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La Rochelle 2013 - 2ème partie

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Suite de ce bilan sur le Festival International du Film de La Rochelle 2013, consacrée cette fois-ci aux hommages et autres rétrospectives programmés cette année. Avec plus de 300 films à l'affiche en une semaine, impossible de tout voir, des choix s'imposent, cruels mais nécessaires. Vous ne lirez donc rien ici sur les hommages à Andreas Dresen, José Luis Guerin ou William Kentridge, ni sur le grand hommage au cinéma chilien. En revanche j'évoquerai rapidement celui rendu à Jerry Lewis, ainsi que les rétrospectives sur le cinéma indien et sur Billy Wilder. C'est ce dernier qui a eu mes faveurs, avec cinq films découverts en une poignée de jours, et je ne le regrette pas. Mais gardons ça pour la fin et commençons plutôt par une petite pépite issue du Nouvel Hollywood :


Paper Moon de Peter Bogdanovitch (1973)


Road movie de 1973 signé Peter Bogdanovitch, Paper Moon ("La barbe à papa" en français) va ressortir incessamment sous peu, et c'est une excellente nouvelle. Assez classique dans la forme, très Nouvel Hollywood dans le ton, le film raconte l'histoire, dans le mid-west, d'Addie, une petite fille qui, en assistant aux funérailles de sa mère, fait la connaissance de son probable père. Ce dernier gagne sa vie en faisant du porte à porte pour extorquer quelques dollars à des veuves éplorées en leur vendant au prix fort des bibles soi-disant commandées par leur défunts époux avant de passer l'arme à gauche. Il accepte de conduire Addie chez sa tante afin qu'elle y soit élevée, mais sur la route, la gamine, vrai garçon manqué plein de bon sens et d'ingéniosité, se révèle un précieux allié dans l'art du commerce. Chacun trouve rapidement son compte dans cette nouvelle association de malfaiteurs : lui peaufine ses arnaques, elle demeure aux côtés de son père.

Proche dans l'esprit du Robert Mulligan de To Kill a Mockingbird, côté classique, comme du Wim Wenders d'Alice dans les villes, côté moderne, le film possède un charme fou. Bien pensé, bien écrit et bien filmé, Paper Moon est en prime très drôle, parce qu'il est aussi, et surtout, magnifiquement interprété. On parle souvent de la performance de Tatum O'Neal dans le rôle de la petite Addie, qui reçut à l'âge de 10 ans l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour ce film, et qui fut donc la plus jeunes actrice récompensée par ce prix, mais si la petite fille (devenue héroïnomane ensuite, c'est une autre histoire) est brillante, c'est en bonne part grâce à celui qui lui donne la réplique, son père à la ville et à l'écran, Ryan O'Neal, remarquable dans son rôle d'escroc à la petite semaine et de père en devenir. L'alchimie entre le père et la fille, leur complicité, leur amour vache, passe à travers l'écran et participe grandement de la beauté du film, qui fonce plein fer vers un happy end mièvre mais l'évite au dernier moment et n'en devient que plus touchant.


Le Salon de musique de Satyajit Ray (1958)


La Rochelle rendait hommage au centenaire du cinéma indien, et ce fut l'occasion de découvrir sur grand écran Le Salon de musique, grand classique de Satyajit Ray, parfaitement fidèle à sa réputation. Le film raconte la déchéance d'un seigneur indien, propriétaire d'un palais et mécène de grands musiciens, qui sacrifie tout, y compris sa famille, à son amour de la musique et du faste.

Satyajit Ray, quand il ne construit pas un montage hypnotique sur des numéros de danse magistraux (qui évoquent Le Fleuve de Renoir, d'autant que l'acteur principal du film rappelle vaguement Marcel Dalio, l'éternel marquis de La Cheyniest de La Règle du jeu), compose des scènes absolument sublimes où il illustre l'orgueil des puissants en jouant sur le motif du reflet et des images : reflet de l'immense lustre du palais miré dans une tasse de café, ou du personnage dédoublé dans les miroirs de sa vaste demeure (le seigneur s'admire régulièrement dans une glace encadrée par les portraits de ses illustres et nobles aïeux, tel un arbre généalogique surdimensionné où l'égo est littéralement écrasant). Le fort du film, c'est que Satyajit Ray fait saillir les véritables événements de son récit en les ramassant sur des temps très courts, comme s'il s'agissait de simples articulations. Et c'est ce qu'ils deviennent réellement, puisque les moments prégnants, fugaces, impactent violemment la vie du personnage dans la durée, cette durée de la peine, des regrets et de la solitude dans laquelle le cinéaste nous immerge admirablement.


Docteur Jerry et Mister Love de Jerry Lewis (1963)


Le festival de La Rochelle rendait aussi hommage au grand Jerry Lewis, dont les films ressortent en grappe au cinéma ces jours-ci. Oubliez à tout jamais le Professeur Foldingue d'Eddy Murphy au profit de l'original, Docteur Jerry et Mister Love, signé Jerry Lewis en personne, infiniment plus drôle, plus fin et plus intelligent. Notre cher comique, auquel pas mal de comédiens actuels doivent tant (à commencer par Jim Carrey), est parfaitement exquis dans le rôle d'un professeur de chimie bigleux et grimaçant, aux dents de cheval et aux cheveux gras, maladroit comme pas deux, voire complètement crétin, qui, pour répondre aux surprenantes avances de sa plus belle étudiante (incarnée par la playmate Stella Stevens, qu'on avait aimée dans son rôle de putain au cœur d'or chez Peckinpah dans The Ballad of Cable Hogue), invente une potion capable de le transformer en séducteur irrésistible, aussi imbu de lui-même que conquérant, plein de bagout et d'autocélébration, superbe et insupportable : Buddy Love.

Et le plus remarquable c'est que Jerry Lewis parvient à faire rire, et bien rire, dans la peau du professeur débile autant que dans celle du très supérieur Mister Love, dont l'arrogance est parfois exquise, et qui se montre génial quand il pousse le directeur de l'école à réciter Shakespeare en caleçon, débout sur son bureau. Le "nutty professor" quant à lui, personnage qui a évidemment les faveurs du cinéaste et du public, a droit à quelques morceaux de gloire, de l'introduction, où le laboratoire de chimie explose, à la scène de bal final, où il suffit à Jerry Lewis de danser d'une façon bien particulière pour nous écrouler de rire.


Assurance sur la mort de Billy Wilder (1944)


Mais, outre un hommage à Max Linder, la grande rétrospective rocheraise cette année honorait l'immense Billy Wilder. Le premier (dans l'ordre chronologique de la filmographie du cinéaste) des cinq films que j'ai pu voir grâce au festival, Assurance sur la mort, est un film noir pur jus, et un excellent cru. Réalisé en 44 et adapté d'un roman de James M. Cain par Wilder lui-même et Raymond Chandler, le film est totalement inscrit dans son genre. Tout y est ou presque : le beau noir et blanc entre ombre et lumière ; le récit au passé et tout en flashback sous forme de confession du héros criminel mal en point (Fred MacMurray), enregistrée sur un magnéto à l'attention de son ami enquêteur (Edward G. Robinson) ; l'art de la séduction exercé par une experte en manipulation sur un amant prêt à devenir meurtrier dès après la première prière de sa promise ; le meurtre prémédité et arrangé par un personnage principal agent des assurances au fait des failles de la police ; les clopes au bec et les allumettes craquées pour les amis sur tous les supports et en toutes circonstances, etc. Mais le premier élément sans doute reste la femme fatale, incarnée par la belle Barbara Stanwyck, dont la première apparition, en serviette de bain en haut d'un escalier, est particulièrement soignée par le cinéaste, qui n'en était qu'à son quatrième film mais montrait déjà une maîtrise incroyable des codes génériques, de la narration et de la mise en scène. 

On se délecte de la conception du crime comme de sa mise en œuvre, lors de laquelle Wilder, à l'instar du grand Hitchcock, parvient à faire en sorte que le spectateur se ronge les ongles en espérant que le couple star de son film, de cupides amants meurtriers, ne se fera pas prendre et pourra commettre son horrible forfait en toute tranquillité. Le plaisir n'est pas moindre quand le délicieux Edward G. Robinson, collègue du héros et grand pro de la traque à la fraude aux assurances, cherche la faille, ou quand il allume une ultime cigarette à son meilleur ami dans le dernier plan du film.


Le Gouffre aux chimères de Billy Wilder (1952)


Le Gouffre aux chimèresétait paraît-il le film préféré de Wilder dans sa longue et belle filmographie, et même si on lui préfère un autre titre - son chef-d’œuvre absolu, Boulevard du crépuscule - on le comprend. Le Gouffre aux chimères traite d'ailleurs un sujet assez proche. Féroce satire du monde du journalisme et des médias, le film raconte l'histoire de Charles Tatum (Kirk Douglas), reporter d'envergure passé par tous les grands journaux du pays et viré de chacun d'eux pour excès d'alcool ou d'orgueil, qui atterrit dans un trou perdu, au sein du petit journal local d'Albuquerque, bien décidé à se refaire en repartant de zéro. Après quelques mois passés dans les bureaux endormis de cette rédaction sans envergure, notre journaliste, aussi ambitieux que prétentieux, est embarqué sur la route d'un reportage minable sur la chasse au crotale quand il entend parler d'un quidam coincé dans une grotte abritant de très anciennes tombes indiennes, où l'homme, espérant dénicher quelques poteries de valeur, a été surpris par un éboulement. Charles Tatum s'y rend aussitôt, non pour venir en aide à la victime mais pour enfin tenir une histoire à raconter, un feuilleton susceptible de lui rapporter gros.

Bientôt la grotte devient un immense camping pour les curieux, puis un gigantesque parc d'attraction touristique, où les badauds attendent vaguement l'issue de la tragédie grossie et entretenue par le reporter, qui fait durer le suspense au mépris de la vie de son nouveau sujet d'article favori. Comme d'habitude chez Wilder, aussi grave soit le sujet, l'humour est là, et d'un bout à l'autre, quand bien même on passe d'un ton de comédie, au début du film, lorsque Tatum débarque dans le petit journal du coin, à un véritable drame cruel et grinçant, qui dit tout de l'ignominie du journalisme cupide et meurtrier et de la quête insatiable de sensations d'un public excité par l'odeur du sang et prêt à tout pour en tirer profit. Attaque brillante des dérives des médias, le discours engagé du film est porté par des plans magnifiques, du fond de la grotte éboulée jusqu'au surplomb de la nouvelle ville festive bâtie autour du mort en sursis. Le lien entre ces deux réalités, et le support même de ce pamphlet, n'est autre que l'allégorique Charles Tatum, et Wilder se livre à une impressionnante étude de caractère, sublimée par son acteur, le gigantesque Kirk Douglas, aussi époustouflant ici que dans ses grands rôles chez Minnelli (dans le dytique Les Ensorcelés et Quinze jours ailleurs), qui passe par tous les registres de jeu et nous embarque immédiatement avec lui dans la fiction.


La Vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder (1970)


Film assez méconnu de Wilder, La Vie privée de Sherlock Holmes, réalisé en 1970, a la particularité de ne pas être l'adaptation d'une nouvelle de Conan Doyle mais bien un scénario original, une variation sur les personnages de Holmes et de Watson, excellemment interprétés par Robert Stephens et Colin Blakely. Il est déjà fort appréciable de voir un Sherlock Holmes parvenant à résoudre mille énigmes par les grâces combinées de son ingéniosité et (surtout) de son exceptionnelle érudition, à une époque où le détective de légende, tel qu'interprété par Robert Downey Jr., est réduit peu ou prou à un boxeur abruti. Nos contemporains auraient fort à apprendre de Wilder, qui démythifie son personnage (forcé de porter sa tenue comique pour coller aux récits que Watson tire de leurs aventures, et finalement incapable de résoudre l'énigme du film) sans le rendre méprisable.

Le film de Wilder, qui ne brille pas spécialement par la qualité de son intrigue (l'enquête, pas vraiment trépidante et donc peu fascinante, est totalement tirée par les cheveux, mêlant entre autres une poignée de nains, la reine d'Angleterre et le monstre du Loch Ness), bénéficie malgré tout d'un excellent scénario et réjouit par ses saillies humoristiques constantes, par la façon discrète qu'il a d'évoquer la dépendance de son héros à la cocaïne, ou par la finesse avec laquelle Wilder filme sans la filmer l'homosexualité latente du couple formé par Holmes et son docteur. Un film sans prétention et sans qualités remarquables mais fort plaisant.


Avanti ! de Billy Wilder (1972)


Comédie un brin trop longue, notamment à cause d'un enchaînement de fausses fins, et qui perd un peu d'énergie dans des intrigues parallèles parfois superflues, Avanti! fonctionne malgré tout à merveille et reste un vrai plaisir. Ses longueurs et autres circonvolutions s'expliquent d'ailleurs quand on lit les propos de Wilder : « Il y a une phrase de Renoir sur la différence entre les réalisateurs "européens" et les réalisateurs "américains", par exemple entre Lubitsch, Wyler, Siodmak, Zinnemann, Sirk et moi d'un côté, et Ford ou Hawks de l'autre : en Amérique, tout marche comme sur des rails, alors que les films européens comportent toujours de charmants détours inattendus ». Quid alors d'un "Américain européen" revenu tourner en Europe ? Le cinéaste voulait plus de liberté après avoir vu les studios charcuter La Vie privée de Sherlock Holmes, et partit donc tourner son film en Italie, renouant avec ses comédies hollywoodiennes des années 50 et 60 (Certains l'aiment chaud, La Garçonnière, Irma la douce) tout en favorisant leur renouvellement par un changement d'air radical. On retrouve ici le si sympathique Jack Lemmon, acteur fétiche du cinéaste, fidèle à lui-même, mais on découvre en revanche, face à lui, la peu connue Juliet Mills, qui fait très bonne figure et, pour ne rien gâcher, se dénude sans détour (quelle drôle d'impression de se retrouver nez-à-nez avec de gros et beaux seins filmés plein cadre dans une comédie, même tardive, d'un grand auteur de comédies de l'âge d'or).

Avanti!, drôle et savoureux à souhait, raconte l'histoire d'un homme d'affaire américain convoqué en Italie pour rapatrier le corps de son père, décédé dans un accident de voiture. Sur place, l'homme apprend que son père entretenait là de façon très régulière une relation extra-conjugale de longue date. Abasourdi, il rencontre en prime la fille de la maîtresse de son père, et se voit contraint et forcé (en tout cas au départ...) de rejouer avec elle les scènes de la vie amoureuse cachée de leurs aïeux. Dans la fraîcheur comique et romantique ambiante, certains gags sont plus que jamais d'actualité, quand un agent de la CIA conseille au délectable personnage du maître d'hôtel italien devenu complice de Jack Lemmon d'éviter de s'installer à Damas, zone trop dangereuse, avant de rectifier : Damas plutôt que New-York… ou quand le même type, à propos des italiens dont la pause déjeuner s'étend prétendument de 13h à 16h, s'exclame : "On leur donne un fric pas possible pour les aider et ils n'en foutent pas une…"


Fedora de Billy Wilder (1978 - ressort sur les écrans le 21 août 2013)


Avant-dernier film de Billy Wilder, tourné sans l'aide des studios qui lui avaient tourné le dos, produit par Wilder lui-même et son scénariste attitré I.A.L. Diamond, Fedora est une réponse, en 1978, à l'inoubliable Boulevard du crépuscule de 1950, avec le même génial William Holden dans le rôle principal. L'histoire est plus ou moins la même. Elle est aussi plus ou moins inversée puisque William Holden n'est plus ce scénariste en difficulté soudainement pris au piège par une ancienne star du muet devenue folle, prête à renouer avec les projecteurs car persuadée de n'avoir pas pris une ride et d'être toujours la plus grande actrice du monde, il est cette fois-ci dans la peau d'un réalisateur lui-même impatient de tourner à nouveau et pour cela bien décidé à retrouver Fedora, une grande actrice de l'âge d'or hollywoodien, retirée sur une île grecque depuis trop longtemps. Sauf que Fedora est elle-même prisonnière, enfermée, aux sens propre et figuré, sur un rocher isolé, où une vieille comtesse, un médecin, une gouvernante et un garde du corps la surveillent, et dans son personnage médiatique d'autrefois. Le film, dont le tournage a semble-t-il été pour le moins chaotique, souffre d'une baisse de régime dans sa deuxième partie, entièrement consacrée à un récit explicatif  énoncé par l'un des personnages et illustré par de nombreux flashbacks, eux-mêmes dépourvus de véritables enjeux car principalement destinés à illustrer les explications parfois superflues récitées en voix-off. Mais, en dépit d'un déséquilibre entre les deux moitiés du film, le dispositif reste pertinent, la première partie déployant dans un récit romanesque toute une intrigue énigmatique autour de la question de l'identité de Fedora, tandis que William Holden et nous-mêmes sommes emportés par la fiction, dupés par une machination complexe et éblouis par le feu des projecteurs comme par le soleil de Corfou ; avant que la deuxième partie ne révèle en mode mineur l'envers du décor, les coulisses moins glorieuses, sinon sordides, de la grande machine hollywoodienne, avec à la clé une critique précoce mais déjà particulièrement juste des dérives de la chirurgie esthétique.

Le film reste donc absolument délectable, et même assez magistral, pour, entre autres, toute sa première partie, à commencer par son introduction, cette séquence incroyable et frappante du suicide de Fedora qui se jette sous un train à la façon d'Anna Karénine, mais aussi pour la voix-off géniale du grand et vieux William Holden, qui commente l'enterrement de Fedora au début du film et nous évoque Humphrey Bogart, sous la pluie, assistant aux funérailles de Maria Vargas (Ava Gardner) au début du mythique La Comtesse aux pieds nus, et puis pour la drôlerie de Billy Wilder aussi, qui crée un nouveau personnage de maître d'hôtel complice et facétieux dans la lignée de celui d'Avanti!, pour le raffinement absolu de sa mise en scène encore, d'une élégance admirable en dépit de l'étroitesse probable du budget, délicate jusque dans l'art du fondu enchaîné, prépondérant dans un récit tout en flashbacks. Cet avant-dernier film du cinéaste, que l'on sent assez loin de ce que l'artiste devait espérer, et que l'on aurait du reste peut-être pris avec hauteur en 1978, pour son classicisme affiché ou sa nostalgie revendiquée (à noter une belle apparition du vieil Henri Fonda, qui fait écho aux rôles et apparitions de Stroheim ou Keaton dans Sunset Boulevard), apparaît aujourd'hui comme le testament particulièrement bouleversant d'un immense metteur en scène.


Quoi de mieux pour clôturer ce bilan sur cet excellent festival que l'un des derniers jalons de la filmographie d'un immense cinéaste. Cette conclusion est aussi une ouverture puisque Fedora ressort au cinéma le 21 août 2013. Je vous conseille chaudement d'aller le découvrir en salles, et je félicite La Rochelle de l'avoir présenté avec un peu d'avance. Le festival aura permis de découvrir des nouveautés en avant-première, partagées entre déceptions et vrais coups de cœur, et surtout de rattraper un certain nombre de classiques parfois drôles, parfois touchants, parfois splendides, parfois tout ça. Rendez-vous peut-être l'année prochaine pour une nouvelle édition et, qui sait, un nouveau bilan...


Frances Ha

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Refroidis par les précédents films de Noah Baumbach (Les Berkman se séparent ; Greenberg) et pas encore suffisamment envoûtés par Greta Gerwig après Damsels in Distress, nous savons gré à notre collaborateur Simon d'être allé au charbon à notre place pour découvrir Frances Ha, dont la dernière onomatopée s'est semble-t-il transformée en véritable cri de plaisir :

Frances Ha pouvait inspirer la crainte. En premier lieu son étiquette de énième film indé-new-yorkais en noir et blanc sous influence Nouvelle vague-Cassavettes-Jarmusch-Allen. Son sujet aussi, en apparence typiquement mumblecore (l’incapacité d’une fille de 27 ans à devenir adulte, pour faire vite). Et puis les très diversement appréciés films précédents de Noah Baumbach, notamment Greenberg, que je n'ai pas vu mais dont j'avais encore en tête la critique assassine de Félix dans ces pages. Malgré tout ça le film est une réussite, qui tient avant tout en deux mots : Greta Gerwig. Là encore on était en droit de se méfier. Son statut d’icône du cinéma indépendant américain, au même titre que Winona Ryder il y a 20 ans ou Chloë Sevigny il y a 10 ans, et toute la hype qui entoure sa jeune personne dans la presse branchée,  sont autant de facteurs qui peuvent agacer et faire craindre le phénomène de mode. Mais si sa performance constituait déjà à mes yeux le principal intérêt du surestimé Damsels in Distress, ce qui se passe à chaque image de Frances Ha sur le visage et dans le corps de cette fille, pas très jolie et pas très gracieuse de prime abord, est simplement fascinant.




Son jeu est un mélange très étrange d'hyper-expressivité corporelle et de bouillonnement intérieur. Derrière ses grimaces, ses éclats de voix, ses gestes brusques qui semblent incontrôlés, il y a ses yeux et tout ce qu'ils renferment d'émotion et de folie. Elle danse, elle court, elle tombe, elle crie, elle se bat pour de faux… puis, dans un repas où elle n’a pas vraiment sa place, elle se lance sans vraiment y penser et avec une sincérité désarmante dans une tirade sur ce qu’elle attend d’une relation amoureuse. Greta Gerwig joue, elle joue la comédie mais elle joue aussi comme une enfant, et on sent sa joie à jouer, sans pour autant avoir l’impression d’assister à une performance. Elle parvient à donner une épaisseur et une complexité folles au personnage de Frances, qui pourrait n'être qu'une ado attardée un peu écervelée et inconséquente, mais à laquelle on reste éperdument attaché par la seule grâce de son jeu, tout en ruptures. Elle parvient à faire naître un véritable sentiment amoureux pour son personnage, pourtant qualifié à longueur de film de « undatable». Frances n’est pas une fille mignonne et un peu cruche qui refuse de grandir, elle est au contraire intelligente et volontaire, tout au plus un peu naïve dans ses sentiments, et comme empêchée. 




Le film est aussi très bien écrit, et là encore le mérite lui en revient en bonne partie : elle a co-écrit le scénario avec Baumbach et on sent que ce personnage ils l’ont vraiment façonné à partir de sa propre matière, mais avec beaucoup de dérision, sans tomber donc dans l'auto-portrait nombriliste. Il serait cependant injuste pour Baumbach de résumer le film à un brillant numéro de sa comédienne et co-auteur. Il a le grand mérite d’avoir su lui donner le juste espace, d’avoir su la regarder et transmettre sa propre fascination. Sa mise en scène n'est relâchée qu'en apparence : beaucoup de scènes, le plus souvent filmées en plans larges, semblent chorégraphiées. Dans le film Frances est une danseuse moderne un peu ratée, et son rapport à la danse se retrouve dans ses déplacements et ses gestes du quotidien, dans lesquels elle entraîne (ou tente d’entraîner)  les autres personnages. Le film déborde d'énergie, très curieusement rythmé, la aussi sur le mode de la rupture, alternant longues scènes bavardes et saynètes très courtes.




Sa force tient aussi dans la qualité des nombreux personnages secondaires qui entourent Frances et des liens qu'elle entretient avec eux, en particulier l'histoire d'amitié contrariée avec Sophie, traitée comme une romance. Même bel équilibre de légèreté et d’amertume dans les relations entre Frances et les garçons, qui donne au film une réelle épaisseur affective et le fait planer très loin au-dessus de l’ordinaire sucré de la comédie indie américaine. On pardonnera aisément à Baumbach son usage régulier d'une musique "cool", notamment le Modern Love de Bowie à plusieurs reprises, qui s'intègre très bien au film, et les nombreux clins d'œil cinéphilo-francophiles. Il a su construire un film euphorisant, léger et grave à la fois, et contribuer à confirmer l'éclosion d'une très grande actrice.


Frances Ha de Noah Baumbach avec Greta Gerwig, Mickey Sumner, Michael Esper et Adam Driver (2013)

Evil Dead

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Contrairement à John Carpenter, Wes Craven, Tobe Hooper et tous ces autres "maîtres de l'horreur" dont les classiques ont été revus et corrigés récemment, Sam Raimi s'est pleinement impliqué dans le remake de son Evil Dead et en revendique ouvertement la paternité. Il est donc en plein dans ma ligne de mire, au tout premier rang à la barre des accusés. Car disons-le tout net : cet Evil Dead version 2013 est un des trucs les plus moches et cons qu'il m'ait été donné de voir depuis un bail. On est typiquement en présence de ce que le cinéma d'horreur peut proposer de plus minable et de plus laid. C'est une insulte adressée à tous les amoureux du genre. C'est le genre de films qui pousse mon amour pour le cinéma d'horreur dans ses derniers retranchements, qui me fait me dire "Putain, mais pourquoi tu mates ces trucs-là ?". Evil Dead est une véritable abjection, un film d'une inqualifiable stupidité et d'une laideur de chaque instant. Je me répète déjà...




Bon, que nous raconte-t-on exactement cette fois-ci ? Grosso modo la même chose qu'il y a 30 ans, à quelques menus détails près. Ça valait donc bien le coup de s'y mettre à plusieurs pour écrire tout ça. Trois ou quatre scénaristes, dont Sam Raimi, sont en effet crédités au générique. Après une rapide recherche sur le web, on apprend que la savante Diablo Cody a également été mêlée au projet, sans doute pour apporter sa science pour tout ce qui concerne l'écriture de personnages d'adolescents américains crédibles et vivants. On sait la scénariste experte en ce domaine, depuis Juno, Young Adult, Jennifer's Body et toutes ces merdes révoltantes qui nous proposaient autant de portraits sans aucune épaisseur d'une jeunesse américaine qu'on avait simplement envie d'étouffer sous nos pets. Les personnages, incarnés par des acteurs tous lamentables dénués du moindre charme, sont ici autant de clichés insupportables qui n'existent à aucun instant, de la chair juteuse purement et simplement livrée à l'abattoir. On remercie encore Diablo Cody, la scénariste 2.0, pour son apport, on sent clairement sa patte personnelle...




Une bande de jeunes décident donc de nouveau de passer quelques jours dans une cabane perdue dans la forêt, à l'architecture plutôt inquiétante. On comprend qu'ils sont là pour tenter de faire décrocher l'une des leurs de son addiction à la drogue, en l'empêchant de décamper au premier bad trip. Des tensions naissent aussitôt dans le groupe, certains jugeant cette méthode un peu trop radicale. Un livre maudit est découvert dans le sous-sol (le "Necronomicon" de l'original, qui a ici perdu son nom car la grosse référence à Lovecraft a peut-être été jugée de trop haute volée pour la crétinerie du public cette fois-ci ciblé - l'écrivain de Providence ne s'en porte que mieux). Un personnage, le plus con du lot, lit quelques phrases à voix haute malgré le fil barbelés qui renferme solidement le bouquin et les contre-indications menaçantes griffonnées sur chaque pages. Il réveille ainsi une force surnaturelle malfaisante. Le carnage peut alors commencer pour de bon. Je raconte presque trop bien...




N'étant pas un amoureux de l'original, j'étais tout de même curieux de découvrir ce film dont le maketing avait tout osé. "Vivez l'expérience cinématographique la plus terrifiante" assène la gigantesque tagline sur l'affiche, tandis que les multiples bandes-annonces nous promettaient l'Enfer, un traumatisme assuré, une date déjà inscrite dans l'Histoire du cinéma d'horreur. En vérité, nous avons affaire à un pur produit dont la prétention de l'emballage n'a d'égal que le cynisme glaçant de ses fabricants. On jurerait que ce remake est le fruit d'une paresseuse analyse de marché. "Ils veulent de l'horreur qui tache, ils veulent du gore ?" se sont-ils dit dans les couloirs des studios, "Hé bien, ils en auront !". Assurez-vous de bien avoir débranché vos cerveaux, on vise simplement à vous retourner le bide, pas plus. On imagine aisément une douzaine de gars commandés par Sam Raimi, soucieux de redorer sa statue (lui qui s'était déjà adonné à l'auto-citation couillonne avec l'infâme Jusqu'en Enfer), réunis autour d'une table ronde pour l'opération de rajeunissement de son vieux bébé. A chaque fois que le moins débile de la bande levait la main pour dire "Ah ! J'ai une idée !", les autres l'écoutaient mollement, avant que le plus imbécile du lot ne prenne la parole pour dire "Ok, ok, mais on va essayer de faire encore pire !", et ainsi de suite. Bon, je me fais peut-être des idées, mais le film ressemble vraiment à un collage lamentable de scènes gores sans inventivité, à un déluge de sang et de cris animé par la seule incapacité totale et l'affligeant manque de talent de toute l'équipe aux commandes de ce si triste projet. Et le pire c'est que ça marche ! Le film a rapporté près de 100 millions de dollars pour un budget 10 fois moindre. On annonce désormais pour bientôt la suite du remake dont on ne sait pas s'il s'agira d'une suite à part entière ou du remake de la suite de l'original qui, rappelons-le, était elle-même un remake de l'original par son propre auteur, qui laissait dès son second film ses dernières idées de cinéaste.




On tient là un film dont l'énergie insupportable et le rythme trépidant paraît totalement fabriqué, calculé, à des années lumières de la spontanéité réelle et rafraîchissante qui faisait le charme juvénile de l'original. C'est un obscène rouleau-compresseur de cruauté crasse et de violence sotte. On y voit entre autres une jeune femme se faire tronçonner la tête depuis l'intérieur, la lame de l'appareil enfoncée dans la bouche, dans un feu d'artifice barbare où éclate joyeusement dans le plan plus de sang que cent corps humains ne doivent en contenir. Une autre jeune femme se découpe le bras à l'aide d'une scie électrique curieusement retrouvée dans la cuisine de la vieille cabane abandonnée, pendant qu'une autre se taillade le visage avec la lame mal affutée d'un couteau rouillé avant que son petit-ami ne décide de lui fracasser compulsivement le crâne à l'aide d'un morceau de lavabo, en pleine hystérie. On regarde ça les sourcils légèrement relevés, profondément consternés et animés d'un mépris grandissant pour toutes les personnes impliquées là-dedans, à commencer par qui-vous-savez. Ces moments de violence sauvage sont filmés avec une complaisance qui fait se poser pas mal de questions. La mise en scène sans aucune personnalité est signée Fede Alvarez, un chicanos choisi par Sam Raimi himself, probablement pour le remercier d'un coup de main rendu pour régler une sombre affaire personnelle dont on ne veut rien savoir.




Le pire, c'est que la surenchère n'est jamais poussée assez loin. Ce n'est strictement jamais drôle, jamais effrayant, jamais dérangeant. Evil Dead 2013 est un sous-Destination Finaleécarlate et condensé, auquel on aurait retiré toute espèce de second degré, toute esquisse de drôlerie et d'ironie. Autant dire qu'il ne reste plus rien, sachant que la franchise lancée par James Wong n'est déjà pas connue pour sa qualité... Le film de Fede Alvarez n'a aucun ton identifiable, et c'est peut-être la seule chose qui lui donne un semblant de mystère. On n'est ni dans la parodie ou dans l'humour, ni dans l'horreur véritablement sérieuse et premier degré, mais dans un entre-deux indéfinissable et inconfortable au possible. Bref, on ne sait pas trop où on est, si ce n'est face à une daube d'une envergure assez inédite pour la vague de remakes horrifiques qui n'en finit pas de déferler depuis des années et qui nous avait pourtant habitué à une moyenne terriblement basse.




Inutile de dire qu'on se demande un peu pourquoi un tel film n'a pas soulevé de débat du côté de la censure, quand la violence bien plus mesurée d'un autre, sorti au même moment, Only God Forgives, réalisé quant à lui par un cinéaste, un vrai, était pointée du doigt par nos ministres. Peut-être parce que l'étiquette de "film d'horreur" permet de tout faire passer, tandis que la vision d'un artiste, dont on connaît la radicalité, ne vaut plus grand chose et mérite qu'on s'y attaque. N'y voyez pas là les remarques réactionnaires d'un spectateur trop sensible, je me fiche un peu de tout ça et Evil Dead est un film si raté qu'il n'a strictement rien provoqué chez moi, malgré les litres d'hémoglobines à l'écran et l'enchaînement sans fin de scènes de massacres ridicules. En réalité, je me demande seulement qui peut prendre du plaisir à regarder un spectacle si déprimant et abrutissant. On est au niveau zéro de l'horreur filmée, face à un abîme de nullité aussi misérable qu'incompréhensible.




Par pur hasard, un autre film d'horreur produit récemment nous propose de suivre les mésaventures de personnages qui choisissent, eux aussi, de se cloîtrer dans une cabane perdue dans les bois pour les besoins d'une cure de désintoxication radicale. C'est diablement plus intelligent et original, ça a été fait avec trois euros en poche mais un véritable amour pour le genre, ça s'appelle Resolution et ça ne sortira pas au cinéma. En attendant de le découvrir par d'autres voies et d'en lire la critique par ici, ne perdez pas votre temps devant cet Evil Dead, ce film sans âme dont même les auteurs sont dépourvus car ils l'ont depuis longtemps revendue chez Prix Bas.


Evil Dead de Fede Alvarez avec une bande de cons (2013)

Prédictions

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De la bombe. Ce film, c'est de la bombe de balle. Quel soulagement quand on a su qu'Alex Proyas, le réalisateur, n'était pas français... Au large les contagieux ! Alex Proyas, après The Crow (où il a tout de même tué Brandon Lee, le fils de Bruce Lee, d'une balle "perdue") et Dark City (où tous les acteurs portaient un pare-balle !), Alex Proyas donc, jusqu'en 2004, date à laquelle il commit I, Robot, passait pour le nouveau Méliès, et pourtant... Avec Prédictions ("Knowing" en VO, soit littéralement "Sachant" en VF), le réalisateur hollywoodien a définitivement enterré les maigres espoirs placés sur lui. On s'en souvient davantage comme d'un film DE Nicolas Cage, tant la folie de l'acteur, ses facéties, son laisser-aller, sa liberté, en un mot son grain de génie, font de ce film une vraie pépite comique, qui ressemble finalement à tous les autres Nicolas Cage de la période mais les dépasse par un surplus d'humour et un scénario qui ne laisse pas un moment de répit à l'acteur, à son personnage et au spectateur médusé par un tel concours de connerie.




Le scénario de ce film ? Un truc de dingue mêlant extra-terrestres, attentats terroristes, catastrophes naturelles, enfants maléfiques, feutres velleda et alcool à 90°. L'idée c'est qu'une gamine à qui l'on a demandé dans les années 50 de faire un dessin représentant le futur tel qu'elle se l'imaginait s'est mise à écrire compulsivement une série de chiffres sans fin, au point de ne terminer son office qu'une fois le crayon totalement épuisé et ses doigts bouffés jusqu'à l'os. Des années plus tard la liste atterrit sur le comptoir d'un bar et sert de sous-verre à la chope de bière blonde d'un Nicolas Cage aux abois. L'effet loupe du cul de bouteille de bière grossit cent fois une paire de chiffres : 09/11 (en français : 11 septembre 2001). Après une nuit d'une semaine passée dans son garage devant son tableau blanc à analyser tous les autres chiffres de la liste en les recopiant un par un et en les entourant de toutes les couleurs, Cage arrive à piger qu'ils indiquent les dates, les localisations et le nombre de victimes des plus grandes catastrophes humaines de l'histoire du monde. La série de chiffres tient grosso modo sur une très grande feuille A4, ce qui fait dire à Nicolas Cage : "On s'en tire pas trop mal !", réplique étonnante appuyée par un regard-caméra franc et massif. Mais notre homme va quand même lâcher sa bouteille deux minutes pour aller empêcher tous les futurs cataclysmes, ce qui lui vaudra très vite le surnom de "tronche de con" (aucun rapport avec sa nouvelle activité, il trimballe juste en effet une sacrée caillasse de con).




Il faut voir Nicolas Cage quand il découvre le pot aux roses de ce sacré bout de papelard. L'acteur n'a jamais aussi bien joué la stupéfaction, et aucun autre ne lui arrive désormais à la cheville dans ce domaine. Quand, après avoir étudié la longitude et la latitude données par le saint suaire de la petite fille du début du film, Nick Cage se rend sur les lieux du prochain grand drame américain (car tous les malheurs du monde sont des malheurs exclusivement américains d'après ce film réalisé par un australien dépourvu d'identité et d'amour propre), on le voit sauter de joie au milieu d'un horrible crash d'avion, éructant d'abord de bonheur devant la boule de feu volante prête à s'écraser sous ses yeux puis remerciant Dieu d'avoir confirmé ses hypothèses en pataugeant dans une marre de kérosène jonchée de toute une foule de corps calcinés. Performance. Il faut le voir aussi répondre à ses étudiants, car il incarne un prof de fac aux méthodes appréciables mais peu académiques, quand un élève lui demande : "Sommes-nous seuls dans l'univers ?". Cage répond : "Soit oui, soit non, dans tous les cas c'est méga flippant !". Quel acteur faut-il être pour déballer de telles tirades sans ruisseler de larmes ? Ce film est un feu d'artifice qui a pour maître artificier Nicolas Cage, et il en ressort brûlé vif. On a réussi à se donner envie de le re-télécharger.


Prédictions d'Alex Proyas avec Nicolas Cage et Rose Byrne (2009)

Gwendoline

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J'ai l'honneur de vous présenter mon Indiana Jones 4à moi ! Ah oui c'est une merde, mais pas plus que le véritable quatrième volet de la chère série de notre enfance. Ce gros navet de Just Jaeckin, qui porte le nom infect de son héroïne, Gwendoline, est un film d'aventure très vaguement érotique. C'est mon Indiana Jones 4à moi. Un film d'aventure et d'action avec un acteur, Brent Huff, qui ressemble à Johan Elmander, une actrice principale, Tawny Kitaen, tout droit sortie du Crazy Horse, une actrice secondaire, Zabou, dans un de ses premiers rôles, que la réalisatrice de Se souvenir des belles choses essaie à toute force d'oublier, et puis derrière eux des tas de chinois, un désert, des gros africains cannibales, une cité engloutie et un peuple inconnu exclusivement féminin composé d'amazones sectaires des temps modernes dont la Reine n'est autre que Bernadette Lafont. Inutile de dire qu'on préfère se rappeler d'elle chez Truffaut ou Chabrol. Assez gros budget bizarrement pour ce film de série Z, et pourtant ça sent la misère. Mais y'a un ou deux trucs drôles et quelques nichons dans ce nanar, dont ceux de Zabei Broutman. Et c'est quand même mille fois mieux qu'Indiana Jones 4 !


Gwendoline de Just Jaeckin avec Tawny Kitaen, Brent Huff et Zabou Breitman (1984)

Resolution

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Drôle de film que ce Resolution. Présentée comme un film d'horreur, cette œuvre inclassable co-signée Justin Benson et Aaron Moorhead s'est faite remarquer à différents festivals de films indépendants avant de débouler sur la toile, accompagnée d'une réputation enviable et grandissante. A l'image de films de genre récents comme The House of the Devil et The Pact, Resolution ne connaîtra sans doute pas les honneurs d'une sortie en salles. Allez savoir pourquoi. Peut-être le film a-t-il été jugé trop exigeant, trop singulier et trop intéressant par rapport aux sorties horrifiques habituelles ? On se le demande. Heureusement, des chemins de traverse plus ou moins recommandés existent encore pour réussir à mettre la main sur de telles étrangetés. C'est avec un vrai plaisir et un certain sens du devoir que l'on se charge ensuite de participer à leurs belles petites renommées...




A la lecture du pitch et à la vue d'une de ses affiches, je redoutais pourtant le pire, ou en tout cas, un film pas du tout pour moi, louchant plutôt du côté du torture porn bien dégueu que vers celui de ce que l'on pourrait appeler l'horreur intello. J'imaginais en effet un nouveau film de séquestration comme il y en a eu tant ces dernières années. J'avais tout faux ! Vraiment tout faux ! Et heureusement... Resolution nous narre l'histoire d'un gars, prénommé Michael (Peter Cilella), qui décide d'employer une méthode radicale pour sauver son meilleur pote, Chris (Vinny Curran), de son addiction à la drogue. Michael se rend un beau matin dans la baraque abandonnée que squatte son ami, puis le menotte par surprise à un tuyau, bien éloigné de sa came, le condamnant, pour son bien, à la sobriété totale, tout en s'occupant de ses besoins primaires. Alors que l'on peut logiquement craindre que ce point de départ donne lieu à un huis clos sadique opposant les deux hommes, une bobine d'horreur tendue et éprouvante où la terreur mentale nous ferait patienter avant une confrontation physique violente, Resolution surprend complètement dans tous les choix qu'il décide de prendre à partir de sa base. C'est bien simple : rien n'est ici prévisible. On dirait que ses deux auteurs se sont donnés comme premier objectif de systématiquement nous amener là où on ne s'attend pas, avec une règle d'or, celle de toujours nous surprendre de la plus étrange, mais étonnamment cohérente, des manières.




Perdue dans les bois au milieu des collines, écrasée par un soleil de plomb permanent, la baraque insalubre et délabrée qui abrite nos deux hommes ne s'avérera ni hantée par un douloureux passé remontant à la surface ni encerclée par de dangereux dégénérés comme il est de coutume d'en croiser dans les films d'horreur dès qu'ils s'éloignent un peu trop des villes. Elle est par contre située en plein cœur d'une réserve indienne et rôdent aux alentours les membres d'une secte d'illuminés dans l'attente de la venue du Messie. Un hôpital psychiatrique, d'où fuguent régulièrement quelques patients mal lunés, est également implanté non loin, et il paraîtrait qu'une équipe de scientifiques français aurait récemment quitté les lieux dans l'urgence, abandonnant tout leur matériel sur place. Dans ce contexte, Michael découvre un à un des indices de plus en plus étranges et inquiétants, qui semblent lui être destinés... On ne peut pas vraiment en dévoiler davantage sur un scénario dont les contours restent longtemps très flous.




Une fois le film achevé, on repense très vaguement à La Cabane dans les bois, en se disant que Resolution est environ mille fois mieux et, surtout, plus intelligent. Puis on se dit que ce serait ne pas rendre hommage au travail de Justin Benson et Aaron Moorhead de comparer et rapprocher leur œuvre déroutante du bric-à-brac horrifique lourdingue produit par le vilain Joss Whedon. Mais, de la même façon que le film de... de ? Attendez une seconde que je retrouve le nom de cet empaffé sur Google... De la même façon que le film de Drew Goddard, donc, Resolution propose une métadiscursivité qui joue directement avec les connaissances des spectateurs. A la grande différence que, ici, tout cela est construit avec subtilité et finesse, sans facilité, sans effet tape-à-l'oeil, sans donner la désagréable impression qu'on flatte bassement le spectateur pour s'assurer mochement sa complicité. L'aspect "film dans le film" participe dans Resolution au malaise diffus créé par les deux réalisateurs, il amène une réflexion, un doute persistant, on se dit qu'il y a quelque chose à creuser là-dedans, et que le film gagne peut-être à être revu sous cet angle, car cet aspect-là, on ne le découvre que progressivement, comme la piste la plus sûre ouverte par les auteurs. Vous remarquerez aussi que je n'ai repensé au film de Drew Goddard qu'après, pas pendant. Devant Resolution, je n'avais pas vraiment de repère, puisque ses deux auteurs s'amusent à nous laisser deviner un tas de pistes qu'ils n'explorent pas, volontairement, préférant les abandonner à l'imagination du spectateur habitué, en pleine confusion.




A la différence de La Cabane dans les bois, l'aspect métadiscursif n'est donc pas ici un concept de base roublard agissant simplement comme de la poudre aux yeux et tenant en réalité le rôle d'un pur prétexte pour éliminer une bande de jeunes cons dont on se fout éperdument. A ce sujet, les deux personnages centraux de Resolution sont peut-être une des plus grandes réussites du film. On croit sans effort en l'amitié de ces deux types, de plus en plus attachants à mesure que le film avance. On s'amuse des anecdotes passées qu'ils échangent entre eux pendant les rares moments de sérénité. On rigole même parfois aux dialogues placés dans la bouche du gros camé, joué par un acteur barbu très en verve, Vinny Curran. Bref, ce sont deux vrais personnages qu'on tient-là, et que l'on suit avec un vif intérêt. Nous sommes donc d'autant plus inquiets quant à leur destiné très incertaine. A la fin du film, nous les quittons hébétés, bousculés, mais clairement sous le charme de l'habileté et de l'audace avec lesquelles le duo Benson et Moorhead les a menés au but, tout en nous menant par le bout du nez, avec trois fois rien mais plein d'idées, et via une mise en scène d'une étonnante fluidité. Plus qu'un film de petits malins malgré son scénario retors qui fera forcément des insatisfaits, Resolution apparaît à l'évidence comme une vraie bizarrerie qui gagne à se faire connaître.


Resolution de Justin Benson et Aaron Moorhead avec Peter Cilella, Vinny Curran et Bill Orbest Jr. (2013)

Massacre à la tronçonneuse 3D

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Si on se réfère seulement au titre original, Texas Chainsaw, on pense qu'on va avoir affaire à l'histoire d'une tronçonneuse venant du Texas. En réalité, il s'agit bien sûr d'une nouvelle déclinaison du massacre culte de Tobe Hooper, la 7ème d'une franchise revigorée par le succès du remake sorti en 2003. Cela commence ici de façon accrocheuse puisqu'on nous propose une suite directe du film de Tobe Hooper et on démarre exactement là où il s'arrêtait. On déchante très vite lorsqu'on se rend compte que cette introduction idiote et incohérente par rapport à l'original est un simple prétexte pour faire un bond de vingt ans en avant. On se retrouve donc en 1994. Une jeune fille, devenue grande et bustée, récupérée sur les lieux du massacre dans les bras de sa mère à l'agonie, apprend, sans qu'on réussisse à comprendre comment, qu'elle est la dernière héritière de la famille Sawyer (c'est-à-dire la famille de dégénérés de l'opus original). Cet héritage comprend une immense bâtisse remplie d'argenterie ainsi qu'un sous-sol dans lequel vit reclus son cousin Leatherface. Mais ça, elle ne le sait pas encore. Ni une ni deux, désirant changer d'air car étouffée par ses parents adoptifs et un métier qui ne lui plaît pas, la jeune femme décide de prendre la route avec quelques amis en direction de cette nouvelle propriété dont elle ignore le lourd secret.




Un mot sur la reconstitution historique qu'implique le scénario situé au milieu des années 90. Tourner en 2012 un film dont l'action se déroule en 1994 implique peu d'effort mais une certaine vigilance. Il faut par exemple utiliser des véhicules d'époque et bannir toute communication simplifiée entre les individus par le biais des téléphones portables. Bien entendu, devant un tel film, on ne prête pas spécialement attention aux détails. On est même prêt à faire fi de petites incohérences peu gênantes. On remarque ici avec bonheur que les acteurs sont tous vachement bien vieillis, c'en est même bluffant. Le mini-van Volkswagen de la bande de jeunes est quant à lui tout à fait raccord. Bref, tout va bien, aucune bourde à signaler, jusqu'à ce qu'un flic, profitant de la 4G, sorte son Iphone 5 pour filmer et montrer en temps réel la visite du sous-sol où vit Leatherface à ses collègues qui, de leur côté, suivent tout ça sur une tablette tactile dernier cri ! Ça craint... Texas Chainsaw 3D se situe donc en réalité à une époque hybride, dans un univers parallèle.




On passe tout le film à espérer voir une paire de boobs, et on est relativement déçu. L'actrice principale, Alexandra Daddario, ne manque pas d'arguments, notamment deux situés entre ses épaules, à la croisée diabolique du chemin menant du menton au nombril. Lorsqu'elle court, l'actrice justifie son embauche. Lorsqu'elle se met de profil, aussi. Malheureusement, les américains ont un gros problème avec l'érotisme, puisque dans ce film, on nous montre les pires horreurs (découpage en deux à la tronçonneuse d'un type suspendu à un crochet de boucher, défonçage d'une tronche à coups de marteau, déchiquetage d'un mec dans un hachoir géant, etc), par contre, pas un seul bout de téton à l'horizon. Ce genre de parti pris contribue à me rendre mélancolique.




A une époque, on avait dans ces films du faux sang et des vrais seins. Maintenant, c'est l'inverse : ce sont des faux seins et du vrai sang. En tout cas, ça en a tout l'air.  Néanmoins, je veux croire que l'actrice principale est encore 100% naturelle, même si la pudibonderie du film m'a empêché de me faire une idée précise et arrêtée sur la question. Le nom de famille d'Alexandra Daddario la destinait dès la naissance à porter un double D. Ses seins sont capables d'étouffer n'importe quel être humain par suffocation, mais cette capacité n'est malheureusement jamais utilisée dans ce film. Un film qui, contrairement au remake de 2003, semble avoir oublié que la raison principale pour laquelle on regarde de tels slashers, c'est pour voir courir des nénettes bien gaulées et espérer apercevoir leur anatomie de manière suffisamment explicite. Au lieu de ça, on essaie régulièrement de nous faire sursauter à coup de jump scares insupportables et les personnages crèvent un à un, sans qu'on en ait jamais quelque chose à faire, dans des mises à mort sans originalité, car oui, c'est bien cela qu'on est amené à juger quand on regarde un tel film : la qualité et l'originalité des meurtres.




Texas Chainsaw 3D est ponctué de rares effets 3D qui nous rappellent les effets 3D des films "3D" des années 80. On espère donc que le sort des films 3D de notre époque rejoigne à présent le sort des films 3D des années 80. Beaucoup de D donc, dans un film obsédé par le double D de son actrice mais qui n'en fait rien, et que j'ai aussitôt dégagé de mon dd externe après me l'être fadé. Horriblement bête et moche, ce nouvel opus enfonce encore davantage la franchise et la fait plus que jamais ressembler à son personnage emblématique, Leatherface.


Massacre à la tronçonneuse 3D de John Luessenhop avec Alexandra Daddario, Dan Yeager et Scott Eastwood (2013)

La Fille du puisatier

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Je me souviens que quelques semaines avant la sortie de ce film, un journal sur une chaîne de télévision hertzienne diffusait un mini-reportage intitulé "Daniel Auteuil, metteur en scène". Pour sa première réalisation, Daniel Fauteuil a choisi de tout miser sur l'audace et la fraîcheur en adaptant un roman de Pagnol déjà adapté au cinéma par Pagnol lui-même en 1940. C'est un peu salop de ma part de l'attaquer sur l'aspect pas méga original voire légèrement rance et totalement casse-gueule de sa première réalisation, car au fond je l'aime beaucoup Daniel Auteuil, et je comprends bien qu'il ait voulu laisser parler son désir ancré de vieille Galinette en s'investissant dans un projet qui lui tenait à cœur, même si ledit projet lorgnait d'avance vers le téléfilm sans intérêt atrocement mal interprété qu'il s'est bel et bien révélé être... Pagnol est l'auteur par lequel Auteuil a débuté sa grande carrière, dans Jean de Florette puis Manon des sources. C'est l'auteur, quand même, qui lui a permis de devenir une star hexagonale ("hexagonale" parce qu'il est Français et parce qu'il a une tronche à angles droits et à six côtés). Pagnol lui a donné l'opportunité d'être l'époux d'un temps d'une Emmanuelle Béart au faîte de sa beauté. Danny Auteuil revient donc à Marcel Pagnol en adaptant La Fille du puisatier pour sa première expérience derrière la caméra et sa millionième expérience devant, aux côtés d'un Kad Merad benêt prêt à faire étalage de l'étendue de son immense absence de talent pour remplacer Fernandel, tandis qu'Auteuil himself, au four et au moulin, remplace Raimu au pied levé.


"Oh pute vierge que c'est beau vé !"

Grâce à ce reportage, on pouvait avoir un aperçu du tournage de ce film. C'était le jour où Auteuil s'apprêtait à tourner cette scène où le héros du film, Kad Merad, affublé d'un uniforme de poilu et d'un accent marseillais piteusement surjoué, prend le train des conscrits pour partir à la guerre. Kad Merad n'est pas encore sur le front mais le massacre a déjà commencé quand on le voit coucher les oreilles et les yeux (sa ganache d'une élasticité horrible permet de jouer ça sans forcer), une gambas dans le train, l'autre hors du wagon et à deux doigts d'y rester à tout jamais quand le train démarre en trombe. Sur le quai, les familles éplorées chialent devant le train, monument aux morts sur rails. Double monument aux morts d'ailleurs, qui enterre aussi le cinéma avec lui, et toute la famille Lumière d'un coup. Car on a pu voir Daniel Auteuil aux manettes ! Assis derrière son combo, dirigeant du bout du nez (dans son cas on parle quand même de deux mètres de blair) ses acteurs et ses techniciens, assurant avec une concentration maximale la direction d'un plan dit "de coupe". Un plan coupé à la serpe. A l'image, on découvrait alors ce fameux plan mitonné par notre acteur chéri, ce plan qu'on a tous vu au bas mot un milliard et demi de fois, ce cliché visuel éternel, le plan serré qui balaye les mains des soldats tendues hors du train et touchant presque celles, dressées en l'air, des gens restés sur le quai. Les bras sont coupés aux épaules (façon de parler, la guerre n'a pas encore commencé), la caméra est à côté du train qui défile et filme sur fond de ciel gris toutes ces mains qui s'effleurent. C'est beau ma parole. Et Daniel Auteuil, notre idole, de frapper dans ses mains en hurlant : "Coupez… coupez… coupez… ÇA ! ÇA, c'est magnifique…". C'était apparemment le premier jour de tournage et on savait déjà que Daniel Auteuil, acteur cher à nos cœurs, s'apprêtait à devenir un réalisateur de merde. Depuis le film est sorti, je l'ai vu, car j'aime à ce point Daniel Auteuil, et j'en reste convaincu.


La Fille du puisatier de Daniel Auteuil avec Daniel Auteuil, Kad Merad, Jean-Pierre Darroussin, Sabine Azéma et Nicolas Duvauchelle (2011)

La Chute de la maison blanche

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Les films Antoine Fuqua, des films qui fondent dans le cul, pas dans les doigts.


La Chute de la maison blanche d'Antoine Fuqua avec Gerard Butler, Aaron Eckhart et Morgan Freeman (2013)

Pacific Rim

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Guillermo Del Toro a encore frappé. L'homme aux mille projets en a mis des tonnes de côté pour se consacrer pendant cinq ans à celui-ci. A celui-ci ! Le chouchou des fanzines, qui chope les journalistes à coups de petites confidences sur l'oreiller et de mini croquis croqués sur son carnet Ben, a décidé de miser les 200 millions de dollars que les studios lui ont confiés pour filmer un spin off de Transformers. Quel est son secret ? Les collectionneurs de cartes Kaiju ont entre 18 et 30 ans et pullulent sur la blogosphère. Quel est son secret ? Del Toro jouit d'une réputation unique dans la catégorie des réalisateurs de films de genre, et il n'est apparemment pas prêt d'être déboulonné. On a pas mal réfléchi à ça sur ce blog, on a émis plusieurs hypothèses dans nos articles précédents, notamment sur ses talents de chef cuistot et de roi du burrito. Il y a des gens auxquels on ne résiste pas, dont on devient le meilleur ami aussitôt qu'on les croise. En général ces gens-là en profitent pour devenir dictateurs. Del Toro en profite pour faire du ciné. Dans les deux cas c'est de l'abus, mais ça se pige à mort. Une chose est sûre, les critiques ciné qui ne l'ont jamais croisé se félicitent d'avoir échappé à son charme, et chialent en même temps d'avoir loupé ce festival humain. Étant donné que je ne l'ai pas rencontré, vous tenez-là un des rares papiers objectifs sur ce film !




Pacific Rim a un mérite, il tient ses promesses. Le film promettait de grosses scènes d'action toutes numériques opposant des robocops géants, mélanges de Goldorak et de Transformers, les Jaegers, à des avatars de Godzilla et de son pote Ebirah, les Kaijus, gigantesques créatures extra-terrestres surgies des profondeurs via une faille spatio-temporelle située, comme le titre l'indique, dans le Pacifique Rim. Et on y a droit. Les combats sont longs et sont nombreux. Et si on apprécie les bastons aux poings entre des monuments de chair ou de métal impressionnants, on en a pour son argent, même si les séquences de bagarre ont toutes lieu la nuit et sous la pluie, ce qui est un peu facile et assez dommage, d'autant qu'elles ne sont pas toujours très lisibles, et même si les incohérences pullulent, comme du reste dans l'ensemble du film. Car Pacific Rim tient son autre grande promesse. Il promettait d'être très con. Et il l'est aussi.




Outre son scénario simplet, ses dialogues écrits à la truelle, son discours douteux sur le nucléaire (c'est dangereux, on en meurt, mais ça peut être bien pratique et notre salut pourrait bien passer par là… discours déjà servi récemment par Oblivion, qui légitimait et vantait aussi les mérites du clonage), la connerie du film passe principalement dans la somme de clichés qu'il enfile, des clichés grossiers et lourdingues à souhait. Certains critiques ont parlé d'originalité. Je me demande si on a vu le même film. Tout dans le script, ce script qu'on nous a servi des millions de fois et qui a déjà notamment porté le nom d'Independance Day (le look des méchants aliens de l'autre côté de la faille y fait directement penser), pue le mâché et le remâché. Faisons la liste (non-exhaustive) de l'étendue des dégâts, pour en finir : le héros (Charlie Hunnam), ex-gloire de la nation et de la natation, a perdu une bataille et son frère chéri par la même occasion, puis a subi une longue traversée du désert avant qu'on fasse à nouveau appel à lui et à ses talents hors-normes de tête brûlée. Sa partenaire (la charmante Rinko Kikuchi) est une femme, il en fallait une, c'est une chinoise, l'histoire se passant dans le pacifique, il en fallait un (mais un seul, ça suffit, tout le monde reste américain, même à Hong-Kong), qui doit se battre pour avoir sa place dans un jaeger, et qui finit par la gagner car elle est la meilleure à son poste, parce qu'elle a perdu toute sa famille à cause des monstres quand elle était petite, d'où son désir de vengeance, et parce que c'est le chef noir américain de l'actuelle base des jaegers, ex-pilote de jaeger lui-même, qui l'a sauvée et qui l'a élevée (l'image du flashback où on le voit sortir de son jaeger au ralenti et à contre-jour face à la petite chinoise, sur fond de coucher de soleil, est à gerber).




Le chef noir justement (Idris Elba, qui enchaîne après ses rôles dans Thor et Prometheus, mais qui est intouchable depuis qu'il a joué dans The Wire), parlons-en, cet ancien héros de guerre devenu papa poule adoptif avant de se convertir chef d'état-major de la base des mickjaegers puis chef de la résistance (quand le gouvernement a destitué les jaegers au profit de la construction d'un mur de trente mètres de haut fait de planchettes de cageots et de fétus de paille pour repousser des monstres indestructibles hauts comme dix buildings…). Ce sera "le dernier debout" selon ses propres mots, car bien sûr il se sacrifiera à la fin après un beau discours sur la lutte contre l'apocalypse (aucun spoiler, on le sait avant même d'avoir vu le film). Il y a aussi le rival du héros (Rob Kazinsky, qui joue presque dans The Office), qui se croit plus balèze que la star du film, le rabroue, le provoque, se fait ruiner la gueule, puis quand le héros le sauve il finit par l'applaudir, car ce sont deux collégiens qui trimballent certainement plein de revues sur les grosses cylindrées dans leurs sacs Eastpack. Le chef black à moustaches le qualifie lui-même de "connard égocentrique en conflit avec l'image du père", avant d'ajouter "c'est un cas typique…". Bien vu. Le père de ce fameux "connard" l'aime malgré tout et lui fera une belle déclaration d'amour filial avant la fin. Que dire en revanche du braconnier en bottes de cuir avec balafre au visage et râtelier en or, interprété par un Ron Perlman de circonstance, aux trente-sixième dessous, impatient de se ridiculiser encore plus dans le prochain Hellboy de son pote Del Toro. Et puis, le pompon, les scientifiques. Les chercheurs sont deux, un geek tatoué et vaguement hystérique d'un côté (Charlie "it's a bad bad" Day), un jeune vieux de l'autre (Burn Gorman), avec une coiffure de savant fou nazi, un rictus de freak et une canne, car il a aussi une jambe de bois… Je n'aurais franchement pas cru revoir un jour un clicheton aussi pitoyablement gratiné dans un blockbuster hollywoodien, nulle part ailleurs en fait que dans un film pour gosses ou une parodie. Et pour porter ces personnages en plâtre, un chapelet de comédiens de seconde zone, tous assez mauvais, qui chlinguent de ouf, de l'acteur principal Charlie Hunnam (qui aurait pu être remplacé par Chris Hemsworth, un autre blond avéré déficient mental), dont les épaules décrivent des moulinets terribles dans l'air à chaque pas, quand il marche les pouces dans le jean comme un demeuré, à Burn Gorman, le triste type qui joue le mathématicien boiteux, qui mérite de recevoir des jets de pierre à toutes les avant-premières pour son hideuse performance.




Un jeu stéréotypé pour incarner des personnages-balises dans une histoire bien banale qui réunit tous les lieux communs du genre. Et Guillermo Del Toro, co-scénariste de l'affaire, auteur à part entière de ce film qu'il présente comme son bébé en mimant un mouvement de berceau avec les bras, ne s'interdit aucun raccourci, le plus criant étant celui-ci : les pilotes de jaegers doivent aller par paires pour se partager la décharge neuronale nécessaire à la conduite d'engins gigantesques. Leurs cerveaux sont alors reliés dans la "dérive" (?) et la connexion s'opère via les souvenirs partagés par le binôme. Del Toro ne fait rien de cette idée, qui ne lui sert qu'à balancer à intervalles réguliers des flash-backs bien pratiques et bien pathos sur la perte douloureuse d'un frère ou le traumatisme infantile d'une attaque de Kaiju… Et quand le réalisateur ne perd pas son temps dans ces souvenirs superflus qu'il croit émouvants, il le perd dans des scènes bien inutiles et bien risibles, comme celle de la sélection de la partenaire du héros, où ce dernier se bat sur un tatami avec la jolie chinoise à grand renfort d'arts martiaux et de répliques cinglantes bien placées. Del Toro nous trimballe d'une scène débile à l'autre en nous assommant au passage par des scènes d'action bruyantes, au lieu de mieux travailler à nous immerger dans le monde futuriste qu'il essaie de créer. Quitte à ne pas vraiment l'habiter, et si de plus vous n'êtes pas suffisamment sensibles aux effets spéciaux et aux combats de catch entre géants dans l'océan, je vous recommande de voir le film en considérant que la base des jaegers n'est autre que l'Olympique de Marseille, et que Stacker Pentecost, le chef de la base, aka Idris "Adis Ab" Elba, est Pape Diouf. La scène où il dit au héros, qui vient de lui tirer sur le bras pour le forcer à l'écouter : "Premio, vous ne me touchez plus jamais. Deuzio, vous ne me touchez plus jamais", a dû avoir lieu un paquet de fois dans la Cité Phocéenne. Pape Diouf, ça c'est un géant.


Pacific Rim de Guillermo Del Toro avec Charlie Hunnam, Rinko Kikuchi, Idris Elba, Rob Kazinsky, Ron Perlman, Charlie Day et Burn Gorman (2013)

Les Schtroumpfs

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Hier soir je suis passé voir mon ami le Tank. Son appartement sans fenêtre était plongé dans l'obscurité et le silence le plus complet. Possédant un double de ses clés depuis qu'il m'a chargé de venir nourrir quotidiennement Hervé, son boa constrictor, avec lequel il est en froid, j'ai pu entrer chez lui par la grande porte et sans bruit. Je l'ai alors découvert dans son fauteuil roulant, devant son ordinateur de bureau, les yeux rivés sur son écran, lequel diffusait dans son T1 bis une lumière blafarde en accord avec son teint. Il surfait sur le net et, d'un geste de la main sans équivoque, il m'a fait comprendre qu'il ne voulait pas être dérangé. Je me suis donc installé sur son canapé et j'ai branché sa console. Quelques longues minutes plus tard, tandis que je dégommais coyotes et tatous à Red Dead Redemption, le Tank m'a fait sursauter. Il a soudainement gueulé : "Oh putain Les Schtroumpfs en dvd-rip true french ! Oh putain !". L'imprévisible Tank était apparemment ravi de découvrir que le film d'animation mettant en scène les créations de son idole Peyo était enfin disponible en téléchargement et en véritable version française doublée. Le Tank déteste les films doublés en québécois, ça lui rappelle sa terrrrible mission suicide pour le compte du FBI dans l’Outaouais. Cette mission qui l'a fait voyager à la frontière de la raison, le Tank a tenu à me la raconter après m'avoir envoyé au SPAR pour lui apporter son "carburant" comme il aime à appeler la 8-6. Pour utiliser un euphémisme, son histoire m'a fait froid dans le dos, et pour cette raison je voulais partager mon irrémédiable trauma avec vous. Insondable et terrible Tank, capable d'énucléer un grizzly avec une cuillère à café uniquement pour mettre au point un roulement à bille de fortune...


Les Schtroumpfs de Raja Gosnell avec le schtroumpf libidineux qui mate le décolbard en 3D de Katy Perry (2011)

Spéciale première

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Antépénultième film du grand Billy Wilder, Spéciale première (The Front Page) ressort actuellement sur les écrans, l'occasion de redonner une chance à cette excellente comédie descendue par la presse américaine à sa sortie. Vingt-trois ans après Le Gouffre aux chimères, Wilder s'en prend de nouveau au journalisme, sur le ton très affiché cette fois-ci de la comédie satirique, en reprenant et en remaniant le texte d'une pièce de Ben Hecht (grand scénariste hollywoodien et collaborateur notamment de Hawks, Preminger ou Hitchcock) déjà adaptée deux fois au cinéma, en 31 par Lewis Milestone et en 40 par Howard Hawks dans l'hilarant La Dame du vendredi, screwball comedy d'une efficacité hallucinante menée tambour battant par Cary Grant et Rosalind Russell. Wilder, qui tourne Spéciale première en 1974, après les insuccès consécutifs de La Vie privée de Sherlock Holmes et de Avanti !, est alors un cinéaste déprimé en fin de carrière. Les entretiens tardifs de l'artiste dévoilent un homme nostalgique de sa grande époque, amer vis-à-vis d'une critique et d'un public cruels, un artiste jaloux même, de certains de ses pairs et du succès de la génération montante du Nouvel Hollywood.




Et en effet, The Front Page, comédie classique au duo d'acteurs vieillissant (les rôles titres reviennent au tandem génial formé par Jack Lemmon et Walter Matthau), dénote si on le replace dans son contexte, celui des années 70 et de sa grande vague de films modernes, révisionnistes et pessimistes. Imaginez la sortie de cette comédie de Wilder au milieu d'Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia de Peckinpah, Le Parrain 2 de Coppola, Cockfighter d'Hellman, Thunderbolt and Lightfootde Cimino et The Parallax View de Pakula. Ceci étant, si le film de Wilder est clairement l'intrus, il n'est pas totalement en reste en matière de subversion et de férocité. Wilder s'en prend avec virulence au monde des médias en nous présentant un chapelet de journalistes tires-au-flanc qui se volent les scoops sans vergogne et sont prêts à tout pour faire la une, y compris à voler l'image d'une exécution pour exciter la plèbe, à laisser mourir un condamné à mort possiblement innocent pour vendre du papier (par quoi se rappelle à notre mémoire l'odieux Charles Tatum du Gouffre aux chimères) ou à regarder une malheureuse prostituée se jeter par la fenêtre. Et Wilder ne s'arrête pas là dans la peinture corrosive d'une société pourrie (rappelons que le film sort peu après le scandale du Watergate), ce sont plus ou moins tous les cadres de la société civile qui en prennent pour leur grade, de la justice aux politiques en passant par la police, avec, pour le maire de la ville et le shérif local, des portraits particulièrement chargés. Le cinéaste et son scénariste attitré, I.A.L. Diamond, qui s'en prennent aussi aux institutions telles que la peine de mort, ont par ailleurs sensiblement adapté la pièce de Ben Hecht à une certaine liberté d'expression permise par l'époque, dans le choix des mots et dans le fond du propos, car le film est aussi l'histoire d'une relation homosexuelle.




Un journaliste, Hildy Johnson (Jack Lemmon), annonce à son ami et patron, Walter Burns (Walter Matthau), qu'il plaque tout pour aller se marier et s'installer à Philadelphie, où un poste de publicitaire pourvu par son futur beau-père l'attend. Hawks avait détourné la base de l'intrigue de la pièce de Hecht pour faire du journaliste sur le départ une journaliste, et pour en faire l'épouse du patron venue lui annoncer sa démission et leur séparation du même coup. Wilder et Diamond reviennent au duo masculin original et traitent directement de l'homosexualité masculine, thème crucial du scénario qui passe par tout un tas de sous-entendus plus ou moins distingués au sujet des publicitaires, des auteurs de poésie ou de l'un des journalistes de la bande en marge des gratte-papiers véreux, vieux dandy poète élégant et un rien supérieur.




Jack Lemmon ne se travestit pas comme dans Certains l'aiment chaud, mais une scène en particulier se veut très explicite quant à la relation peu ambigüe que son personnage entretient avec celui de Walter Matthau. C'est d'ailleurs la meilleure scène du film, où Hildy, surexcité par l'évasion d'un condamné à mort recherché par toute la ville qu'il a la veine de tenir sous la main, ne peut s'empêcher de reprendre du service pour la plus grande joie de son patron Walter Burns. Le journaliste, sous le coup du scoop, remet sa démission à plus tard et se lance dans l'écriture compulsive d'un article massue, accaparé par sa machine à écrire, complètement absorbé dans sa tâche, éructant de plaisir sous le regard désolé de sa future femme (interprétée par une toute jeune et toute belle Susan Sarandon) qu'il n'entend même plus tandis que son ami Walter lui met une cigarette à la bouche et pose sa main sur son épaule en opposant à sa rivale un air vainqueur. Les sous-textes homosexuels n'étaient pas totalement absents du cinéma hollywoodien classique, et la cigarette partagée en plein acte sexuel de substitution rappelle évidemment l'ouverture de La Corde de Sir Alfred Hitchcock, où John Dall allumait une cigarette à Farley Granger après le meurtre de leur ami David Kentley. Mais cette relation masculine privilégiée devient quasiment le sujet principal de Spéciale Première (c'était du reste un sujet cher à Wilder, qui l'avait déjà beaucoup plus discrètement abordé, notamment dans La Vie privée de Sherlock Holmes). Le film est une critique de la mesquinerie du journalisme et de la corruption des responsables, une réflexion sur l'addiction au travail contre le mariage, et l'histoire, drôle et subtile, d'une relation homosexuelle exclusive et du combat d'un homme pour récupérer celui qui lui appartient coûte que coûte. L'ultime rebondissement du film est à ce titre aussi grinçant que savoureux, et achève le bel ouvrage de Wilder sur une de ces pointes d'humour dont il avait le secret.


Spéciale première de Billy Wilder avec Jack Lemmon, Walter Matthau, Susan Sarandon, Vincent Gardenia, David Wayne, Austin Pendleton et Charles Durning (1974)

District 9

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Récemment ce cher Spike Lee a publié sa liste des 86 films indispensables à tout cinéaste en herbe. Soit, parce que ça revient au même, des 86 meilleurs films du monde selon lui. Comme devant la plupart des listes du genre, on a envie de s'arracher la tronche en la lisant. D'abord, pourquoi 86 titres et pas 100 ? N'est-ce pas un aveu ? Spike Lee, réalisateur méritant, n'a sans doute pas pu aller plus loin malgré 86 nuits sans dormir (il trouvait un film important par nuit, à chaque fois à l'aube, d'après ses dires). N'a-t-il vu en tout et pour tout que 86 films dans sa vie ? Et il donne des cours dans une grande école de ciné, celle de New-York, rien de moins, ça fait réfléchir. Y'avait pas mal de bogues dans sa liste qui plus est. L'homme nous place Dirty Pretty Things de Stephen Frears, Big Mamma de Raja Gosnell, Kung Fu Panda de Stephen Chow et Rasta Rockett de Jon Turtletaub, soit pas mal de films de renois mais pas l'ombre d'un Renoir, pas le soupçon d'un Murnau ou d'un Ophuls, pour ne citer qu'eux. Pas l'ombre d'un Jan de Bont non plus... 




Que fait-on quand on est étudiant face à ça, et que le prof exige qu'on ait vu la moitié de sa liste avant la fin du premier semestre ? Spike Lee doit faire partie de ces profs qui se ruinent pour l'année dans un premier cours démarré sur des charbons ardents. Point positif pour Spike Lee, il se traîne une réputation de pur dirlo de recherche. L'homme répond aux mails. Il les lit, puis il répond. Un pur dirlo. C'est quelque chose qui n'est pas assez dit sur lui. Mais pour revenir à sa liste d'enflure, c'est typiquement celle qui finit en boule au fond du sac de cours et qu'on ressort dix ans plus tard. Elle est devenue belle, visuellement, c'est un beau papier, jauni, écorné, tâché d'encre par endroits. Après c'est toujours autant de la merde quand on lit le papelard, et on le jette en repensant à tout ce qu'il a vécu malgré lui (jour de l'an chez Rabois, pintes de bière coupée à la pisse au Bar de la Lune, déambulations dans les rues, et ainsi de suite).

Dans cette maudite liste de 86 films classés par ordre alphabétique des prénoms (ce qui n'a aucun sens, AUCUN, et Spike Lee ne se mouille pas en évitant un vrai classement par ordre d'importance. Au fait, on vient de piger pourquoi y'en a que 86, les 14 manquants sont signés Spike Lee.........), on retrouve aussi, D9, aka District 9, de Neill Blomkamp (qui a eu notre sympathie immédiate, parce qu'il nous évoquait les facéties pédestres de Dennis Bergkamp, l'un des plus grands joueurs de football de l'histoire, qui aurait pu être le plus grand s'il n'avait pas été hollandais et s'il n'avait pas été victime d'une phobie de l'avion qui l'a tenu éloigné de toutes les grandes compétitions du siècle passé. Il n'a participé qu'à une coupe du monde, la plus belle, l'unique en fait, celle de France 98, et il a réussi, après 18 heures de train éco téoz, à faire un contrôle majestueux devant le but et à crucifier le goal Carlos Roa de la plus belle des façons, une vraie danseuse étoile...).




On avait envie d'adorer District 9, qui raconte comment des extra-terrestres échoués sur la Terre vingt-huis ans en arrière ont été parqués dans un bled d'Afrique du Sud et y sont abandonnés à leur sort tandis que les humains cherchent en vain à utiliser leurs armes, d'une puissance extraordinaire mais ne répondant qu'aux aliens, du moins jusqu'à ce qu'un journaliste finisse par être contaminé et se transforme peu à peu en "crevette" de l'espace. On s'était mis à genoux devant la télé avant de le lancer. C'était l'époque où on était colocs et où chaque film maté ensemble avait droit à son cérémonial de malade. Certains impliquaient le déboutonnement de nos pantalons, d'autres une prière en direction de l'écran (et de la Mecque) dans un silence imposé. Le film de Blomkamp en fit partie. Et pourtant... La déception fut immense, surtout après avoir maté l'intégralité du film à genoux sur le carrelage. Pourtant on a une certaine marge de tolérance envers les films que l'on comprend mal ou qu'on n'arrive pas à suivre, comme La Dame de Shangaï d'Orson Welles, 2001 l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick et quelques autres, ces films auxquels on ne pige pas tout mais qu'on trouve géants. Du coup pendant tout le film de Blomkamp on a emmagasiné, puis au bout d'un quart d'heure le cérémonial s'était transformé en bazar de l'épouvante. La dimension politique du film nous a complètement échappé, déjà. Avec nos deux notions historiques, c'est pas toujours facile. On était au courant qu'un certain Nelson Mendesfrance avait combattu les blancs avec l'aide des hollandais depuis sa prison, pour finir président de la NFSEA, mais pas plus. Ce brillant homme a notamment raconté tout ça dans un épisode de En Apartheid avec Pascale Clark. Voici ce que nous savions en conjuguant nos savoirs respectifs, quitte à rompre le silence de cathédrale qu'on s'était imposés au départ, afin de s'entraider un peu.




Quant au reste, les zones d'ombre du script sont légion. La cohérence du récit est aux abonnés absents. Il y a un truc que nous n'avons pas pigé et qui nous a bien fait tiquer, c'est comment les êtres humains et les extraterrestes arrivent à communiquer ? S'ils n'y parvenaient pas, on pourrait mieux comprendre pourquoi les premiers ont choisi de concentrer les seconds dans une zone, en les traitant comme de la merde ; mais là, ils arrivent à causer, ils peuvent tout se dire, échanger sur tout, mais non, ils préfèrent s'entretuer... Les hommes arrivent à communiquer avec les aliens qui s'expriment pourtant manifestement dans un esperanto immonde digne des pires bushmen d'Australie, mais ils ignorent complètement d'où ils viennent, pourquoi ils se sont arrêtés en Afrique du Sud, pourquoi leur vaisseau est en panne, pourquoi ils ont perdu une sorte de boîte noire qui les a rendus complètement cons et désœuvrés, et au lieu de leur poser des questions (d'autant plus que les aliens ont l'air assez causants et conciliants), ils leurs balancent de la bouffe pour chat et les autopsient de longue... Autre couac : dans leur zone, les crevettes ont des armes de destruction massive, ou quasiment. Il leur suffit d'appuyer sur un bouton et ça fait tout exploser. Ils ont ça à disposition. Mais pourquoi ne s'en servent-ils donc pas pour foutre la race aux humains, ou juste ce qu'il faut pour ensuite tracer chez eux ? Suspect Y'a plein de petits trucs que nous n'avons pas pigé. Les aliens ressemblent à des crevettes monstrueuses de trois mètres de haut et ont un comportement assez violent, sans pour autant (au début du film) susciter la haine de militaires bas du front. Plus d'une fois dans le film un alien arrache un bras à un soldat par mégarde ou pour jouer et les autres marines autour regardent ça sans trop réagir, alors que logiquement ça appelle une boucherie immédiate et définitive. Enfin bref, ça ne tient pas debout une seconde ce gros merdier. Un autre truc que nous n'avons pas du tout pigé, c'est pourquoi les américains, qui veulent voir partir les aliens et se font chier à mettre en place une expulsion administrative parfaitement risible, s'échinent à empêcher ces derniers de rejoindre leur vaisseau mère pour déguerpir. Nous ne comprenons rien... Si vous connaissez les réponses à toutes ces questions, nous sommes prêts à retirer les "captcha" pour que vous puissiez poster des commentaires plus facilement.




Nous en tout cas on a mille questions à poser à Neill Blomkamp. D'abord, pourquoi un "m" avant un "k", alors que la règle d'or veut qu'on ne mette un "m" au lieu d'un "n" que devant un "b" ou un "p", exception faite du mot "bonbon" et de pas mal d'autres mots, mais pas Blomkamp, nous avons vérifié. Ensuite on aimerait lui demander si ce film est bien, comme nous l'avons lu, une sorte de remake d'un court-métrage qu'il avait réalisé 5 ans plus tôt. Si tel est le cas c'est vraiment une histoire qu'il porte en lui depuis des lustres, un scénario qu'il a pu peaufiner pendant des années, et un message qui lui tient à cœur et qu'il veut véritablement partager avec le plus grand monde. Dans ce cas pourquoi choisir une forme cinématographique si peu amène à la communication ? Ce qui nous amène à une autre question, plus taffée de notre côté : au début du film, on est face à une sorte de collage d'images d'informations télévisées, des bouts de reportages filmés par des personnages du film, donc façon amateur, found footage. Mais ce concept, très en vogue ces dernières années, est abandonné sans préavis au beau milieu du film, au moment où le personnage commence à se transformer en crevette et même à devenir une pure gambas, car il est très con au départ de l'histoire et gagne en neurones au fil du temps. Sauf qu'aucun changement d'esthétique ne survient. On reste dans une forme télévisée suffocante. Le filmage, extrêmement épuisant en soi, à base de mouvements de caméra brusques et permanents dans des plans montés par un épileptique, reste identique. Regarder ce film c'est presque comme une après-midi passée au naked-paintball, le paintball sans protections et sans vêtements. Si vous avez des réponses à ces questions-là, idem, on vous attend dans les commentaires, mais cette fois-ci on remet les captcha. Si vous savez répondre à ça vous savez aussi recopier les trois chiffres d'une captcha.




Dans beaucoup de critiques, notamment dans celle des Cahiers du Cinéma de l'époque, on peut lire, les larmes aux yeux : "Neill Blomkamp (seulement 30 ans !)". C'est pourtant pathétique de faire un film aussi débile à déjà 30 ans, la preuve c'est qu'il l'a écrit 5 ans plus tôt, donc qu'il a eu l'idée 10 ans plus tôt, et avoir une telle idée à 20 ans c'est déjà avoir un beau retard... Même combat pour Nolan avec Inception, Cameron avec Avatar ou Del Toro avec Pacific Rim. Ces cinéastes se vantent d'avoir eu l'idée de ces films au bahut ("et en taule" pour Del Toro), mais pas besoin de s'en réjouir, parce que ça se voit, et ils ne font que donner le bâton... On a pourtant quelques éléments de comparaison, ne serait-ce que le plus fameux : Orson Welles a réalisé Citizen Kaneà 26 ans. On peut aussi penser à Godard qui a tourné A bout de souffleà 29 ans, au Roi Pelé qui soulevait sa première coupe du monde à 16 ans, à Camille Lacourt qui levait son premier dauphin à 8 ans, et ainsi de suite.


District 9 de Neill Blomkamp avec des crevettes non-décortiquées (2009)

Adieu

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Impatient de découvrir Michael Kohlhaas d'Arnaud des Pallières, présenté à Cannes en mai et visible dans les salles aujourd'hui, je me suis lancé dans Adieu, réalisé par le même cinéaste en 2003, et dont l'affiche ne laisse pas d'étonner (je suggère un petit clic sur "rotation à droite", ça ne mange pas de pain). Film extrêmement impressionnant, Adieuévoque les thématiques de l'abandon et de l'accueil, traite de la disparition des uns et de ceux qui restent, sujets explorés à la fois à travers l'expérience de la mort d'un proche dans une famille d'exploitants agricoles et à travers celle d'un immigré clandestin algérien (Mohamed Rouabhi) qui, menacé dans son pays, est contraint de laisser femme et enfant derrière lui et tente d'entrer en France sans papiers pour y obtenir le statut de réfugié politique, le tout sur fond d'interrogation profonde sur l'existence de Dieu et de parabole biblique, via le récit par l'immigré clandestin de la vie du prophète Jonas qui, ayant désobéi à Dieu en choisissant de se rendre dans une ville plutôt que dans une autre, vit son bateau frappé par une tempête et fut jeté à l'eau, avalé enfin par une baleine qui le recracha sur sa rive d'origine.




Le thème de l'étranger étant au centre de l’œuvre - qui ne possède d'ailleurs pas vraiment de centre en termes de structure narrative - les deux récits ne se rencontrent pratiquement pas, évoluant en parallèle dans un montage extrêmement brillant qui témoigne d'une maîtrise impressionnante. Les deux histoires ne se rencontrent pas mais il s'en sera fallu de peu. Vers la fin du film, un personnage de passeur (Carlo Brandt), camionneur de profession qui est aussi l'amant de l'épouse (Aurore Clément) de l'un des frères de la famille endeuillée (Axel Bougousslavsky, découvert au cinéma dans Les Enfants de Marguerite Duras), décide de transporter des clandestins dans son engin, parmi lesquels se trouve l'immigré algérien, incarnation moderne du prophète Jonas. C'est donc logiquement un passeur qui, de très loin, tente de faire le lien entre les deux récits du film, étrangers l'un à l'autre. Mais il échoue dans son entreprise et voit avec nous le lien ténu entre les deux histoires et entre leurs personnages respectifs se rompre tragiquement. C'est l'histoire du film : les mondes (la vie et la mort, l'Afrique et l'Europe), ne font qu'amorcer une communication vouée à l'échec, impossible en soi ou sciemment empêchée. L'un des membres de la famille (Laurent Lucas), en apnée dans son bain, entend la voix de son frère mort. L'Algérien est pris en charge par un passeur jusqu'à ce que la douane s'en mêle. Et tous sombrent dans le mutisme : l'immigré se tait tout au long de son voyage, y compris quand on le recrache chez lui, même si son parcours est accompagné en voix-off par la lecture d'une lettre à sa femme, qui raconte l'histoire du prophète ; le père de famille (Michael Lonsdale) ne répond plus à ses fils et erre dans sa propriété agricole. On le voit marcher au milieu des parcs à bestiaux dans des plans qui rappellent Cochon qui s'en dédit de Jean-Louis le Tacon, film par ailleurs tout à fait autre (et unique en son genre) avec lequel Adieu partage aussi un sentiment d'étouffement, un mélange des tons, entre réalisme froid et fulgurances mystiques oniriques, et un va-et-vient entre fiction et réalité, quand Arnaud des Pallières filme la chaîne de montage d'un camion blanc, future barque du passeur d'âmes, pour ouvrir son œuvre, avant d'embrayer sur un récit double, où la part de fiction est immense car redoublée par le romanesque du mythe religieux et ancrée dans les méandres du mystique comme dans les tréfonds de la conscience.




Adieu est donc un film extrêmement riche, qui fait parfois penser au cinéma de Godard ou à celui de Desplechin, avec ce recours aux textes sacrés, aux grands mythes et à une voix-off envoûtante posée sur des images travaillées en profondeur par la lumière et par les couleurs, avec ce récit multiple aussi, faisant le portrait d'une famille en crise suite au décès de l'un de ses membres et dressant le constat d'une foi profondément remise en question (à travers le personnage du prêtre joué par Thierry Bosc). Et comme chez les deux immenses cinéastes français cités, le poids spirituel du projet et sa structure très organisée pourraient le faire passer pour prétentieux ou écrasant si on ne retrouvait pas dans le film d'Arnaud des Pallières une forme de simplicité dans l'adresse directe aux sens du spectateur qui en passe par un énorme travail formel, sur chaque plan sans exception, et qui porte de bout en bout un film aussi vivement intelligent que profondément poétique. On est sans cesse fasciné par tout ce qui se passe dans l'image et dans la bande sonore. Le cinéaste, mêlant le prosaïque et le sacré, parvient à donner à l'un les qualités de l'autre dans une unification qui restitue au monde sa structure. Et la progression même du film (le camion qui sort de l'usine au début servira de transport au passeur à la fin) sert moins d'effet d'annonce ou de pirouette scénaristique que de métaphore à la construction même d'un récit, en même temps qu'elle permet à cet objet si banal, technique, pratique qu'est un poids-lourd de devenir, ainsi présenté en amont de tout indice narratif, et dès lors de rester à tout jamais un pur objet de fascination et de puissance esthétique. C'est quasi hypnotique quand Arnaud des Pallières touche à l'expérimental (dans la scène du cimetière, où l'image est comme démultipliée sur elle-même), mais aussi quand il filme ce simple, ce bête camion blanc en travelling latéral au sortir d'une chaîne d'assemblage. Le soin apporté aux puissances d'impression rétinienne et d'envoûtement inconscient via de pures relations audio-visuelles rappelle le dernier film de Chantal Akerman, La Folie Almayer, qui compte parmi la poignée des très grands films sortis l'an passé. Adieu est pour résumer un film à voir, à voir et entendre, au sens littéral, et qui rend d'autant plus impatient de découvrir Michael Kohlhaas.


Adieu d'Arnaud des Pallières avec Mohamed Rouabhi, Laurent Lucas, Michael Lonsdale, Olivier Gourmet, Axel Bougousslavsky, Aurore Clément, Thierry Bosc et Carlo Brandt (2003) 

Ma femme est un violon (Il merlo maschio)

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"Mon cœur est un violon
Sur lequel ton archet joue
Et qui vibre tout au long
Appuyé contre ta joue"

La sortie récente en dvd de L'Amour à cheval de Pasquale Festa Campanile et la ressortie en salles de Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ?, avec Laura Antonelli, sont une occasion trop belle de parler d'un film de Pasquale Festa Campanile avec Laura Antonelli. Ma femme est un violon (Il merlo maschio, 1971) est, à ma connaissance, l'autre grand film érotique parmi la poignée de ces comédies friponnes italiennes des années 70 qui furent entièrement bâtis sur le charme de l'incroyable Laura Antonelli. Le premier (en fait second d'un point de vue chronologique, car sorti en 73) étant bien entendu Malizia, évoqué dans ces pages il y a maintenant quelques temps. Ledit film, réalisé par Salvatore Samperi, se base sur un fantasme bien connu et bien répandu, celui qu'ont les garçons d'être initiés aux joies de la sexualité par une belle et plantureuse jeune femme évidemment plus âgée. Ce sujet se double dans Malizia d'un autre topos érotique, tout aussi universel, puisque le garçon en question se gargarise d'orienter les faits et gestes de ladite initiatrice en la poussant, en l'occurrence par quelque chantage, à révéler ses charmes plus vite que prévu. Ma femme est un violon s'attaque à un tout autre fantasme masculin, moins banal, plus étrange à vrai dire, mais qui a également inspiré un certain nombre d’œuvres érotiques, littéraires ou cinématographiques. Il s'agit du candaulisme, qui consiste à prendre du plaisir au fait d'exhiber sa compagne exclusive ou l'image de celle-ci ; voire de la partager physiquement avec d'autres hommes, sans participer aux ébats.




La liste des films centrés sur ce sujet doit être nombreuse. On peut penser bien sûr à La clé de Tinto Brass (1983), avec la sublime Stefania Sandrelli, dont le vieux mari est violemment titillé à l'idée de la voir touchée par son propre gendre. Un modèle du genre. Qui l'a vu ne peut oublier les premières scènes, où l'époux de Stefania transpire de voir l'ami de sa propre fille tamponner les fesses nues de son épouse pour lui faire une piqure après un malaise. Je me rappelle aussi, en partie seulement, d'un autre filmérotique aperçu il y a bien longtemps, où un homme jouissait de voir sa femme se laisser reluquer puis entreprendre par d'autres types tout au long d'un voyage en train. Je n'ai jamais pu retrouver le titre de ce film, ni le revoir, peut-être qu'un fin limier pourra tôt ou tard éclairer cette zone d'ombre en mettant un titre sur ce vague souvenir.

Ma femme est un violon raconte l'histoire du bien nommé Niccolò Vivaldi (Lando Buzzanca), violoncelliste sans renom, las de vivre dans l'anonymat, qui découvre que sa magnifique épouse suscite l'admiration béate des hommes qu'elle croise, et décide de récolter les miettes de ce succès pour éprouver enfin, et par procuration, un sentiment de reconnaissance. Pour ce faire, il ne voit d'autre option qu'exhiber sa femme en public histoire de jouir de sa gloire, et découvre chemin faisant que la vision de sa femme abandonnée aux mains, ou du moins aux regards d'un autre, l'excite et l'inspire au plus haut point. Vous avez peut-être déjà croisé l'image (vaguement reprise sur l'affiche), inspirée d'une célèbre photographie de Man Ray, où Laura Antonelli, nue et de dos, est, passez-moi l'expression, "rangée" dans un étui à violoncelle. L'actrice possédait il faut bien le dire la courbe de hanches d'un violon d'Ingres, et nul doute que l'homme, évidemment italien, qui inventa cette instrument s'inspira d'une femme telle que Laura. Quoiqu'il eût fallu que le violon possédât des courbes encore plus parfaitement affolantes en haut qu'en bas, que la boucle supérieure du 8 soit plus hypnotique qu'une boucle inférieure déjà gratifiante, et tel n'est pas le cas. Toujours est-il que le fantasme ultime de Niccolò tient tout entier dans cette idée : que sa femme soit son instrument et qu'on l'admire d'avoir l'opportunité, le privilège, l'insolence d'en joue(i)r. Et s'il commence par photographier Costanza endormie dans le plus simple appareil pour diffuser son image dans les journaux et s'enfler d'orgueil à la vue des "lecteurs" fascinés de l'ouvrage, le violoniste opportuniste demande vite à sa femme de participer activement à sa quête de reconnaissance.




Après quelques protestations de bon aloi, Costanza accepte, avec ce sourire compatissant qui fait de Laura Antonelli un songe. La voilà donc qui pose dans toutes les positions, dans toutes les tenues et dans toutes les pièces de l'appartement familial sous l'objectif lubrique de Niccolò ; qui se déshabille chez le médecin tandis que son voyeur de mari, plus échaudé encore, l'observe par le trou de la serrure ; qui feint un malaise dans sa baignoire pour être manipulée par un autre médecin aux abois ; prétend s'être fait piquer par une abeille alors qu'elle portait une combinaison intégrale qui l'oblige à se dévêtir intégralement face à un énième docteur tétanisé (la médecine serait donc le plus beau corps de métier qui soit chez nos voisins transalpins ?) ; qui se dénude encore dans une cabine de train face à des ouvriers médusés (on retrouve là un aspect du film mystère dont je parlais plus haut) ; ou retire le haut en plein récital de l'orchestre de son époux. Toutes ces séquences sont autant d'occasions de s'émerveiller, et mieux que jamais, devant le corps extraordinaire de la radieuse et espiègle Laura Antonelli, l'une des plus belles femmes qui aient vécu et que le cinéma nous ait permis d'admirer sans retenue. "Un visage d'ange sur un corps de pute" disait Claude Chabrol (qui a fait tourner Laura Antonelli aux côtés de son mari de l'époque, Jean-Paul Belmondo, dans Docteur Popaul) à propos d'Emmanuelle Béart. La formule pourrait s'appliquer à Laura, visage de madone sur un corps irrésistible en diable.

Et c'est là que le film marque des points. L'érotisme doit, en théorie (c'est du moins la mienne), s'opposer à la pornographie (il ne s'agit pas de porter l'un aux nues pour condamner l'autre, c'est une question de nature, et la beauté de la pornographie existe certainement, mais sur un autre plan) en faisant de nous les fils de Tantale, d'éternels insatisfaits, constamment attisés, jamais assouvis. De purs admirateurs du fruit défendu. C'est ainsi que l'érection (littérale, vers le fruit sacré intouchable quoiqu'à portée de main) demeure intacte et permanente, et que le désir croît sans fin. Mais encore faut-il percevoir le fruit pour le désirer. Les films érotiques dignes de ce nom sont ceux qui nous donnent à admirer sans réserve, et qui ce faisant maintiennent le désir vivant. "Admirer" n'est d'ailleurs le mot juste que si la chose est admirable, ici une épouse bien sous tout rapport, loin de toute idée licencieuse, donc inaccessible a priori. Et même si l'idée est là - après tout pourquoi pas - le personnage, admirable quoi qu'il arrive, c'est-à-dire tout simplement aimable, au sens premier de "digne d'amour", doit idéalement avoir à franchir un cap, à passer une frontière depuis l'idée vers l'acte, pour que l'événement soit grand et inattendu. L'objet du désir se déplace alors d'une sphère à l'autre, et c'est dans cette transgression-là que gît une grande part de l'érotisme, à l'instar de Belle de jour, de La Belle Noiseuse, de Lady Chatterley et de tant d'autres. D'où l'échec relatif, à mon avis (je ne saurais réduire l'érotisme à un modèle, il en existe autant que d'individus pensants ou à peu près, je ne fais qu'évoquer une sorte d'érotisme idéal selon moi à l'instant T), de tant de films, surtout actuels, de genre ou non, qui prennent pour héroïnes des filles de si petite vertu, débiles et vulgaires, à moitié nues en toutes circonstances et d'une grossièreté entière. D'où, a contrario, la réussite de Malizia et de Ma Femme est un violon, petites comédies de rien du tout, mais d'une grande force érotique par les efforts qu'ils déploient pour donner à voir, et pleinement voir, l'une des plus belles femmes du monde, et pour la rendre aussi absolument aimable, donc désirable, que somme toute, d'une manière ou d'une autre, et pour notre plus grande joie, inatteignable.


Ma femme est un violon (Il merlo maschio) de Pasquale Festa Campanile avec Laura Antonelli et Lando Buzzanca (1971)

Armageddon

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1998 aura été pour tout le monde un bel été. "Roger tu me broies l'épaule !". Rappelez-vous... Du fait de ces deux mois festifs où bonne humeur rimait avec "black, blanc, beur", il y a certains événements moches qui n'ont pas été pointés du doigt comme il se doit, certains excès de vitesse sont passés sous le radar à cause de la joie qui régnait à cette époque-là. En regardant Armageddon y'avait qu'à fermer les yeux (dans les bleus), ou les plisser un peu, pour voir Zizou dans le rôle principal. A l'heure où Pain and Gain est curieusement attendu par nos confrères comme le "must see" de la rentrée 2013, il est bon de rappeler les méfaits de son auteur, Michael "1 plan/1 seconde" Bay. Réalisateur des deux Bad Boys, de The Rock, de Pearl Harbor, ou plus récemment des trois Transformers, Michael Bay est surtout connu pour son art du placement de produits (on dénombre une cinquantaine de marques apparentes par film). Publicitaire décomplexé, Bay est aussi un pyromane avéré. Il a été démontré que ses films engrangent plus ou moins de pognon selon le nombre d'explosions à l'écran. Face à toutes ces statistiques édifiantes nous sommes longtemps restés muets. Que dire de cet homme si cynique qu'il semble lui-même revendiquer de vivre dans le vice. C'est le capitalisme le plus crasseux et assumé. Celui qui te prend un billet d'une main et qui appuie sur le détonateur de la mine placée au préalable sous ta semelle de l'autre.




Petite description physique du bonhomme : véritable cheval humain, Michael Bay porte un jour sur deux des vêtements échancrés jusqu'au nombril pour laisser admirer son torse glabre. Il a accueilli avec reconnaissance le vote des députés français du 23 avril 2013. Ses cheveux sont sublimes, sa permanente impeccable, sa raie toujours droite (nous parlons bien de celle de ses cheveux). Quand un cinéaste ressemble à un tel éphèbe, à un catcheur svelte, il a encore plus de choses à prouver. Mais pire que tout, Michael Bay n'a pas d'âme. Pas davantage que son producteur et mentor, Jerry Bruckheimer, son quasi sosie en bien plus morbide. Ces deux hommes font le mal autour d'eux, sans scrupules, et nous sommes les spectateurs éloignés de leurs crimes. Tout être humain sur Terre est supposé se trouver à cinq personnes de tout autre congénère, et pourtant nous ne sommes même pas à dix personnes d'un fan de Michael Bay. Enfin, on l'espère. On ne connaît pas le jardin secret de certains de nos pigistes.




La même année, en mai, sortait Deep Impact de Mimi Leder (?), basé sur une histoire quasi-similaire. Sauf que dans ce film-là les personnages passent la moitié du film à pleurer et l'autre à regarder un météore s'écraser sur eux. Le météore tombait dans l'océan et se contentait de faire monter le niveau des eaux, engloutissant tous les gens vivant à moins de 200 mètres au-dessus du niveau de la mer sous le regard embêté de tous les autres. Dans Armageddon au contraire, toute l'intrigue consiste à envoyer une troupe de bras cassés sur la caillasse volante pour y creuser un puits afin d'y balancer une tête nucléaire qui aura un impact suffisamment profond sur la météorite pour au moins la faire dévier de sa trajectoire, au mieux la faire exploser en mille morceaux. Les plus attentistes, défaitistes, fatalistes se sont retrouvés dans Deep Impact, les autres, activistes, interventionnistes, optimistes, se sont rués sur Armageddon par milliers. A l'époque, nous étions en CM1/CM2 (plus exactement en "classe passerelle", soit "chez les cons" comme disaient nos pères), et la classe était divisée en deux clans ennemis. Deux façons de voir les choses. Ou plus exactement les fans de Téa Leoni contre ceux de Liv Tyler.




A noter que c'est le seul film où Bruce Willis meurt à la fin. Les chipoteurs vont nous tendre une pancarte "Six Sense", sauf que dans le film de Shyamalan, il a beau s'en rendre compte à la fin, il meurt au début (désolé pour les trois Népalais qui n'ont pas encore vu le film). Willis meurt peut-être aussi à la fin du Chacal, où il est opposé à un Dick Gere survolté, mais il n'est pas le héros de ce film et de toutes façons vous n'y auriez pas du tout pensé. Autour de la star, qui était alors sur un nuage, Michael Bay a eu le blair de placer un chapelet d'acteurs incongrus histoire de ratiboiser large : Ben Affleck, qui était alors tout au fond, Steve Buscemi, pour attraper quelques pigistes indés, Owen Wilson, pour les précogs qui sentaient qu'il finirait en haut de l'affiche malgré sa tronche de freak, Michael Clarke Duncan, pour attirer les fans d'animaux, Billy Bob Thornton, pour plaire aux fumeurs de oinjs, Udo Kier, pour séduire les nordiques et les teutons et, last but not least, oldie but still goodie, Charlton Heston, en narrateur voix-off, une arme braquée sur la tempe du mixeur, pour les amateurs de vieilleries et d'auto-justice. Côté femmes il faudra se contenter de Liv Tyler, qui n'a accepté de jouer qu'à la condition que son père drogué et fossilisé puisse vociférer à la fin du film sur fond de soleil couchant.



Il faut dire que toute cette fine équipe, si c'est du bonheur sur le papier, sur le plateau c'est la chierie totale. Imprimée sur pellicule c'est de l'or, en coulisses c'est la chienlit. En dehors des petits blocs de nano-secondes situés entre les mots "Action" et "Cut", les acteurs s'insultaient et se tournaient le dos. Ils ne se sont jamais recroisés depuis, sauf erreur de leur part, et il y en a eu pas mal. Michael Clarke Duncan et Charlton Heston jouent par exemple tous les deux dans La Planète des singes de Tim Burton, et tous deux sans maquillage. Le second était là en caméo clin d’œil au film original, le premier était là en clin d’œil tout court. Quant à nous, nous ne sommes plus jamais retournés voir un film de Michael Bay au cinéma. On avait passé l'âge. On était déjà trop vieux, on avait 12 ans.


Armageddon de Michael Bay avec Bruce Willis, Steve Buscemi, Liv Tyler, Billy Bob Thornton, Udo Kier, Ben Affleck, Owen Wilson, Michael Clarke Duncan et Charlton Heston en off (1998)

Michael Kohlhaas

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Il est toujours difficile, quand on découvre l'adaptation cinématographique d'un roman que l'on aime, et quand il s'agit de laisser décanter ses impressions, de démêler le vrai du faux, de dégager la part de conditionnement préalable. Comment savoir, dans le cas où tout s'est bien passé, à quel point l’œuvre nous était acquise d'emblée, ou, dans le cas contraire, si nos attentes étaient trop grandes pour apprécier le film à sa juste valeur. Tout bien considéré, le Michael Kohlhaas d'Arnaud des Pallières est une admirable adaptation du court et célébrissime roman de Heinrich Von Kleist (décidément gâté par la postérité, l'écrivain allemand a également été transposé à l'écran par Eric Rohmer dans le sublime La Marquise d'O). Pourtant la gageure était de taille. Projet risqué s'il en est que celui de s'attaquer à un tel travail littéraire et de faire honneur au récit - bref sur le papier mais incroyablement riche en événements et d'une progression dramatique constante - des aventures d'un riche marchand de chevaux parti en guerre pour obtenir justice suite au préjudice causé par un jeune baron contre deux de ses chevaux et l'un de ses valets.




Cette histoire fut écrite par Von Kleist au début du XIXème siècle dans un style très détaché et assez fulgurant de pur rapport juridique objectif, avec syntaxe minimale et narration factuelle (et parfois comique, une fois mise en contraste avec la spirale de violence rapportée), mêlé d'une vague forme de parabole morale digne d'un conte médiéval chevaleresque et grandiloquent à forte portée symbolique, qui n'est pas sans évoquer l'écriture d'un Chrétien de Troyes. Certains critiques se sont plaints que le film ne bascule jamais dans la folie et ne daigne pas se décharger d'une rage démentielle en sommeil, mais l’œuvre de Kleist ne raconte pas l'histoire d'une vengeance irraisonnée, elle fait le portrait d'un homme procédurier, intègre et obstiné, un homme de "principes", tel qu'il se définit lui-même, obsédé par une seule idée fixe et emporté dans un engrenage néfaste pour ne pas la trahir : obtenir réparation et mettre fin au litige avec restitution des biens endommagés, ni plus, ni moins. Et Arnaud Des Pallières parvient, chose qu'on aurait pu croire impossible, à respecter en grande partie l'écriture originelle pour accoucher d'un film sec, tendu, porteur d'un regard aussi distant que puissant. Une forme d'équilibre constant l'écarte certes d'un roman bâti dans sa structure même comme une figure du déséquilibre, où chaque chapitre dévale une marche supplémentaire dans la démesure. Mais Arnaud des Pallières trouve un pendant à cette forme en cascade par laquelle Von Kleist, d'étape en étape, narre les conséquences dramatiques de chaque nouvel événement avec un souci d'exhaustivité et d'exagération notoire, dans des ellipses conséquentes qui surprennent presque tout autant et créent un sentiment similaire de précipitation, de détermination et d'irréparable. Si bien que le film conserve l'essence du roman tout en le transformant nécessairement, et allège son modèle narratif d'un certain nombre d'épisodes pour lui conférer un surplus d'intensité dramatique et émotionnelle en quittant le surplomb analytique et synthétique de Kleist, ainsi que son regard d'ensemble, pour nous placer au cœur des choses, au plus près des moindres frémissements.




La performance de Mads Mikkelsen n'est pas pour rien dans cette puissance souterraine du film. Les traits de l'acteur danois portent en eux seuls toute l'inflexible droiture de Michael Kohlhaas, ce héros qui ne semble frayer avec la passion que par souci de rétablir l'ordre. Le charisme rentré de Mikkelsen, sa beauté fascinante, presque effrayante, disent "l'excès de vertu" (pour reprendre les mots de l'écrivain allemand) du personnage imaginé par Kleist, ce marchand de chevaux et père de famille probe que cette probité même conduit au meurtre. Le regard perçant de Mikkelsen attise le nôtre, et l'homme, sa prestance, son corps, son allure, justifient entièrement que des foules de paysans puissent le suivre dans la dérive les yeux fermés, ou qu'une princesse veuille s'y mesurer. L'acteur est sidérant, et Arnaud des Pallières lui donne l'occasion de l'être, de toutes les façons possibles. Dans une séquence de dialogue et d'émotion brute, quand Kohlhaas parle pour la dernière fois à sa fille, on saisit en quelques secondes et par la seule force du jeu de l'acteur (qui parle à peine français !) l'absurdité, voire l'horreur de la pourtant légitime entreprise d'autojustice du personnage, avec peut-être plus d'acuité encore que dans le monologue de Martin Luther (Denis Lavant), qui explicite pourtant plus directement ce grand sujet du roman, par lequel le film se confronte à quelques préoccupations majeures de notre temps : le manque de justice sociale impacté par une classe dominante rompue aux abus de pouvoir, au népotisme et à la corruption ; ou la question des concepts même de résistance et de terrorisme, parfois plus frontaliers qu'on ne le voudrait.




Dans le film comme dans le livre, cette scène de la rencontre avec Luther, aussi importante soit-elle en termes d'idées, rompt le rythme instauré jusque là et crée une rupture dans l'économie narrative de l’œuvre. Peut-être plus encore dans l'adaptation d'Arnaud des Pallières, car le cinéaste semble s'efforcer, après des films plus directement cérébraux et à lourds dispositifs (Adieu, Parc), de fuir le théorique au profit non seulement du romanesque mais du sensible, du pur figuratif. C'est peut-être pourquoi le cinéaste, qui fait le pari de ne pas représenter les exactions barbares de l'armée de Kohlhaas (avec massacre de populations civiles et destructions de villes entières), immédiatement significatives de sa culpabilité, fait passer cette dernière dans les seuls visages de ses comédiens, celui de Mads Mikkelsen s'adressant à sa fille (Mélusine Mayance) dans la séquence citée plus haut, mais aussi ceux de son entourage, ces visages qui le fixent, qui l'admirent et le détestent tout à la fois (les portraits que le cinéaste dresse de Denis Lavant, David Bennent, Bruno Ganz, Jacques Nolot, David Kross, Roxane Duran ou les frères Capelle sont pour le moins parlants). Dans une autre séquence justement, de pur portrait cette fois-ci, juste avant la fin, le cinéaste filme son acteur muet et inactif en gros plan de longues minutes durant, composition idéale pour, comme on dit, "voir ce qu'il y a dans le bonhomme". Et Dieu sait qu'il y en a là-dedans : filmé plein cadre, de face, sans broncher, Mikkelsen parvient, par les seules inflexions de son visage, sans un mot, de façon absolument étonnante, à nous laisser pénétrer l'esprit d'un condamné à mort sur l'échafaud, conscient de penser pour la dernière fois, de voir pour la dernière fois, de respirer pour la dernière fois. On se contente de regarder le visage de l'acteur et soudain nous traverse la conviction de penser et de ressentir tout ce que doit éprouver un homme sur le point de mourir.




Dans une troisième séquence, l'une des plus belles du film, bien antérieure dans le récit, c'est le corps entier de l'acteur, bouillonnant, écumant de cette colère compacte et dirigée que le cinéaste a la superbe idée de ne jamais faire éclater, qui, plus que jamais, devient le nœud de la guerre du film d'Arnaud des Pallières. Au terme du premier assaut de sa troupe contre le château du baron (filmé avec génie), Kohlhaas erre seul parmi les cadavres qu'il retourne un à un pour en vérifier l'identité, à la recherche de celui qui a outrepassé ses droits et lui a causé du tort. Filmé dans une suite de plans serrés, dans l'obscurité du donjon, quelques mèches de cheveux dans les yeux, le visage, taillé à la serpe et aux formes si saillantes, noirci et ruisselant d'une sueur épaisse qui trace des sillons sur sa peau tannée, piétinant dans un espace étroit, inspirant et expirant lourdement et régulièrement au milieu du bourdonnement des mouches dans un souffle qui donne sa pulsation à toute la mise en scène, Mikkelsen se transforme littéralement en cheval fiévreux sous la caméra prodigieuse du cinéaste. Arnaud des Pallières, au-delà du respect remarquable à une œuvre pour ainsi dire inadaptable, d'une littérarité totale, transforme le roman en événements cinématographiques à part entière, et pour tout dire sublimes. Faisant preuve d'une maîtrise rare de son art quand il filme le visage si unique de son héros reflété dans les paysages de western français qu'il habite et arpente, Arnaud des Pallières brille aussi par son travail sur le son (des scènes entières reposent sur le souffle du vent, celui d'un personnage, la voix de Mads Mikkelsen ou celle de Denis Lavant, le cahot des sabots ou celui d'un charriot), sur l'image (les mouvements des chevaux redoublés par ceux des nuages sur la lande sont hypnotiques) et sur le montage (tous les plans sans exception sont coupés au cordeau, et les ellipses dans la structure du récit font montre d'une grande précision et d'une infinie justesse). Chaque scène du film bénéficie à vrai dire d'un travail remarquable sur chaque élément qui la compose, à l'instar, pour ne prendre qu'un exemple supplémentaire, de la scène où la petite Lisbeth s'élance vers le domaine de Kohlhaas, où sa mère est mourante. Mais ce n'est qu'un exemple, et il suffirait de revoir le film pour en vouloir citer cent. Arnaud des Pallières confirme qu'il est un très grand cinéaste, et Michael Kohlhaas s'impose comme l'un des très grands films de cette année.


Michael Kohlhaas d'Arnaud des Pallières avec Mads Mikkelsen, Mélusine Mayance, David Bennent, Delphine Chuillot, Denis Lavant, Bruno Ganz, Jacques Nolot, David Kross et Roxane Duran (2013)

Elysium

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Les temps sont rudes pour ceux qui aiment se divertir au cinéma. L'été 2013 nous a vus fouiller les programmes ciné, éplucher le web, scrobbler les bandes-annonces de tous les gros blockbusters annoncés sur FrontRow, in vain comme dit Morgan Freeman à la fin de La Guerre des mondes. L'un de nous a même fini devant Godzilla versus Mécawarrior à la sauce de Guillermo del Burrito, les lunettes 3D - ne voyez pas là un quelconque smiley souriant, parce qu'il faudrait plutôt me dessiner comme ça :-(( - bien vissés sur le nez et le sac à dos rempli d'Ercefuryl et de Romarinex, pour prévenir une éventuelle diarrhée aiguë de type "zombie tsunami" (mon régime de l'été à base de pastèque, de melon, de melon espagnol et de melon d'eau ne me réussit pas toujours, et la moindre contrariété me "fait aller"). Ou comment atterrir devant la plus grosse daube du siècle par pur désœuvrement, la faute à une livraison de blockbusters affligeante. On ne va pas se lancer dans un article bilan sur le phénomène, avec références et chiffres à l'appui. Il suffit de s'intéresser de très loin au ciné pour savoir que ce n'est plus comme avant, que les gros films produits pour ramasser le pactole sont de plus en plus insultants pour le quidam en mal de sensations fortes. On a tous les jours une pensée pour ceux qui sont nés en 95 et qui n'ont pour ainsi dire grandi qu'avec ça, en plus de n'avoir qu'un souvenir très flou de la finale du mondial 98...




Aussi, et malgré l'épreuve Pacific Rimpour l'un, Pain and Gain pour l'autre, nous avons longuement hésité à aller nous empaler sur Elysium au cinéma (à vrai dire on a hésité pour pas mal de gros colis du même acabit, sauf, et c'est à noter, pour Lone Ranger : plutôt crever). Nos échanges de mails et de textos à ce sujet sont un équivalent épistolaire et numérique du Necronomicon, en ce sens que quiconque les lit peut y passer. Tous les arguments ont défilé. Du "tu me payes McDo si on y va, même si je suis déjà en train d'en bouffer un !", au "on profite de l'offre cinéday ! Demain c'est le fameux cinéday !", pas suffisant pour un sou quand l'autre répond : "C'est tous les jours le cinéday sur utorrent et sous Hollande". La veille on s'est même réunis à domicile pour peser le pour et le contre et en finir, mais on s'est quittés sur un collégial et pathétique : "La nuit porte conseil". Le lendemain, on n'y voyait pas plus clair et la pluie de messages d'insultes a continué à déferler sur nos portables respectifs. A un simple texto disant : "Alors, la nuit porte conseil ?", la réponse ne se fit pas attendre : "Va te faire foutre". 




Entre midi et deux, la décision n'étant toujours pas faite, les vieux subterfuges ont refait surface. La première idée consistait à indiquer son envie d'aller voir le film sur une échelle de 0 à 5 (on fera le point sur cette échelle qui nous tient à cœur et que l'on sollicite une fois sur deux dans un autre article, où le film traité sera abordé de manière plus superficielle). Si nos deux notes dépassaient la moyenne, on devait y aller. L'un, véritable tronche cramée, a mis 3/5, l'autre, poule mouillée label rouge nos régions ont du talent, 2,5/5, soit un total de 5,5/10. On devait y aller, logiquement. Mais, aussitôt, celui qui avait proposé le jeu et qui avait donné la meilleure note s'est rétracté, en regrettant d'avoir mis au point des règles aussi peu claires et en invoquant l'interdiction d'utiliser les décimales, ainsi que l'absence notoire d'un notaire au moment de la transaction. Tout était à refaire. Nous nous sommes donc rendus chez l'huissier de justice le plus proche pour tirer à pile ou face, faire chou-fleur, pierre-caillou-ciseau, chifoumi, etc. On a fini la journée assis côte à côte dans des fauteuils à répéter en boucle, "ciné, pas ciné", comme Jim Carrey dans Ace Ventura quand il récite "Finkle et Einhorn, Einhorn et Finkle...", dans ce qui restera l'une des plus grandes scènes de l'histoire du 7ème art, selon les dires de Jean-Luc Godard himself.




A 23 heures passées, l'un de nous envoyait à l'autre par texto : "Alors t'as chopé ton code cinéday ?", et l'autre de répondre un très définitif : "Qu'est-ce que tu me fais ?". Bilan des courses, on n'a pas vu le film. Notez bien qu'on l'a vu quand même étant donné qu'on a tous les deux enduré la bande-annonce, qui dit tout à la manière de ces sketchs rarement drôles qui foisonnent sur le net et qui consistent à résumer l'intégralité d'un film en trois minutes dans un dessin animé hideux. Et c'est sûr que ça donne pas spécialement envie de voir la version longue. Même les fans absolus de District 9 n'ont pas su nous intriguer, nous donner envie tant soit peu, allumer l'étincelle de curiosité en nous, alors qu'ils étaient là pour nous attiser sur une daube intégrale telle que Pacific Rim. Nous invitons les fans d'Elysium, s'il en existe en dehors de Neill Blomkamp et de toute sa fratrie, à nous faire regretter ce putain de cinéday qui nous tendait les bras. Soyons honnêtes, l'un d'entre nous a eu la flamme pendant environ deux minutes, en marchant seul au soleil, peut-être une insolation mais il jure d'avoir eu nettement envie, pendant deux minutes, d'aller voir le film au ciné, une joie ultra fugace s'est emparée de lui à l'idée d'y aller. Constatant qu'elle était fugace, il a repensé aux fougasses que prépare sa mère et c'en était fini du ciné, il avait juste envie de s'en faire une.


Elysium de Neill Blomkamp avec Matt Damon et Jodie Foster (2013)

L'Aube rouge

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Il était temps qu'Hollywood réchauffe un peu la guerre froide. C'est chose faite avec ce remake d'un film de propagande anticommuniste oublié de John Milius, sorti en 84, avec Patrick Swayze et Jennifer Grey (le couple phare de Dirty Dancing) mais aussi Charlie Sheen, Léa Thompson (l'éternelle maman de Marty McFly) et Harry Dean Stanton. L'aube "rouge" du titre ne désigne donc pas les menstruations de Légola, l'elfe de Peter Jackson, qui dans le 2ème épisode du Seigneur des Anneaux annonçait fièrement à ses camarades la venue de ses premières règles par cette phrase inoubliable : "Une aube rouge se lève, beaucoup de sang a été versé dans la nuit". Le "rouge" de "l'aube" du titre désigne bien la grande menace coco. Au début du film, la Corée du Nord envahit les États-Unis avec l'aide de la Russie. Au départ c'était censé être un coup des Chinois, mais les droits de distribution faisant loi, la production a préféré se donner la Corée comme ennemie, mieux vaut se fâcher avec 24 millions de spectateurs potentiels qu'avec un 1 milliard et demi. Tout au long du générique d'ouverture, un petit topo réalisé à partir d'images réelles nous explique que les USA sont affaiblis par la crise économique et que l'armée américaine est disséminée dans le monde entier pour résoudre des tas de conflits internationaux. Les très belliqueux Coréens, alliés aux Russes, en profitent pour lancer une grande opération d'invasion et d'occupation des États-Unis. Des parachutistes pleuvent sur le pays et en coup de baguette à riz la "bataille" est terminée. On ne saura rien de la réaction européenne, ni de toutes les complications en chaîne qu'un tel événement pourrait provoquer. Trop compliqué. Le film se concentre sur une petite ville du Nord-Ouest des USA, et plus précisément sur une poignée de lycéens, nommés les Wolverines, du nom de l'équipe de football locale, qui vont former la résistance...




Les Américains n'ont aucune histoire personnelle de résistance à l'envahisseur à mettre en images à grand renfort de drapeaux sanctifiés et d'auto-masturbation patriotique. Ils ont péroré sur l'attaque subie à Pearl Harbor, et sur celle du World Trade Center, mais, dans sa courte et dense histoire, leur pays n'a jamais subi l'occupation. Il ne leur reste donc plus qu'à fantasmer. Fantasmer la jeunesse rebelle, le maquis, les embuscades, le sabotage, les représailles, les camps de concentration, les messages radio codés ("John a de longues moustaches !"), la guérilla urbaine, les collabos, etc. Et qui sont leurs héros imaginaires ? Des adolescents, évidemment, miroirs de ceux, assis dans la salle, que le film se tue à abrutir. Des sportifs et leurs copines pom-pom girls (tous incarnés par des sous-acteurs majoritairement fort laids, le bien nommé Josh Peck en tête), dirigés par un ancien soldat de retour d'Irak (Chris Hemsworth, qui trimballe toujours sa gueule de gigantesque abruti), lui-même fils d'un flic héroïque (opposé au maire noir de la ville qui est un vendu, et dont le fils, le seul membre noir des Wolverines, sera bien sûr la brebis galeuse sacrifiée avant la fin). Finalement c'était pas si con cette guerre en Irak : toute une génération de formée en cas d'invasion, et prête à former les gamins du pays. Pas un mal non plus que tous les enfants du pays jouent en masses à Call of Duty (le jeu manque même à l'un d'eux dans la montagne, alors qu'il le vit en vrai), car ces petites gens, hauts comme trois pommes, manient la mitrailleuse de guerre comme des chefs avant même d'avoir siroté leur première bière. De toutes façons ils préfèrent le coca, pour accompagner leurs repas quotidiens aufast food, c'est donc également une chance que le pays fourmille de Subways, puisque les résistants peuvent s'y ravitailler discrètement, le service étant particulièrement rapide et les prestations peu onéreuses. Et puis une veine qu'on trouve tout un arsenal de guerre dans le moindre chalet de vacances dans ce beau pays pas du tout paranoïaque que sont les États-Unis, c'est idéal pour faire face au potentiel débarquement des armées de l'envahisseur communiste.




Dans ce flot d'idéologie gerbante, on trouve aussi quelques répliques, au milieu des scènes d'action à la con, qui laissent vraiment songeur, et qui parviennent à faire regretter l'original signé Milius, teen movie guerrier tourné sous Reagan par un type aussi fin et serein que le papa de Conan le barbare, et pourtant moins crétin, moins extrémiste et moins unilatéral que le remake qui nous est présenté aujourd'hui, encore plus pur dans sa propagande. En matière de réplique catastrophe, le grand discours de Chris Hemsworth à ses jeunes recrues, formées à l'art de la guerre en trois heures et quart, se place là : "On s'en sort pas mal pour une bande de gamins. On va se battre, et on va continuer à se battre, parce que c'est plus facile maintenant. On y est habitués. Vous autres par contre vous allez devoir faire un choix difficile. Parce qu'on ne va pas vous vendre la guerre. C'est trop laid pour ça. Mais quand on combat dans son propre jardin, quand on combat pour sa famille, c'est un peu moins douloureux, et ça fait un peu plus sens. Parce que pour eux, c'est juste un endroit. Mais pour nous, c'est notre patrie." On ne va pas vous vendre la guerre mais on va quand même vous la vendre un peu, et dans un film qui la montre quand même bien belle. Après des lustres d'invasion, de colonisation et de guerres sales, l'Amérique rêverait-elle d'une guerre propre, légitime, défensive, héroïque ? Combattre enfin pour défendre dignement son beau pays et sa belle liberté, sans intérêts mal placés et sans arrières-pensées ? Il faut bien se donner des raisons d'être patriotique... Red Dawn assouvit le fantasme d'inverser les rôles et vient couronner sans détour l'entreprise de ce cinéma hollywoodien qui se donne bien du mal pour faire pleurer le monde sur le sort tragique (fictif) des États-Unis et faire régner la peur en prévoyant une apocalypse imminente venue d'un Orient quelconque, apocalypse rouge dont, in fine, la sacro-sainte Amérique increvable, elle et elle seule, finirait par nous sauver. Et le film se clôt très délicatement sur l'image d'un groupe de prisonniers courant au devant de leur liberté le Stars and Stripes dressé bien haut en évidence. Le scénario pousse loin son désir de voir l'Amérique devenir la victime glorieuse de l'affaire et repousse les limites de la connerie dans une belle scène où Chris Hemsworth dit de sa voix d'outre-tombe poussée dans les graves pour se donner de l'aplomb, et du haut de son charisme de catcheur trépané : "Les viêtcongs nous ont appris comment la petite mouche peut rendre le buffle taré". Véridique. Et le pire c'est que le film pourrait devenir vaguement intéressant si ses auteurs osaient présenter ces chers américains comme des salopards de longue date conscients de ce statut et espérant qu'on les attaque vraiment afin de finalement obtenir l'opportunité rêvée de faire amende honorable et de renverser la vapeur. Mais dans une autre séquence, particulièrement émouvante elle aussi, Hemsworth, toujours lui, ajoute : "Avant nous étions les gentils en mission à l'étranger, maintenant c'est à nous de foutre le chaos dans leur organisation, c'est à nous d'être les méchants !" Et voilà que je saigne du nez.


L'Aube rouge de Dan Bradley avec Chris Hemsworth, Josh Peck, Adrianne Palicki, Josh Hutcherson, Isabel Lucas, Jeffrey Dean Morgan et Edwin Hodge (2013)

Mon voisin Totoro

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Du haut de ses 72 ans Hayao Miyazaki l'a annoncé, il prend sa retraite. Le Vent se lève, présenté ce mois-ci à la Mostra de Venise, sera son dernier film. Il est donc temps de se retourner sur la carrière du maître de l'animation japonaise. Et force est de constater qu'on est en retard sur la vague Miyazaki (on écrit son nom les yeux fermés, la tête dans les nuages). On s'est bien excités sur Porco Rosso mais à part ça rien. Et pourtant, la vague Miyazaki, depuis bien tarie, a déferlé sur nos contrées à l'orée des années 2000, à une époque où nous étions en première ligne pour la recevoir droit dans la gueule. Pourquoi un tel raz-de-marée Miyazaki dans ces années-là ? Rappelez-vous 45, fin de la 2nde Guerre Mondiale, quand tous les films ricains ont débarqué chez nous d'un seul bloc. C'est idem. Avant l'an 2000 il devait y avoir un mec à la frontière, bras écartés, qui interdisait le passage du moindre "anime" du dénommé Danao Miyazaki, pape de la japanimation. Ce type a dû baisser la garde à un moment donné et tous les bébés du studio Ghibli ont chié sur nous. Il en sortait un par mois ! Le Château ambulant, Le Château dans les nuages, Le Château dans le ciel, Le Château de Cagliostro, Le Château qui déambule dans les nuages, Le Château nuageux déambulant, Nausicaa de la vallée du vent, Kiki la pure sorcière et les hommes sauvages, Princesse Mononoké-hime, Le voyage de Chihiro el hijo de pu', etc. Miyazaki a réalisé une chiée plus mille de films d'animation et nous nous les sommes tous empégués, directement ou indirectement. Et vu que c'était les films préférés de toutes les étudiantes dans les années 2000, mieux valait connaître son petit Danao Miyazaki illustré sur le bout des doigts.




On a d'ailleurs tous un fauteuil Totoro chez nous. Soit qu'on a acheté celui à 150 euros sur un site spécialisé pour une conquête d'un soir un poil capricieuse, soit qu'on en a créé un en amoncelant mokos et mouflons de poussière au petit bonheur la chance dans un coin maudit de notre F4 de 23 mètres carrés sans cloisons. Miyazaki a inspiré des vocations. Qui n'a pas tenté de croquer un Totoro sur son carnet perso ? Dans les années 2000, Miyazaki rôdait sur tous les plateaux télé pour croquer des petits Totoro en deux coups de pinceau du bout des doigts, histoire de faire râler ses fans et d'obtenir la paix sous forme de chèques grassouillets. Comment ne pas se prendre d'amitié pour ce créateur et surtout pour ses créatures si parfaitement mignonnes et adorables ? Qui n'a pas rêvé d'avoir un Totoro pour meilleur collègue et de pouvoir s'abriter de la pluie sous son énorme cul ? 




Mais depuis quelques années on se demandait un peu où était passée l'inspiration de celui dont on a découvert toutes les œuvres d'un seul coup, dans un âge d'or involontaire, et qui depuis a eu bien du mal à renouer avec le succès écrasant qui fut le sien au début de la décade passée. On a bien vu Ponyo dandiner du cul sur la falaise, à deux doigts de s'estramasser par terre faute d'atterrir dans un château dans le ciel providentiel, mais quoi d'autre ? Cela étant dit, comment en vouloir à Papi Miyazaki. C'est un peu comme si un taré à la frontière japonaise avait barré la route à toute la filmographie de Spielberg jusqu'au début des années 2000, où il se serait finalement décidé à laisser pisser l'ouragan ricain. Les nippons auraient pété un câble en découvrant en janvier Duel et E.T., en février Indiana Jones 1, 2 et 3 (ne comprenant pas le retard du 4 du coup), en mars Les Dents de la mer et Jurassic Park, en avril Rencontre du 3ème type, en mai La Liste de Schindler et Il faut sauver le soldat Ryan, et ainsi de suite, trouvant là le type le plus prolifique, le plus inspiré et le plus friqué du monde pour ensuite le voir décliner d'année en année à un rythme un poil moins échevelé. C'est de bonne guerre de la part de Papi Miyazaki, qui a quand même fini par tourner en rond, ne sachant plus dans quel nuage foutre ses châteaux pour paraître un peu moins répétitif, et qui a peut-être bien sagement décidé de finalement se mettre au vert. Il reste un sacré inventeur de bestioles attachantes et un écolo de premier choix.


Mon Voisin Totoro de Danao Miyazaki avec mon voisin Totoro (1988)
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