C'est pas seulement qu'on avait envie d'aimer ce film, ni même qu'on avait envie de l'adorer, on avait carrément envie de se laisser cueillir… On sait que Shyamalan est au fond du fond depuis qu'il a accepté d'apposer son nom au script de
La Fille de l'eau. Et puis ce fut la théorie de l'escalier, la fameuse spirale infernale, le célèbre cercle rouge de Melville. On imagine sans peine Shyamalan prisonnier d'un gigantesque siphon à chiottes, avec de l'alcool à la place de la flotte. Il a en effet essayé de retrouver son inspiration dans le scotch (le liquide tout comme le ruban adhésif, qui a des vertus planantes, de même que les tubes de colle Uhu que l'on sniffe en cours de maths pour oublier cette enflure de Thalès). Shyamalan a entretenu son malheur en embauchant Mark Wahlberg pour
Phénomènes, puis en tournant
Le Dernier maître de l'air, inspiré d'une œuvre qui a pour titre original "Avatar", titre malheureusement bloqué côté ciné… Cette dernière œuvre fut une négation du 7ème art. S'il y a des gens respectables qui défendent encore Schumi aujourd'hui, même ceux-là ont du mal à s'expliquer
Le Dernier maître de l'air. Mais passons.
Shyamalan met dans sa vie familiale l'ardeur et la joie qu'il oublie de mettre dans sa filmographie.
On attendait donc une forme de ressac. On espérait qu'avec
After Earth Shyamalan sorte enfin la tête de l'eau. De guerre lasse, le cinéaste de Pondichéry a décidé de cesser d'écrire ses propres films et de désormais mettre en scène des tapuscrits venus d'ailleurs. Il s'est rapidement vu proposer le premier script pondu par Will Smith, qui signait là ses premiers mots sur papier. L'homme n'avait jamais écrit avant ça, pas une lettre, pas un mail, pas un mot d'excuse, pas un partiel, pas une liste de courses, même pas un 06 dans la paume de sa main, vu que les femmes gravent leurs numéros directement sur son zgeg (y'a encore de la place ! de la place pour tout un répertoire !). Beaucoup de pages ont en revanche été noircies par les soupçons qui pèsent sur le film d'être un manifeste scientologue. Will Smith ne se revendique pas de la secte, qu'il décrit quand même comme "un putain de paradis", mais il reste l'ami fidèle de Tom Cruise, chantre du mouvement scientologue aux USA. Or il a été démontré par A+B, photocopies du bouquin de Ron Hubbard à l'appui, que même la
tagline du film, issue de l'une des répliques phares du film, reprend mot pour mot l'un des préceptes fondateurs de l'église de scientologie : "Fear is an illusion, it's not réal, it's phony, it is a fake, believe in u". Nous ne reviendrons pas sur ce débat trop complexe pour nous. Scientologue ou pas, on a un respect infini pour cette philosophie de vie et pour Will Smith, l'expert en séduction qui se vante d'éjaculer l'équivalent du contenu d'une canette à chaque voyage, et pour ça, respect, parce qu'il s'agit de canettes américaines, pas de canettes 33cl françaises.
Cette photo, et les centaines d'autres clichés qui réunissent les deux hommes, ne sont pas un argument.
Venons-en au synopsis du film. La planète Terre est devenue une poubelle à cause de la pollution humaine. Ses habitants ont donc décidé d'un commun accord de coloniser une autre planète du système solaire, mais sont tombés sur des autochtones mal lunés nommés les Ursaf. Petit à petit, l'Ursaf a rendu la monnaie de sa pièce à l'humanité en se payant quelques bed&breakfast sur le globe. A terme, ces étrangers peu commodes ont nettoyé la Terre de l'espèce humaine. L'Ursaf est une créature extra-terrestre aveugle qui détecte la peur et zigouille tout ce qui fouette. Un commando d'élite a été formé, les rangers, tout de blanc vêtus comme les prêtres scientologues (mais on ne reviendra pas sur ce sujet), pour endiguer la propagation de l'Ursaf. Will Smith, qui ne connaît pas la peur, en fait évidemment partie, il en est même le pilier, et un pilier à trois jambes s'il vous plaît. Du fait de son travail très accaparant, notre héros a des relations tendues à souhait avec son fiston, son fils à la vie à l'écran, Jaden Smith. Et c'est bien entendu là que
Shyamalan a trouvé son intérêt dans l'écrit très confus de Will Smith. Il paraît que le scénario ressemblait vaguement aux calligrammes de Guillaume Apollinaire, mais au lieu de représenter des arbres ou des cœurs, ses gribouillis étaient de purs tourbillons d'horreur, des formes à rendre nerveux. Ce script a naturellement été débroussaillé par les experts scientologues au service de Will Smith mais ce n'est pas le sujet.
Le fait est que le début du film est au cinéma ce que les bolo'balls de Panzani sont à la gastronomie. Autrement dit c'est pas cher, c'est moche, ça a l'air d'avoir été torché très vite par des créatures aveugles et ça chlingue un maximum. Il faut l'avaler très très vite, sans y penser, en faisant un black-out total, mais on apprend plein de choses d'un coup sur la vie. On n'est pas loin de l'introduction de
John Carter, on pense aussi à celle d'
Oblivion, à celle de
World War Z, bref aux introductions minées de tous ces films de SF qui croient bon de nous assommer dès le départ avec un flot d'informations en mode état des lieux sur la fin des temps, sur la maigre résistance des hommes face aux catastrophes naturelles ou aux invasions extra-terrestres, le tout résumé par une voix-off qui en fait des caisses. Quand ce n'est pas Morgan Freeman qui s'y colle, avec sa voix de grand chaman, c'est Eminem qui prend le relai, le rappeur parvenant à dégueuler dix mots à la seconde sans bafouiller (le mec s'est fait faire une trachéotomie pour pouvoir respirer par la gorge tout en continuant à causer sans marquer de pause !).
Shyamalan, sa casquette fétiche et Will Smith s'y mettent à plusieurs pour diriger le phénomène Jaden Smith, qui ne pige rien au film.
Avec cette introduction on se rend compte que c'est bien de tout en bas que Shyamalan essaie de décoller. S'ensuit une rapide présentation des personnages, où Will Smith ne décroche pas les mâchoires et joue avec un impressionnant balais dans le cul. L'acteur est parfaitement mauvais d'un bout à l'autre du film mais en particulier quand il incarne les pères militaires autoritaires et taciturnes, incapables d'exprimer leur amour autrement que par des "File dans ta chambre !", "Cause à mon cul ma tronche est malade !" et autres "T'as une tâche…" dit en pointant le nombril du gosse avant de lui foutre un gros taquet dans la mâchoire à deux doigts de laisser l'enfant pour mort sur le tapis du salon. Le tout sous le regard ahuri d'une épouse totalement effacée par un mari phallocrate au possible. Le conflit père-fils est accentué par l'échec chronique du fils aux épreuves d'heptathlon indispensables pour devenir un ranger confirmé (ces méthodes de recrutement rappellent étrangement celles de la Gendarmerie Française et de l'église de scientologie, mais ça ne nous regarde pas des masses). Tout le dilemme du gamin interprété par Jaden Smith, qui joue aussi grossièrement que son père, et qui est semble-t-il, d'après son compte Tweeter, soit un pur débile soit un visionnaire, est de devenir l'égal de son père, mais il doit maîtriser sa peur ainsi que sa flemme (ça reste un gros flemmard, Will Smith passe plusieurs scènes à le réveiller à deux heures de l'aprèm en lui jetant de l'eau bouillante sur le crâne) et surtout apprendre à oublier la mort de sa sœur, détruite sous ses propres yeux par un Ursaf, mort tragique dont il assume abusivement la responsabilité depuis des années.
Le personnage de Jaden Smith, comme beaucoup de gamins lors de ces trajets interminables en bagnole, lâche un pet aigu pour dérider son père, à deux doigts de le défenestrer du vaisseau en marche.
Tout le début du film consiste à nous faire douter quant au fait que Jaden Smith puisse embarquer avec son père pour une grande aventure. Quiconque a croisé l'affiche, où tronche du père et tronche du fils se fondent l'une dans l'autre (le morphing donnant le visage de Jada Pinkett Smithee), a une vague idée de l'issue de ce dilemme... Effectivement, le bambin finit par monter avec son père à bord du vaisseau et atterrit avec lui sur la planète Terre après un crash terrible. Le film consistera dès lors en un
coming of age mêlé de
survival au cœur d'une planète Terre post-apocalyptique où toutes les espèces vivantes ont muté pour se retourner contre l'homme, qu'elles accusent d'avoir merdé. Will Smith, la jambe cassée lors de l'atterrissage forcé du vaisseau, assiste son fils depuis son fauteuil et le regarde courir de flaque en flaque, sauter de rocher en rocher et jeter ses mokos sur des singes affamés, tout en éructant dans son micro. Il lui glisse même quelques répliques-réflexes, du genre : "Le dernier arrivé à table prend mon pied dans son cul !". Toutes les cinq minutes, le fils et le père sont assaillis de flash-backs miteux, et ces deux cons se ressaisissent systématiquement quand le père hurle à son fils : "Take a knee ! Take a knee !" (littéralement "prends un genou", ce qui signifie "pose un genou à terre et reconcentre-toi", une méthode de méditation tout droit issue de la scientologie mais là encore, motus !), le fils répondant systématiquement : "Pourquoi tu me demandes de prendre mon pied ? Je n'ai aucune revue sous la main, aucun support visuel, aucun hologramme porno, je n'ai pas le matos requis".
Jaden Smith prend son millième genou.
Au milieu des effets-spéciaux indigents du film et d'une poignée de goofs de rigueur, on trouve quelques reliquats du cinéma de Schumi. Par exemple ce plan où, après le crash, une bâche se soulève et retombe à intervalles réguliers devant l'objectif, cachant puis dévoilant les gestes de Jaden Smith, plan qui n'est pas sans évoquer l'un des climax d'
Incassable où Bruce Willis s'apprête à agir pour la première fois en super-héros. Sauf qu'il n'y a aucun propos derrière tout ça. On sent que Schumi veut juste retrouver des réflexes, reprendre la main, ce qui se ressent aussi sur le rythme du film, qui se veut lent mais qui s'avère chiant.
After Earth dénote certes au milieu de tous les blockbusters de SF actuels au rythme tapageur et irrespirable, mais il n'en reste pas moins un beau fèces. Ceci dit pour Noël on a commandé un aigle capable de nous sauver la peau en nous tirant sous des branches si jamais on reste paralysés par le froid en allant au taf, comme cela arrive à Jaden Smith dans une scène mémorable du film qui fait dans le manifeste écologique de bas étage (à la manière de
Phénomènes) et qui fait directement écho au rôle central de l'aigle dans le bestiaire de la scientologie, mais on ne tirera aucune conclusion hâtive à ce sujet pour éviter de s'aventurer sur un terrain glissant. On aurait aimé défendre Shyamalan sur ce coup-là, comme on défend Petit Quevilly contre le PSG d'Ibrahimovic en quart de finale de la Coupe de France, mais notre homme a encore poussé le bouchon un brin trop loin. Après, l'espoir fait vivre, et Schumi est encore en vie aux dernières nouvelles...