésité à renvoyer le dvd à Cinétrafic, avec un mot d'excuse honteux mais sincère disant : "Nous avons passé un super moment devant The Plague Dogs, qui sort le 4 avril 2013, mais nous sommes en panne sèche, malheureusement. A bon entendeur ! P.S. Nous voulons bien le dvd de Blade 2 dans son édition simple en revanche, si vous avez".




Si nous devions quand même dire un mot du film, on dirait que c'est "l'un des chefs-d’œuvre du cinéma d'animation", le "diamant noir de l'animation", une "œuvre radicale et unique" et qu'il "aura fallu plus de 30 ans pour que le film soit visible en France". "N'attendez pas plus longtemps !". On peut aussi vous signaler que l'oeuvre fixée sur ce support est exclusivement destinée à l'usage privé dans le cadre du cercle familial. Toute autre utilisation (reproduction, prêt, échange, diffusion en public avec ou sans perception de droits d'entrées, télédiffusion, en partie ou totalité, exportation sans autorisation) est strictement interdite sous peine de poursuite judiciaire. Dupliqué et imprimé en UE. Et nous pouvons désormais ajouter Les Films du Paradoxe aux organismes qui auraient des raisons de nous faire mettre en cabane. En dehors de toutes ces belles phrases, la jaquette nous présente aussi une belle affiche. Quoique. Le film a beau être un "chef-d’œuvre esthétiquement fabuleux", il reste un gros couac sur la devanture du poster au niveau de la patte avant gauche de Row, le chien noir sur le point de mourir qui est aussi la co-star au film. Regardez de plus près en grossissant l'affiche en haut de cet article et si vous parvenez à décoller les yeux de ce petit couac graphique, on se retrouve au paragraphe suivant.




The Plague Dogs ("Les Chiens empestés" en VF) fait énormément penser à L'Incroyable voyage, ce film qui suivait les aventures de deux clebs et d'un greffe (pas des animatronics, de vrais comédiens) partis en voyage et doublés par toute l'équipe des Visiteurs : Jean Reno, Christian Clavier et Valérie Lemercier. C'est le même film en bien et en version ultra déprimante puisque la chatte siamoise de L'Incroyable voyage (pur souvenir de cinéma), véritable sidekick des deux clébards et dynamite comique du film original, est ici remplacée par un renard plus frais que les deux chiens des quais mourants sur l'affiche mais tout de même pas spécialement désopilant. Le film reste boloss à regarder. Et, puisque notre contrat avec cinétrafic nous impose quelques mots-clés à insérer dans ce billet, nous pouvons l'affirmer : The Plague Dogs est un "film à voir" (ici). Mais sérieusement, mots-clés ou pas, on vous aurait forcément incités à regarder en vitesse ce dessin animé atypique et inspiré, et on remercie grandement Cinétrafic au passage pour cette belle découverte.




Alors c'est un film à voir, certes, mais nous émettrons toutefois un bémol, une petite précision : "à voir, sauf si vous n'êtes vraiment pas au top". Car The Plague Dogs, aussi beau soit-il, pourrait vous coller un cafard monstrueux. Le film raconte l'histoire de deux chiens qui s'échappent d'un centre de tests sur animaux (un peu comme dans Beethoven, le biopic du maestro) et qui errent dans la grisâtre garrigue britannique à la recherche de quelques brebis galeuses à estropier pour passer le temps et pour bouffer. Entre mille et une péripéties dramatiques, qui poussent notamment les deux chiens à flinguer leurs propres maîtres indirectement, nos deux compères poilus, Row et Snitter, nous en apprennent beaucoup (et nous tirent les larmes, il faut bien le dire) sur la race des canidés (et donc sur la cruauté des hommes), dont les membres ne passent leur vie qu'à espérer un peu de compagnie et la chaleur d'un bon maître. Il y a cette scène terrible où Row, le chien black, cause avec le renard et lui demande si y'a une infime chance pour que le berger du coin le prenne à sa charge, et le renard, qu'on imagine doublé par Aymé Jacquet dans la version française, lui répond : "En bouffant la moitié de son troupeau de brebis, tu t'es annihilé toutes tes chances". Avec cette réponse le renard nous surprend en bien. Idem pour le border-colley du berger, seul animal heureux du film, qui, après avoir surpris le chien black et le chien blanc en train d'enfumer les brebis de son maître avec un briquet et du papier journal leur explique tout calmement que leur projet n'est pas constructif, là où on s'attendait juste à une grosse stonzba. Les personnages ont ainsi des réactions toujours intelligentes et étonnantes car éloignées des schémas auxquels nous sommes tristement habitués.




Esthétiquement, le film est beau à voir, on l'a déjà dit. Bravo à Martin Rosen, le réalisateur. Avant ce film, il avait réalisé un dessin animé paraît-il fameux aussi avec des lapins, Watership Down, dans lequel tout allait bien. Suite au succès de ce film, que l'on a à présent envie de voir très vite, on lui a donné carte blanche pour faire ce qu'il voulait, du coup il a choisi Vanille/Noix de Pécan (si vous avez Carte Blanche, vous avez un dessert) et il a décidé de faire un film avec des chiens, dans lequel tout irait mal. Après ça on l'a injustement menotté et on lui a interdit de toucher à un crayon à tout jamais. Pourtant quel coup de pinceau ! Les chiens sont jolis, même s'ils ont tous l'air malade, les dessins sont très simples et plaisants. Ils décèlent une vraie poésie. On apprécie ce superbe travail sur le noir dans les scènes de nuit. Dans une séquence de délire de la part du clebs blanc, Martin Rosen propose des superpositions d'images assez géniales et rendant parfaitement compte de l'état du pauvre chien. A vrai dire, la scène est si déstabilisante qu'elle nous a quand même interrogés sur le bon fonctionnement de notre lecteur dvd, mais c'était bel et bien voulu. En revanche, et ça c'était pas voulu, cet "anime" est l'anti Tabou de Miguel Gomes, film en partie sonore mais non-parlant : ici on entend les voix des animaux mais pratiquement aucun son en dehors de ça. Ce n'est pas désagréable du tout, puisque cela participe grandement à l'ambiance très particulière d'un film qui parvient à s'inventer sa propre musique, mais c'est assez déconcertant. D'autant plus quand on est habitué aux films du facho Walter Disney, toujours mis en musique quand ce n'est pas en chanson et où le travail sonore confine parfois à la cacophonie. Nous n'avons rien dit sur le contenu socio-politique du film, ni sur le fait qu'il est déconseillé aux enfants, ce qui nous place à la limite du recevable aux yeux de cinétrafic et risque de nous condamner à devoir faire une autre critique du film sous peu. On va voir si ça paaaaaaasse...


The Plague Dogs de Martin Rosen avec Snitter, Row et The Dot (1982)

Die Hard 5 : belle journée pour mourir

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On va faire notre auto-critique sur ce coup-là. On a tout passé à Bruce Willis. Pourquoi ? A cause de sa bonne gueule et de ses heures de gloire de jadis. En gros à cause de la première trilogie Die Hard, du Dernier samaritain, de Hudson Hawk, de L'Armée des douze singes, de Pulp Fiction, Sixième sens et Incassable. En vérité on avait surtout de l'affection pour cet acteur, qui a été le héros de quelques gros films ayant accompagné nos adolescences en mal de plaisirs. Depuis, à chaque catastrophe cinématographique, on le dédouane. On l'absout. On s'en prend à tout le monde sauf à lui et on regrette seulement que son nom sanctifié soit associé à de telles saloperies, comme s'il était victime de notre triste époque. Quand on a parlé de Die Hard 4, on s'en est pris à Justin Long et bien entendu à Len Wiseman. Quand on a brocardé l'arnarque Looper, on a tapé sur Nolan et ses avortons, sur Gordon Levrette et Emily Blunt, mais pas un mot plus haut que l'autre sur Bruce Willis, qu'on excusait à demi-mot de figurer dans une énième merde. Mais Bruce Willis ne fait-il pas partie intégrante de son époque ? Ne contribue-t-il pas à sa médiocrité ? N'est-il pas le pylône soutenant la nouvelle trilogie Die Hard, son producteur exécutif et certainement son consultant de la première heure ? N'a-t-il pas les coudées franches sur la réalisation de ces projets, autant qu'un Tom Cruise sur la franchise Mission Impossible ? Notre petit doigt nous dit qu'il est pour beaucoup dans le naufrage du film d'action contemporain et notamment de notre cher John McClane...


Bruce Willis est sans aucun doute coupable de ce film autant que les autres mais il garde quand même ce vieux fond de classe dont l'énorme tête de nœud à côté de lui ne bénéficiera jamais.

Comme dans Indiana Jones 4, quand l'acteur devient trop vieux et qu'on espère réaliser une enfilade de gros films d'action hyper rentables, on fait débarquer le fils du héros histoire d'assurer le passage en douceur vers une renaissance de la saga sous les traits d'un personnage plus sexy et à la légitimité toute fabriquée. Mais si ce n'était que ça, que la présence d'un fils prodigue débile avec une grosse tête ronde d'abruti fini. Le pire c'est que derrière la caméra se tient un énième guignol du même acabit point de vue intellect, qui se dit fan de la première trilogie et qui croit que ça suffit pour la massacrer dans une suite ignoble. Avait-on seulement demandé à Renny Harlin de regarder un seul film américain avant de mettre sa patte viking au service d'une suite au scénario solide, 58 Minutes pour Vivre, film qu'on ne revoit plus aujourd'hui mais qui n'a rien de honteux et qui a eu le mérite inouï d'amener le terrible troisième épisode signé McT. Pour signer le cinquième film, Bruce Willis et ses sbires ont fait appel à John Moore, auteur de Max Payne, fameux jeu vidéo mais film atroce à l'esthétique digne des pires séries TV sur lesquelles on zappe en quatrième vitesse tout en détournant le regard.


Tous ceux qui ont croisé par mégarde la bande-annonce de cet immondice hollywoodien ont aussi croisé cette scène racoleuse, qui n'apparaît pas dans le film.

Le scénario de ce nouvel opus est misérable. Quelques allusions inévitables à l'âge avancé de Bruce Willis (qui joue comme un vrai connard là-dedans), des personnages secondaires qui se secouent sur le talent de tireur toujours intact de ce "vieux McClane, toujours au top", bien sûr impeccable lors d'une session de tirs au début du film où il dégomme tous les stands avec le sourire, des vannes morbides quand il y en a (ces petites répliques bien placées et qui nous foutent les larmes aux yeux, en particulier quand McClane passe le film à répéter qu'il est censé être en vacances et que ça ne l'étonne qu'à moitié d'encore les passer à faire sauter tout ce qui bronche), des scènes d'action nulles à souhait, auxquelles on ne comprend rien, qui sont toutes horriblement filmées et où tout est sujet à explosion, comme pour combler les désirs d'un enfant de quatre ans qui voulait faire du ciné pour casser ses jouets, bref, ce film est honteux, navrant, y'a pas de mot. On mate ça et on se cache pour oublier, on n'en parle à personne, on se tait après. 


Bruce Willis vient d'être décoré de l'insigne de commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres. Il était "ému aux larmes" selon les journaux. Nous aussi on a chialé.

Certains fans de la série disent que pour faire un bon Die Hard il faut un McTiernan et au moins un frère Grüber. Jugement bien pessimiste. On aimerait que ce soit possible autrement et que Bruce Willis ait un jour l'intelligence de faire appel à de bons scénaristes (deux ou trois maximum, pas toute une armée de trépanés se refilant la patate chaude pour accoucher d'un vaste gag à tiroirs involontaire) et surtout à un réalisateur qui aurait un minimum de talent et de quotient intellectuel. Même si ça marche rarement, les impératifs des studios imposant leur loi, Tom Cruise essaie d'embaucher des cinéastes potentiellement capables de renouveler sa saga chérie, Stallone lui-même a déniché le réalisateur de Red Hill pour Expendables 3, idem pour Schwarzy qui est allé tourner avec le réalisateur coréen de J'ai rencontré le diable. Dans tous les cas ça n'a pas donné grand chose mais c'était bien tenté. Bruce Willis, dont on se demande même s'il voit seulement la différence entre la première trilogie et celle qu'il est en train de faire capoter dans les grandes largeurs, a quant à lui logiquement choisi le réalisateur de Max Payne, John Moore. Arrête-toi ! 


Die Hard 5 : belle journée pour clamser de John Moore avec Bruce Willis (2013)

Drôle de frimousse

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Ressorti récemment sur les écrans dans une magnifique version restaurée, Drôle de frimousse fait partie des dernières grandes comédies musicales de l'âge d'or hollywoodien. En 1957, dix ans avant Voyage à deux, Audrey Hepburn joue pour la première fois sous la direction de Stanley Donen et vient déjà rayonner sur la France. Avant la Côte d'Azur, parcourue en long, en large et en travers aux côtés d'Albert Finney, c'est à Paris qu'elle atterrit en compagnie de Fred Astaire. Dick Avery, un photographe de mode au service de Maggie Prescott (Kay Thompson), directrice du magazine Quality, est à la recherche d'un mannequin capable de ménager élégance et intelligence pour devenir l'égérie du magazine et porter les robes de la prochaine collection du grand couturier parisien Paul Duval. Embarrassé par les poupées décérébrées qu'on place sous son objectif, Dick Avery décide de photographier son principal modèle dans une petite librairie de Greenwich Village pour l'entourer de livres et lui fabriquer un air spirituel, quitte à mettre la propriétaire de l'établissement, Jo Stockton (Audrey Hepburn), à la porte de sa propre boutique le temps du shooting. Sauf que c'est le visage chiffonné de la libraire qui va retenir l'attention du photographe, et que c'est elle qu'il va convaincre d'embarquer pour Paris.




Le film doit beaucoup à la beauté fascinante d'Audrey Hepburn. On tombe amoureux d'elle à chaque séquence, qu'elle soit fagotée en caricature de libraire avec ses cheveux lisses, son grand gilet gris à poches et sa longue jupe étroite et sombre, ou transformée en pure icône de mode dans des robes toutes plus somptueuses les unes que les autres. L'actrice éblouit plus encore quand elle se situe entre ces deux extrêmes et se contente de déployer un sourire radieux, en toute simplicité. Dans la fameuse séquence musicale du "Bonjour Paris !", le splitscreen lui fait parfois partager l'écran avec Fred Astaire et Kay Thompson sans qu'on puisse décoller les yeux de la belle Audrey. La comédienne est parfaite à plus d'un titre, chante et danse parfaitement et dégage une grâce exceptionnelle, y compris dans un numéro casse-gueule, dans la scène où, au milieu d'un piano-bar parisien improbable, elle se lance dans une danse improvisée un peu loufoque et presque grotesque sur une musique jazz composée par George Gershwin. La beauté et la vitalité de l'actrice feraient tout passer, et font en l'occurrence oublier l'inégalité de la partie musicale du film, qui alterne des scènes originales et touchantes (celle de la chambre noire) et d'autres plus convenues et moins frappantes, comme quand Fred Astaire danse pour une Audrey Hepburn penchée à son balcon. L'extraordinaire acteur, chanteur et danseur nous a livré des performances autrement plus impressionnantes, chez Donen lui-même, chez Minnelli ou dans ses premières comédies musicales aux côtés de Ginger Rogers (ne citons que l'inoubliable Top Hat de 1935).




Dans cette scène où Fred Astaire danse pour séduire Audrey Hepburn, on se confronte à l'autre fragilité du film : le jeu avec les clichés. On les attend de pied ferme dès que nos chers américains survolent Paris en avion, avec ces drôles de vues aériennes sur la Tour Eiffel, Notre-Dame ou l'Arc de Triomphe. Et ça ne rate pas, le Paris filmé par Donen est un Paris de carte postale qui emboîte les clichés les uns sur les autres, des pêcheurs moustachus aux baguettes de pain en passant par les pavés, la pluie, Jean-Paul Sartre, les voitures minuscules, les amants aux terrasses des cafés qui se giflent et s'embrassent dans la même phrase et compagnie. Mais Donen a tout prévu puisque la première chanson parisienne du film montre nos trois expatriés revendiquant leur statut de touristes et adorant ouvertement, en toute conscience, cette image fausse qu'ils se font de Paris. On sourit quand même jaune quand on voit Fred Astaire commencer son numéro dans la cour du petit hôtel (très 19ème...) de sa promise avec le parapluie de rigueur, et le terminer derrière une camionnette transportant une vache… Entre les deux, la star se livre avec sa veste rouge à une danse mimant la corrida, sans qu'on comprenne pourquoi (les américains croient-ils la corrida parisienne ? Ou bien considèrent-ils que la France, l'Espagne, tout ça finalement c'est l'Europe…).




La France est aussi désignée comme le pays de la philosophie, et venant des américains, quelque part, ça se comprend. Jo Stockcton accepte de se rendre à Paris et d'y jouer les mannequins pour avoir une chance de rencontrer le professeur Émile Flostre (Michel Auclair), chantre de l'"empathicalisme", qui donne des conférences dans des cafés-philo-poésie bien de chez nous. Le film pose d'emblée une opposition entre le monde superficiel de la mode, dont il se moque allègrement, et celui, trop triste, de la pensée, deux mondes séparés et incomplets, clairement attribués respectivement aux USA pour le premier et à la France pour le second. Sauf qu'à la fin c'est l'Amérique qui gagne. Flostre se révèle être un vulgaire séducteur, usant du verbe pour coucher, et Jo finit par se débarrasser de lui en lui fracassant une sculpture hors de prix nulle part ailleurs que sur le crâne. La tête du chercheur français n'est bien entendu remplie que de blabla, puisque Maggie Prescott, la directrice du magazine de mode, papesse du commerce des corps et du règne de l'apparence, comprend non seulement parfaitement la théorie de l'empathie chère au philosophe, à condition de la formuler dans des termes simples et efficaces, mais la met même en pratique, contrairement à lui.




Stanley Donen nous donne une petite leçon quand Fred Astaire et Kay Thompson se déguisent en français (tenues austères et bouc sévère) pour pénétrer le repaire de Flostre et libérer Jo. Après avoir écouté la lente complainte morbide d'une jeune chanteuse française racontant ses turpitudes sentimentales sur fond d'envie de meurtre et de suicide, les deux américains vendeurs de rêve sont contraints de faire le spectacle à leur tour, mais à l'américaine s'il vous plaît, et nous livrent un show très complet de danse et de chant plein d'énergie et ô combien rythmé. Comme la plupart des grands spectacles hollywoodiens, le numéro du photographe et de la directrice de Quality n'a pour but que d'en foutre plein la vue aux tristes français pour les endormir et parvenir à leurs fins : récupérer Jo, la faire poser dans les robes de Paul Duval, et faire du business à tout prix. Au final, Stanley Donen n'étant pas totalement cynique, c'est quand même avant tout l'amour qui l'emporte, dans une de ces visions "idéalisées" vendues par les magazines de mode, que le cinéaste dénonce et plébiscite dans le même temps en concluant son film sur un idéal de vie résumé à un chromo absolu, factice au possible. Fred Astaire s'éloigne dans les bras d'une Audrey Hepburn en robe de mariée sur un petit radeau de bois, le long d'un ruisseau parcouru de cygnes blancs, derrière une vieille église en pierre. A la décharge du cinéaste, il faut bien avouer qu'Audrey Hepburn ajoute un surplus d'idéal à tous les décors du monde, et qu'un monde idéalisé par amour pour Audrey Hepburn est un monde qu'on achèterait volontiers.


Drôle de frimousse de Stanley Donen avec Audrey Hepburn, Fred Astaire et Kay Thompson (1957)

Matrix

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Vous nous connaissez, quand on s'attaque à un grand monument du cinéma, on choisit souvent un angle inattendu. Que pourrait-on ajouter sur la trilogie des frères Wachowsky, décortiquée de A à Z par tout un tas de gens dont Rafik Djoumi, passionné de ciné et ex-critique chez Mad Movies, qui a aussi planché sur la trilogie de l'Anneau de Peter Jackson. A propos de Mad Movies, nous avons une requête à adresser au journal. Quand il avait douze ans, Félix était abonné à la revue. Il la plaçait très haut dans son estime et attendait chaque nouvelle parution assis en tailleur sur la boîte aux lettres de ses parents, en jouant du banjo. Il était si fan de ce papelard qu'il avait décidé d'économiser sur son argent de poche pour se payer les quelques anciens numéros qui le titillaient le plus (notamment le numéro de 84 consacré au premier Freddy, encore conservé dans de la glace chez ses vieux, au fond d'un immense congélo, entre deux steaks de veau sous vide). A plusieurs reprises, Félix a donc préparé une enveloppe avec le bon de commande dûment complété en lettres capitales, découpé au Laguiole (ses parents disposaient de tous les hachoirs du monde mais pas d'une simple paire de ciseaux), et accompagné de vingt-cinq francs (le prix d'un numéro à l'époque, frais de port inclus) en petite monnaie (deux pièces de dix francs et une de cinq). Or il n'a jamais vu la couleur de ces numéros spéciaux qui lui faisaient tant envie, du moins pas jusqu'à ce qu'il ait l'idée de demander à sa mère de faire un chèque. Face au chagrin de son fiston, la mère de Félix ne se faisait pas prier pour accuser le facteur à demi-mot, facteur qui a tout de même fini par déraper sur un piège à loup égaré comme par hasard sur le chemin de la maison, aidé dans sa chute par les assauts répétés d'un chien domestique bien dressé et ne connaissant que trop la valeur de vingt-cinq francs (un paquet de croquettes Ludovic Giuly's Soup coûtant la bagatelle de trente francs). Quant à nous, nous accusons directement le magazine et réclamons aujourd'hui la modique somme de 275 francs (au bout de onze bons de commande Félix a fini par se dire que la rédaction devait préférer les chèques de table).


Morphalous est à deux encablures de s'en manger une bonne... La matrice lui réserve encore quelques surprises, sous la forme ici d'un gros targeon droit dans la tronche. On se demande pourquoi le personnage n'a pas reconfiguré la matrice pour atténuer ses vilains problèmes de peau.

Nous avons tous deux découvert Matrix au cinéma en l'an de grâce 1999. Mais à l'époque on ne se connaissait pas. Félix, qui a décidément une mémoire putain de vive pour tout ce qui est ciné, se souvient l'avoir vu au cœur de l'été en compagnie de son frère aîné Glue3. Ce dernier devait déménager à ce moment-là et avait besoin d'une main-d’œuvre facile. Félix était tout indiqué, qui se faisait alors chier chez ses parents et les faisait chier d'autant. Sa mère, inquiète de lui trouver une occupation coûte que coûte, "suggéra" (on met des guillemets ici, car "suggérer" est un terme un peu trop léger pour décrire quelqu'un qui a le doigt sur la gachette) à Glue3 de l'embarquer avec lui, pour porter des choses lourdes de préférence, en précisant quand même : "Emmène-le au cinéma quand vous aurez fini, par exeeeeeeemple...". Les voilà donc partis au méga-multiplexe le moins proche en Kangoo Express. Et Félix, dont la mémoire est manifestement un gigantesque et impressionnant gouffre à merde, se rappelle que son grand frère - qu'il a depuis tenté de faire interner en HDT (merci Arnaud Desplechin de nous avoir appris l'existence de cette démarche administrative fort utile dans Rois et Reine) - étant donné qu'ils étaient arrivés en avance pour la séance, a dit : "On va attendre sur le parking, dans le Kangoo". Félix, qui rôdait déjà à 3 de tension à l'époque, n'avait pas réagi à cette proposition, mais aujourd'hui il ne comprend toujours pas.


Sur le plateau de Jurassic Park 2 Le Monde Perdu, Steven Spielberg donne ses indications de jeu à un stégosaure attentif.

Et il y a pire ! Autre blockbuster, autre déménageot, autre Kangoo Express, même frère, malheureusement. Félix, un souvenir en appelant un autre, se rappelle aussi de la fois où ils sont allés voir Le Monde Perdu de Spielberg sur écran géant. Arrivés devant la salle, un peu en avance, comme d'hab, les deux frères sont arrêtés manu militari par une ouvreuse qui leur demande de bien vouloir attendre un peu sous prétexte que la séance précédente se termine. La prenant au mot, comme cela lui arrive trop souvent, Glue3 se met au garde-à-vous devant la bandoulière de sécurité et joue les vigiles de pacotille du haut de son mètre dix en toisant les nouveaux arrivants susceptibles de le doubler d'un regard oblique quoique globuleux. Félix piaffait d'impatience, lui qui venait de vider un pot de 750 grammes de popcorn acheté à la caisse avec son sacro-saint argent de poche (décidément voué à partir en fumée pour pas grand chose, et notre ami ne peut plus voir le popcorn en peinture depuis ce jour). Cinq minutes se passent. La file d'attente commence à s'allonger. Dix minutes s'écoulent, la queue est sur le point d'exploser. Au bout d'un quart d'heure, une personne s'approche et dit : "On va aller voir, quand même ?", poussant la porte pour découvrir une salle vide et, sur l'écran, une jeune black en pleine séance d'aérobic, décanillant des raptors en faisant des pirouettes sur des barres parallèles dans ce qui restera sans doute comme la pire scène du film de Spielberg, survenant après plus d'une heure de "métrage" (on reprend ici un terme inique cher à Mad Movies, comme quoi cet article a du sens et se veut organisé). Glue3 a passé la séance tassé dans son fauteuil, figé sur place, à soutenir les regards à bloc de haine d'une foule de spectateurs enragés. Ce n'est que lors de la Pentecôte 2013, quand une chaîne du réseau hertzien a eu l'idée de rediffuser Jurassic Park 2, que Félix a découvert que le film ne durait pas qu'une demi heure et qu'il possédait finalement une forme d'introduction.


Joe Pantoliano, Pantoliano Joe, tournez-le dans tous les sens, c'est le meilleur patronyme qui soit, le plus bel assemblage de lettres imaginable.

Retour inespéré à Matrix, le sujet de ce papier. On reste, il faut bien le dire, espantés à l'idée que des gens aient passé un temps fou à écrire sur ce film, qui ménage la chèvre et le choux, distille les références littéraires-mythologiques-mystiques et les amalgame dans un scénario certes plutôt bien ficelé mais loin de mériter qu'on s'y attarde comme si c'était la Bible. Le film traite en surface des idées riches quoique rebattues et peut servir de porte d'entrée à quelques réflexions plus profondes sur des questions et thématiques philosophiques, il n'en reste pas moins un film d'action à peine correctement filmé, cinématographiquement sans grand intérêt, que ses fans surinterprètent dangereusement et auquel ils font dire tout un tas de choses que lui-même n'effleure qu'à peine. Ca reste mieux que la plupart de ce qu'on peut voir aujourd'hui, et ce n'est pas difficile. Si on a du mal à piger que des gens bûchent sur la petite dissert sympa et tape-à-l’œil des Wachowsky, que dire de ceux qui se ruinent la cervelle sur Inception. A côté Matrix c'est du Rohmer. A noter qu'on ne parlera de qualité que pour le premier film, qui se suffit à lui-même. Les deux autres volets ont complètement gâché la fête, même si les aficionados les étudient tout aussi sérieusement. Quand Andy et Lana ont prétendu que le premier film était prévu pour être suivi de deux daubes totales, on a eu du mal à les croire, tant les épisodes 2 et 3 donnent envie de pleurer sans jamais s'arrêter.

On ne fera cependant pas partie de ceux qui pointent du doigt le nouveau triple menton de l'élu, l'élu de nos cœurs, que certains traitent aujourd'hui de "gros sac à merde" parce qu'il a un peu grossi, après l'avoir bêtement imité dans leur jeunesse en portant des manteaux en cuir hideux, des doc marteens noires importables et en arborant des lunettes de soleil même par temps couvert. Au dernier festival de Cannes, Keanu Reeves s'est affiché, il s'est montré, tel qu'il est, plus proche d'Homer Simpson que de Néo, et il a provoqué les rires alors qu'il vient de souffler sa cinquantième bougie et qu'il se traîne une vie privée dont une seule journée pourrait transformer les plus robustes en pures épaves.

Nota Bene : Félix veut profiter de cet article pour présenter ses plus plates excuses à l'acteur Joe Pantoliano (Francis Fratelli dans Les Goonies, Teddy dans Memento, et donc surtout Sypher dans Matrix), dont il a emprunté le patronyme pour sa seule sonorité incroyable dans une vieille adresse mail : pantolianojoe@yahoo.fr, adresse qui a servi à commettre pas mal de cyber-crimes à l'époque bénie où le web était un no man's land propice à toutes les bastons.


Matrix des frères Wachowsky avec Keanu Reeves, Carie-Anne Moss, Lawrence Fishburne, Joe Pantoliano et Hugo Weaving (1999)

Bienvenue parmi nous

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Patrick Chesnais est un peintre célèbre en pleine dépression. Époux de Miou-Miou, père de deux blaireaux et déjà papi, il songe très sérieusement à mettre fin à ses jours et va même s'acheter un flingue chez Dédé Bénureau. Peu de temps après avoir tenté une énième fois de se faire sauter le caisson, une jeune fille paumée (interprétée par Jeanne Lambert) s'introduit dans sa voiture alors qu'il est arrêté à un feu rouge. Il ignore encore que cette fille va remettre en question son existence et faire se redresser chez lui certaines choses qui sommeillaient mollement dans son futal depuis la naissance de son deuxième enfant. Voici le point de départ d'une sorte de buddy-movie d'arrière-grand-père à moitié mort, qui vous transportera de l'Île d'Oléron au Marais Poitevin, en passant par La Rochelle et Rochefort. Le film de trop, pour Jean Becker, qui n'a depuis longtemps (ses débuts) strictement rien à raconter, mais continue tout de même à tourner, coûte que coûte, à filmer le vide, permettant tout de même parfois à un acteur en roue libres de briller. Ici, la star s'appelle Patrick Chesnais, et sachez que cette phrase me choque aussi.


Pat' Duchesnay a décidé de devenir acteur après une carrière de patineur artistique menée de main de maître en compagnie de sa soeur sous les couleurs du Canada, puis de la France. Merci Pat'!

Toutes les 10 minutes, Patrick Chesnais pète un câble, que ce soit face à Jacques Weber, une chaise pliante, une voiture récalcitrante, ou Miou-Miou... Tout le monde subit le courroux de Patrick Chesnais. Ça sent l'impro à plein nez et, si vous êtes d'une humeur rayonnante au moment où vous lancez ce film, vous sourirez peut-être à moitié devant les colères de Chesnais. Jean Becker a su faire sortir de ses gonds son acteur star et c'est là le seul intérêt de son film abominable. Il faut aussi reconnaître que le cinéaste franchouillard a su tester et mettre à rude épreuve la maîtrise de soi de sa vedette moustachue face à une jeune actrice suffisamment familière pour multiplier les situations ambiguës. Plusieurs fois, l'acteur se retrouve dans une situation embarrassante causée par des afflux de sang non contrôlés, irriguant son organe copulateur, épuisé, mais toujours aux aguets. Lors de leur première nuit à l'hôtel, Patrick Chesnais, gentleman prudent, a bien pris deux chambres séparées, mais cela n'empêche pas Jeanne Lambert de venir l'aguicher en petite chemise de nuit. On voit donc à ce moment-là Patrick Chesnais retenir tous ses démons avec le plus grand mal. Il porte alors une chemise ouverte jusqu'au nombril, nous dévoilant son torse glabre et bien entretenu, mais cet accoutrement ne le met pas seulement à son avantage, car il trahit aussi cruellement l'état d'alerte rouge auquel fait face le vieil homme. Peut-être trop ouverte, sa chemise laisse apparaître l'extrémité d'un gland fatigué battant son torse au diapason du rythme cardiaque de notre vedette. La petite chose rougeâtre dépasse très légèrement du tissu vert-mélèze du vêtement et nous adresse un regard-caméra faisant véritablement froid dans le dos. C'est un moment fort qui marquera au fer rouge votre mémoire de cinéphile.


Matez le discret coup d’œil lubrique de Pat' Chesnais en direction de cette jeune femme, malgré les trop nombreuses couches de vêtements qui l'affublent et cachent les nombreux atouts de sa féminité.

Plus tard, Chesnais se retrouve à la plage avec la jeune Lambert. Au moment où elle dévoile son maillot de bain une-pièce intégral, on voit bien le regard déçu de Patrick Chesnais : pour lui, monokini signifie "topless + mini-string". Patrick Chesnais saisit alors l'occasion pour citer Julien Courbet comme sa plus grande influence en peinture et invite la jeune fille à poser dans le plus simple appareil pour que son "gros pinceau" puisse "l'immortaliser à son zénith". Un peu gênée, elle refuse, mais, pas totalement indifférente à l'attention d'un vieillard au regard forcément connaisseur et assez excitée à l'idée d'imaginer son portrait accroché au mur d'un petit musée de village, elle promet d'y réfléchir. Souhaitant dévoiler à son tour sa tenue de plage, un bermuda Waïkiki aux couleurs délavées, Patrick Chesnais met à nouveau tout le monde mal à l'aise lorsqu'il se rend compte qu'il pourrait tenir sans les mains la serviette nouée à la taille qui lui permet de se changer à l'abri des regards indiscrets. Après s'être laborieusement dépatouillé de cette situation délicate en prenant soudainement la fuite vers l'eau glaciale de l'océan, Chesnais revient le sourire aux lèvres : un rapide coup d’œil l'informe que la bête s'est calmée et s'est recroquevillée sur elle-même, agressée par une chute de température imprévue. Chesnais ne s'attend malheureusement pas à gâcher, une bonne fois pour toutes, ses maigres chances auprès de la jeune fille en laissant déborder de son vieux bermuda dégueulasse, lorsqu'il étend ses guiboles cabossées sur une chaise longue, des roustons particulièrement extensibles et partiellement recouverts de longs poils blancs frisés. Dos au mur, l'acteur choisit de désamorcer la situation en avouant très clairement à Jeanne Lambert qu'elle "le fait bander". Le film ne proposera dès lors plus aucun moment de ce genre, ce qui est assez brusque dans la diégèse du métrage.


Juste pour vous ruiner cette image plutôt avenante : vous trouvez pas qu'elle ressemble beaucoup à Lafesse ? Rappelez-vous la tête de Lafesse en train d'interviewer une vieille quelconque dans une ville quelconque, mettez-la à la place de la tête de cette jeune fille. C'est la même tête, nonobstant les cheveux.

Bienvenue parmi nous est aussi l'occasion de constater que Jean Becker n'a pas croisé un seul jeune depuis les années 80. On a donc droit à des bandes en blousons noirs et en mobylette, à une Jeanne Lambert affublée d'un perfecto et d'un shorty en jean, et à une BO faite des plus grands hits de Police et Niagara. C'est consternant et touchant à la fois. Le vieux cinéaste aux films rances ne se rend pas du tout compte qu'il est complètement déconnecté du monde extérieur et continue de nous fournir des téléfilms d'un autre âge, sans aucune sorte d'intérêt. Pire encore, il s'auto-cite, visiblement très fier de lui, en nous montrant Jeanne Lambert pleurer devant L'Eté Meurtrier (et cette fois-ci, je n'invente rien !). Il s'adresse un autre clin d’œil personnel lors d'un insert terrible nous montrant la main hasardeuse de Chesnais tentant de croquer sa propre caricature sur une table basse. C'est lamentable. Reconnaissons tout de même que c'est le premier film de Jean Becker depuis 20 ans qui ne se termine pas par la mort bien pratique de l'un des personnages principaux. Forcément, puisqu'il ne s'y passe rien, strictement rien ! On en vient à espérer voir un bout de peau de la petite Jeanne Lambert. Elle est la highlight du film et ne pourrait l'être d'aucun autre film. Elle joue affreusement mal. De son vrai nom, Jeanne Lafesse, elle est la fille de Jean-Yves Lafesse, le célèbre farceur de la petite lucarne. Tout en se cachant derrière un nom de scène passe-partout, elle profite au quotidien des portes que lui ouvre le carnet d'adresse de son papa, notamment dans les nombreuses villes moyennes de province qu'il a arpentées des années durant. Elle ne vaut pas cher, elle non plus...


Bienvenue parmi nous de Jean Becker avec Patrick Chesnais, Jeanne Lambert, Miou-Miou et Jacques Weber (2012)

Dirty Mary, Crazy Larry

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Dirty Mary, Crazy Larry, réalisé par John Hough en 1974, est typique du Nouvel Hollywood comme on l'aime. Pur pot-pourri des grands films de l'époque, ce buddy-road-movie de casse et de cavale est basé sur un trio de jeunes personnages. Larry et Deke d'abord, couple d'amis incarnés par un Peter Fonda tout en cheveux, tout en jeans et tout en rire idiot, et par Adam Roarke, vague sosie de John Cassavetes, par conséquent bel homme, fort d'un humour pince-sans-rire savoureux et d'un charisme rentré plutôt impressionnant. Comme dans Macadam à deux voies de Monte Hellman (1971), nos deux compères sont respectivement pilote et mécano, et leur duo devient trio quand ils voient se faufiler dans leur voiture et entre leurs pattes (au propre comme au figuré) une jeune fille court vêtue aux mœurs légères interprétée par la Susan George des Chiens de paille (Sam Peckinpah, 1971), jolie blonde qui n'avait que le défaut de posséder trop de dents, et des dents fâchées entre elles, à une époque où les appareils dentaires n'existaient malheureusement pas encore.




Au début du film, Larry et Deke, qui veulent amasser assez d'argent pour s'acheter une bagnole de course digne de ce nom afin de participer à la Nascar Daytona 500, braquent le patron d'un supermarché, mais sans arme, en menaçant tout simplement sa famille prise en otage, un peu comme à la fin du génial Wanda de Barbara Loden (1970). Sauf qu'en partie à cause de Mary Coombs, la reprise de justice blondinette qui colle aux basques de notre couple de routiers, le plan tourne court et les voilà pris en chasse par toute la police motorisée du pays, façon Sugarland Express (Steven Spielberg, 1974). A la tête de leurs poursuivants, un capitaine autoritaire et acharné, un vieux de la vieille au stetson vissé sur la tête du soir au matin et du matin au soir, soucieux de préserver son territoire sudiste coûte que coûte (ce vieux loup des mers est interprété par Vic Morrow, qui passe la quasi-totalité du film en hélicoptère, triste ironie du sort quand on sait que l'acteur a fini décapité par les pales d'un autre hélico sur le tournage de La Quatrième dimension, comme on vous en a déjà parlé ici et ). Sur le bitume, nos héros sont entre autres traqués par un flic redneck hystérique à l'idée de dégommer du hippie pédé à cheveux longs, ce qui n'est pas sans évoquer Easy Rider (1969), le film matrice du Nouvel Hollywood, porté à l'époque par le même Peter Fonda, aux côtés de Dennis Hopper et Jack Nicholson.




On ne pense pas qu'à moitié au manifeste d'Hopper puisque la fin du film de John Hough laisse un peu le même genre d'arrière-goût amer, et se veut en tout cas aussi brutalement surprenante que la conclusion d'Easy Rider. L'ultime scène du film, attendue et pratiquement inévitable dans le contexte assez unanimement pessimiste de l'époque (on pense d'ailleurs aussi au finale de Course contre l'enfer, autre film de course-poursuites avec Peter Fonda, tourné l'année suivante), peut apparaitre comme un coup de couteau dans le dos du spectateur enivré par la cavale haletante et délirante des héros. Mais le film reste quoi qu'il en soit un très plaisant condensé du genre, porté par un mouvement constant et une énergie débordante. Peut-être pas fascinant en termes cinématographiques, d'où son statut secondaire dans l'histoire du genre (et aujourd'hui un peu obscur), le film est néanmoins illuminé par ses acteurs et porté par des personnages savoureux brûlant la vie par les deux bouts, vidant leur réservoir d'essence sans compter tout au long d'une aventure dérisoire, absurde, idiote, où rien ne compte que le plaisir et la vitesse.


Dirty Mary, Crazy Larry de John Hough avec Peter Fonda, Adam Roarke, Susan George et Vic Morrow (1974)

Deux filles au tapis

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Notre collaborateur Simon, jamais en reste quand il s'agit de causer d'un beau film américain peuplé de femmes toutes en formes et toutes en sueur, a décidé de vous toucher deux mots de la dernière œuvre d'un grand maître, qui ressort en ce moment sur les écrans :

Deux filles au tapis raconte l'histoire des California Dolls, un duo de catcheuses très belles qui, avec leur coach (Peter Falk), sillonnent le pays à la recherche du contrat qui les mènera au titre de championnes des États-Unis. Derrière ce titre et ce pitch de série B se cache une petite merveille, et le dernier film de Robert Aldrich, immense réalisateur qui s’est attaqué à de nombreux genres (films noirs, westerns, films de guerre, satires sur Hollywood…) avec une égale réussite, toujours marquée par une vision du monde pessimiste, violente et ambigüe. Une fois n’est pas coutume, je citerai ici Positif : « Deux filles au tapis est un mélange de sophistication et de brutalité, de musique et de hurlements, de chorégraphie et de coup de poings, de sang et de strass, d'élégance et de violence, dont la réussite peut être considérée comme une sorte de testament esthétique du cinéaste Robert Aldrich. »




Le film est d’abord l’histoire d’un "ménage à trois" formé par les deux filles et leur coach, un schéma qui fonctionne à plein régime du fait de leur complicité et de l'ambigüité de leurs relations : on apprend vite que le coach est l'amant d'une des deux filles, mais Aldrich prend un malin plaisir à jouer clairement la carte de l'érotisme entre elles, ainsi qu'entre elles et leurs adversaires sur le ring. Les combats sont à la fois brutaux et d'une grande intensité sexuelle, avec des filles toutes en cheveux et en seins qui se battent avec sauvagerie. Si Darren Aronofsky a sans aucun doute tiré de ce film une partie de son inspiration pour The Wrestler, ici se loge une différence majeure entre les deux œuvres : en 1981 chez Aldrich, on continue à "faire comme si" le catch était un vrai sport, les filles doivent gagner leurs combats pour évoluer, il n'y a pas d'arrangements préalables entre adversaires (en revanche on essaye de soudoyer ici l'arbitre, là le public). Ni le réalisateur ni le spectateur ne sont dupes de la mascarade, et cette représentation d’un spectacle populaire trivial n’est pas dénuée de noirceur et d’ironie, mais pourtant miracle, lors du combat final qui s’étire sur près de 20 minutes, l’immersion est totale, le « pacte de croyance » cher à Miguel Gomes fait son œuvre, parce qu’Aldrich nous rend ces personnages vivants et nous les fait aimer depuis près de deux heures. La description de leur quotidien, leurs déambulations de fast-foods en motels miteux, de banlieue industrielle en banlieue industrielle au volant d'une vieille voiture ruinée, de salles de sport décrépies en chapiteaux de cirque boueux, tout ça est représenté de façon extrêmement sensible : Aldrich dresse une critique de l'Amérique et de la société du spectacle par le prisme de personnages marginaux qui peinent à y trouver leur place, et ces personnages il n'oublie pas de les regarder, longuement, et de les aimer.




Les deux filles sont excellentes, Peter Falk est grandiose. Aldrich leur offre à tous trois un dernier plan sublime. Encore en transe sous l'effet de l'effort, de la rage et de la joie, ils sont là sur le ring tous les trois, enlacés, bouleversés et hagards. Le plan démarre à vitesse réelle, puis on passe à un ralenti d'une fluidité et d'une douceur incroyables, avant que l'image ne se fige définitivement.


Deux filles au tapis de Robert Aldrich avec Peter Falk, Vicky Frederick, Laurene Landon et Burt Young (1981)

Tape

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Tape, sorti en 2001, est un huis clos captivant et bien ficelé adapté d’une pièce de théâtre à succès. Son réalisateur, Richard Linklater, est une figure respectée du cinéma indépendant américain. On lui doit notamment Slacker, un film flâneur mais diablement ingénieux qui eut une influence considérable sur le monde alors en pleine éclosion du ciné indé US, à l'orée des années 90 ; une sorte d'équivalent filmique au Slanted & Enchanted de Pavement, le laisser-aller fauché et décontracté ayant toutefois plus de charme étendu sur les 38 minutes de l'album du groupe culte californien que sur les 97 minutes du film qui fit d'Austin un paradis pour hippies. Richard Linklater est depuis devenu un véritable touche-à-tout, aussi bien capable de torcher des comédies sympathiques tout public (School of Rock) que de produire des films indépendants plus ou moins audacieux, se déroulant souvent en un temps très limité (la trilogie Before Sunrise, Before Sunset, et Before Midnight où son acteur fétiche Ethan Hawke tente de séduire la belle Julie Delpy en 24h) ou employant des méthodes de filmage parfois un peu douteuses ou, au contraire, terriblement ambitieuses (A Scanner Darkly, Waking Life et le futur Boyhood - curieux projet dont le tournage s'est étalé sur douze années). 


Tape ne déroge pas à la règle de l'unité de temps réduite à un minimum puisque l’action du film se déroule en temps-réel, soit en l'espace d'un peu moins de deux heures. Le film prend entièrement place dans une chambre de motel miteuse qui est le théâtre de l’affrontement psychologique à couteaux tirés entre deux anciens potes de fac, incarnés par l'inévitable Ethan Hawke et l'énigmatique Robert Sean Leonard, un acteur brun ressemblant étrangement à Jim Carrey. L'arrivée d'Uma Thurman, troisième et dernier personnage au cœur d’une intrigue dont je ne vous dirai rien pour ne pas vous gâcher le plaisir, ne survient qu’à la moitié du film.




Tape met peut-être quelques petites minutes à démarrer, le temps que l’on saisisse les tenants et les aboutissants de ce thriller psychologique. Les premiers dialogues sont donc un peu assommants, il faut d'ailleurs souligner que le film est ultra causant, mais il améliorera votre anglais tant vous serez très vite découragé à l'idée de lire des sous-titres défilant à toute vitesse. Passée cette mise en place indispensable et un peu laborieuse, Tape se mate avec un grand plaisir et nous propose une étude de caractères très prenante et crédible. Le trio d'acteurs est impeccable, tout particulièrement ceux qui formaient alors un couple glamour à la ville : Ethan Hawke et Uma Thurman. C'est d'ailleurs l'un des films où cette dernière m'a le plus convaincu. Quant au metteur en scène, il parvient avec brio à s'affranchir de la difficulté de tourner tout un film dans une même petite piaule et il réussit parfois avec audace à faire grimper la tension. Pas mal du tout donc, et certainement idéal pour un dimanche soir !


Tape de Richard Linklater avec Ethan Hawke, Robert Sean Leonard et Uma Thurman (2001)

La Fille du 14 juillet

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La Fille du 14 juillet, premier film signé Antonin Peretjatko, fait un bien fou et tombe à point nommé. On entend les mots "révolution", "réveillez-vous !", "liberté" ou "horizon" là-dedans, et c'est tout le programme du film, dont l'auteur fait partie de tout un mouvement de jeunes cinéastes français (mis en avant par Les Cahiers du cinéma dans le numéro d'avril 2013), s'inscrit dans la continuité d'Un monde sans femmes, et nous adresse une piqûre de rappel : on peut rire devant un film français d'aujourd'hui, rire franchement, rire intelligemment. Racontant l'histoire d'une petite bande improvisée de jeunes gens diplômés partis en vacances faute de travail pour mettre le grappin sur une fille envoûtante, dont la fête est gâchée quand le gouvernement avance la rentrée d'un mois par mesure d'austérité, le film parle non seulement de notre époque (quasiment tous les gags font écho à l'actualité, des flics qui tirent sur les délinquants au flash-ball à la soupe qui suinte d'une assiette trouée en passant par cet enfant déguisé en cloporte kafkaïen qui intime à ses parents de se réveiller avant d'être abattu par une cartouche au chloroforme), mais parle surtout de et à nous autres, qui ressentons un besoin fou de soleil, de départ et d'aventure, de vacances en somme, et de repos, ne serait-ce que pour l'esprit. Le film satisfait à merveille notre soif d'insouciance, de décrochage, de rire et de folie, en un mot comme en cent, de liberté. Et cette liberté, cette légèreté de ton avec lesquels Peretjatko renoue enfin, nous sortent la tête hors de l'eau, hors d'une comédie à la française moribonde (on vous en parlait dans notre édito du 8 septembre 2012) et plus généralement de tout un cinéma français de l'asphyxie (on apprécie la petite pique adressée par le cinéaste à Un Prophète de Jacques Audiard).




Comme Guillaume Brac, Antonin Peretjatko ne vient pas de nulle part et ménage ses influences dans un mélange d'inspirations diverses, avec une prédominante Nouvelle Vague, et notamment godardienne. On retrouve avec bonheur l'humour bon enfant du Godard première période. A bout de souffle est immédiatement convoqué, et un certain pacte de lecture aussitôt instauré, quand Truquette (Vimala Pons) ouvre le film en vendant La Commune !à la criée au milieu du défilé militaire du 14 juillet comme Patricia Franchini (Jean Seberg) vendait le New-York Herald Tribune sur les Champs Élysées. C'est Pierrot le fou qui prend ensuite le relai, avec ce road movie peuplé de pieds nickelés escrocs et branleurs confrontés aux forces de l'ordre, et cette virée en vacances forcées, plus ou moins définitives malgré les velléités gouvernementales, mêlant romance colorée, drôlerie et violence (on croise des meurtres de sang froid et on entend des coups de feu ici et là, qui rappellent la mitraille sonore dans la séquence du film de Godard où Belmondo et Karina rejouent la guerre du Vietnam pour plumer des touristes américains). On se rappelle aussi l'humour Truffaldien, celui d'Agnès Varda dans le sketch de Cléo de 5 à 7 mettant en scène Godard (encore lui) et Karina (encore elle), et la gaieté estivale de certains films de Rozier ou de Rohmer. Sans oublier le sens du burlesque d'un film aimé de ce dernier, La Campagne de Cicéron, de Jacques Davila, même si La fille du 14 juillet se veut beaucoup plus comique. Peretjatko combine ces inspirations sans tomber dans le carnet de citations. Mieux, elles se justifient d'autant plus que le cinéaste propose un double mouvement vers l'arrière, vers l'ère d'opulence, de plein-emploi et de départs en vacances de cette France bien révolue que parcouraient nos parents et grands-parents, et vers l'avant, vers ce que nous souhaiterions vivre depuis très longtemps : de pures vacances débraillées. Les échos multiples au meilleur du cinéma de nos aïeux se justifient aussi par cette phrase que prononce Vincent Macaigne dans un café : "les souvenirs c'est comme des voyages". Antonin Peretjatko fait rejaillir une foule de souvenirs cinématographiques chargés de joie et d'inconséquence dans un film qui nous fait ainsi voyager doublement.




Cette tendance "rétro" trahit d'ailleurs une nostalgie bien légitime, qui ne se contente pas de ressasser le passé mais s'acharne à en extirper une énergie vitale pour se projeter coûte que coûte (la Delorean mythique de Retour vers le futur n'est peut-être pas là complètement par hasard). Le film a beau enchaîner les gags à un rythme effréné (quitte à ce que certains tombent à plat, mais le cinéaste tente tout et l'euphorie du mouvement général nous pousse si vite au gag suivant que les ratés sont digérés avec le sourire), il est troué de moments d'accalmie, quand on voit les personnages se fixer pour confesser leur soudaine mélancolie ou leurs accès de colère (à l'occasion d'une soirée rétrospective chez l'ubuesque docteur Placenta notamment, qui avec quelques autres personnages secondaires évoque également les comédies de Joël Seria). Ces brèves pauses dans le déferlement comique du film sont des moments de béance, d'essoufflement, certes éphémères mais témoignant d'une souffrance bien d'aujourd'hui. D'autres percées font place aux rêveries tchekhoviennes des personnages amoureux, qui se projètent dans la neige, en total décalage avec ce film de plage, et qui, tournant le dos à des situations romanesque tragiques et allégoriques (un village dévasté par la peste et le choléra, un autre intégralement rasé par le feu), se permettent de précieux élans romantiques, lorsque Hector et Truquette se disent "je t'aime" dans des plans d'une poésie tout aussi précieuse dans le cinéma français contemporain que l'humour ambiant.




Ce sont ces changements de vitesse qui font la richesse et la force du film de Peretjatko, et qui magnifient son aspect sur-découpé, presque décousu, de premier film et de film à sketchs. Il y a un foisonnement là-dedans qui rafraîchit son monde, une joie de raconter aussi, de s'amuser, qui peut passer par le simple fait de montrer les filles (et de très jolies filles, à commencer par la belle Vimala Pons) toutes nues, pour la blague, comme c'était si banal autrefois dans les comédies françaises. Qui passe aussi par des tentatives formelles bienvenues, que ce soit sur l'ensemble du film, avec un travail de montage qui instaure un rythme rapide et des effets d'ellipses participant de beaucoup aux effets comiques, ou dans les détails, comme avec ces quelques fermetures à l'iris, clins d'oeil au cinéma d'autrefois (Peretjatko fait aussi appel aux feuilletons de Feuillade quand Truquette revêt une combinaison noire pour un numéro de cirque qui rend un sincère hommage au cinéma de trucages et de gadgets des premiers temps), ou véritables vecteurs de poéticité dans les scènes romantiques déjà évoquées. On pourrait aussi parler du jeu sur le hors-champ, dans la scène du départ en voiture sous le pont parisien, de l'utilisation de l'espace, dans celle du repas chez les Placenta, ou du travail sur les mouvements de caméra, avec entre autres le fameux panneau aux mille interdictions sur la petite plage envahie par nos hurluberlus. Et puis il y a des scènes plus complètes encore, qui combinent les procédés et les effets sur le spectateur, comme celle, proche du Blake Edwards de The Party (et en cela du cinéma d'Emmanuel Mouret), qui montre nos jeunes gens faisant la fête dans la fumée d'un feu où ils pourraient bien tous brûler, n'était l'amour et l'humour qui les tiennent et qui les sauvent.


La Fille du 14 juillet d'Antonin Peretjatko avec Vimala Pons, Vincent Macaigne, Grégoire Tachnakian, Marie-Lorna Vaconsin et Serge Trinquecoste (2013)

Dark Skies

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Dark Skies débute sur les chapeaux de roue. C'est à ma connaissance le seul film d'horreur dont le moment le plus flippant survient dès la toute première seconde, alors que le film n'a, à vrai dire, pas du tout commencé. C'est une citation que l'on doit à Arthur C. Clarke, une pointure de la science-fiction, qui aurait écrit un jour : "Two possibilities exist : either we are alone in the Universe or we are not. Both are equally terrifying." Des mots terribles qui apparaissent blanc sur noir lors du générique d'ouverture et qui ne manquent pas de nous procurer le premier et seul frisson du film. Vous pourrez ressortir cette citation en soirée lorsque le sujet de conversation s'y prêtera, cela fera toujours son petit effet, à condition bien sûr de la placer au moment opportun, de la prononcer en anglais et avec conviction, elle perdrait autrement beaucoup de son impact. Pour ma part, ce film m'a simplement rappelé cette citation, car mon frère Poulpard, ufologue amateur de son état (il préfère le terme d'ovniologue), l'avait faite imprimer sur la première page de sa thèse de biologie dont le sujet, portant sur les interactions entre plantes et herbivores dans un contexte d'invasion biologique, était pourtant "à des années-lumières, que dis-je, à des milliards d'années-lumières !" comme lui a répété son plus virulent examinateur lors de sa soutenance, malgré les menaces physiques et verbales de notre mère sise juste derrière cet énergumène.


D'étranges constructions faites avec les ustensiles de cuisines...

C'est donc ainsi que débute Dark Skies, minuscule film d'horreur qui ressemble à s'y méprendre à un mauvais épisode de X-Files, où une famille de banlieusards américains se retrouve prise pour cible par des extraterrestres invisibles. Ces extraterrestres adorent vider les tiroirs et mettre la cuisine sens dessus dessous pendant la nuit, ce qui fait d'abord croire à des crises de somnambulisme du petit dernier de la famille (il est toujours facile de pointer du doigt le plus faible), les parents étant vraisemblablement fans de Step Bro et peut-être un brin naïfs et cruels. A un rythme suffisamment soutenu pour maintenir l'attention, les péripéties et phénomènes paranormaux accompagnant les intrusions extraterrestres s'enchaînent et se veulent de plus en plus inquiétantes. Cela fait un mois que j'ai vu le film, et je me souviens seulement de cette scène où une flopée d'oiseaux vient s'écraser sur les fenêtres de la maison, comme s'ils étaient irrésistiblement  attirés par cette modeste et banale bâtisse. Quoique non, je me souviens aussi de ce superbe passage où la fort sympathique Keri Russell (la maman) se tape plusieurs fois la tête contre la porte vitrée de sa demeure, en proie à de violentes migraines dues aux ondes néfastes propagées par les aliens.


Des dessins chelous, inspirés par des nuits agitées...

Le film prend une tournure grotesque mais salutaire (on peut enfin en rire pleinement !), quand le petit couple s'en va chez un expert en ufologie (un ovniologue donc) dont ils ont trouvé l'adresse sur internet. Ce dernier, après leur avoir fait passer un questionnaire ridicule (à base de "Un membre de votre famille a-t-il saigné du nez récemment ? Des animaux se sont-ils comportés de façon inhabituelle autour de chez vous ? Votre chien répond-il à son nom ? Avez-vous pensé à mettre du papier alu autour du pénis de votre mari ?"), leur apprend qu'ils sont la cible des Gris, l'espèce extraterrestre la plus souvent observée sur notre planète, et qu'ils risquent très probablement une abduction. L'illuminé est incarné par J. K. Simmons, une "tronche" bien connue du cinéma américain (notamment vue dans Juno et la trilogie Spider-Man de Sam Raimi), et l'acteur s'en donne à cœur joie, semble-t-il bien conscient de l'énormité de la situation, lui dont le personnage est condamné à porter des lunettes aux verres teintés et un vieux sombrero bien enfoncé sur le crâne pour, dit-il, "limiter les intrusions des Gris, télépathes malveillants capables de commander nos actions à distance".


Nos perruches perdent la tête !!

Pour impressionner la galerie, l'expert rappelle alors le b.a-ba de l'ufologue lambda à son auditoire crédule en édictant point par point la fameuse classification de Hynek, celle qui inspira Steven Spielberg en 1977. De la même façon que la citation d'Arthur C. Clarke, vous pouvez placer cette échelle astronomique lors de soirées entre amis voire lors de rendez-vous professionnels à couteaux tirés, quand une intervention de haute volée s'impose dans le but de mettre un point final à toute conversation tout en sauvant les apparences. Je vais donc vous faire part de cette classification de façon détaillée, en m'appuyant simultanément sur mes souvenirs du film et mes expériences personnelles (ne me remerciez pas).


J. K. Simmons livre une prestation assez ébouriffante, il faut bien l'admettre. Il est à fond dans son rôle.

La Rencontre Rapprochée du 1er type (RR1) est celle où le ou les témoins voient un OVNI, quel qu'il soit, à moins de 150 mètres. Le spécialiste des ovnis de Dark Skies avoue être passé tout près d'une RR1 dès l'âge de 6 ans. Hélas, il se tenait à 152 mètres de l'appareil venu du ciel quand il affirme l'avoir vu de ses yeux vus. Encore amer, il ajoute en serrant les poings "A deux centimètres près ! A deux centimètres près !". Après avoir retrouvé ses esprits, J. K. Simmons précise que 8 américains sur 10 effectuent une rencontre rapprochée du 1er type avant l'âge de 55 ans et sont mauvais en géométrie. Keri Russell porte alors la main à la bouche pour jouer la stupéfaction. C'est mignon.


Adepte des "nipples" et autres "see through", Keri Russell apparaît souvent en simple pyjus dans Dark Skies. Notons hélas que de simples gommettes bien placées suffirait à respecter son intimité.

Selon Joseph Allen Hynek, la Rencontre Rapprochée du 2e type (RR2) succède logiquement à la Rencontre du 1er type. Pour qu'une RR2 soit reconnue et attestée, il faut que l'OVNI laisse des preuves matérielles, comme des traces au sol, des mokos ou des fèces, voire pire. L'ufologue un chouïa allumé du film de Scott Charles Stewart désigne alors du bras la vieille étagère qui décore sobrement son salon et sur laquelle trônent une collection de merdes impressionnantes venant forcément d'outre-space. Keri Russell fait encore la moue. On en mangerait !


C'est pendant la nuit que les Gris font tout leur ramdam dans la cuisine. Cela a le don de faire sortir Keri de ses gonds.

En ce qui concerne la RR2, une précision est à faire pour vous autres lecteurs, nouveaux ufologues avertis. Certains pensent en effet que les cercles de récolte, les fameux "signes" qui ont inspiré M. Night Shyamalan, entrent dans cette catégorie. Mais les ufologues sont extrêmement divisés sur ce point, surtout depuis qu'il a été prouvé par A+B que ces étranges symboles étaient l’œuvre de deux paysans farceurs, as du râteau au propre comme au figuré. La déclassification de ces cercles de récolte en RR2 par le Center for UFO Studies en mars 1980 a même provoqué un important schisme parmi les ufologues, définitivement séparés en deux écoles de pensées. Chez les dissidents, on a constaté à cette même période un vif regain d'intérêt pour la classification que l'on doit au français Jacques Vallée (cocorico !), beaucoup plus précise et austère, et donc moins amusante. Dans Dark Skies, le personnage campé par J. K. Simmons préfère ne pas aborder la question pour ne pas rouvrir une plaie encore mal cicatrisée.


Ci-dessus le "crop circle" que réalisa mon frère Poulpard une nuit d'insomnie, dans le champ en face de la ferme de nos parents. En guise de punition, papa nous retira la prise péritel de notre SuperNes. Nous la cherchons encore. 

Les choses deviennent enfin plus intéressantes avec la Rencontre Rapprochée du 3e type (RR3) : le ou les témoins voient un OVNI et ses occupants, ou seulement les prétendus occupants d'un OVNI sans ce dernier (dans ce cas-là, la RR3 présente ceci d'original qu'elle ne se cumule pas systématiquement à une RR1). La "rencontre de Kelly-Hopkinsville" et le "grand meeting de Valensole" sont classés en RR3. Je classe ma JAPD en RR3. Et le pauvre J. K. Simmons accumule à son grand regret les RR3. Quand ça tourne mal, ces rencontres débouchent parfois sur une Rencontre Rapprochée du 4e type (RR4) : le ou les témoins prétendent alors avoir été enlevés par les occupants d'un OVNI. Ces RR4 sont plus rares, dans le sens où les personnes ne reviennent pas toujours pour effectuer le récit de leurs abductions. Elles n'en constituent pas moins l'une des plus populaires catégories inventées par Hynek et de nombreux films en ont proposé une illustration, sans qu'aucun ne parvienne à véritablement marquer les esprits (Intruders, Xtro, Communion, Fire in the Sky, The Forgotten, Fourth Kind... ces titres ne vous disent rien ? Normal).


On ne garde tout de même pas un mauvais souvenir de LA scène d'abduction de Fire in the Sky avec ses aliens particulièrement hideux. Dommage qu'elle ne survienne qu'après deux heures d'ennui.

Remédions aux carences de Dark Skies et précisons qu'il existe deux types de RR4 : dans une "RR4 de classe 1", les victimes sont non consentantes et peuvent éprouver une déformation grave de la réalité, des trous de mémoire, des symptômes caractéristiques du traumatisme du rapt tels que la crainte et l'inquiétude, des effets physiologiques comme la paralysie et une désorientation dans le temps et l'espace. C'est exactement ce qui finit par arriver à la famille de Dark Skies (spoiler). Mon frère Poulpard présente quant à lui la particularité d'avoir à la fois été l'auteur puis la victime puis de nouveau l'auteur d'un RR4 de classe 1. Je considère personnellement comme une RR4 de classe 1 la journée portes ouvertes du collège Joseph Delteil de Limoux effectuée quand j'étais en CM2. Les "RR4 de classe 2", bien que techniquement qualifiés d'enlèvement, sont des cas où le témoin déclare avoir suivi volontairement l'entité. Il s'agit parfois des conséquences du coup de foudre d'une jeune demoiselle pour un individu venant certes d'ailleurs mais répondant par miracle aux critères de beauté de notre planète (à savoir un sexe long, épais et dur). Kelly Kapowski affirme ainsi avoir été attiré par "un sosie de Brad Pitt au corps vert-de-gris" le 14 juillet 1978, en plein Arkansas. Quand le coup de foudre est réciproque, la RR4-2 peut rapidement entraîner une RR7 (un ou plusieurs témoins ont un rapport sexuel avec le ou les occupants d'un OVNI), mais, pour ne pas vous perdre, reprenons plutôt dans l'ordre...


 Joseph A. Hynek et Jacques Vallée : bien qu'opposés par les ufologues du monde entier, les deux hommes se respectaient mutuellement. Notons que Jacques Vallée inspira à Spielberg le personnage incarné par François Truffaut dans Rencontres du 3ème type et que Hynek y fait une apparition.

La rencontre Rapprochée du 5e type (RR5) est celle où le ou les témoins prétendent être entrés en communication avec les occupants d'un OVNI. Certaines personnes prétendant avoir vécu une RR5 se sont révélés être de purs affabulateurs. D'autres, qui visaient à mettre en garde leurs semblables, ont récemment tenté de démontrer que le 39 49 était une ligne directe vers une RR5 assurée et souvent traumatisante. Ce type de rencontre ne se produit pas dans Dark Skies, les extraterrestres du film pouvant se définir comme de véritables anti-woody aliens dans le sens où ils ne causent et ne blaguent jamais. La Rencontre Rapprochée du 6e type (RR6) ne fait plus rire personne : pour qu'elle ait lieu, un ou plusieurs témoins (ou animaux) doivent être blessés ou tués par un OVNI ou ses occupants. On peut alors parler d'une "mauvaise rencontre" ou d'une "rencontre fatale", comme l'indique mon frère Poulpard, alien ufologue amateur. Les cas de mutilations de bétail qui ne trouvent pas d'explication rationnelle sont souvent imputés à une RR6 (pour l'anecdote, le tout premier épisode de la série South Park traite avec humour de la RR6). La mort de mon chat Leviathan, dont le cadavre a été retrouvé recouvert d'abjectes cicatrices, a d'abord été classée en RR6 par mon propre papa avant d'être déclassée suite aux aveux du petit Dimitri, mon enfoiré de voisin psychopathe. Pour en revenir au film, J. K. Simmons déclare que la RR6 est la plus atroce des rencontres, étant donné qu'elle laisse généralement la victime en vie, mais traumatisée pour le restant de ses jours, or "mieux vaut crever après ça, croyez-moi" comme le personnage le répète à 36 reprises exactement (j'ai compté). Les RR7 et suivantes existent bel et bien, mais elles sont moins indispensables. Savoir par-cœur les cinq premières catégories élaborées par Hynek suffisent à briller en société et même au delà...


Quelques portraits d'Entités Biologiques Extraterrestres réalisés d'après les témoignages. Presque toutes correspondent à des "Gris". Certains farceurs ajoutent parfois à cette sinistre galerie une photographie noir et blanc en pied d'Amélie Nothomb. 

A part enrichir votre culture générale par ces précieuses connaissances et faire de vous une bestiole de foire en soirées (ce qui n'est déjà pas rien, avouons-le), Dark Skies ne vous apportera pas grand chose. Le grand film sur les rencontres du 4e type reste donc à faire. On se demande un peu pourquoi Dark Skies connaît les honneurs d'une sortie en salles quand tant d'autres restent sur les étagères. La jolie frimousse de Keri Russell, dont la régularité des traits n'a d'égal que la petitesse de sa poitrine (malheureusement personne n'est parfait), ne suffit pas à se sentir quelque peu concerné par les malheurs de cette bien terne famille, en proie à des petits hommes gris qui ne marqueront pas l'histoire de la science-fiction mais qui vous feront peut-être effectuer une recherche Google en leur honneur (c'est ce que j'ai fait, j'avoue). En ce qui me concerne, je me suis senti obligé de vous parler de ce film à cause de cette sortie inattendue sur grand écran, et c'est là qu'on sent les terribles contradictions de la vie d'un blogueur ciné, affirmant n'être guidé que par sa passion de cinéphile, mais obéissant sans rechigner au diktat impitoyable de l'actualité. 


Dark Skies de Scott Charles Stewart avec Keri Russell, Josh Hamilton, Dakota Goyo, Kadan Rockett et J. K. Simmons (2013)

The Box

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Après Donnie Darko, on attendait tous le nouveau bébé de Richard Kelly. Il a bien sorti Southland Tales mais personne ne l'a vu. Donc on attendait toujours le film d'après Donnie Darko. Or, que constate-t-on devant The Box ? Que Richard Kelly a subi le sort de l'avion dans son premier film phare : il s'est crashé. Commençons par le début : toc, toc, toc. Qui est là ? Frank Langella. J'ai une mallette et une proposition indécente pour vous. Ok, je t'ouvre, je suis trop conne, je suis Cameron Diaz (truisme). En quoi consistent les termes de ce dilemme machiavélique ? Une valise contenant 500$ (soit 238€) offerte à celui qui osera appuyer sur le bouton rouge d'une grosse boîte, lequel bouton, une fois actionné, entrainera la mort d'un être humain au hasard dans le monde. Pour ce qui nous concerne le défi serait vite relevé. Nos loyers respectifs coûtent la bagatelle d'environ 600 doublons par tête de pipe. Et cinq cent dollars américains c'est pile ce qui nous manque pour finir le mois en général. En outre on a déjà tué un ouvrier de la DDE un matin brumeux sur l'autoroute, qu'on a retrouvé sous notre capot en arrivant chez nous après cinq heures de trajet. On a mal dormi de toute une nuit mais en buvant deux ou trois verres de lait sucré (le lactose permet d'endormir les bébés), c'est passé et finalement on a pu pioncer. Donc nous sommes rodés.


Un billet de 500 dols ou la vie d'un quidam ? James Marsden et Cameron Diaz hésitent. Ils n'ont pourtant pas hésité à saloper leur appartement avec un papier peint susceptible d'ôter la vue et la vie. Le cinéaste se focalise sur cette tapisserie à motifs "ruche d'abeille" typique des 70s qui nous accapare totalement et qui nous pousse à nous questionner sur cette génération dorée qui avait un goût de chiotte à tout rompre mais qui avait aussi le génie d'aller marcher sur la lune.

Quand, en 2010, t'as Cameron Diaz qui fend ton affiche en deux, quand c'est la star de ton film, quand c'est ton argument sexy, t'as quelques wagons de retard et tu fais pitié. Cameron Diaz a accepté le rôle parce qu'elle y voit double et qu'elle a cru lire "The Botox" sur le scénario. Elle s'est dit : "Ouais je m'en injecte un biberon tous les matins, donc porqué no". Quand la star féminine alléchante de ton film c'est Cameron Diaz et quand son personnage de prof de lycée souffre d'un horrible pied-bot qu'elle exhibe sous le nez de ses étudiants écœurés, t'as tout simplement un petit grain. Quand la star masculine de ton film c'est James Marsden, que tout le monde confond avec Michael Madsen, Guy Pearce et Mads Mikkelsen, t'es dans le tiers monde du cinoche mais t'as au moins sous la main un acteur qui assure ses propres cascades sans être assuré.


Ne vous y trompez pas, elle commence par les prendre en traitre en leur montrant son pied normal, et pourtant y'a déjà un étudiant qui détourne la tronche au premier plan, dégoûté par la vie.

La première heure de ce film situé dans les années 70 sans aucune raison apparente nous montre tous les personnages qui déambulent devant le bouton rouge en le jaugeant et en roulant les épaules comme des sardines serrées dans une boite entre l'huile et les aromates, hésitant à appuyer une bonne fois pour toutes sur le champignon quitte à se foutre dedans, comme un candidat de Question pour un champion qui connaît pas la réponse mais qui l'a sur le bout de la langue, excité en prime par un Julien Lepers dopé à mort. Dans ce film Lepers c'est Frank Langella et il a la gueule défoncée (il en manque la moitié, et on se rend compte qu'il y a des trucs essentiels sur un visage en le regardant), car c'est en fait un extra-terrestre envoyé là pour... on s'en rappelle plus. Le film est tiré d'une nouvelle de feu Richard Matheson, le célèbre pourvoyeur d'idées en or et/ou en contreplaqué du cinéma de genre hollywoodien quand ce dernier s'est enfin lassé de Stephen King ou de Philip K. Dick. C'est à ce génial vivier humain de scripts que l'on doit par exemple Duel, Je Suis une légende, L'Homme qui rétrécit, et ainsi de suite. C'est l'homme de la situation quand il s'agit de trouver une idée simple, accrocheuse et cinégénique qui s'étalera sur 90 minutes. Mais parfois ses idées sont trainées dans la boue, la preuve.


The Box de Richard Kelly avec Cameron Diaz et James Mardsen (2009)

Monstres & Cie

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"Nous faisons peur et nous le faisons bien", nous dit l'affiche. "Nous faisons des affiches et nous les faisons mal", a-t-on envie de répondre. Mais s'il n'y avait que la taglineà bousculer... Le titre ? Un couac géant ! Monsters, Inc., qui signifie "La compagnie, des monstres", est devenu Monstres & Cie, qui n'a rien à voir. Qui sont les compagnons de ces montres que le titre nous vante tant ? Et puis il y a tout le reste... Tout le travail de sape de Pixar. A-t-on déjà fait plus laid que cette boule verte puante avec un œil au milieu de la tronche ? A côté de lui ? Un grand schwarzy au menton démesuré et à l'air obstinément con. Notez que les deux monstres sont à poil mais dépourvus de toute troisième jambe, alors que celle du gros lard devrait pendre entre ses guiboles velues de façon très ostentatoire. Le design de ces personnages a passé tous les filtres possibles, des simples graphistes en passant par les directeurs artistiques et producteurs de ce dessin animé toxique.


Une porte.

Ce film a marqué d'une certaine manière le début du troisième millénaire. Une époque bénie pour Pixar. Tous les paquets de céréales furent envahis de pacmans et d'étrons verts. Les carrières de Billy Crystal et de John Goodman, alors au fond du Grand Canyon, se retrouvaient projetées de nouveau en direction de la Lune grâce à leurs facéties vocales. Quel duo ! Ma parole. Billy Crystal c'est une évidence. Mais John Goodman, fallait y penser ! Un acteur gros et massif pour incarner un monstre gros et massif. Quelle bonne idée ! Trivia : Billy Crystal est borgne mais personne ne le sait ! Et John Goodman a des cornes grosses comme ça à cause de sa femme volage. Il les ratiboise chaque matin. Il souffre en outre d'une spina bifida (maladie génétique qui fait pousser une petite queue au bas du dos de certains nourrissons) à l'instar de Guillermo del Toro (d'où son film L'échine du Diable).


Bouh !

Un mot sur le pitch histoire d'être dans le coup pour affronter le deuxième volet. Il existerait une entreprise embauchant des monstres dont le métier est d'ouvrir des portes afin de pénétrer dans les placards des enfants pour cultiver leurs peurs nocturnes. Cette mission n'est pas gratuite : le cri des enfants est la source d'énergie, et l'unique source d'énergie possible, dans le pays des monstres (c'est aussi le cas pour les serpents dans la vraie vie). Sauf que, trop bonne idée, il s'avère que les monstres ont encore plus peur des enfants que les enfants n'ont peur des monstres (idem encore une fois pour les serpents dans la vraie vie). A noter qu'avec cette histoire Pixar ne fait que recycler la mythologie grecque, mais passons. Donc évidemment, un jour, un enfant s'introduit dans le pays des monstres. Ce qui crée une panique incommensurable. Dans le deuxième volet, Monstres Academy, qui est un prequel, on revient sur la scolarité difficile du duo star de l'affiche. Inutile donc de connaître le pitch du premier volet pour piger le second, au contraire même.


Vérification faite : pas de "troisième jambe".

Dès qu'on mate le premier film, en tout cas, on s'en chie au froc. Il est TROP bien. C'est le jour où on l'a vu au ciné qu'on s'est dit, et tous dit : "J'aime Pixar, je suis désolé". On a tous téléchargé ensuite les fameux courtrajmé de Pixar. Celui des piafs sur la ligne à haute tension. Terrible. Celui des petits nuages, qui renvoie Burton à ses pénates. Une tuerie. Celui du petit garçon qui ne voulait pas devenir grand. Ouf. Celui de la lampe qui voulait se faire des amis. Merveilleux. Celui de l'énorme gland sautillant bien que noyé entre deux couilles velues. Auch. Par contre celui-là, c'est un CD gravé par le grand frère de Félix, Brain Damage, à une époque où il tournait à 12 seigues par jour. Ce n'est donc peut-être pas un film Pixar, plutôt un Private. Dans tous les cas c'est tout aussi mignon.


Monstres & Cie de Script Doctor (2001)

La Charge des tuniques bleues (The Last Frontier)

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En 1860, dans l'Oregon, la guerre de sécession à peine débutée, trois trappeurs, Jed Cooper (Victor Mature), son collègue Gus (James Whitmore) et leur ami indien Mungo (Pat Hogan), quittent la montagne où ils ont chassé tout l'hiver pour vendre leur butin. Mais à peine ont-ils fait un pas dans le film qu'ils sont détroussés par une bande de Sioux. Les premières images montrent la marche des trappeurs à flanc de montagne, puis vient un plan large qui met l'action en route et déploie déjà tout le talent d'Anthony Mann : nos trois hommes marchent vers la caméra, s'arrêtent soudain, et regardent autour d'eux tandis que des indiens pénètrent le cadre par les flancs, à quelques pas du trio. Dans le même plan, d'autres indiens accroupis font leur apparition par le bord inférieur du cadre, en même temps que s'élève la caméra dans mouvement ascensionnel qui lui fait surplomber la scène. Immobiles devant la montagne enneigée qu'ils viennent de quitter, les trappeurs sont encerclés. Puis Mann revient au plan américain sur les trois hommes et achève la séquence avec l'humour et l'ingéniosité qu'on lui connaît : nos trois gaillards décident de s'allonger dans l'herbe et de manger un morceau en bavardant au milieu d'une horde d'indiens patibulaires armés jusqu'aux dents. Ils ne broncheront pas davantage en abandonnant leurs armes et leurs chevaux aux Sioux pour sauver leur vie.


Une fois n'est pas coutume chez Mann, la communauté amicale ne se compose pas sous nos yeux, elle est donnée d'emblée.

Démunie, la petite compagnie décide de faire route vers le Canada, mais Jed veut d'abord se rendre à Fort Shallan pour qu'on lui rembourse sa marchandise, volée par les indiens en guise de représailles contre l'armée. Sauf que la rétribution des trappeurs passe par un engagement inattendu dans l'armée. Jed, Gus et Mungo viennent garnir les rangs du fort, en tant qu'éclaireurs, à défaut de porter l'uniforme bleu des soldats de l'Union, comme Jed en rêvait. A partir de là des tensions vont se créer, particulièrement entre Cooper, homme libre, "sauvage" même selon les militaires, et Marston (Robert Preston), le colonel en charge du fort. Humilié après avoir conduit 1500 hommes au massacre dans la bataille de Shiloh, qui lui a valu le surnom de "boucher", et doublement humilié depuis que le chef des Sioux, Red Cloud, a réduit l'un de ses forts en cendres, Marston est bien décidé à regagner ses galons en massacrant son ennemi peau rouge, quitte à envoyer au feu la bleusaille placée sous ses ordres ainsi que la poignée de "misfits" rejetés par l'armée qu'on lui a confiés, et quitte à laisser les civils de fort Shallan sans défense. Mais ce ne serait qu'un demi-motif de conflit entre les deux mâles dominants du film si la femme du colonel, Corinna (Anne Bancroft), n'avait tapé dans l’œil du trappeur au grand cœur, soucieux de se civiliser au point de projeter de se marier une fois parvenu à endosser l'uniforme.


Les civilisés d'un côté, les barbares de l'autre. Reste à savoir de qui l'on parle.

Le film est porté par des personnages absolument attachants, à commencer par les trois trappeurs, bande d'amis soudés, gouailleurs et buveurs, incarnés par de fiers acteurs, avec Victor Mature au premier rang. Opposé à un colonel aux mâchoires serrées et au regard froid, proche du personnage incarné par Henry Fonda dans Le Massacre de Fort Apache de John Ford, le grand Victor Mature, bonhomme très physique au sourire de doux ivrogne et aux cheveux explosifs, rayonne par sa présence. Surtout quand cet être d'instinct, goguenard et téméraire, s'éprend de la belle et policée Anne Bancroft, encore loin de son rôle de cougar sublime et supérieure dans Le Lauréat de Mike Nichols, ici toute frêle et timorée mais pleine de charme, y compris quand le personnage de Victor Mature se révèle aussi peu civilisé que le prédisaient les militaires en la giflant pour son indécision. Aucun personnage n'est borné aux contours d'un stéréotype fermé, pas même celui du colonel, homme blessé et soucieux de reconquérir son image, entre autres auprès de sa femme, plaçant le courage au-dessus de tout au mépris du bon sens, que ce soi-disant courage pousse son sous-fifre à l'insurrection ou le conduise lui-même et toute sa troupe au suicide.


L'art de construire des espaces de conflits et d'utiliser au maximum le paysage.

Si le film souffre un tantinet de quelques incohérences, notamment en ce qui concerne le comportement de Jed au sein du fort, dont la logique voudrait qu'on l'ait mis aux arrêts, voire passé par les armes, au moins dix fois dès la moitié du film, et définitivement quand, ivre mort, il tente de décourager les soldats de suivre le colonel au massacre en pleine cérémonie militaire ; et si le happy end, probablement imposé par le studio, semble idéologiquement douteux, bien qu'amusant, le film de Mann se tient parfaitement et fait sacrément plaisir à voir, comme tous les westerns du maître. Le cinéaste s'interroge sur l'ultime frontière entre civilisation et barbarie sans tomber dans la facilité, et tourne des scènes d'une simplicité qui n'a d'égale que leur puissance d'évocation, comme quand l'indien Mungo abandonne Jed Cooper pour retourner dans la montagne parmi les siens, regagnant "sa place", en intimant au trappeur et futur soldat de regagner la sienne au sein du fort.


Dustin Hoffman a bien failli donner la réplique à une cougar chauve... Cette image explique peut-être en tout cas le légendaire feu au cul de Mrs Robinson (Anne Bancroft) dans le film de Mike Nichols.

Mann jongle entre duels psychologiques et combats physiques (à noter une belle scène de bagarre, très violente, entre Jed et le sergent du fort), excelle autant dans les scènes de comédie que dans les scènes de drame, dans les séquences d'intimité amoureuse (le gros plan sur Victor Mature qui empoigne Anne Bancroft et l'embrasse de force en pleine nuit et à pleine bouche derrière une baraque du fort) comme dans les grands mouvements de combat (où un autre mouvement d'appareil ascensionnel fait sensation, quand Jed grimpe à un arbre et découvre les indiens tapis dans la forêt sur une crête, prêts à fondre sur les tuniques bleues en contrebas). Déployant des caractères bien trempés et immédiatement captivants au sein de paysages incroyables, filmés dans un beau cinémascope et ouvrant à tous les jeux de guerre possibles et imaginables, Anthony Mann parvient à rendre chaque situation savoureuse et contribue une fois de plus à donner ses lettres de noblesse au western.


La Charge des tuniques bleues (The Last Frontier) d'Anthony Mann avec Victor Mature, Robert Preston, Anne Bancroft, James Whitmore et Pat Hogan (1955)

Le Labyrinthe de Pan

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Ce n'est pas au deuxième semestre 2013 que vous trouverez une analyse du Labyrinthe de Pan sur ce blog, ça non. Ça ne nous ressemble guère. Par contre, faire le bilan sur ce film dix ans après sa sortie, c'est plus dans notre genre. Le film de Guillermo del Toro a été sélectionné et applaudi à Cannes en 2006. Pan, comme il est de coutume de l'invectiver, était sur les starting blocks pour remporter le Prix d'Interprétation Masculine, du moins jusqu'à ce que Guillermo del Toro n'avoue à Gilles Jacob que Pan n'était qu'un être de pixels et de fiction. Il était question que le film lui-même s'en tire avec la Palme d'Or du festival, du moins jusqu'à ce que le jury, à l'unanimité, mette fin à cette fausse rumeur lancée par Didier Allouch, fan numéro un de Guillermo del Toro. Le film repartit en fin de compte la queue entre les jambes, mais auréolé d'une réputation qui allait se confirmer et même se renforcer à sa sortie en salles en novembre de la même année.




C'était peut-être notre première sortie commune au cinéma. Nous étions en couple depuis peu. On s'était mis d'accord sur qui ferait la cuisine avant le film et qui ferait la vaisselle trois mois plus tard, on avait prévu de sécher les cours du lendemain si le film finissait trop tard, on avait décidé de qui charrierait le ciné et de qui charrierait le macdale d'après. Bref, on était prêts. C'était l'époque bénie où il suffisait que l'un d'entre nous propose un ciné pour que l'autre dispose, sans autre forme de procès, pour faire plaisir, pour cultiver une relation naissante, pour encore faire attention à l'autre quitte à concéder un petit effort de temps en temps. A l'époque, c'est évidemment Félix qui a dit : "On va voir le prochain Del Toro ? Phénomène de Cannes !". Il avait vu Cronos et L'Echine du diable et Del Toro faisait alors partie des rares espoirs du cinéma fantastique. Quand nous sommes sortis de la salle, j'ai coincé cette enflure de Félix en lui demandant ce qu'il en avait pensé, sans attendre, et sans lui donner le moindre indice sur mon propre avis, hormis un ticket de cinéma déchiqueté, mâchouillé et broyé, avec une montre dessinée dessus et griffonnée quart d'heure par quart d'heure dans le noir : "Alors t'en as pensé quoi ?". Après ça, le piège n'a plus jamais fonctionné, et aujourd'hui encore, quand on sort du ciné, on ne crache pas un mot, ni l'un ni l'autre, pas avant de se retrouver, parfois sept ans après les faits, devant un ordi pour déceler le vrai du faux.




Que nous raconte Le Labyrinthe de Pan ? L'histoire d'une gamine déjà bien balancée, dont la mère enceinte passe son temps à se contorsionner, et qui, pour fuir les horreurs de l'Espagne franquiste (sous Franco), horreurs incarnées par son beau-papa, un officier franquiste infect (Sergi Lopez), se réfugie dans un univers mental tout aussi sordide. Un faune, nommé Pan dans la version française, la montre du doigt et lui dit qu'elle est la princesse d'un monde souterrain. Il lui faut toutefois franchir trois étapes pour y accéder. On va arrêter là ce résumé parce que franchement, qui ne le connaît pas ? Les trois étapes sont incarnées par un gros corbac, un type sans mirettes qui a ses yeux dans ses mains (comme notre rédacteur pigiste Joe G., qui se balade dans toutes les rues de Paname où il s'arrange pour croiser quelques phénomènes les paumes grandes ouvertes tournées vers l'arrière histoire d'en prendre plein la vue), et un autre dont on ne se souvient plus. C'est dire si le petit chef-d'oeuvre de Del Toro nous a marqués. Après une petite recherche sur wikipédia (dont la page hallucinante consacrée au film nous rappelle à quel point il a pu se trouver des fans absolus), il s'avère que la dernière épreuve consiste à se vider de tout son sang et à mourir. Ce décès ouvre la porte du royaume souterrain à la jeune fille afin qu'elle y règne, sauf que le monde en question n'est qu'une allégorie de la mort. Ce film est un manifeste. Ce film est un plaidoyer. Nous avons reconnu sa nature, mais pas sa fonction. C'est un brûlot. De quoi, ne nous demandez pas.




Cherchons la réponse dans quelques critiques éclairées et éclairantes. Brazil nous dit que le film de Del Toro est « une des plus belles choses qui soit arrivé (sic.) au cinéma cette année ». Cette critique étant déjà obsolète, passons à la suivante, signée L'Ecran Fantastique, selon qui Le Labyrinthe de Pan serait « un vivace plaidoyer pour le fascisme (...) à la violence d'autant plus insoutenable qu'elle est réaliste ». David Doukhan, de Mad Movies, encore tout tremblotant et couvert de bleus, écrivait à l'époque : « une claque visuelle de tous les instants ». Aurélien Ferenczi, de Télérama, qualifie le film de « conte noir, fascinant et émouvant, qui milite avec talent contre la puissance cathartique des fables ». On y voit déjà un peu plus clair. Le film a reçu 95% de critiques positives de cet acabit, et on ne compte plus les expressions toutes faites du type : "fable tragique exaltée", "fable de larmes et de sang", "maestria de fou", "une bouffe dans la gueule", "un groooooos coup de pied au cul !" et ainsi de suite. Dix ans après, il serait intéressant de savoir ce que tous ces gens pensent du dernier succès d'un cinéaste qui depuis ne se bat plus pour justifier qu'il n'est pas la frère de Benicio del Toro mais bien pour faire entendre au monde qu'il n'est pas un pur salop. Et il a fort à faire quand on le voit placer ses billes sur mille et un projets boiteux, qui se caractérisent tous par un penchant pour le fantastique et le merveilleux et par le goût douteux pour les petites filles brunes aux grands yeux globuleux. Tout comme son réalisateur et mécène, la petite princesse du monde de Pan, Ivana Baquero, a eu du mal à enchaîner. Mais sa carrière reste plus respectable que celle du cinéaste obèse puisqu'au lieu d'accumuler les taudis elle s'est contentée de laisser pisser l'adolescence et de ne strictement rien branler. Sa filmographie est une page vierge.

PS : N'oublions pas que le film a été classé troisième derrière Shining et Labyrinthe dans la catégorie des meilleurs films de labyrinthes.


Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro avec Ivana Baquero et Sergi Lopez (2006)

Artistes et modèles

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Buddy-movie drôle et débile, comédie romantique et musicale, slapstick acidulé et absurde, adaptation pop et satirique des premiers comic books, Artists and Models, réalisé par Frank Tashlin en 1955, est au final un vaste film-gag, bancal et sympathique. C'est l'histoire de deux compères, Rick Todd (Dean Martin) et Eugene Fullstack (Jerry Lewis), venus à New-York pour faire carrière dans l'industrie de la bande dessinée, le premier en tant qu'illustrateur, le second comme scénariste. A ceci près que nos deux gais lurons ratent tout ce qu'ils entreprennent et se font virer de tous les petits boulots dénichés par Rick, principalement à cause d'Eugene, un authentique abruti. Cette spirale de l'échec s'enraye enfin quand ils rencontrent leurs voisines, Abby Parker (Dorothy Malone), illustratrice chez l'éditeur de comics Murdock, et Bessie Sparrowbrush (Shirley MacLaine), qui travaille chez le même éditeur comme secrétaire et modèle. Deux histoires d'amour vont aussitôt se faire jour en parallèle, l'une unissant Dean Martin à Dorothy Malone, l'autre Jerry Lewis à Shirley MacLaine, le tout sur fond de grosse pitrerie vaguement politique (on sait que certaines bandes dessinées de l'époque ont fait dans la propagande anticommuniste) et de satire du monde de la pop culture (la première séquence, où une pin-up géante dessinée sur un panneau publicitaire devant un gratte-ciel avale littéralement Eugene, lecteur autiste de comic books, puis recrache les pages arrachées d'une de ses bandes dessinées, donne le ton).




Le scénario donne dans le grand n'importe quoi. Au début du film, toute une séquence s'enfonce progressivement dans une forme de comique du merveilleux quand Eugene enseigne en chanson à son ami Rick que l'esprit peut tout, que l'imagination fait vivre et que ceux qui savent croire en leurs rêves peuvent supporter les pires conditions. Les deux acolytes sont à ce point sans le sou qu'ils n'ont rien à manger, et Eugene commence alors à faire des gestes dans le vide, à mimer des actions diverses, qui provoquent dans la réalité des sons impossibles (le bruit d'une bouteille de vin qu'on débouche, la musique d'un piano, quand il se met à pianoter sur une simple planche à dessin, etc.), un peu comme dans cette scène du Hook de Spielberg où les enfants perdus réapprennent aux vieux Peter Pan la foi dans les puissances de l'imaginaire, jusqu'à ce que la table vide devant lui se transforme en un gigantesque banquet matérialisé par une providentielle vue de l'esprit. Cette dimension purement magique du récit de Tashlin disparaît ensuite brutalement au profit d'un humour plus terre-à-terre, quand Jerry Lewis doit par exemple monter et descendre cinq fois d'affilé les escaliers de l'immeuble pour faire le lien entre le téléphone du rez-de-chaussée et son ami Rick, qui attend à l'étage, allongé dans son bain, que son collègue lui rapporte les propos de son interlocuteur. Eugene termine sa course si essoufflé qu'il doit mimer la fin du message et faire comprendre chaque mot à Rick par un rébus, dans un comique de gestuelle un brin forcé.




Artistes et modèles prend finalement l'aspect d'un film à sketchs burlesque, où tous les gags ne se valent pas (on ne rit pas des masses quand Jerry Lewis essaie par exemple de se libérer de son ostéopathe en créant une pyramide humaine sur la table de massage) mais s'enchaînent sans discontinuer.  On passe d'un comique de références (avec cette scène où la CIA espionne nos héros et où un homme caché derrière des jumelles évoque, avec la voix de James Stewart, le fait d'opérer depuis une "rear window") et d'auto-références (quand l'une des filles taquine Dean Martin à propos d'un chanteur qui aurait cartonné grâce au tube "That's amore"), au pur cartoon, vers la fin du film, quand le bout des chaussures de Jerry Lewis se retrousse sous l'effet du baiser de Shirley MacLaine. Idem quand les deux amis propulsent des armures de chevaliers vides dans les escaliers pour repousser leurs assaillants, qui ne sont autres que des agents du KGB venus tenter de capturer Eugene. Il faut préciser que le jeune homme, rendu crétin par la lecture abusive de livres pour enfants au ras des pâquerettes, fait des cauchemars chaque nuit qui le poussent à inventer des histoires de créatures et de rayons laser à haute voix, entrecoupées de sortes de cris de bébé aigus assez géniaux. Rick se met à écouter et à noter les rêveries somnambuliques de son compère pour les tourner en scénario de bande dessinée, sauf qu'Eugene a rêvé malgré lui d'un code secret très cher à la CIA, poussant les Russes à essayer de s'en emparer en lançant à ses trousses une espionne nommée Anita, interprétée par nulle autre que la grande Anita Eckberg… Les registres comiques varient, donc, même si l'absurde règne dans ce scénario complètement tiré par les cheveux et qui part absolument dans tous les sens.




Au final le film est assez agréable en partie pour cette liberté de ton et pour cette folie burlesque du script, mais aussi et surtout grâce à ses acteurs. Jerry Lewis en fait des tonnes et devient vite assez lourd, ne parvenant que très rarement à faire sourire à force de loucher, de surjouer et de grimacer bêtement toutes les trois secondes sans dépasser la stupidité crasse de son personnage. On est très loin du talent comique déployé dans Docteur Jerry et Mister Love. A ses côtés, évidemment, le beau Dean Martin, tout en sobriété, se révèle finalement plus drôle que son sidekick (le duo comique se séparera un an après), grâce à des phrases toutes bêtes dites sur le bon ton. Finalement, les deux acteurs et leurs personnages s'équilibrent, d'autant que le film tout entier fonctionne sur l'alternance entre un beau couple romantique (Martin/Malone) et un drôle de couple comique (Lewis/MacLaine), à l'image de ces deux séquences qui s'enchaînent (illustrées ci-dessus et ci-dessous) où les parades amoureuses se font sur la même chanson ("Innamorata") chantées de façons très diverses par Dean Martin ici et Shirley MacLaine là.




Car le duo comique masculin ne va pas sans les deux stars féminines du film. Dorothy Malone pour commencer, toute en sourcils bruns, cheveux blonds, regards hautains, nez retroussé et jolis pieds peinturlurés, la femme fatale hollywoodienne toujours très classe, l'éternelle LaVerne dans La Ronde de l'aube de Douglas Sirk. Mais la belle blonde n'a finalement qu'un petit rôle comparé à celui de l'adorable et mutine Shirley MacLaine, censée faire la paire avec Jerry Lewis, mais qui l'écrase complètement. L'actrice apparaît pour la première fois dans le film en costume de "Bat Lady", filmée de pied en cap par un Frank Tashlin inspiré, dans un mouvement de caméra ascendant sur ses belles gambettes gainées façon Betty Boop du plus bel effet. Elle insuffle un surplus de vie, de beauté et de légèreté au film quand elle gonfle ses lèvres et fait papillonner ses sourcils de manière volontairement grotesque pour séduire Jerry Lewis, ou quand elle lui fait son numéro de chant et de danse sur la rampe d'escalier dans un maillot de bain jaune qui lui sied à ravir. La comédienne a raconté le tournage de cette séquence et le départ furieux de Jerry Lewis à la fin de la première prise. L'acteur était vexé d'être supplanté par une petite comédienne et de n'être pas le pôle d'attraction comique de l'affaire. On le comprend tant il paraît plus benêt qu'il ne devrait en lançant trop maladroitement ses affaires en l'air à chaque fois que Shirley lui crie son amour en chanson. C'est bien elle qui nous colle un sourire béat et que l'on admire dans cette scène. C'est peut-être bien elle en fait que l'on admire tout au long du film.


Artistes et modèles de Frank Tashlin avec Dean Martin, Jerry Lewis, Shirley MacLaine et Dorothy Malone (1955)

La Rochelle 2013 - 1ère partie

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Le Festival International du Film de La Rochelle 2013 s'est achevé dimanche dernier. Ce très agréable festival, fort bien organisé, mérite qu'on parle de lui, et parler de lui c'est parler des films qu'il propose. Je pourrais m'étendre sur le cadre assez idéal, les salles de cinéma sur les berges du vieux port, l'immense et superbe salle de la Coursive, tout près de l'océan, les gaufres au chocolat à la sortie des séances, les glaces gigantesques aux mille et un parfums de chez Ernest, les plateaux de fruits de mer des petits restaurants alentour et, plus globalement, la très belle ville de La Rochelle. Mais c'est le festival qui compte ici, et la pléthore de films qu'il diffuse. Entre classiques et nouveautés projetées en avant-première, la sélection est foisonnante et forcément frustrante. Voici malgré tout un petit bilan des 13 films vus là-bas cette année, bilan divisé en deux parties, une première consacrée aux avant-premières, une seconde aux rétrospectives. Sans plus tarder, place aux films :


Grand Central de Rebecca Zlotowski (28 août 2013)


J'avais raté Belle épine, le premier film de Rebecca Zlotowski. Je sais désormais que je ne le verrai jamais. Avec le très mauvais Grand Central, l'ancienne étudiante de la Fémis nous livre un film comme on en a déjà vu par wagons entiers. Ce genre de film qui n'a rien à dire mais qui le dit quand même, et qui, pour se donner des airs ou une légitimité, noie la petite romance adultérine minable supposée faire le sel de son récit dans un univers ultra-réaliste. On a droit à notre petite étude de cas habituelle sur des petits délinquants et autres marginaux embauchés à la hâte pour bosser dans le réacteur d'une usine nucléaire. Le deuxième long métrage de Zlotowski s'inscrit parmi ces tonnes de films français que l'on croirait uniquement faits pour illustrer gentiment quelques débats sociétaux de rigueur. Et pour achever de se donner de l'importance, le film applique sur ce très sérieux tableau naturaliste (mais même l'aspect documentaire sonne souvent faux) une mise en scène essoufflante, toute en musique saccadée et en caméra portée, pour créer des effets d'annonce ridicules et faire grimper la tension, quitte à ce qu'elle ne débouche sur rien. 

Plus ou moins filmé comme du Audiard (compagnon de Zlotowski…), le film roule des mécaniques sur un vide absolu. Les personnages sont autant de clichés sur pieds, l'histoire est idiote, déjà vue et revue, les effets de manche s'enchainent, le scénario est si bâclé que certains éléments du récit débarquent tout d'un coup comme autant de cheveux sur la soupe avant de totalement disparaître de la circulation, et le film s'enfonce de plus en plus dans la médiocrité, au point qu'on a quelques fois envie de franchement rigoler (ce plan sur la pomme emportée dans la rigole, dans la très laide scène de mariage au ralenti…). Quant aux acteurs ? Tahar Rahim fait ce qu'il a pour l'instant toujours fait, Olivier Gourmet c'est idem, il joue relativement bien même s'il joue toujours le même rôle (Niels Arestrup aurait pu le remplacer, ils sont interchangeables), et Léa Seydoux, cheveux en brosse et short en jean à ras-le-bonbon, se dénude, évidemment, mais surtout lasse plus que jamais dans le rôle de la pauvre fille "vraie", vulgaire et ravagée. Film maniéré et creux, qui s'achève en prime de façon particulièrement ridicule, Grand Central est une chose bien vaine et bien pénible.



Tip Topde Serge Bozon (11 septembre 2013)


On m'avait prévenu : le film est malaisant, il est "autre". Je dirais qu'il est embarrassant, et qu'il se vautre. Tip Top est quasiment irregardable, presque insupportable. Rester jusqu'au bout est déjà un exploit. D'ailleurs la salle, archi-pleine au départ, s'est vidée petit à petit. On s'ennuie mortellement devant le dernier film de Serge Bozon, dont le précédent long métrage, La France, lui-même très déstabilisant, totalement à part, parvenait pourtant à être aussi gênant que poétique. Aucune poésie à l'horizon de Tip Top, aucune drôlerie non plus, et ce ne serait pas si grave si le film, en dehors de quelques brusques changements de ton volontaires, n’essayait de faire rire de bout en bout. Impossible de faire la liste des gags visuels ou verbaux qui tombent violemment à l'eau, la faute à une mise en scène impuissante, tout simplement. Les acteurs n'y sont pour rien. Huppert n'est guère fascinante en flic stricte et excentrique, mais elle fait le travail. François Damiens se démène et sauve ses scènes du naufrage une ou deux fois, même si très vite le spectateur n'a plus du tout envie de rire, ni ne serait-ce que de sourire, à ses vagues facéties.

A ce propos, Tip Top est l'anti-La Fille du 14 juillet, où certains gags ratés se laissent apprécier au milieu d'une foule de franches réussites humoristiques. Ici, même quand François Damiens, voire Sandrine Kiberlain, ont une bonne réplique, bien dite en prime, le rire ne sort pas : on est trop crispé par la masse des gags ratés, par un scénario de polar vaguement alambiqué mais surtout extrêmement daté (dans le fond et dans la forme), par de fausses bonnes idées (les flics tapent et matent, les deux femmes-flics de la police des polices tapent et matent…), par de vraies mauvaises idées (ces scènes où Isabelle Huppert et Samy Naceri prennent leur pied en se frappant jusqu'au sang, c'est si peu drôle que c'est gênant), et par l'aspect général absolument insoutenable de l'ensemble, qui à force de bizarrerie forcée devient parfaitement épuisant et parle de la France mais se montre a priori bien incapable de lui parler.



La Bataille de Solférino de Justine Triet (18 septembre 2013)


On s'attendait à mieux après la belle surprise de La Fille du 14 juillet. Drôle de phrase, j'avoue, puisqu'on parle de deux réalisateurs différents. Mais La Bataille de Solférino est un autre premier film français de l'été 2013, il est aussi produit par Emmanuel Chaumet pour un budget dérisoire, Justine Triet fait partie de la bande encensée par les Cahiers ces derniers mois (aux côtés de Guillaume Brac, Antonin Peretjatko ou Yann Gonzalez), et fait elle aussi tourner Vincent Macaigne. La comparaison est donc permise, voire logique. Le film de Triet est malheureusement moins réjouissant que ceux de ses camarades déjà sortis. Quoique très prometteur, La Bataille de Solférino s'étire en longueur, noie ses effets et dilue son intérêt, qui réside dans l'opposition entre un grand événement historique impliquant toute une foule euphorique (l'élection de François Hollande) et un événement très intime et plutôt tragique impliquant un tout petit groupe de personnes (le conflit de deux quidams divorcés, une journaliste TV et un artiste raté, qui se disputent la garde de leurs filles). Le film est parcouru de bonnes séquences et de bonnes idées, on retrouve quelques scènes drôles (grâce aux personnages joués par Arthur Harari et Virgil Vernier, et bien sûr à Vincent Macaigne quand il est avec eux), et la longue séquence de dispute de la fin parvient à nous faire méditer sur le couple et la fin du couple : comment peut-on en arriver à se hurler dessus et à se frapper quand on s'est aimé (si toutefois ces deux cas se sont aimés...) et quand on a fait deux enfants ensemble. 

La Bataille de Solferino est donc un assez bon film qui a malheureusement le grand tort de vouloir durer une heure et demi, et les plus petits torts conjugués de se reposer sur son ingénieux dispositif d'une part, et de parfois mettre le doigt trop lourdement sur sa propre ambition d'autre part, notamment à la fin, quand, pour calmer l'assemblée après la dispute fracassante de l'ancien couple, le "médiateur" interprété par Arthur Harari met de la musique classique et, pour répondre aux remarques du personnage de Vincent Macaigne, qui se plaint des moments gais "un peu chiants" dans ce genre de morceaux, affirme qu'il apprécie au contraire l'alternance de moments tristes et de moments gais, dans un art qui se veut "totalisant". 

Devant ce film, on se dit qu'Antonin Peretjatko (même si La Fille du 14 juillet est plus diversifié et passe plus facilement - en un mot, est meilleur) et surtout Justine Triet donc, auraient peut-être dû suivre la voie de l'éclaireur Guillaume Brac et adopter le modèle d'Un Monde sans femmes : un court métrage d'une dizaine de minutes suivi d'un moyen métrage d'environ trois quarts d'heures. Il semblerait que Peretjatko et Triet aient tous deux commencé par réaliser des courts métrages tout à fait dans le ton de leur premier long, ce qui aurait permis de les enchaîner de la même façon que Brac, d'articuler et de mettre en lumière leurs premiers essais tout en allégeant leurs premiers films de cinéma et en les débarrassant de leurs relatives faiblesses ou longueurs. Nous aurions ainsi assisté à la naissance d'une véritable nouvelle nouvelle vague, revendiquée dans le ton et dans la forme, unifiée par les dispositifs, les sujets et les acteurs, dont les films auraient tous été d'une belle tenue dans leurs styles respectifs, et qui aurait fait bien plus grand bruit encore.


 
A Touch of Sin de Jia Zhang-ke (11 décembre 2013)


Notre collaborateur Simon avait déjà parlé du nouveau film de Jia Zhang-ke quand il l'a vu à Cannes, je rejoins assez son avis. Très différent des films précédents du cinéaste (en tout cas de The World et de Still Life), A Touch of Sin vaut autant le détour qu'eux. Le dispositif du film est à la fois presque facile, en tout cas d'une simplicité absolue, et d'une ambition remarquable. Zhang-ke dresse un état des lieux alarmant de son pays, la Chine, à travers quatre histoires consécutives, comme dans un film à sketches, ou disons choral. Et si les deux premières histoires sont liées de très loin, les suivantes n'entretiennent aucun rapport apparent entre elles, même si des échos s'opèrent au détour de tel dialogue ou d'une photo sur un mur. Dans le premier récit, un homme ulcéré par les abus des dirigeants corrompus de son village se met à les massacrer ; dans le deuxième, un voyageur-tueur rentre chez lui après une longue absence, déclare à sa femme que rien ne lui procure de plaisir en dehors des armes à feu, tire au revolver pour remplacer les feux d'artifices qu'il n'a pas pu acheter à son fils, puis s'en va assassiner des passants dans une rue sous prétexte de voler un sac-à-main de luxe ; dans le troisième, l'hôtesse d'accueil d'un sauna, après avoir été agressée par l'épouse légitime de son amant, se venge soudain d'un client fortuné qui la harcèle et la frappe au visage avec des liasses de billets pour qu'elle se soumette à lui ; dans le quatrième et dernier récit, un jeune homme enchaîne les contrats minables dans une usine puis dans un hôtel de luxe et se fait rabrouer par une collègue call-girl qui préfère enchaîner les passes avec de grands magnats de la finance. 

La force de Zhang-ke, c'est qu'il change de genre ou de régime narratif pour chaque histoire, voire au sein même de chaque récit, allant du brûlot social violent au drame réaliste en passant par le portrait d'un psychopathe, le drame romantique intimiste, ou le film de sabre et de vengeance, le tout pour dénoncer un pays résolument pourri où le pouvoir de l'argent le plus répugnant écrase les hommes et les femmes et les pousse au meurtre ou à la mort sans que ces échappatoires n'aient rien de libérateur ou d'exaltant. Le film, rigoureusement sombre, procédant d'un mélange de distance froide et de rage bouillonnante, est d'une force implacable, même s'il faut pas mal de temps pour totalement le digérer et l'aimer.


 
L'Image manquante de Rithy Panh (2013)


Transposition à l'écran de L'élimination, indispensable ouvrage co-écrit avec Christophe Bataille l'an passé, L'image manquante est un nouveau documentaire remarquable à mettre au crédit de Rithy Panh (après S21 la machine de mort khmer rouge ou le moins marquant Les artistes du théâtre brûlé). Le film est une version très condensée d'un livre plus complet et plus disert (en cela il ne dispense pas de le lire, loin s'en faut, la part politique et documentaire du bouquin étant atténuée au profit de sa dimension plus intimiste et autobiographique), dans lequel Rithy Panh raconte le génocide cambodgien dont lui et toute sa famille furent victimes, mais il a l'immense mérite d'en offrir une vulgarisation nécessaire et d'en transformer réellement la trace dans un objet cinématographique quasi-expérimental d'une grande originalité et d'une grande force. Rithy Panh nous invite à méditer sur les images manquantes de l'Histoire, et particulièrement d'un chapitre aussi capital que celui du génocide cambodgien perpétré par les Khmers Rouges, le régime communiste instigateur du Kampuchéa Démocratique mené par des idéologues (Pol Pot en tête) jadis formés chez nous, en France, et dont les membres détruisirent consciencieusement toutes des images du cinéma de fiction qui les avait précédés ainsi que toute illustration de leurs crimes pour ne léguer aux survivants que les films de propagande réalisés par leurs soins entre 75 et 79.

Les images n'existant pas, ou plus, Rithy Panh tente de reconstituer ses souvenirs, ses images mentales, à l'aide de petites figurines d'argile moulées puis peintes à la main et filmées dans des décors miniatures de marionnettes. Le projet fait pleinement sens et va bien au-delà de la pure idée qui le régit, car le cinéaste filme de façon admirable les scènes rejouées de son enfance et parvient à créer des images vivantes à partir de fétiches réalisés avec un soin inouï et recelant une grande beauté. Ces images de l'enfance, à double titre, mêlées au "vraies" images existantes pour les contredire ou les compléter, nous donnent à voir ce qui sans l'intelligence et le tact du cinéaste resterait invisible, ou serait potentiellement représenté de telle manière qu'on aurait préféré ne pas le voir.


Voilà pour les avant-premières auxquelles j'ai pu assister. Le bilan est pour le moins équilibré : deux ratages, un film partiellement réussi et plutôt très prometteur, et deux œuvres majeures. Mais le festival de cinéma de La Rochelle ne donne pas à voir que des nouveautés, loin s'en faut, c'est aussi et surtout des rétrospectives et des hommages en grand nombre, et c'est ce qui sera au menu de la 2ème partie de ce bilan, à paraître dans trois jours.

A suivre...

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