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Channel: Il a osé !
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Micmacs à tire-larigot

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/Dossier #12 - Jean-Pierre Jeunet/ 

Ça en a la couleur, ça en a l'odeur, ça en a la texture, ça en a l'aspect, mais ce n'est pas de la pisse, c'est bien de la merde. Pure chienlit que ce film. En 2009 déjà, après seulement trois films réalisés en solo, cinq réalisations en comptant les films faits avec Caro, l'univers de Jeunet tournait plus à vide que jamais, l'ancien réalisateur de pubs et de clips n'avait déjà plus aucun tour dans son vieux sac quetchua troué et ne faisait que se répéter, voire se parodier lui-même. Avec Micmacs à tire-parigot, Jeunet s'est foutu de sa propre gueule, paraphant et signant sa propre fin. Pourtant, et la sortie de son nouveau film l'affirme, Jeunet n'est pas fini, ou alors au pipi, d'où la couleur principale de ses longs métrages : le jaunâtre, ici porté à un degré d'horreur inégalé. L'homme n'est en odeur de sainteté que dans le hall of fame perso et bien rance d'Albert Dupontel, autre réalisateur frenchy maniéré et plein de tocs, d'ailleurs souvent directement empruntés au cinéma de Jeunet.


 Les films de Jeunet, des films "riches visuellement" selon Dupontel Albert.

Sauf qu'avec ce cru 2009, on est au-delà du toc, ça n'a même plus de nom, on est au-delà de la "recette", du "système". Tout y est : les filtres vert bouteille et/ou jaune caca d'oie, les personnages complètement débiles, le goût affirmé et exagéré pour tout ce qui peut être minable et bancal, moche et boiteux, un scénario immonde, une mise en scène désolante et des vannes plus que pourries. Avec tout ça, on cherche quel est l'innocent sur le plateau qui ne mérite pas d'aller passer douze ans sur les bords de la Kolyma. Sombre, sombre chose que ce film qui a fait un bide sans équivalent au box office et qui aurait mérité pire (si pire était possible). L’œuvre ressemble grosso modo à ses personnages, vilains, trépanés (Dany Boon), soi-disant doués pour un truc ridicule au point de ne faire que ça en boucle (des gadgets ; des calepins d'expressions franchouillardes pour Omar Sy, pitoyable ; du cirque). Ah ça, ils sont uniques en leur genre, y'a pas à dire ! Ce film c'est le remake de Freaks sauf que le réalisateur fait partie de la troupe. La phrase leitmotiv du script, la voici : "C'EST DE LA RéCUP' !". La messe est dite.


Micmacs à tire-larigot de Jean-Pierre Jeunet avec Dany Boon, Omar Sy, Julie Ferrier, André Dussollier, Yolande Moreau, Michel Cremades et Dominique Pinon (2009)

The Roommate

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Minka Kelly. Leighton Meester. Si vous ignorez qui se cache derrière ces petits noms, vous ne comprendrez pas qu'on puisse être tombé dans les griffes de ce film. Le peu de personnes qui l'ont vu à ce jour ont deux couilles et peu de fierté. Nous en faisons partie. On a pourtant longuement hésité à écrire cette critique, d'abord parce que le titre est très difficile à orthographier ("The Roommate", deux "o", deux "m", deux "chiennes"), sans doute le seul mot du lexique mondial avec deux "o" et deux "m" accolés, ensuite parce qu'on craignait de tomber dans le piège habituel qui consiste à axer la critique sur le physique plutôt avantageux des deux actrices principales, comme cela nous arrive encore trop souvent. En même temps l'affiche y invite, qui dit "Which one will you get ?", question rhétorique qui s'annule de facto puisque Minka Kelly et Leighton Meester se ressemblent comme deux gouttes d'eau.


In bed with Minka Kelly, à gauche, et Leighton Meester, à droite. Même si c'est Vaio© qui reste le mieux éclairé dans ce plan, notebook qui à lui tout seul en dit long sur le budget du film.

Concentrons-nous donc plutôt sur l'histoire. Minka Kelly, du haut de ses 33 ans, débarque à la fac après avoir eu son bac L avec mention Assez-Bonne. Arrivée dans une cité universitaire anonyme du campus, elle découvre qu'on lui a automatiquement attribué une colocataire, la fameuse "roommate" du titre. Au départ, les deux jeunes femmes se découvrent quelques atomes crochus, à base de marques connues qu'elles apprécient de concert (elles raffolent toutes les deux de la firme H&M), de groupes indés adulés (The Shins, notamment) ou de plats tout préparés qui font toujours mouche (avec un gros faible pour le cassoulet "La Belle Chaurienne"). Mais très vite, Minka Kelly réalise que sa nouvelle meilleure amie présente quelques symptômes typiques du sociopathe avéré. Tout commence quand cette dernière invite l'innocente Minka au vernissage d'un peintre contemporain à l'esprit putain de torturé, dont les œuvres consistent en un étalage de barbaque peu éclairé. Minka se fend d'un poli "Ah oui, j'aime bien son style", mais sa grimace de mauvaise actrice dit bien qu'elle a reniflé l'embûche. L'étau se resserre. Très vite l'entourage de Minka fond comme neige au soleil. Le gros chien des quais qu'elle avait rencontré dans un concert de The Shins et sur lequel elle fondait quelque espoir génital s'éclipse comme par enchantement.... Le petit chat qu'elle avait recueilli dans les détritus fait quant à lui ses adieux dans un dernier "MIAOU !" tragique avant de retourner d'où il venait : dans la benne à ordures la plus proche. Et puis vient ce moment où, non contente d'avoir écarté son petit copain et son chat, Leighton Meester se met à porter les slips sales de Minka Kelly, et se fait graver sur le sein le prénom de la sœur jumelle défunte de sa malheureuse victime. C'est là que Minka Kelly se met à chercher une autre coloc sur LeBonCoin.fr.


La vie d'Adèle, Chapitre 0.

Vous vous demandez sans doute comment tout cela se termine. Résolution classique. Échange de coups de feu, intervention inespérée du petit copain rencontré au concert de The Shins, véritable canis ex machina du métrage, et puis une balle perdue qui vient faire sauter l'opercule crânien de la démoniaque Leighton Meester et conclure un film qui n'aura pas tenu ses promesses "sexy". Nous avons vu The Roommate parce qu'en tant que cinéphiles, nous tenions à avoir un pied dans l'actualité. En effet, des raisons personnelles nous empêchent d'aller voir La Vie d'Adèle en salles, et on pensait avoir trouvé là, après des recherches considérables sur le net, un équivalent à la Palme d'Or d'Abdellatif Kechiche. Peut-être même le Chapitre 0 des fameuses aventures homosexuelles de ces deux jeunes femmes qui découvrent la vie, un prequel au coming of age lezbdo dont tout le monde parle. C'est raté. Le réalisateur de ce film (sorti dix ans jour pour jour après la catastrophe d'AZF) se nomme Christian E. Christiansen. Avec un blaze pareil, il aurait pu mener l'équipe nationale de football du Danemark vers les sommets et succéder à la génération Laudrup, au lieu de ça il a choisi de filmer des femmes de footballeurs. Ça se défend.


The Roommate de Christian E. Christiansen avec Leighton Meester et Minka Kelly (2011)

Vorace

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Été 98. Alors que Zizou et toute sa bande plongent le pays dans la liesse, sort dans les salles françaises et en catimini le 4ème long métrage d'Antonia Bird, et malheureusement son dernier, puisque la réalisatrice britannique est décédée hier, le 25 octobre 2013, à l'âge de 54 ans. Repartie travailler à la télévision après la sortie de Vorace, Antonia Bird aura quand même eu le temps de marquer les mémoires des fans de cinéma de genre, et notamment grâce à cette ultime et très méritante livraison cinématographique. On ignore si la cinéaste était végétarienne ou non, mais tout porte à croire qu'Antonia Bird a voulu d'une manière ou d'une autre purger son malaise face à la barbaque en nous faisant croquer de la chair fraîche dans un film d'horreur old school qui met en scène des cannibales puisant leur force dans la consommation effrénée de viscères humains. A partir d'un scénario a priori épuisé jusqu'à la corde par un nombre incalculable de séries B plus ou moins ridicules, la cinéaste parvint à signer une œuvre inventive, originale et intemporelle.




L'action se déroule durant la guerre américano-mexicaine. John Boyd (Guy Pearce), un officier fraîchement décoré pour avoir pris à lui tout seul un avant-poste ennemi, mais manifestement perturbé par son fait d'arme entaché de lâcheté et faisant face à un gros cas de conscience, se retrouve parachuté au fin fond de l'arrière pays, dans un fort de Californie dont la garnison est presque intégralement composée de rebuts de l'armée. Les divers personnages nous sont présentés en quelques coups de pinceaux avec une efficacité certaine et un humour appréciable. Le film s'anime avec l'arrivée de Colqhoun (Robert Carlyle, acteur fétiche d'Antonia Bird), un pionnier traumatisé, en loques et épuisé, qui raconte à ses hôtes les actes de cannibalisme auxquels se sont livrés certains de ses compagnons de voyage égarés après avoir trouvé refuge dans une grotte. Aussitôt, le colonel Hart décide de lancer une expédition pour secourir d'éventuels rescapés.




Le voyage des soldats ne manque pas de faire monter la pression et de distiller des indices sur la véritable identité de Colqhoun, auquel Robert Carlyle insuffle toute sa folie naturelle. L'acteur chipe pratiquement le premier rôle à Guy Pearce. Et pourtant l'acteur de Memento, qui incarne un anti-héros et joue presque en retrait, misant tout sur son regard azuréen et sur son élégante beubar de trois jours, tient là son meilleur rôle. La séquence-phare du film survient alors quand l'équipée parvient à la grotte et se retrouve piégée par le véritable cannibale de l'histoire (la fin de ce paragraphe révèle des éléments-clés de l'intrigue), Colqhoun lui-même qui, après avoir creusé le sol de ses mains comme pour trouver refuge, en extirpe des poignards et se met à massacrer la majeure partie de la troupe. Robert Carlyle livre une prestation littéralement habitée pour manifester la folie de son personnage et le suspense à deux vitesses mis en place par Antonia Bird fonctionne à merveille : Guy Pearce et un lieutenant s'enfoncent dans l'obscurité de la grotte en craignant d'y rencontrer un malade puis en ressortent à toute allure pour affronter celui qui les a conduits dans ce traquenard. Après quoi la cinéaste relâche et relance soudain le rythme de la séquence, non sans humour, lorsque Colqhoun se retrouve face au peureux de la troupe (Jeremy Davies) et lui dit, le regard habité, "Cours !", avant que ne s'emballe une mélodie endiablée pour accompagner la course poursuite des deux personnages.




Comment ne pas être pris aux tripes par la bande originale composée par Damon Albarn (aidé par Michael Nyman), plus inspiré que jamais, y compris sur ses side-projets Blur et Gorillaz. Dès le début du film, la musique épouse les images de Bird, ces grands paysages enneigés, et surtout colle à l'ambiance inquiétante de l'ensemble du film (notamment quand elle est mêlée aux ricanements crispants de Carlyle en voix off), avec de temps à autres dans ces mélodies une certaine pointe d'ironie, une forme de décalage et de dérision qui désarment la tension et font régulièrement respirer le récit. Comment ne pas être séduit par la légende de Wendigo, qu'une indienne raconte à Boyd, cette histoire d'un homme devenu surhomme en mangeant la viande de ses semblables. Le film perd bien le rythme de temps en temps, et la fin est un peu poussive lorsque Colqhoun revient au fort en Colonel Ives, mais Vorace fait clairement partie des rares réussites d'un genre balisé et sombrant souvent dans le ridicule, sans aucun doute grâce à la conviction de son auteure et de ses acteurs. On laisse le soin aux amateurs des gender studies de mettre à jour le sous-texte sur l'homosexualité masculine que le film contient de toute évidence, et on se contentera pour conclure de dire que c'est un film de genre de qualité - chose qui ne court pas les rues aujourd'hui - qui mérite plus que jamais d'être revu à la hausse.


Vorace d'Antonia Bird avec Guy Pearce, Robert Carlyle, Jeremy Davies et David Arquette (1998)

Malavita

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Jouons au fameux jeu du "ni oui ni non". Irons-nous voir ce film au cinéma ? Non.


Malavita de Luc Besson avec Robert De Niro et Michelle Pfeiffer (2013)

Les Petits mouchoirs

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Mille fois évoqué, jamais critiqué. Jusqu'à aujourd'hui... Les Petits mouchoirs de Guillaume Canet fait partie de ces serpents de mer insaisissables que nous avons souhaité placarder au mur des dizaines et des dizaines de fois sans jamais sauter le pas. C'était jamais le bon soir pour vider un sac si plein à ras bord de ressentiment et, disons-le très simplement, de haine. Ces sentiments-là, on essaie de les chasser quand ils se pointent, comme tout bon citoyen européen. Mais là il faut mettre des mots sur ces émotions qui nous assaillent quand on prononce les mots "petits", "mouchoirs", "Guillaume" ou encore "Canet". Il faut appeler un chat un chat, et mettre toute cette bile noir sur blanc. Sauf que la question demeure, et qu'elle est double : comment peut-on concentrer autant de merde en 2h34 de film, et comment, en réponse, parvenir à concentrer toute la chaux que le film a accumulé en nous depuis trois ans maintenant afin de la déverser dans un seul article (et pire, dans les 140 caractères permis par Twitter pour faire l'annonce de cet article) ? On ignore comment c'est possible, mais on tente le coup, histoire de se sentir un peu plus légers demain matin au moment de planter nos louches dans nos bols de Weetabix. Juste un mot sur les Weetabix en passant, ces plaques de blé complet compacté, ces petits pavés de foin séché, concentré et pressurisé : si un jour nous était confiée l'occasion d'échanger quelques paroles avec le dénommé Guillaume Canet, nos mots seraient aussi secs, cassants et peu digestes qu'un paquet de Weetabix oublié au soleil sur l'asphalte du parking d'un vieux Lidl désaffecté en plein mois de juillet, ce fameux jour où il a fallu abandonner une provision pour pouvoir fermer le coffre.




Par où commencer ? Peut-être par le commencement. Le film s'ouvre, rappelez-vous, par un véritable plan-séquence de haute volée qui suit Jean Dujardin (Ludo dans le film), en boîte avec son ami Gilles Lellouche (zéro dans la vie), où il enchaîne les mojitos jusqu'au petit matin, drague trois pétasses, se pisse sur les bottes, fait deux pas chassés sur le dancefloor puis, la caméra toujours collée à ses épaules de brocard, titubant vers la sortie, portable à la main, dit "A demain !" au videur - et faut-il être paumé pour sortir ça en sortant de boîte à 6h du matin - avant de rejoindre son scooter, frêle deux roues qu'il chevauche laborieusement tout en continuant à dodeliner des hanches... et le fameux Ludo de s'éloigner à toute berzingue, tandis que les pulsations sonores de la boîte de nuit s'estompent et que le bruit strident de sa vespa au pot trafiqué nous perfore les tympans (l'acteur en rajoute une couche en imitant les accélérations de son moteur avec des bruits de bouche qui produisent sur son visage un rictus à la fois benêt et démoniaque ; il pousse aussi des cris de supporter dans un Paris encore endormi, meuglant au rythme de Seven Nation Army des White Stripes en tendant son poing aux quelques boulangers déjà sur le pied de guerre), jusqu'à ce qu'au détour d'un croisement basique au possible (deux routes qui se croisent perpendiculairement), mais venu à point nommé, un six tonnes (dont le chauffeur sort lui aussi vraisemblablement de boîte de nuit, puisqu'il conduit également à toute allure et une sandale dehors en chantant la même chanson célèbre) éjecte notre homme hors du plan et le condamne au hors-champ à une vitesse supersonique (il n'est pas impossible que les habitants de Mars, s'ils existent, aient vu l'événement pratiquement en simultané tant sa vitesse est fulgurante - ceci expliquerait a fortiori le silence de plomb qui continue d'émaner de Mars, dont on comprend qu'elle soit "not interested").




La phrase ci-dessus, qui mesure bien ses six pieds de long, vous paraît peut-être un poil lourde, mais elle est là pour prouver à Canet qu'on peut tous en faire autant. Avec un peu de patience et en plaçant les articulations au bon endroit tout en déguisant plus ou moins la technique (chez nous, une simple question de ponctuation), on peut faire une phrase-séquence, dite "phrase-paraphet" en littérature, sans le moindre souci ! On sent que Guillaume Canet a tourné ce plan-séquence avec un œil rivé sur la définition la plus minimale possible de la mention "plan-séquence" dans Le Petit Robert 2004, comme le médiocre acteur autoproclamé réalisateur, cinéaste, auteur même, qu'il est, en quête de reconnaissance et sûr d'obtenir ses galons de metteur en scène génial par un soi-disant morceau de bravoure, en l’occurrence ce triste plan-séquence de pure épate ne réclamant qu'une longue coordination, quelques techniciens collaboratifs et une poignée de biffetons mal dépensés (sans oublier un routier frais et dispo, et c'est peut-être ce qui suscite le plus d'admiration chez nous). La scène ne nous a tiré qu'un rire franc et massif, à la manière d'un autre accident de scooter dans un autre film français réalisé par un autre nullard, à savoir celui de Julie Ferrier dansParis de Klapisch. Dès l'ouverture de son grand œuvre définitif sur le thème de l'amitié, Canet nous montre tout l'amour qu'il a pour ses personnages, de la pure et simple chair à canon destinée au pare-buffle d'un camion tel qu'on n'en croise que dans certains bleds perdus de l'Arizona. C'est une chance qu'on ait pouffé lors de cet épisode immanquable de "Paf le iench", car le reste du film nous a déprimés pour des semaines. Après cet éclat inaugural, nous sommes restés collés au fond du canapé avec un dégoût ultime pour tout ce qui allait s'étaler à l'écran pendant les deux heures et trente minutes (...) à venir.




Le don de Canet c'est de parvenir à nous rendre détestables des gens qui nous sont d'habitude tout acquis. En l'occurrence on parle uniquement de François Cluzet, déjà sali par son implication dans Ne le dis à personne, le précédent Canet. Dans Les Petits mouchoirs on a envie de l'étrangler, de lui tordre le cou, comme à tous les autres acteurs en présence, sauf que pour Cluzet cette envie est née devant les films de Canet et s'est à chaque fois éteinte avec (même si elle a tendance à se repointer en douce quand l'acteur, en interview, qualifie son jeune ami de "meilleur réalisateur du monde"), alors qu'elle était déjà bien installée et a tranquillement perduré en ce qui concerne tous les autres membres du casting. Tous ces gens, les Dujardin, Lellouche, Cotillard, Magimel, Lafitte, Bonneton, Arbillot et compagnie, qui se présentent avec ce film et tant d'autres comme les jeunes pousses du cinéma français, les jeunes artistes en merde du nouveau millénaire, les étendards de toute une génération, méritent de se réveiller chaque matin face à un cobra venimeux tenu difficilement par un marabout africain fatigué et en manque de sommeil, sur le point de piquer du nez. Ils incarnent tous - sauf Dujardin qui joue le cadavre exquis de l'affaire, véritable prétexte aux superbes vacances de ses meilleurs amis - de purs sacs à merde, des nids d'inhumanité et de connerie qui nous font regretter la genèse du soleil. Cluzet est clairement le connard en chef de la bande, qui traite avec mépris et insultes son meilleur ami homosexuel, maltraite ses enfants, malmène des animaux, hurle sur ses camarades, défonce des cloisons à coups de tête, dédaigne sa femme et ne respecte aucune règle du bien vivre ensemble. Son personnage est une enflure absolue, et tous les autres, qui ne valent guère plus cher, gravitent autour comme autant de vermisseaux misérables et d'ascaris lumbricoides aimantés par la pourriture et le mal. Ce qui n'a pas empêché la France de se rendre en masses dans les salles pour assister à ce sous-feuilleton tv choral empesté d'idées marécageuses, de personnages infects, de sentiments médiocres, le tout enveloppé dans une mise en scène sordide qui nous fait revoir avec amertume ce jour sombre où un homme des cavernes s'est levé le cul en disant à ses potes : "On sort de la routine, on va tenter un truc !"




Il est des films qui permettent de faire le tri dans son entourage. Nous espérons de tout cœur que celui-ci n'en fasse pas partie, sans quoi c'en serait fini de la vie sédentaire, des espaces urbains et des salles des fêtes ; l'humain s'en retournerait à une existence solitaire et nomade faite de cueillette, de chasse et de pêche, ainsi que de projets sur le très court terme. Depuis ce film, Guillaume Canet n'a cessé d'évoluer sur tapis rouge. On lui a ouvert les portes de Cannes et celles de l'Amérique. James Gray l'a accueilli chez lui, a partagé son pain avec lui. James Caan lui a obéi en acceptant de foutre le feu à sa carrière pour un second rôle minable dans Blood Ties. Le réalisateur frenchy promu artiste international est reçu sur tous les plateaux télé français tel le messie. Si Canet venait à caner, sa place au panthéon est toute réservée. Pire que tout, il existe un coffret dvd "Guillaume Canet". Avec Les Petits choirmous, cet individu a pourtant commis l'un des pires crimes cinématographiques qui soient. Un "phénomène" selon la presse, ou plutôt un monument érigé à la beaufferie, la profession de foi d'une génération maudite et éternellement salie, le manifeste d'une bande d'acteurs qui s'est insolemment installée au cœur de la maison du cinéma français, s'est essuyé les pieds sur le tapis et n'est pas près de rendre les clés, pire, qui a érigé la complaisance, l'auto-satisfaction, le mépris des autres et la lourdeur en principes.


Les Petits mouchoirs de Guillaume Canet avec François Cluzet, Gilles Lellouche, Jean Dujardin, Marion Cotillard, Pascale Arbillot, Benoît Magimel, Laurent Lafitte, Valérie Bonneton et Mathieu Chédid (2010)

L'Autre Rive

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Deux jeunes frères vivent seuls avec leur père dans une vieille baraque perdue dans le sud des États-Unis. Déscolarisés depuis la mort de leur mère, ils consacrent leur quotidien à aider leur paternel dans son petit élevage de cochons ou dans l'entretien de la maison. En pleine adolescence et doté d'un fort caractère, l'aîné des deux frères (Jamie Bell) a régulièrement des problèmes avec les autorités du coin et entretient des rapports assez conflictuels avec son père (Dermot Mulroney). Quant au cadet (Devon Allan), tout juste âgé d'une petite dizaine d'années, il souffre d'une drôle de maladie qui le fait avaler tout et n'importe quoi pour le vomir dans la foulée. Plus fragile et rêveur, il passe son temps à lire quand il n'est pas occupé avec son grand frère. Leur petite vie va être bousculée par l'arrivée impromptue de leur oncle (Josh Lucas), fraîchement sorti de prison, et dont on comprendra assez vite qu'il est très intéressé par d'anciennes pièces d'or mexicaines dont aurait hérité son frère... Voici donc le point de départ de ce film dont j'ignorais totalement l'existence jusqu'à ce que je tombe par hasard sur l'extrait de la critique signée Mia Hansen-Løve tirée des Cahiers du Cinéma de janvier 2005 : « L'Autre Rive balance entre sagesse et férocité. Mais ce qui ne bouge pas, c'est la transparence poétique de ses personnages. Transparence unifiant la matière hétérogène d'un film hanté par les mythes et les récits primitifs ; et qui permet de prendre en charge le dialogue avec un "grand classique" (La Nuit du Chasseur) en l'articulant à un inconscient aussi chargé que dans le plus atteint des David Lynch. » Quelques lignes écrites par une cinéaste pour laquelle j'ai beaucoup d'estime et qui m'ont donc aussitôt donné envie de voir le film de David Gordon Green...




En le découvrant, je n'étais pas déçu et, surtout, j'étais tout à fait persuadé qu'il s'agissait du premier long métrage de son auteur. On a en effet typiquement l'impression d'être face à l’œuvre d'un jeune cinéaste américain sous influence, à la recherche d'un style propre, et tâtonnant un peu, essayant des choses et d'autres, parfois avec bonheur, d'autres fois un peu moins... On est en tout cas en présence d'un réalisateur assez audacieux, désireux d'affirmer son caractère et visant à donner à son film une identité visuelle forte et originale. Dès les premières minutes du film, nous sommes servis, et nous avons droit à quelques dérèglements inattendus dans la mise en scène. Arrêts sur images, inversions des couleurs, effets de solarisation, ralentis, longs fondus au noir... Des effets assez osés et surprenants, qui donnent immédiatement un cachet très particulier à L'Autre Rive. Durant le reste du film, ils se feront un peu plus rares et ne réapparaîtront que lors de moments clés, souvent pour appuyer la tension des situations, toujours avec un certain à-propos et sans jamais tomber dans l’esbroufe. Dès le générique, et à la vue du grain de l'image, on a également la nette impression d'être devant un film d'un autre âge, d'une autre époque, lorgnant surtout vers les glorieuses années 70 du cinéma américain. Rien de très désagréable, finalement... Rien de véritablement génial non plus, mais des petites idées largement suffisantes pour donner une vraie singularité à ce film et faire en sorte qu'il ressemble à très peu d'autres, malgré une filiation assez évidente et pleinement assumée. Produit par Terrence Malick, le film de David Gordon Green rappelle clairement les premières œuvres du vieux texan, en particulier Badlands (ce qui, soit dit en passant, n'est pas du tout pour me déplaire tant le premier long métrage de Malick occupe une place à part dans ma trajectoire cinéphile personnelle). Plus évident encore, et comme vous l'aurez peut-être remarqué dès la lecture du pitch, l'ombre du classique de Charles Laughton plane sur ce film, sans pour autant lui donner l'air d'un remake déguisé. 



 
David Gordon Green s'accorde d'abord un temps rare et précieux pour nous dépeindre la vie de cette petite famille et la personnalité des différents protagonistes, en s'appuyant sur des acteurs impeccables, à commencer par le jeune Jamie Bell, tout bonnement excellent. Dans cette première partie qui s'étend longuement, le cinéaste parvient à développer une ambiance très captivante, mise en évidence par une photographie sublime et par la musique très inspirée de Philip Glass, dont le style participe lui aussi à rappeler le cinéma de Terrence Malick. Suite à une scène décisive, très attendue mais néanmoins très réussie durant laquelle L'Autre Rive prend temporairement des allures de thriller d'action ultra efficace, le récit bifurque vers une sorte de road movie intimiste où nous suivons la fugue improvisée et l'errance fragile des deux frères livrés à eux-mêmes. Le réalisateur démontre alors un vrai talent pour filmer des populations délaissées, ces marginaux que croise le duo en fuite, traversant un univers tout en décalage, où semble se cacher un drame derrière chaque mur, chaque être. La fin indécise, dont on ne peut pas vraiment dire s'il est résolument pessimiste ou clairement optimiste, entretient l'impression curieuse à laquelle le cinéaste s'est appliqué à donner vie durant tout le film. 




Plutôt emballé par cette découverte et désireux de savoir ce que David Gordon Green avait fait d'autre, je suis donc allé me renseigner sur internet. J'ai alors appris avec stupeur que j'avais déjà vu trois de ses films : All The Real Girls, qui est, d'après mes souvenirs, une banale romance indé baignée dans une lumière instagram, et le combo Délire Express/Votre Majesté, deux insupportables comédies estampillées "Apatow". Après avoir notamment produit le remarquable Shotgun Stories de son très doué ami Jeff Nichols, David Gordon Green s'est donc tourné vers la comédie potache... Sans doute aveuglé par l'appât du gain, il est ainsi simplement devenu l'un des yes-men de la galaxie Apatow (ou plus précisément de son autre pote Danny McBride, présent dans tous ces films). Je n'avais pas tenu un quart d'heure devant Délire Express et à peine plus longtemps devant Votre Majesté. J'apprenais également que L'Autre Rive n'était pas son premier film mais le troisième. Drôle de filmographie... Espérons à présent que David Gordon Green revienne au cinéma plein de belles promesses de ses débuts. Sait-il que ses modèles ne se sont jamais laissés aller à de telles égarements ? Nous voulons vraiment croire aux échos positifs qui entourent ses deux nouveaux films, Prince of Texas et Joe, et nous les regarderons avec espoir !


L'Autre Rive de David Gordon Green avec Jamie Bell, Devon Allan, Josh Lucas et Dermot Mulroney (2004)

Snow Angels

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Qui es-tu vraiment, David Gordon Green ? Et que t'est-il arrivé ?! Suite à la découverte de son sympathique et très prometteur L'Autre Rive, j'ai naturellement eu la curiosité de voir ce que ce réalisateur avait fait avant de s'engouffrer dans la comédie potache de bas étage. Je me suis donc lancé ce Snow Angels dont il est vrai que le titre, l'affiche et le casting (avez-vous déjà vu Kate Beckinsale dans un bon film ?!) ne laissaient rien augurer de bon. C'était en tout cas les seules choses que je connaissais de ce film avant de le regarder, en plus du nom de son réalisateur. Le pitch aurait dû m'en tenir éloigné. Vous le résumer est déjà pour moi un petit supplice... Mais vous n'y échapperez pas !




Le tout début du film est déjà un peu pesant. On assiste à l'entraînement laborieux de l'orchestre de l'équipe de football américain du lycée, s'échinant à mettre au point une pénible chorégraphie à base de mouvements circulaires tout en perfectionnant la musique d'entrée des joueurs sur le terrain. Dans un froid de canard, les jeunes lycéens, déguisés en bobbies londoniens, sont menés à la baguette par un petit chef facho prenant son travail beaucoup trop à cœur. Perfectionniste, ce dictateur de pacotille est le seul à avoir quelque chose à foutre de l'orchestre de l'équipe de foot américain du lycée et il le fait regretter à strictement tout le monde, à commencer par le spectateur, qui n'a pourtant rien demandé. Voici déjà un personnage, un élément du film, que l'on peut donc immédiatement prendre en grippe, dès les premières images. Heureusement, il ne s'agit que d'un personnage très secondaire, mais on se demandera tout de même quel est l'intérêt d'avoir choisi de hanter le background de ce film par un spécimen de cette nature, un personnage incompréhensible de sale type semble-t-il rescapé du IIIème Reich, à la tronche rudement antipathique, donnant des ordres à qui mieux mieux et se foutant dans une colère noire pour un léger contretemps dans sa chorégraphie pourrie. Mais passons !




Plus embêtant encore, cette piteuse scène d'introduction est entrecoupée par un générique interminable où les noms de toutes les personnes impliquées dans le projet s'affichent en petites lettres blanches et rondes sur fond noir. A chaque fois, une lettre du patronyme reste à l'écran pour mieux se fondre dans le nom de la personne suivante, un détail qui n'a pas manqué de jouer avec mes nerfs. Ainsi, dès le départ, Kate Beckinsale abandonne le "a" de son nom de famille au prénom de l'acteur Sam Rockwell dans un jeu de chaises musicales insupportable où les lettres glissent sur l'écran à une vitesse d'escargot. Je restais zen face à ce triste spectacle, mais je me rends compte a posteriori que je devais être dans un bon soir, car rien qu'à y repenser, j'ai envie de tout casser. Avec ce subtil jeu typographique, ce générique nous apprend qu'un peu de nous réside en chacun de nous, de quoi me rendre fou ! Dès les premières secondes, on peut donc déjà savoir qu'il ne reste plus grand chose ici du talent entrevu dans L'Autre Rive. On peut même déjà craindre qu'il se soit noyé dans une soupe indie-geste (chaud, j'avoue !) à la recette malheureusement trop bien connue.




Mais reprenons là où nous en étions. L'orchestre de lycéens s'entraîne donc sous les ordres du gros facho du coin quand deux coups de feu retentissent au loin. Le film ne sera qu'un long flashback nous amenant lentement à découvrir l'origine de ces coups de feu. On suit donc les destins croisés de plusieurs habitants de cette petite ville gelée du nord ouest des États-Unis (il manque d'ailleurs un ou deux personnages pour que l'on puisse décemment qualifier Snow Angels de "film choral", mais rassurez-vous, il en a bien tous les travers !). D'abord, le destin d'Annie (Kate Beckinsale), une jeune maman qui élève seule sa fillette tout en essayant tant bien que mal de refaire sa vie après s'être séparé de Glenn (Sam Norman Rockwell), son ex-mari. Celui-ci n'a pas renoncé à sa famille et tente de vaincre ses démons en s'abandonnant à la religion et à l'alcool, avec comme seul compagnon dans sa déchéance un vieux clébard docile et sympathique (meilleur personnage du film, hélas muet). Parallèlement, Arthur (Michael Angarano), adolescent hideux dont Annie fut la baby-sitter et qui aujourd'hui travaille dans le même resto chinois qu'elle, découvre l'exaltation et les tourments d'un premier amour auprès de la nouvelle élève de son lycée, Lila Rayban (Olivia Thirlby, inconnue au bataillon et vouée à le rester). Voici donc pour le pitch du film. Remarquez que rien ne se passe véritablement, David Gordon Green vise d'abord à nous faire partager quelques tranches de vies nauséabondes de quelques péquenauds natifs de Pennsylvannie, il fait dans la psychologie de groupe.




La disparition accidentelle de la fillette d'Annie, à l'heure de jeu, va mettre le feu aux poudres et animer un peu tout ça, enfin ! Arthur retrouve le corps de la gamine gelé dans l'étang, à moitié dévoré par les loups ! Cette découverte macabre attise la rancœur de Glenn à l'égard de son ex-femme. Alors qu'il lui reprochait déjà de l'avoir trompé avec le queutard de la ville (incarné par mon cousin), il lui en veut désormais d'avoir laissé filer la gamine sans surveillance en plein blizzard. En réalité, Annie souffrait d'un mauvais rhume et la gosse a simplement profité d'une sieste imprévue de sa mère pour ouvrir la baie vitrée et foncer droit devant (quelle idée !). Cette tragédie met également en évidence les liens obscurs qui unissent Arthur et Annie, faits de spycams et de mouchoirs usagés, Annie étant le fantasme juvénile du jeune homme. Je vous révèle tout de suite la fin, car m'est avis que jamais vous n'aurez envie de voir ce film que personne ne connaît et c'est tant mieux. Les deux coups de feu sont donnés par Sam Rockwell, qui bute d'abord Kate Beckinsale, quasi consentante, puis se tire une balle, dans un semi-suicide en duo hautement ridicule, consécutif à la disparition de leur fille. A la toute fin du film, la mère de Sam Rockwell ouvre soudainement la porte de sa maison, et se met à hurler "Boooooooombeuuur ! Boommbeur !!". Bombeur, c'est le nom du chien de Rockwell, disparu également. Le film nous quitte là-dessus, sur ce cri déchirant et ignoble. On a rarement vu dernière image plus ridicule que ça, croyez-moi !




«Sam Rockwell as a psychotic father plays here his best dramatic role» peut-on lire ici ou là sur des forums de discussion ne maîtrisant pas la langue française. Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation, sachez-le. Je m'inscris en faux. Quant à Kate Beckinsale, il faut la voir jouer la maman enrhumée. Cette actrice est un gros canular sur pattes. Et elle devrait apprendre à mieux s'épiler les sourcils, là ça lui donne une expression ridicule, un air d'idiote étonné, figé sur son visage sans âme. Quant à son boulard, d'ordinaire toujours mis en valeur par les réalisateurs, il est ici carrément absent au montage. Le jeune acteur qui joue l'ado est difficilement supportable aussi dans le sens où tout le monde ne fait que lui dire "Tu sais que t'es mignon toi", alors qu'il a une pure tête de con et, à l'écoute de ce compliment, il enchaîne toujours un sourire qui donne des envies de guerre atomique. Rien à sauver dans ce film, rien, à part ce chien fidèle que nous voyons si peu. Snow Angels ressemble à des tas d'autres films indé. Aucun signe distinctif, si ce n'est une bêtise poussée assez loin. Il fait partie de ces films indé ricains tristes qui se complaisent dans leur misérabilisme, dans leur unhappy ends grotesques. Il commence très mal et finit encore plus mal. Je n'aime pas beaucoup les films qui ont l'air de suivre ce schéma tout à fait gratuitement, sans que cela paraisse très justifié, et qui tombent désespérément dans le pathos le plus dégueulasse. C'est tout à fait le cas ici.




Rares, il me semble, sont les réalisateurs qui ont une filmographie pareille. Il y a à peine de quoi boire et manger chez David Gordon Green, mais il y a tout ce qu'il faut pour gerber une nuit durant. Sa filmographie, c'est comme une boîte de chocolats, on sait jamais sur quoi on va tomber, et l'on se dit parfois, complètement dégoûté, qu'on ne voudra plus jamais y retoucher. Il y a de quoi foutre en rogne et de quoi à demi pardonner. Mon disque dur externe, c'est pareil : comme une boîte de chocolat, même si je sais que je ne retomberai plus jamais sur ce film, car je l'ai viré aussi sec après l'avoir subi. 


Snow Angels de David Gordon Green avec Kate Beckinsale, Sam Rockwell et Michael Anganaro (2007)

Soudain l'été dernier

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Avec ce film tourné en 1959, l'immense Joseph L. Mankiewicz fait le pari un peu fou de nous tenir plus d'une heure et demi dans la seule attente d'un flashback. Comme le docteur Cukrowicz, campé par Monty Clift, nous n'attendons qu'une chose : qu'Elizabeth Taylor se souvienne. Mankiewicz, qui avait fait du flashback une marque de fabrique (au principe même d'un certain nombre de ses plus grands films, tels le sublime Chaînes conjugales ou les flamboyants All About Eve et La Comtesse aux pieds nus), le retranche ici dans les derniers instants de ce qui se veut un pur film à suspense psychologique, sans la moindre action au menu. En attendant ce satané flashback, nous regardons Catherine, qui tâche de se rappeler ce qui s'est passé l'été dernier, et Mrs Venable (Katharine Hepburn) qui quant à elle tente de le dissimuler. Cette dernière, riche veuve dont le fils Sebastian vient de mourir, engage le neuro-chirurgien Cukrowicz pour lobotomiser sa nièce Catherine, devenue folle depuis le décès de son cousin. Mais le docteur s'inquiète des motivations de la vieille femme mystérieuse et pousse la jeune Catherine à y voir plus clair. Dans les pattes de la tante et de la nièce ennemies se faufilent la mère et le frère de Catherine, deux êtres insupportables, cupides et idiots, mais surtout Cukrowicz, auquel nous nous identifions et qui, comme nous, assiste aux débats, posé en plein milieu des scènes sans vraiment y participer, pur spectateur assez pressé d'en finir, relançant entre deux moments d'absence la vieille Hepburn et surtout la jeune Taylor pour que l'intrigue progresse et qu'enfin le souvenir apparaisse.



Mankiewicz prend un risque non-négligeable en gageant que son spectateur, en s'identifiant au personnage quasi inexistant du beau Montgomery Clift, suivra sans fléchir les longs champs-contrechamps aussi magnifiques que bavards opposant - d'une scène à l'autre ou dans la même séquence - les deux phénomènes féminins sur lesquels repose son film. Avec sagesse, le cinéaste intercale quelques dialogues métaphoriques malicieux (sur les plantes carnivores ou la dure vie des bébés tortues), des motifs marquants (comme le fauteuil ascenseur de Mrs Venable), et quelques éléments de mise en scène plus saillants (avec les séquences où Liz Taylor surplombe la salle des fous, d'abord pour s'y faire piéger, ensuite pour tenter de s'y suicider). Malgré la science du cadrage et du montage de Mankiewicz, la prestance de ses comédiennes et le texte de Tennessee Williams, il faut au spectateur quelque effort pour montrer une concentration égale face à certains échanges plus ou moins stériles des personnages, qui n'apportent que de maigres bribes d'informations supplémentaires distribuées au compte-goutte à propos de l'événement crucial dont Catherine essaie de se souvenir et dont nous savons depuis la première séquence qu'elle en fut plus victime que coupable. A ce titre le premier échange, opposant Monty Clift à Katharine Hepburn, apporte pour le coup son lot d'éléments significatifs. Le texte en est particulièrement riche, et le dialogue dure une bonne demi-heure. Soit dit en passant, un homme normal tel que le docteur Cukrowicz, même appâté par les promesses de dons de la fortunée Mrs Venable, ainsi que par l'espoir de rencontrer sa nièce, devrait plier les voiles au bout de cinq minutes face à une telle excitée (alors qu'on comprend sans difficulté son acharnement à rester auprès de la jeune Catherine, de ses sourcils épais, de ses yeux brillants et de tout ce qui fait d'Elizabeth Taylor Elizabeth Taylor).



Et puis vient le flashback tant espéré et tant repoussé, ce récit effarant de la mort improbable d'un personnage invisible et pourtant sur-caractérisé (riche, pédéraste, raciste, impuissant), souvenir que Mankiewicz filme dans un style à la fois baroque et réaliste pouvant aussi bien évoquer Welles que Rossellini. Et quand, comme le magnifique titre du film le promettait, le passé s'actualise (c'était déjà le souci majeur de Mankiewicz dans Chaînes conjugales), quand le flashback arrive enfin, alors on se félicite de l'avoir attendu. Le splitscreen divise le cadre en deux parties (l'une consacrée aux images passées du souvenir, l'autre au visage actuel de sa narratrice, Catherine, Elizabeth Taylor), devient un splitscreen mouvant, si l'on peut dire, puisque les deux spatio-temporalités occupent plus ou moins d'espace dans l'image selon que la mémoire revient au personnage ou lui échappe, et ainsi s'installe dans l’œil du spectateur une confusion. Ce dernier ne sait plus où donner de l'attention et découvre par conséquent les événements survenus l'été dernier avec le même sentiment d'incomplétude que les proches de Catherine et que Catherine elle-même. Notre regard se disperse à tel point, attiré à intervalles réguliers par le visage (si diablement expressif) d'Elizabeth Taylor, en médaillon dans un coin de l'image, ou en surimpression saturée de faux-raccords au centre du cadre, que nous ratons probablement des éléments du fameux souvenir, et qu'on ne sait plus bien démêler ce qu'on a vu, et que le génial Mankiewicz nous a effectivement montré, de ce qu'on a imaginé à partir des images réellement filmées ou des paroles iconogènes de l'actrice-narratrice.



Le cinéaste joue avec brio du pouvoir d'invocation d'images de la parole lorsque, au début du flashback, la sublime Elizabeth Taylor raconte que son cousin, pour attirer à lui une foule d'autochtones affamés, la força a se baigner en portant un maillot blanc qui deviendrait transparent une fois trempé. Mankiewicz filme le maillot en question, et l'actrice dans le maillot, dont la poitrine imposante remue sous nos yeux tandis qu'elle résiste à son cousin qui la tire vers le rivage. Quand elle sort de l'eau, les bras ramenés sur le corps pour tenter de le dissimuler, la voix à la fois in et off de l'actrice dit que c'était comme si elle était nue, et alors qu'à l'image son maillot reste d'un blanc parfaitement opaque, nous la voyons telle qu'elle veut bien se décrire, grâce au plan précédent, qui a fixé notre attention sur sa magnifique poitrine agitée en tous sens ; grâce aussi au désir que l'actrice, brûlante (au propre comme au figuré, elle nous est initialement présentée brûlant la main d'une bonne sœur avec une cigarette), n'a cessé d'attiser tout au long du film ; grâce enfin au pouvoir de persuasion des mots qui, conjugués à des images immédiatement antérieures venues plier notre désir à un corps court vêtu, font voir au spectateur ce qu'il n'a pourtant pas vu. Ingmar Bergman s'en est peut-être rappelé (du moins l'idée me plaît) en tournant Persona, où le récit ultra érotique quoique dépourvu de toute illustration en flashback de l'actrice-narratrice Bibi Andersson, racontant à Liv Ullmann sa première fois sur une plage dans un long monologue juste après une scène où l'on voyait justement les deux femmes se baigner en bord de mer, suffisait à nous persuader d'avoir vu les images aussi précises et inoubliables que parfaitement absentes de ladite première fois. Quoi qu'il en soit, avec Soudain l'été dernier, Mankiewicz résout la gageure, par des moyens strictement cinématographiques, de restituer à la mémoire sa part d'aléatoire, avec ses images irréparables et celles qui germent dans le souvenir, s'y greffent et fleurissent grâce à lui.


Soudain l'été dernier de Joseph L. Mankiewicz avec Elizabeth Taylor, Montgomery Clift et Katharine Hepburn (1959)

L'Amour dure trois ans

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Frédéric Beigbeder, salopard de première auto-proclamé, est un être digne du plus profond mépris. Après s'en être pris à la chose littéraire, en la pratiquant tout simplement, l'homme s'en prend à la cause des femmes avec son ignoble Manifeste des 343 salauds. Et entretemps, bien décidé à salir tout ce que ce monde a de beau, cette sangsue médiatique n'a pas hésité non plus à s'en prendre au cinéma. D'abord en animant l'infâme émission du Cercle sur Canal+, seule émission du PAF entièrement consacrée au cinéma et qui donne légitimement envie de se passionner pour tout ce qui n'en est pas ; ensuite en tournant lui-même un film. Aussi modeste que talentueux, l'auteur de ce parfait immondice filmique qu'est L'Amour dure trois ans s'est estimé tout à fait légitime en cinéaste et crut bon de justifier sa morgue ainsi : "Dix ans de pub, quinze ans de télé, je suis le romancier français qui a le plus d'expérience avec l'image", notre imbuvable guignol national ignorant sans doute que toute image n'est pas de cinéma, et que publicité comme télévision, médias du formatage, de l'abrutissement et du commerce, ne font guère bon ménage avec l'art cinématographique (les publicitaires passés cinéastes sont d'ailleurs parmi les pires criminels cinématographiques, sauf exceptions : combien de Jeunet pour un Jerry Schatzberg ?).




Rappelons surtout à cet infiniment triste et médiocre commercial, crâneur parmi les vaniteux, qu'en matière de rapports non pas à la vague "image" mais au cinéma, quelques noms de romanciers français viennent à l'esprit avant le sien, et de vrais romanciers, pas les misérables David Foenkinos (La Délicatesse, lol), Yann Moix (le brillant Prix Renaudot 2013, prolongateur du génie célinien, a réalisé Podium et Cinéman !), Nicolas Bedos (émule de Beigbeder, acteur chez lui et dans Amour & Turbulences, qu'il a co-écrit) et Frédéric Beigbeder lui-même, donc, qui pourrissent les écrits et les écrans français. On ne citera qu'Emmanuel Carrère et Jean-Philippe Toussaint, cela suffit amplement. Répondons enfin à l'outrecuidance de cet empaffé par les mots d'un autre écrivain et romancier français, Eric Chevillard, qui ne s'est pas fait prier, à la sortie de cette comédie romantique merdique, pour crucifier le vulgaire publicitaire mondain putanier et phallocrate reconverti grand fossoyeur de la littérature et du cinéma :

"Après Alexandre Jardin ou David Foenkinos, c’est donc Frédéric Beigbeder qui s’apprête à sortir son film. La littérature laissée pour morte derrière eux, sus au cinéma ! On s’étonnera un instant que ce soit justement les écrivains les plus calamiteux qui disposent des moyens de réaliser des films (ces sommes colossales englouties consciemment par les producteurs dans des abîmes de niaiserie), avant d’admettre qu’ils ont obtenu ces moyens grâce à ce même entregent, ces mêmes stratégies de séduction et de conquête qui leur avaient permis déjà de publier des livres malgré l’absence de toute espèce de talent à l’exception précisément de celui-ci, séduire, conquérir, noyauter le système, faire tourner cette industrie de bandits cyniquement vouée à détrousser les pauvres d’esprit". Tout est dit.


L'Amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder avec Louise Bourgoin, Gaspard Proust, Nicolas Bedos et Joey Starr (2012)

Inside Llewyn Davis

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Si vous êtes fous des chats roux mignons et de la folk morose, vous pourrez éventuellement passer un moment géant devant Inside Llewyn Davis. Sinon, vous risquez de trouver le temps long et de regretter que les si géniaux frères Coen n'aient rien fait de plus avec un sujet pareil. Rien de plus que le (faux) biopic d'un raté absolu qui aurait sans doute mérité mieux. Le film ne montre et ne dit rien d'autre que la lente dégringolade d'un grateux dépressif, qui s'enfonce sans réagir dans une spirale de l'échec, par définition répétitive et sans issue. Les déboires s'enchaînent pour notre sympathique victime, dont le tandem s'est suicidé, dont l'agent est un escroc, qui est haï par sa meilleure amie et dont le père se chie dessus dans un asile. J'en passe des pires et des meilleures pour éviter de gâcher toute surprise. Llewyn Davis (Oscar Isaac), petit brun avec une chaussure mouillée, s'il a le mérite de ne pas être un débile, contrairement à pas mal de personnages des Coen, est bel et bien une authentique jaunasse. Sauf qu'au-delà de cette théorie du naufrage permanent, très chère aux Coen, il n'y a pratiquement rien à puiser dans ce film, ni dans le propos, ni dans la mise en scène, dont la seule forme d'excès consiste à représenter en champ-contrechamp la vue subjective d'un chat qui zieute le nom des stations de métro dans les bras de son porteur cadavérique.




La première scène, où Llewyn chante dans un petit bar, annonce la couleur. Filmée platement, comme un concert lambda, la scène est éventuellement sympathique, pas méchante, mais anodine et sans caractère, et le film est à son image, pas désagréable mais peu marquant. On reste loin des biopics hollywoodiens et de leurs sempiternelles scènes de démonstration de talent, mais avec cette suite de plans académiques, ou plus loin quand Oscar Isaac joue devant F. Murray Abraham en champ-contrechamp avec zoom lent sur le visage du personnage transcendé, on se dit que les Coen ne nous ont rien montré. Tout cela manque sérieusement d'audace et d'idées. Tout comme le scénario d'ailleurs, qui patine fréquemment, se repaît de chansons interprétées dans leur monotone intégralité, et cherche une vaine issue dans un vague intermède absurde et décalé (comme une grosse signature posée en plein milieu d'une dissert') impliquant notamment John Goodman dans un rôle absolument sans intérêt. Toute cette parenthèse centrale du film ne trouve de sens que dans sa conclusion, quand Llewyn - et le film avec lui - abandonne John Goodman dans sa voiture comme les Coen abandonnent (temporairement peut-être) cette veine plus perchée de leur cinéma. Mais le moment, assez frappant, de l'abandon est bref et après lui reprend le défilé de plates emmerdes qui jalonnent la vie de notre troubadour sans pénates, nouvelle incarnation moderne du héros de l'Odyssée d'Homère à l'actif des Coen (après O'Brother), comme le surligne inutilement la scène où le nom du chat insaisissable, Ulysse, est révélé (en termes de surlignage, c'est toujours mieux que ce moment où Llewyn reste planté devant une affiche de L'Incroyable voyage, ce film Walt Disney où deux clébards et un greffe paumés dans les paysages de l'Amérique cherchent à rentrer au bercail).




Si Oscar Isaac fait le boulot dans le rôle du zicos déprimé, on ne peut pas en dire autant de la très mauvaise Carey Mulligan, dans la peau d'un personnage inexistant et pourtant insupportable. L'actrice souffre en prime un maximum des coiffures et costumes vintage qui participent de l'étouffement du film, ainsi que de sa lourde photographie, tantôt grise tantôt marronnasse, dans tous les cas blafarde. Livide, Carey Mulligan traverse le film tel un cadavre à frange ambulant. Elle joue fort mal mais, à sa décharge, son personnage est particulièrement mal écrit, grossièrement brossé, comme un certain nombre de protagonistes chez les Coen, et cet opus ne fait pas exception. On retrouve leur goût pour les figures gentiment ridicules sur lesquelles se porte le rire des spectateurs, notamment des parodies de juifs new-yorkais parmi les amis du héros. On est d'ailleurs surpris de croiser Marilou Berry dans un film primé à Cannes. Mais ça doit faire partie des nombreuses vannes irrésistibles de nos impayables génies du 7ème art (inutile de préciser que je n'ai pas vraiment trouvé à rire devant ce film). Au final, ce trop long métrage, ni bon ni mauvais, se regarde mais, comme la plupart des dernières moutures des Coen, déçoit grandement par son manque patent de couilles. On retiendra deux répliques : celle où Llewyn, de retour de Chicago, dit : "C'est vrai que c'était court mais ça m'a paru méchamment long", et celle où la fameuse Marilou, à propos de son gros matou, s'écrie à plusieurs reprises : "Où sont passées ses burnes !? Où sont passés ses glaouis ?!".




A la fin du film, après que Llewyn Davis a joué sa chanson du pendu (pour la seconde fois, le film, replié sur lui-même, adoptant la structure d'une boucle éternelle), et tandis qu'il sort se faire casser la gueule dans l'arrière-cour du Gaslight Café, on aperçoit le jeune chanteur qui a pris sa place sur scène et dont la voix, reconnaissable entre mille, nous dit aussi sec qu'il s'agit de Bob Dylan. Et au lieu, comme l'espèrent peut-être les Coen, de songer avec mélancolie à tous ces folkeux à la petite semaine du New-York des années 50, tristement passés aux oubliettes et qui n'eurent pas la chance de devenir aussi fameux que Dylan, on se dit qu'après lui, et depuis des lustres déjà, tous ces gentils interprètes de folk à barbes de velours et autres adeptes de la pop indépendante sauce aigre-douce avec option suicide collectif ont occupé le devant de la scène sans faire montre de la même originalité de son, de la même force d'écriture, du même génie. Ceux-là vengent et re-vengent tous les Llewyn Davis d'antan en nous les brisant menu, et à l'aune de longues années de braves Llewyn Davis par wagons, l'injustice que nous vendent les Coen paraîtrait presque, pour être vache, assez juste. Vive Dylan.


Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen avec Oscar Isaac, Carey Mulligan, John Goodman, Justin Timberlake et Adam Driver (2013)

Gravity

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Dans les tout premiers instants de la projection de ce fameux Gravity dont on nous a tant rebattu les oreilles, on a presque envie d'y croire. Et ce malgré George Clooney, qui lasse immédiatement avec son personnage d'astronaute gouailleur qui assure, toujours le bon mot, l'anecdote qu'il faut, la FM branchée en permanence dans le casque. Mais quelque chose semble se passer juste après la catastrophe, quand Sandra Bullock dérive dans l'espace, sans rien contrôler, le souffle court, emportée malgré elle dans le noir et incapable d'y réagir, faute de prise sur quoi que ce soit, faute de contrôle sur son propre corps, propulsée dans une sorte de rien éternel. On a l'impression, un instant, de percevoir quelque chose de cette idée insupportable, de saisir des bribes de cette sensation de vertige absolu dans un espace sans repères autres que le point blanc de la bouée dont on s'éloigne inexorablement, vers une abolition des distances dès que ce point unique aura disparu. Les fameux plans-séquences (devant lesquels on ne ressent pas nécessairement l'urgence de crier au génie) participent de ce sentiment d'un mouvement inarrêtable dans un espace sans bornes. Mais Cuaron casse cette bulle de temps pure, où tout n'est qu'espace et où l'espace se résume à un corps tournoyant dans le noir. Le cinéaste offre bien trop vite une solution à son personnage et vient tout gâcher. Malheureusement, ce qui est vrai pour cette scène est vrai pour tout le film.




Alfonso Cuaron semble non seulement préférer l'épate à l'intelligence, mais en oublie même de réfléchir tant soit peu à ce qu'il filme, pour n'en tirer au final que le strict minimum. On ne compte plus les scènes au potentiel énorme, sur le papier, qui tombent lourdement à plat (un comble pour un film en relief, blague téléstar) sur l'écran. Cuaron prend le temps d'écrire sur l'image, dès les premières secondes du film, que rien ne peut porter le son dans l'espace, rappelant à notre bon souvenir le gigantesque Alien de Ridley Scott et son célèbre "Dans l'espace, personne ne vous entend crier". Mais il ne respecte pour ainsi dire jamais ce beau silence dont Sandra Bullock fait l'éloge lors d'une conversation avec Clooney. Même dans ces scènes où le réalisateur quitte ses personnages un instant, comme lorsque Stone (Bullock) s'énerve dans le Soyouz à court de carburant : Cuaron sort soudain de l'engin et fait un travelling (si on peut dire) arrière pour isoler la figure de son personnage en colère, minuscule dans le hublot du vaisseau. On aurait pu s'attendre au silence dans cette scène, venu renforcer l'impression de solitude et d'impuissance. Mais non, le micro du personnage reste en permanence branché sur les hauts-parleurs.





Le dispositif narratif du film, qui décide de rester dans l'espace avec deux personnages, puis très vite avec plus qu'un, permettait également de se fier aux mécanismes naturels d'identification du spectateur, qui, n'ayant que Sandra Bullock à l'image, être humain en proie aux pires difficultés et mettant tout en œuvre pour en réchapper par instinct de survie, allait forcément se projeter en elle immédiatement et sans la moindre difficulté. Mais voilà que, sans crier gare, le personnage se met à déballer sa vie, devenant une femme seule et triste, qui a perdu sa fille de quatre ans et va tous les jours mécaniquement au travail pour s'oublier. Ce personnage, auquel nous nous étions par la force des choses si fortement identifiés, est soudain sur-caractérisé et s'éloigne d'autant plus de nous qu'un bloc de psychologisme hollywoodien à deux balles déboule en plein cœur d'un film pseudo-sensoriel, rendant le tout pathos à souhait et profondément indigeste. Sans parler de tout l'arrière-plan religieux que sous-tend la dépression du personnage en deuil.




La dernière partie du film est à ce titre totalement lourdingue, et achève de plomber l’œuvre toute entière. Il y a notamment cette scène assez insupportable où Sandra Bullock, après une légère tentative de suicide, accepte son destin, décide de foncer (elle n'a pas vraiment le choix vu que son soyouz est entré dans l'atmosphère et commence à flamber en tombant comme une pierre vers l'océan), expose à haute voix les deux issues possibles (la vie ou la mort, bravo), et se motive en remuant la tête, tel un boxeur approchant du ring pour son ultime combat, avant d'enfiler son casque et d'entrer dans le dernier round, prête à vivre comme à mourir, mais avec panache s'il vous plaît. Et elle y va de ses petites répliques qui tâchent, reprenant le gimmick comique du personnage de Clooney ("Je la sens mal cette mission…") ou y allant de sa propre formule-choc pas du tout cliché : "Dans tous les cas, ça aura été une sacrée virée !". Tout cela, ajouté à une scène légèrement antérieure où l'inconscient de Sandra Bullock lui dicte de ne pas renoncer (à moins de croire au dialogue avec les morts, piste possible étant donné que Cuaron nous place aussi tout un interminable monologue de la jeune femme priant le fantôme de Clooney de faire des baisers au fantôme de sa fille…), est d'une lourdeur terrible.




Cuaron nous donne une énième leçon de vie hollywoodienne en bonne et due forme : il faut vivre, se battre, il ne faut pas abandonner ni se couper du monde par confort, ne pas renoncer par faiblesse ou par facilité, il ne faut jamais lâcher, il faut vaincre. Philosophie de comptoir qui se double d'une dissertation pénible sur la gravité, évidemment. Dans un film où elle n'existe jamais, du moins pendant plus ou moins 80 minutes, elle est pourtant cruciale puisque la fille du personnage de Sandra Bullock en est morte (une chute idiote dans la cour de récréation), et surgit enfin quand l'héroïne trouve son salut, de retour sur terre, en renouant avec cette pesanteur espérée, qu'elle réapprend à dompter, se relevant, se remettant debout dans une sale illustration du fameux mythe du "christian reborn" si cher aux américains. Encore une scène où Cuaron, au lieu de jouer sur le retour du son, sur les bruits de ce corps lourd de fatigue prenant appui sur le sable, s'agrippant à la matière pour la maîtriser, fout tout en l'air en nous balançant des chœurs infâmes, une musique parfaitement grossière où des gens crient comme des malades, façon Walt Disney dans Le Roi Lion. Et la symbolique est lourde à mourir (sans parler de la laideur de la chose) quand Cuaron termine son film par ce plan en contreplongée sur Sandra Bullock qui se redresse, dans une pauvre imagerie publicitaire glorifiant l'humain magnifique et décrétant l'avènement hasardeux d'une sorte de new age crétin.




Beaucoup de critiques ont comparé le film à 2001 l'Odyssée de l'espace. Le film fait tout pour ça, avec cette fin qui fait écho à l'ouverture du chef-d’œuvre de Kubrick (les singes découvrent l'usage de l'arme dans 2001, l'humain se (re)met sur ses deux pieds et réapprend à marcher ici), et avec ce plan poussif sur Sandra Bullock flottant dans la position du fœtus devant le giron du sas de la station-mère… Cuaron l'a voulu et Cuaron l'a eu. C'est pourtant grotesque tant les deux films, dans l'aspect et dans le propos, n'ont rien de commun. Kubrick et Cuaron ne jouent pas dans la même cour, loin s'en faut. C'est plutôt à Titanic qu'il faut comparer Gravity, poids-lourd du box office, film catastrophe à la pointe en termes techniques, donnant au spectateur à s'émerveiller d'un spectacle sur-dimensionné, à s'émouvoir d'un récit plein de suspense et de rebondissements, à s'identifier à des personnages simplistes accablés par un sentiment d'impuissance, car coulant et n'y pouvant rien, happés par l'immensité silencieuse sur fond de musique dramatique pompière et de sentiments bon marché, avec la farouche envie et la noble énergie de s'en sortir, quitte à ce que l'héroïne perde son héros chevaleresque prompt au sacrifice en route. Comme Titanic, Gravity peut légitimement être considéré comme un divertissement parfois efficace, mais il n'est strictement rien d'autre qu'un pur produit hollywoodien contemporain avec les quelques qualités (l'once de vague vertige sensoriel du début, parfois une certaine peur pour le personnage) et tous les défauts de la chose.




La part ultra hollywoodienne du film pèse donc aussi sur son scénario, et c'est un nouveau gâchis dans la mesure où la part réaliste de Gravity, dans sa première partie (c'est l'un des arguments de l'opération, ce prétendu réalisme chevronné de la reconstitution de la vie dans l'espace), qui passe aussi par la part de vraisemblance du personnage de Sandra Bullock au début du film, paniquée, au bord de l'asphyxie (toutes choses qui participent à notre croyance dans le récit et donc au suspense de certaines scènes), disparaît ensuite du fait d'un abus de péripéties invraisemblables, dont la liste serait trop fastidieuse à dresser. Si bien qu'on peut aussi se plaindre du film si, sans même le penser tel une œuvre majeure dans le genre de 2001 l'Odyssée de l'espace (on est loin aussi de la dimension parfaitement visionnaire du film de Kubrick), on le considère comme le simple blockbuster à suspense qu'il est. Si l'on prend aussi en compte que la 3D du film, assez porteuse dans les premières scènes, devient aussi ridicule que ringarde avec la grosse larme de Sandra Bullock qui flotte sous nos yeux pendant deux minutes à bord du Soyouz, et que le bijou de Cuaron perdra la déjà maigre épaisseur de ses meilleures scènes en 2D et sur un plus petit écran (tel un exact tour de Grand Huit, une sensation de vertige et puis s'en va), il n'y a vraiment pas de quoi s'extasier ni de quoi faire de Gravity le film du siècle.


Gravity d'Alfonso Cuaron avec Sandra Bullock et George Clooney (2013)

Y tu Mama También

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J'ai vu Y Tu Mama Tambien ! Pour comprendre le titre, il faut voir le film quasi jusqu'au bout. Ça baise à tout va dans ce film réalisé par les frères Cuaron. La teub de Gael Garcia Bernal tu l'as dans toutes les situations : flottant dans une piscine, à l'air libre, subissant les coups de poignet de son proprio, et dans divers vagins aussi. Le film est un road movie dans le Mexique où l'on suit deux potes excités de 18 ans et une femme de 30 ans lassée des infidélités de son mari. Les deux jeunes hommes sont incarnés par Gael Garcia Bernal, que je ne vous présenterai plus et dont vous connaitrez aussi bien la teub que le visage de chien battu après avoir maté ce film ; et Diego Luna, aperçu dans Open Range et Le Terminal. La femme est jouée par Maribel Verdu (bien achalandée des tétons) qu'on a récemment vue dans Le Labyrinthe de Pan et dont les seins sont proéminents malgré sa relative maigreur. Le côté road movie, c'est parce qu'ils décident de prendre une voiture et qu'ils tentent de rejoindre la fameuse plage appelée la Boca del Cielo, recommandée par un de leur pote toxicomane, pour y rester quelques jours. Les deux potes se font chier pendant leurs grandes vacances et la femme s'emmerde toute seule chez elle pendant que son benêt de mari profite de congrès et de séminaires pour la tromper. De leur point de départ jusqu'à cette plage, il se passera de nombreuses choses (relations sexuelles diverses, discussions sur le cul, soirées arrosées qui se terminent en gang-bang, discussion avec les autochtones). Ça m'a plu parce que c'est pas long, c'est bien dosé, y'a du rythme, on apprend des insultes en espagnol ("putito !") et on a un aperçu des réalités de ce pays avec une armée omniprésente, un pouvoir corrompu et des paysans qui crèvent la dalle. Ça donne un goût plutôt amer à ce road-movie, au premier abord insouciant. Y a quand même un truc vraiment tout pourri qu'Alfonso Cuaron aurait pu s'abstenir d'inclure dans son movie : un plan d'éjaculat humain qui tombe dans l'eau d'une piscine. C'est inutile.



Petite anecdote à deux balles : j'ai emprunté le dvd à la médiathèque de Metz et la jaquette est géniale. Déjà le titre est traduit en français ("Et... même ta mère !", j'en ai chié pour le trouver, surtout qu'il est classé dans Les Inclassables de la médiathèque de Metz), c'est mentionné "par le réalisateur du film De grandes espérances" (sachant que c'est un film de commande renié par Alfonso Cuaron) et pour couronner le tout, la phrase d'accroche c'est : "Un road movie dans la lignée de La Plage et Thelma & Louise", ce qui prouve que l'ordure qui a écrit cette phrase n'a pas vu le film.


Y Tu Mama Tambien d'Alfonso Cuaron avec Gael Garcia Bernal, Diego Luna et Maribel Verdu (2001)

After Earth

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C'est pas seulement qu'on avait envie d'aimer ce film, ni même qu'on avait envie de l'adorer, on avait carrément envie de se laisser cueillir… On sait que Shyamalan est au fond du fond depuis qu'il a accepté d'apposer son nom au script de La Fille de l'eau. Et puis ce fut la théorie de l'escalier, la fameuse spirale infernale, le célèbre cercle rouge de Melville. On imagine sans peine Shyamalan prisonnier d'un gigantesque siphon à chiottes, avec de l'alcool à la place de la flotte. Il a en effet essayé de retrouver son inspiration dans le scotch (le liquide tout comme le ruban adhésif, qui a des vertus planantes, de même que les tubes de colle Uhu que l'on sniffe en cours de maths pour oublier cette enflure de Thalès). Shyamalan a entretenu son malheur en embauchant Mark Wahlberg pour Phénomènes, puis en tournant Le Dernier maître de l'air, inspiré d'une œuvre qui a pour titre original "Avatar", titre malheureusement bloqué côté ciné… Cette dernière œuvre fut une négation du 7ème art. S'il y a des gens respectables qui défendent encore Schumi aujourd'hui, même ceux-là ont du mal à s'expliquer Le Dernier maître de l'air. Mais passons.


Shyamalan met dans sa vie familiale l'ardeur et la joie qu'il oublie de mettre dans sa filmographie.

On attendait donc une forme de ressac. On espérait qu'avec After Earth Shyamalan sorte enfin la tête de l'eau. De guerre lasse, le cinéaste de Pondichéry a décidé de cesser d'écrire ses propres films et de désormais mettre en scène des tapuscrits venus d'ailleurs. Il s'est rapidement vu proposer le premier script pondu par Will Smith, qui signait là ses premiers mots sur papier. L'homme n'avait jamais écrit avant ça, pas une lettre, pas un mail, pas un mot d'excuse, pas un partiel, pas une liste de courses, même pas un 06 dans la paume de sa main, vu que les femmes gravent leurs numéros directement sur son zgeg (y'a encore de la place ! de la place pour tout un répertoire !). Beaucoup de pages ont en revanche été noircies par les soupçons qui pèsent sur le film d'être un manifeste scientologue. Will Smith ne se revendique pas de la secte, qu'il décrit quand même comme "un putain de paradis", mais il reste l'ami fidèle de Tom Cruise, chantre du mouvement scientologue aux USA. Or il a été démontré par A+B, photocopies du bouquin de Ron Hubbard à l'appui, que même la tagline du film, issue de l'une des répliques phares du film, reprend mot pour mot l'un des préceptes fondateurs de l'église de scientologie : "Fear is an illusion, it's not réal, it's phony, it is a fake, believe in u". Nous ne reviendrons pas sur ce débat trop complexe pour nous. Scientologue ou pas, on a un respect infini pour cette philosophie de vie et pour Will Smith, l'expert en séduction qui se vante d'éjaculer l'équivalent du contenu d'une canette à chaque voyage, et pour ça, respect, parce qu'il s'agit de canettes américaines, pas de canettes 33cl françaises.


Cette photo, et les centaines d'autres clichés qui réunissent les deux hommes, ne sont pas un argument.

Venons-en au synopsis du film. La planète Terre est devenue une poubelle à cause de la pollution humaine. Ses habitants ont donc décidé d'un commun accord de coloniser une autre planète du système solaire, mais sont tombés sur des autochtones mal lunés nommés les Ursaf. Petit à petit, l'Ursaf a rendu la monnaie de sa pièce à l'humanité en se payant quelques bed&breakfast sur le globe. A terme, ces étrangers peu commodes ont nettoyé la Terre de l'espèce humaine. L'Ursaf est une créature extra-terrestre aveugle qui détecte la peur et zigouille tout ce qui fouette. Un commando d'élite a été formé, les rangers, tout de blanc vêtus comme les prêtres scientologues (mais on ne reviendra pas sur ce sujet), pour endiguer la propagation de l'Ursaf. Will Smith, qui ne connaît pas la peur, en fait évidemment partie, il en est même le pilier, et un pilier à trois jambes s'il vous plaît. Du fait de son travail très accaparant, notre héros a des relations tendues à souhait avec son fiston, son fils à la vie à l'écran, Jaden Smith. Et c'est bien entendu là que Shyamalan a trouvé son intérêt dans l'écrit très confus de Will Smith. Il paraît que le scénario ressemblait vaguement aux calligrammes de Guillaume Apollinaire, mais au lieu de représenter des arbres ou des cœurs, ses gribouillis étaient de purs tourbillons d'horreur, des formes à rendre nerveux. Ce script a naturellement été débroussaillé par les experts scientologues au service de Will Smith mais ce n'est pas le sujet.

Le fait est que le début du film est au cinéma ce que les bolo'balls de Panzani sont à la gastronomie. Autrement dit c'est pas cher, c'est moche, ça a l'air d'avoir été torché très vite par des créatures aveugles et ça chlingue un maximum. Il faut l'avaler très très vite, sans y penser, en faisant un black-out total, mais on apprend plein de choses d'un coup sur la vie. On n'est pas loin de l'introduction deJohn Carter, on pense aussi à celle d'Oblivion, à celle de World War Z, bref aux introductions minées de tous ces films de SF qui croient bon de nous assommer dès le départ avec un flot d'informations en mode état des lieux sur la fin des temps, sur la maigre résistance des hommes face aux catastrophes naturelles ou aux invasions extra-terrestres, le tout résumé par une voix-off qui en fait des caisses. Quand ce n'est pas Morgan Freeman qui s'y colle, avec sa voix de grand chaman, c'est Eminem qui prend le relai, le rappeur parvenant à dégueuler dix mots à la seconde sans bafouiller (le mec s'est fait faire une trachéotomie pour pouvoir respirer par la gorge tout en continuant à causer sans marquer de pause !).


Shyamalan, sa casquette fétiche et Will Smith s'y mettent à plusieurs pour diriger le phénomène Jaden Smith, qui ne pige rien au film.

Avec cette introduction on se rend compte que c'est bien de tout en bas que Shyamalan essaie de décoller. S'ensuit une rapide présentation des personnages, où Will Smith ne décroche pas les mâchoires et joue avec un impressionnant balais dans le cul. L'acteur est parfaitement mauvais d'un bout à l'autre du film mais en particulier quand il incarne les pères militaires autoritaires et taciturnes, incapables d'exprimer leur amour autrement que par des "File dans ta chambre !", "Cause à mon cul ma tronche est malade !" et autres "T'as une tâche…" dit en pointant le nombril du gosse avant de lui foutre un gros taquet dans la mâchoire à deux doigts de laisser l'enfant pour mort sur le tapis du salon. Le tout sous le regard ahuri d'une épouse totalement effacée par un mari phallocrate au possible. Le conflit père-fils est accentué par l'échec chronique du fils aux épreuves d'heptathlon indispensables pour devenir un ranger confirmé (ces méthodes de recrutement rappellent étrangement celles de la Gendarmerie Française et de l'église de scientologie, mais ça ne nous regarde pas des masses). Tout le dilemme du gamin interprété par Jaden Smith, qui joue aussi grossièrement que son père, et qui est semble-t-il, d'après son compte Tweeter, soit un pur débile soit un visionnaire, est de devenir l'égal de son père, mais il doit maîtriser sa peur ainsi que sa flemme (ça reste un gros flemmard, Will Smith passe plusieurs scènes à le réveiller à deux heures de l'aprèm en lui jetant de l'eau bouillante sur le crâne) et surtout apprendre à oublier la mort de sa sœur, détruite sous ses propres yeux par un Ursaf, mort tragique dont il assume abusivement la responsabilité depuis des années.


Le personnage de Jaden Smith, comme beaucoup de gamins lors de ces trajets interminables en bagnole, lâche un pet aigu pour dérider son père, à deux doigts de le défenestrer du vaisseau en marche.

Tout le début du film consiste à nous faire douter quant au fait que Jaden Smith puisse embarquer avec son père pour une grande aventure. Quiconque a croisé l'affiche, où tronche du père et tronche du fils se fondent l'une dans l'autre (le morphing donnant le visage de Jada Pinkett Smithee), a une vague idée de l'issue de ce dilemme... Effectivement, le bambin finit par monter avec son père à bord du vaisseau et atterrit avec lui sur la planète Terre après un crash terrible. Le film consistera dès lors en un coming of age mêlé de survival au cœur d'une planète Terre post-apocalyptique où toutes les espèces vivantes ont muté pour se retourner contre l'homme, qu'elles accusent d'avoir merdé. Will Smith, la jambe cassée lors de l'atterrissage forcé du vaisseau, assiste son fils depuis son fauteuil et le regarde courir de flaque en flaque, sauter de rocher en rocher et jeter ses mokos sur des singes affamés, tout en éructant dans son micro. Il lui glisse même quelques répliques-réflexes, du genre : "Le dernier arrivé à table prend mon pied dans son cul !". Toutes les cinq minutes, le fils et le père sont assaillis de flash-backs miteux, et ces deux cons se ressaisissent systématiquement quand le père hurle à son fils : "Take a knee ! Take a knee !" (littéralement "prends un genou", ce qui signifie "pose un genou à terre et reconcentre-toi", une méthode de méditation tout droit issue de la scientologie mais là encore, motus !), le fils répondant systématiquement : "Pourquoi tu me demandes de prendre mon pied ? Je n'ai aucune revue sous la main, aucun support visuel, aucun hologramme porno, je n'ai pas le matos requis".


Jaden Smith prend son millième genou.

Au milieu des effets-spéciaux indigents du film et d'une poignée de goofs de rigueur, on trouve quelques reliquats du cinéma de Schumi. Par exemple ce plan où, après le crash, une bâche se soulève et retombe à intervalles réguliers devant l'objectif, cachant puis dévoilant les gestes de Jaden Smith, plan qui n'est pas sans évoquer l'un des climax d'Incassable où Bruce Willis s'apprête à agir pour la première fois en super-héros. Sauf qu'il n'y a aucun propos derrière tout ça. On sent que Schumi veut juste retrouver des réflexes, reprendre la main, ce qui se ressent aussi sur le rythme du film, qui se veut lent mais qui s'avère chiant. After Earth dénote certes au milieu de tous les blockbusters de SF actuels au rythme tapageur et irrespirable, mais il n'en reste pas moins un beau fèces. Ceci dit pour Noël on a commandé un aigle capable de nous sauver la peau en nous tirant sous des branches si jamais on reste paralysés par le froid en allant au taf, comme cela arrive à Jaden Smith dans une scène mémorable du film qui fait dans le manifeste écologique de bas étage (à la manière de Phénomènes) et qui fait directement écho au rôle central de l'aigle dans le bestiaire de la scientologie, mais on ne tirera aucune conclusion hâtive à ce sujet pour éviter de s'aventurer sur un terrain glissant. On aurait aimé défendre Shyamalan sur ce coup-là, comme on défend Petit Quevilly contre le PSG d'Ibrahimovic en quart de finale de la Coupe de France, mais notre homme a encore poussé le bouchon un brin trop loin. Après, l'espoir fait vivre, et Schumi est encore en vie aux dernières nouvelles...


After Earth de M. Night Shyamalan avec Will Smith et Jaden Smith (2013)

Reservation Road

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Dans ce film, Joaquin Phoenix, cet éternel écorché vif, a tout pour lui. Une jolie femme qui va bien (Jennifer Connelly). Deux gosses pas chiants (Elle Fanning et Sean Curley). Un petit boulot sympa (avocat). Une bagnole comme il faut (4x4 Land Rover). Une petite bicoque sans prétention dans un bled pas moche des States (Stamford, Connecticut). Bref, cet acteur d'ordinaire condamné à jouer les mecs mal dans leurs peaux et foutus pour la vie jouit ici d'une situation fort enviable. Au début du film, en tout cas, car les choses se gâtent rapidement... Après avoir assisté au récital à la clarinette du petit dernier, la petite famille au grand complet s'arrête dans une station essence pour faire le plein. Joaquin Phoenix ne peut pas compter sur Jennifer Connely, endormie à l'avant, pour surveiller les deux gamins, intenables. Joaquin Phoenix prévient donc ses gosses : "Sortez pas, c'est pas un coin sûr. Cette station Esso est très curieusement située en plein virage, alors déconnez pas et n'essayez pas de traverser la route. Restez dans la bagnole, restez dans la bagnole. N'importe quel connard peut débouler et vous faucher d'une pierre deux coups". Plus soumise à l'autorité de son jeune père, la sœur aînée ne détache même pas sa ceinture de sécurité et reste tanquée sur son siège. Son petit frère, attiré par un papillon voletant à l'extérieur du véhicule, n'en fait qu'à sa tête et s'en va promener sur la chaussée à l'instant même où son paternel entre dans la station pour payer son dû au prix fort. C'est là que le film bascule dans l'horreur absolue. Déboulant à toute berzingue, un hummer fou conduit par Mark Buffalo rentre de plein fouet dans l'apprenti joueur de clarinette. Coup du lapin, mort instantanée. Le film a basculé et Joaquin Phoenix a retrouvé ce rôle d'écorché vif qui lui colle tant à la peau. A la différence du comique Jamel Debbouze, son gosse ne perd pas que l'usage de son bras, il y laisse sa vie ! De son côté, Mark Ruffalo pratique le hit & run, c'est à dire qu'il fout le camp aussi sec, après avoir constaté les dégâts d'un rapide coup d’œil dans son rétro.




En plus de se focaliser sur la détresse des parents du gosse écrasé, le film nous propose de suivre le morne quotidien de Mark Ruffalo, rapidement rongé par le doute et la culpabilité. A-t-il bien fait d'écraser un gosse ? Aurait-il dû s'arrêter pour tenter le bouche-à-bouche et sauver les apparences ? Était-ce vraiment une bonne idée de s'allumer un gros cigarillo en plein virage ? Cette cassette de U2 diffusant Whit or Whitout You méritait-elle vraiment d'être retournée pour que la chanson se poursuive ? Ne devrait-il pas regretter d'avoir fait l'impasse sur l'option "lecteur cd multifonctions" pour se payer un hummer dernier cri ? Les premières minutes du Canal Football Club valaient-elles vraiment la peine de rouler à une si vive allure ? Autant de questions hantant littéralement l'esprit torturé d'un Mark Ruffalo déjà bien embêté par ses problèmes conjugaux. Nous découvrons en effet que sa vie n'est pas un conte de fée. Fraîchement divorcé, Ruffalo est en pleine bataille judiciaire pour conserver la garde de son fils avec lequel il ne partage pourtant qu'une seule chose : une passion sans limite pour le baseball et les pizzas de marque "Hut". Entre deux scènes directement issues de Kramer contre Kramer, nous suivons le personnage incarné par Ruffalo dans son cheminement personnel, entre deux parts de pizza croquées devant la télé, une réflexion qui le mènera progressivement vers l'acceptation de sa situation, vers le mieux-vivre et, plus exactement, vers ce stade psychique que les experts en psychologie ont nommé le "laisser-pisser". Ses rapports avec son fils s'améliorent considérablement à partir du moment où ils se découvrent une nouvelle passion commune pour le jeu vidéo GTA.




Parallèlement, nous suivons donc la famille de Joaquin Phoenix. Aucun problème de deuil en ce qui concerne Jennifer Connelly qui fait ses nuits et qui, quelques jours après le décès de son rejeton, pense à revendre sa clarinette sur leboncoin, en tout bien tout honneur, et s'en tire même à un bon prix. Elle ira d'ailleurs jusqu'à lancer avec plein d'enthousiasme à un Joaquin Phoenix abattu : "Hé, 70 billets la clarinette, 70 biftons ! Pour un bout de bois à 6 trous ! Compte, ça fait plus de 10 boules le trou ! Heureusement qu'il ne l'avait pas sur lui lors de l'incident...". De son côté, Phoenix vit très mal la disparition de son enfant. Devenu insomniaque, il passe ses nuits sur le net à écumer google avec comme mots clés "que faire hit and run" et "pio marmaï nu". Ces mots le menant vers quelques bons jeux flashs et de chouettes blogs ciné, il perd beaucoup de temps, mais parvient tout de même à apprendre comment retrouver quelqu'un à partir de sa plaque d'immatriculation (chose bien pratique puisque celle du coupable est partiellement gravée sur le front du gosse). Désarçonnée par le comportement de son époux de plus en plus asocial, Connelly ne manque jamais une occasion de lui dire "Lâche un peu le net, ça va t'abîmer les mirettes. Et pense au moins à foutre la table. C'est désagréable, quand je rentre le soir, après m'être tapé une journée de folie, de voir que la table n'est même pas foutue. Même pas foutu de foutre la table !".




Le film prend une tournure encore plus machiavélique et schizophrène quand Joaquin Phoenix, alors en pleine investigation pour découvrir l'identité du meurtrier de son fils, devient nul autre que l'avocat de Mark Ruffalo himself dans son affaire de divorce ! On nage alors en plein délire, dans un horror flick aux accents freudiens. Je vous avoue hélas que j'ai vu le film en VF et j'accuse les traducteurs d'avoir bâclé le boulot et de m'avoir tout particulièrement gâché la fin du film. J'en veux pour preuve ce dialogue assez moyen lors du face-à-face pourtant très attendu entre Mark Ruffalo et Joaquin Phoenix, survenant tout juste après que celui-ci ait décelé l'énigme du hit & run. Mark Ruffalo a alors retrouvé la paix avec lui-même, tandis que Joaquin Phoenix est plus bouillonnant que jamais. Ils s'échangent alors, et je cite la VF :
"Alors comme ça c'est toi qui as dégommé mon fils en bagnole...
- Je te promets que j'ai pas fait exprès, répond Ruffalo, la main droite posée sur la hanche gauche. Je te le jure !
- Mais t'es malade ou quoi ? dégueule aussi sec Joaquin, survolté, et sortant un revolver de sa poche arrière. Tu crois que cette excuse va me suffire ? Tu casses, tu payes, tu ne peux pas battre Sébulba , il est trop fort !
- Mais qu'eeeeest-ce que tu racontes ? Qu'eeeest-ce que tu racontes ? rétorque Ruffalo, tout déboussolé. Ça t'est jamais arrivé de heurter un chevreuil en bagnole ?
- Si... dit Joaquin, hésitant.
- Bah là le chevreuil, pas de bol, c'était ton fils. Qu'est-ce que j'y peux ? déballe alors Ruffalo, droit dans ses bottes.
- Je suis avocat de métier et tu ne m'embobineras pas de cette façon, répond Joaquin en reprenant progressivement ses esprits. Mon fils est mort sur le coup et toi... et toi... tu as fui comme le dernier des lâches !




- T'y vas un peu fort..., répond calmement Ruffalo, sûr de lui. Je te refais la scène : je suis tranquille en bagnole, un clope au bec. Il va s'éteindre, hop je me baisse pour saisir l'allume-cigare. Je me relève, et là je découvre, en plein virage, ton gosse qui fonce droit sur mon pare-choc. Bien sûr, j'allais pas l'éviter et foncer vers le précipice. Pas fou ! J'avais une nanoseconde pour faire un choix. J'ai choisi de sauver ma peau et de m'empéguer ton fils, en espérant que ça le fasse et qu'il s'en tire indemne. Ensuite, j'ai tracé. Logique, je ne voulais pas louper le CFC.
- Ta reconstitution des faits ne te grandit pas, et ce franc-parler insupportable... Enflure de mec ! lance alors Joaquin Phoenix en serrant les poings.
- Écoute, vas-y un peu mollo avec les insultes et décolle ton arme de ma carotide, veux-tu ? Tu remarqueras que de mon côté mon langage est des plus châtiés. Alors, cause-moi mieux que ça. Me buter ne ramènera pas ton fils à la vie."
Le dialogue se poursuit sur sa lancée et je dois dire qu'il m'a un peu surpris, d'autant plus qu'on a clairement l'impression que les mots français ne collent pas aux mouvements de bouches ni à la gestuelle des comédiens. Après une heure et demi de film de haute volée, cette conclusion mollassonne m'a considérablement déçu. J'ai donc sauvé ma soirée en me préparant un bol de chocapics. Les chocapics, quand ça fait longtemps qu'on en a pas mangé... y'a que ça de vrai.


Reservation Road de Terry George avec Joaquin Phoenix, Mark Ruffalo et Jennifer Connelly (2007)

La Vénus à la fourrure

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Après le décevant The Ghost Writer et le très faible Carnage, Roman Polanski revient en très grande forme. Son précédent film, satire sociale poussive et vaine, lui ressemblait finalement si peu que le voir renouer aujourd'hui avec tout ce qui fait le sel de son cinéma est un plaisir sans limites. La Vénus à la fourrure, huis-clos pour deux acteurs et quatre personnages, nous plonge au cœur d'un vieux théâtre parisien le temps d'une nuit orageuse de studio. Las d'auditionner de jeunes filles écervelées, Thomas, jeune metteur en scène en quête d'une actrice digne de ce nom pour interpréter l'héroïne de son adaptation théâtrale du roman érotique éponyme de Leopold von Sacher-Masoch (l'homme qui donna son nom au masochisme), se laisse convaincre puis guider par une femme sortie de nulle part. Cette belle blonde porte justement le prénom du personnage pour lequel elle vient auditionner, Vanda. Femme mûre quoiqu'au premier abord tout aussi exubérante et vulgaire que les innombrables cruches jusqu'alors évincées par le metteur en scène, elle obtient de jouer avec ce dernier quelques scènes de cette fameuse Vénus à la fourrure. Thomas découvre alors que non seulement cette créature féminine hors du commun connaît la pièce par cœur et s'en est procuré tous les accessoires, mais qu'en prime elle incarne assez mystérieusement le personnage, tant et si bien que l'audition tourne vite à la répétition générale.




Les deux acteurs sur lesquels tout repose, Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric, sont tous deux formidables. Et si le second est comme souvent parfait, la première mérite particulièrement que l'on salue bien bas son courage et son talent, car le cadeau que lui fait son époux en lui offrant ce rôle extraordinaire aurait bien pu finir empoisonné sans son abandon absolu. Si au début du film l'actrice déroute et met presque mal à l'aise par son interprétation d'une caricature de comédienne ratée habillée en pute, déblatérant dans un langage plein de tics modernes insupportables (elle place un "genre…" minimum par phrase), avec masticage de chewing-gum en bonus ; et si ensuite elle inquiète par son surjeu patent dans les tout premiers instants de sa transformation en Vanda, très vite Emmanuelle Seigner, plus sublime que jamais et d'une féminité à tout rompre, devient absolument fascinante, désarmante, et nous étourdit enfin par son art de jongler entre les registres et de faire parfois à elle seule tanguer le film entre réalité et fiction, entre drame et trivialité, passant de la "connasse"à la "déesse" et vice versa comme on marche sur une corde. Si bien que le jeu initial de la comédienne prend peu à peu tout son sens (il fallait que Vanda agace pour surprendre, et ne brille pas trop vite pour ne pas trahir son charme) et que se révèle la parfaite maîtrise dont a su faire preuve l'actrice. Maîtrise qui n'a d'égales que celles de son partenaire de jeu et de son époux et metteur en scène, qui réalise en fin de compte un film parfait, aussi précis qu'ouvert à l'improbable et au déséquilibre, où chaque plan sonne juste et gagnerait à être sondé en profondeur, où des séquences entières fascinent purement et simplement (par exemple par la grâce d'un mouvement d'appareil en gros plan tendu sur la fermeture éclair d'une botte interminable), et dont la complexité et la richesse savent se faire passer pour la plus élégante simplicité. Le film est d'une métadiscursivité permanente et consiste en une vaste et vertigineuse entreprise de mise en abyme pour questionner les rôles et places de l'homme et de la femme, les rôles et places de metteur en scène et de comédienne, et pourtant le propos n'est jamais lourd, le trait jamais grossier. Ni trop sérieux, ni trop ironique, Polanski tient son film avec cette virtuosité qu'on lui a jadis connu.




Comme dans les plus grands films du cinéaste, il n'est question ici que de rapports de force, d'amour et de domination, de sadisme et de masochisme, d'ensorcellement et d'invasion. L'ouverture du film, avec le long et magnifique travelling qui nous fait pénétrer dans le petit théâtre parisien où l'intégralité de ce drame plein d'humour va se jouer, donne le ton. Elle s'achève avec un plan stupéfiant sur Emmanuelle Seigner dans l'entrée de la salle de théâtre, diablesse comme jamais sur fond d'éclairs et de tonnerre, plan qui nous révèle que le mouvement d'appareil précédent, aérien et sûr de lui, présentait la vue subjective de cette succube irrésistible prête à corrompre la victime de son choix toute la nuit durant. Polanski nous plonge ainsi immédiatement dans cet univers fantastique qui va peu à peu se déployer sous nos yeux sans en avoir l'air. Il s'agit une fois de plus chez le cinéaste de l'invasion d'un espace balisé, de la prise de contrôle d'un être par un autre entre quatre murs, et le cinéaste s'y entend pour nous captiver jusqu'au terme de l'envoûtement. Le film monte en puissance sans discontinuer, à l'image du jeu d'Emmanuelle Seigner, qui le dirige pratiquement de l'intérieur. A tel point d'ailleurs qu'elle lui devient indispensable, et qu'on manque de s'effondrer quand on la croit possiblement disparue lorsque Thomas téléphone à sa femme en coulisses. Polanski, maître dans l'art du huis-clos et des espaces fuyants, laisse durer le plan dans toute sa profondeur de champ sur un couloir vide déserté par l'actrice omnipotente et fantasmatique, soudain dérobée à nos regards avides.




Et quel talent faut-il pour terminer son film comme Polanski le fait, après le délicat et délicieux renversement des rôles qui permet à Vanda de rester maîtresse d'un bout à l'autre, y compris quand son personnage est supposé baisser la garde. Elle s'empare du rôle masculin et fait de Thomas une femme avant d'en faire son chien, qu'elle dirige depuis la salle puis mène par une laisse. Polanski achève alors d'inscrire La Vénus à la fourrure dans la droite lignée de son cinéma en travestissant d'abord celui dont il avait dès le départ fait son double (au moins par la coiffure). Après Donald Pleasance déguisé en femme par son épouse insatisfaite (la belle Françoise Dorléac) dans Cul-de-sac, voici Mathieu Amalric maquillé, affublé d'un collier à clous et de talons hauts, attaché à un cactus phallique et finalement transformé en ersatz du Locataire, au bord de la pure folie schizophrénique. Quant à Emmanuelle Seigner, qui reprend son personnage diabolique de La Neuvième porteet sa danse dionysiaque de Lune de fiel, le tout après avoir revêtu une robe de toute beauté digne de celle de Sharon Tate dans Le Bal des vampires, Polanski sublime son éternel rôle de bacchante dans un finale époustouflant qui repousse toutes les attentes et fait brutalement exploser la beauté du film. Avec cette scène incroyable, Polanski tire un trait sur son précedent film en souscrivant clairement aux propos placés dans la bouche de son double fictionnel, Thomas, qui refuse ce monde où toutes les œuvres sont accaparées in extenso par les débats de société les plus plats et où tous les personnages de fiction doivent nécessairement répondre à des critères sociaux absolus : les caricatures du début du film (l'homme de théâtre intello et narcissique, l'actrice idiote et rentre-dedans) sont peu à peu balayés par le film jusqu'à voler en éclats dans la conclusion. Surtout, le cinéaste paraphe et signe un film qui fait de l'intelligence et de l'excès combinés une philosophie, et de même qu'Emmanuelle Seigner, nue bien qu'armée de lumière et de fourrure, ose libérer le monstre sublime qui l'habite sans doute depuis toujours avec force grimaces et langues tirées face caméra et en gros plan, embrassant le grotesque pour le dépasser afin de toucher à l'ivresse et au sublime, de même Roman Polanski renoue avec cet excès libérateur et cette forme de folie consubstantielle de son cinéma qui font de lui l'un des plus grands.


La Vénus à la fourrure de Roman Polanski avec Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric (2013)

Dracula (1979)

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J'ai récemment vu deux adaptations que je ne connaissais pas encore du formidable classique de Bram Stoker : le Dracula 3D de Dario Argento, sorti ce mois-ci, et le Dracula tout court de John Badham, réalisé à la fin des années 70. Du premier, je ne dirai mot : par principe, je n'ai jamais dit du mal de Dario Argento car les amis de mes amis sont mes amis, et il s'agit d'un pote de John Carpenter (même si là, force est de reconnaître que le cinéaste italien offre le bâton pour se faire ruiner la tronche). Au second, je consacrerai ce modeste billet, car il le mérite amplement !

Quand on évoque les adaptations du fameux livre de Bram Stoker, on pense inévitablement au fabuleux Nosferatu de Murnau, à la version de 1930 signée Tod Browning avec l'inimitable Bela Lugosi, au phonétiquement impeccable "Dracula de Coppola" ou aux nombreux films de la Hammer qui opposent l'increvable Christopher Lee au flegmatique Peter Cushing. Sorti dans l'indifférence générale en 1979, à l'heure où le goût était plutôt aux parodies et à la dérision, ce très sérieux et classique Dracula réalisé par John Badham est injustement tombé aux oubliettes et appelle désormais à être reconsidéré et revu à la hausse.


Dracula, encore sur le point de pécho, sous les yeux d'un public éberlué face à son savoir-faire ancestral.

Notons d'abord qu'il s'agit peut-être, avec le Nosferatu de Werner Herzog, de la plus fidèle adaptation de l’œuvre de Bram Stoker, elle met joliment en image des passages hautement cinégéniques du livre qui sont le plus souvent ignorés. Elle nous propose également une incarnation remarquable du personnage éponyme, qui prend ici les traits nobles et gracieux de l'acteur Frank Langella. Son Dracula, séducteur et envoûtant, parvient à exister et à se différencier très subtilement de tous ceux déjà existants. A l'image du reste du casting, Frank Langella offre une prestation très appliquée et concernée. Un esprit qui, on l'imagine aisément, devait animer l'ensemble du plateau, étant donné le soin également apporté par John Badham dans la mise en scène, la magnifique photographie signée Gilbert Taylor jouant idéalement des clair-obscurs, les somptueux décors particulièrement riches en toile d'araignée du château de Dracula, et la musique diablement inspirée de John Williams. Pour revenir aux acteurs : Donald Pleasance est comme toujours excellent dans le rôle du sympathique Docteur Seward, apportant quelques touches d'humour inattendues mais bienvenues, et l'actrice qui joue Mina, Jan Francis, est véritablement à croquer ; seule la prestation de Laurence Olivier pose un peu problème, l'acteur se dotant d'un accent ridicule pour donner vie à un Van Helsing difficilement supportable.


 
 
Petit hommage personnel au joli minois de la méconnue Jan Francis, qui incarne Mina. La voici dans différentes situations, dont une qui n'est pas du tout issue du Dracula de Badham. Hélas, et c'est là l'une des différences avec le livre de Bram Stoker, les personnages de Mina et de Lucy sont étrangement intervertis. La belle Mina devient donc rapidement un vampire relégué au second plan, cet imbécile de Dracula étant plutôt obnubilé par une Lucy au charme beaucoup moins évident... Je répare ici cette terrible injustice faite à cette actrice en lui accordant cette place centrale démesurée.

Ce Dracula, dont je m'étais longtemps tenu éloigné du fait de sa mauvaise et sotte réputation, baigne dans une ambiance gothique, brumeuse et funéraire du plus bel effet, qui aurait sans doute beaucoup plu à l'écrivain irlandais. On se souviendra de cette scène où Dracula, apparaissant d'abord la tête à l'envers vue à travers le carreau de la fenêtre, s'immisce lentement dans la chambre de Lucy puis s'empare brutalement de sa victime. Le film nous propose alors un étonnant trip psychédélique aux couleurs très vives qui tranchent avec l'image quasiment noir & blanc de l'ensemble. Il s'agit de l'une des scènes les plus marquantes d'un film ponctué par quelques fulgurances géniales, comme par exemple cet autre moment où Dracula arrive au cimetière à cheval, au ralenti, au rythme de la musique tonitruante de John Williams.


 
Sur la photo du haut, Frank Langella fait la connaissance de Jan Francis. En-bas, il la mate en cachette alors qu'elle prend son bain.

Alors certes, le film n'est pas entièrement réussi. Son rythme est assez inégal et il s'essouffle un peu dans sa dernière partie, donnant ainsi l'impression qu'il peine à se conclure. Mais tant d'images restent en tête, tant de scènes proposent une illustration amoureuse et inspirée du roman, entre autres qualités précédemment évoquées, que l'on ne peut que recommander chaudement sa vision. Et puis si la fin est laborieuse à venir, le film a tout de même la fort belle idée de nous quitter sur une dernière image sublime où le simple envol d'une cape vers le ciel vient submerger notre imagination et nous donne l'assurance d'avoir bel et bien vu une petite pépite injustement sous-estimée. Redonnons une chance au Dracula de John Badham !


Dracula de John Badham avec Frank Langella, Jan Francis, Donald Pleasance, Laurence Olivier et Kate Nelligan (1979)

Lone Ranger

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Anecdote vraie mais peu connue : Gore Verbinski se rendait tous les jours sur le plateau de Lone Ranger avec des sacs pleins de billets de banque histoire de parvenir à répandre d'une manière ou d'une autre 250 millions de dollars de budget devant la caméra. L'homme était dans un fauteuil avant d'entamer ce film, il venait de réaliser trois épisodes de Pirates des Caraïbes, glanant là près de quatre milliards de dollars de recette et entrant dans le cercle très fermé des réalisateurs les plus rentables du moment, aux côtés de James Cameron, Peter Jackson, Tyler Dupres (le black qui fait des comédies pour blacks qui marchent à mort auprès des blacks) ou Michael Bay. D'où le budget pharaonique alloué au dénommé Goré, réalisateur d'origine malgache, par le studio Walt Disney. Verbinski, tous les matins, en arrivant sur son plateau au guidon d'une trottinette à mille dollars pièce tout en chantonnant le fameux air Still D.R.E. de Dr Dray feat Snoop Doggy Dog, répétait à chacun de ses collaborateurs : "J'ai un boulevaaaaaaaaaard pour détrôner Spielberg".




A regarder le film, on imagine pourtant un conflit d'intérêt entre d'un côté les producteurs de Walt Disney, qui ont manifestement exigé que Verbinski signe un nouveau film d'attraction, un Pirates des Caraïbes bis au farwest, avec son lot de gags à tiroirs bon enfant et de scènes d'action rocambolesques menées par un Johnny Depp grand guignol et cabotin condamné à jouer les Jack Sparow encore un long moment, et de l'autre côté le cinéaste, désireux de s'inscrire dans le genre du western et de le marquer de son empreinte, en signant ce qu'on nous a vendu comme un condensé de tous les films du genre (on s'en tape encore les cuisses), citant sans vergogne Il était une fois dans l'ouest, Le Bon, la brute et le truand ou La Prisonnière du désert, et présentant un certain nombre de scènes violentes baignées par une photographie très sombre et très stylisée. Le film a donc le cul entre deux chaises, et on passe d'une scène où les deux héros tombent d'un train qui déraille à pleine vitesse dans un déluge d'effets spéciaux monstrueux pour se retrouver assis en tailleur avec la banane au milieu des débris, comme dans un cartoon à la con (là où il ne devrait rester d'eux qu'une vague trainée de boyaux même pas identifiable par le FBI), à une autre scène où le méchant du film, reconnaissable à ses cicatrices faciales et à son air mauvais, taille les oreilles au frère du héros, lui fait un sourire mexicain, le viole, lui fait un enfant puis l'étripe. De là, on revient comme si de rien n'était à une nouvelle séquence s'adressant aux nouveaux nés où Johnny Depp, aka Tonto, dialogue avec son cheval comme s'il s'agissait de Petit Tonnerre de Brest dans Yakari. Ce mélange ne prend pas.




Au crédit de Gore Verbinski - et pour prouver notre grandeur d'âme face à un homme qu'on aurait tout de même envie d'éjecter d'un train - il faut reconnaître que le réalisateur a tenté de donner une certaine ampleur à son récit en le dotant d'un schéma narratif pas totalement dégueulasse fait d'allées et venues entre le farwest et le San Francisco des années 30, où un gamin visite un musée dédié à la conquête de l'ouest et, après être passé devant des reconstitutions de grizzlis, de bisons, de rhinos et de dinos, se retrouve nez à nez avec la statue de cire d'un "bon sauvage", qui tout à coup prend vie et se met à lui raconter son histoire. Il s'agit de Johnny Depp grimé en vieil indien, tel Dustin Hoffman dans Little Big Man. Cette introduction nous charmerait presque. D'autant que tous les retours au présent dans le musée sont autant de respirations dans le défilé à la fois exténuant et mal rythmé des aventures de Tonto Scefo et de son copain Ranger. Car le film, en dehors de ça, a tout d'un jeu vidéo effréné et exténuant, surtout dans la dernière scène, festival pyrotechnique où deux trains fous foncent à toute berzingue côte à côte pendant vingt minutes (on se demande pourquoi les ouvriers du chemin de fer naissant se sont à ce point emmerdés à construire deux voies parallèles à dix pas l'une de l'autre sur des kilomètres de distance...), tandis que le Lone Ranger, monté sur son canasson blanc, galope sur le toit des wagons tel Schwarzy dans True Lies, et que Johnny Depp, sorte de Buster Keaton indien (pour lui faire un énorme compliment qu'il ne méritera jamais) passe d'un train à l'autre (les deux machines étant, rappelons-le, lancées à toute allure à flanc de montagnes) en empruntant une immense échelle... Ne cherchez pas.




Durant ce type de scène on repense tout particulièrement aux calmes interludes dans le musée, et on essaie de se dire que Gore Verbinski est peut-être en fait animé de bonnes intentions, mais on pouvait aussi dire ça de Joseph Staline en 1927, et cela ne le dédouane pas d'avoir joué un rôle plus que sombre dans l'histoire du XXème siècle, et d'avoir passé par pertes et profits quelques millions d'usagers. Staline disait : "Un mort, c'est un drame, un million de morts, c'est des stats, un milliard, c'est tout bénéf !". Gore Verbinski s'est fendu d'une réplique du même acabit lors de l'avant-première de Rango en France, au micro de Didier Allouch : "Perdre un euro, c'est un drame, en perdre un million, c'est des stats, en perdre un milliard, c'est tout bénéf !". On ne sait quelle est la part de génie ou d'inconscience qui se cache derrière de telles théories, toujours est-il que Verbinski finit par apparaître comme un anti-capitaliste de première. On est heureux de constater que l'homme ne renie pas son sang communard, hérité de ses arrières-grands-parents polonais, avant que toute la famille Verbinski, qui avait flairé le projet d'Hitler avant l'heure, ne plie les voiles vers Madagascar. Au final, si on refait toute sa vie, on prend Gore Verbinski en affection, car ce communiste parti à Hollywood pour dilapider les fonds des grands studios dans des mascarades cinématographiques de grande ampleur est enfin parvenu à ses fins avec Lone Ranger, qui a coûté près de 500 millions de dollars (marketing inclus, on n'ajoute jamais assez le budget marketing, et Depp est une pompe à fric extraordinaire, y compris pour accorder des interviews toutes connes, affublé de deux montres à chaque poignet, trois foulards, quatre chemises superposées et cinq paires de lunette sur le nez) pour n'en rapporter que 270 en comptant large, worldwide. On appelle ça faire "broken arrow" et ça mérite un petit coup de chapeau. Notre plus grand souhait serait maintenant que Gore Verbinski s'attaque au genre des films de super-héros pour le ravager, tel Jan de Bont, autre européen à la solde du Kremlin infiltré à Los Angeles, qui suicida en son temps le genre des films de maison hantée pour une bonne décade au moins.


Lone Ranger de Gore Verbinski avec Johnny Depp, Armie Hammer et Helena Bonham Carter (2013)

A la merveille

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Dieu vivant il y a un peu moins de deux ans, au nom porteur d'une aura terrible, Terrence Malick semble être aujourd'hui devenu un tocard de première, à l'heure où plus personne ne pense à lui pour établir un beau bilan de fin d'année. Rien d'étonnant quand on essaie de se souvenir de ce triste film. Rien que la bande-annonce de A la merveille (quel titre hideux), ce petit condensé de la bouillie Malick, suffit à vous fendre la rétine en deux, sciée net. Tree of life, qui avait porté un certain nombre de spectateurs parmi nous à ébullition sur grand écran (c'était la première fois de ma vie que je sortais du ciné après 2h18 de supplice en criant au viol), n'était donc pas juste une expérience un peu fumée de la part du grand manitou, c'était la profession de foi d'un vrai "style" revendiqué et ignoble. Avec To the Wonder, le vieillissant Malick s'est définitivement muté en un pur guignol.




Porté aux nues après sa Palme d'Or en 2011, le cinéaste mystérieux a donc déjà atteint ses limites et lassé ses fans avec son esthétique immonde à base d'acteurs qui marchent dans les blés les bras en croix face à mille couchés de soleil, de femmes et d'enfants qui tournoient en riant bêtement sous des jets d'eau dans des jardins, de vues en contre-plongée sur des couples qui s'enlacent en souriant devant des fenêtres aux rideaux blancs soulevés par le vent, de débiles légers qui se toisent de loin en faisant des petits pas chassés sur le sable et s'émerveillent des empreintes de leurs pas et de mouvements de caméra perpétuels, vers l'avant de préférence, sur des amoureux béats qui marchent pieds nus et inspirent tout ce qu'ils peuvent. Sans oublier les raccords dans l'axe, jump cut et faux-raccords à ras-la-gueule, les mouvements circulaires dans le cadre redoublés par ceux de la caméra, les travellings de suivi vaporeux rythmés par un montage poétique à la noix, et les images atroces de balançoires, de parcs pour enfants et d'églises recouvertes en voix-off par des murmures, au choix, lénifiants et débiles (les dialogues sont d'ailleurs tout aussi minables) ou d'une religiosité extatique pas mal exaspérante : "The sky... the sky... you shall love... whether you like it or not... you shall shove it up your ass, pleeeeeeease God help me...".




On ne compte plus les horripilants topoï malickiens, ici ressassés jusqu'à la lie avec une complaisance qui confine à l'auto-parodie. Le "style" Malick apparaît là dans toute sa laideur et toute sa vacuité. Si vous avez vu une seule de ces pubs récentes et toujours insupportables pour des appareils photo ou autres iphones, qui vous vendent, dans un montage de métronome, rythmé par une jolie musique pop ou autre chorale solennelle et euphorique, une suite de "beaux moments", des gens qui écoutent par exemple de la musique en admirant la beauté d'un paysage, qui rient, tournoient sous la neige, s'embrassent dans des starbucks, prennent leur pied devant un coucher de soleil dans le Sahara ou s'extasient devant le spectacle d'une ville portuaire illuminée la nuit, vous pouvez affirmer connaître le Malick dernière mouture sur le bout des doigts, quand bien même vous seriez miraculeusement passé à travers les gouttes des deux dernières saillies de l'illustre imposteur. Comment peut-on tenir d'un bout à l'autre de ce vaste clip publicitaire ridicule ? Cet aspect lisse et séduisant se retrouve même dans le choix des acteurs, de Ben Affleck, playboy sans charisme, à Olga Kurylenko, mannequin russe de derrière les fagots. Certains des plus ardents défenseurs et admirateurs du cinéaste eux-mêmes n'en peuvent plus. N'étant pas un grand fan (doux euphémisme) de l’œuvre de Terrence, j'ai tendance à penser qu'il a malencontreusement réalisé une paire de films non totalement dépourvus de qualités au tout début de sa carrière avant que sa médiocrité criante ne le rattrape. Mais pour ne pas trop froisser les fans de ce monsieur, qui ont déjà maille à partir avec la dernière farce intégrale et pontifiante (cela dure en prime près de deux heures) livrée par leur gourou, cet "merveille" plutôt merdique et, pour tout dire, irregardable, on dira que l'homme est peut-être juste devenu totalement sénile, gâteux, et qu'il fait partie de ces artistes qui ramollissent du cigare en vieillissant, tel Léo Ferré et son attrait tardif pour les macaques. On imagine très bien Malick se faufiler à Cannes l'année prochaine avec une guenon pendue au cou.


A la merveille de Terrence Malick avec Ben Affleck, Olga Kurylenko, Rachel McAdams et Javier Bardem (2013)

Trance

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Ce film est censé te foutre en transe, t'hypnotiser à mort. On sait que 5% de la population est particulièrement sensible à l'hypnose, c'est le cas de James McAvoy dans le film (et dans la vraie vie). Si le nouveau bébé de Danny Boyle se veut hypnotique et envoûtant, à grand renfort d'effets lourdingues digestes pendant la première demi heure de film, alors nous devons faire partie des 95% restant de l'humanité, totalement immunisés contre tout ce qui est transe. Et trans. Le titre est d'ailleurs évocateur puisqu'on sait tous que Rosario Dawson ne porte pas un prénom de mec pour des clopinettes. Elle veut d'ailleurs dans ce film faire étalage de son impeccable vaginoplastie signée Jérôme Cahuzac, à l'époque où il était ministre du budget et grand boucher de la république. Rosario ose le shaved pussy full frontal pour satisfaire les pulsions intimes d'un James McAvoy féru des toiles de Rembrandt et donc allergique aux poils de zob. La scène a fait le buzz sur la toile grâce aux hashtags #shavedpussy, #homeinvasion, #juicypussy, #sea, #sex, #andsun.




But du jeu : retrouver les clés de la bagnole de James McAvoy. Le personnage se fait hypnotiser pendant tout le film pour retrouver ses clés, qui en fait étaient dans sa penderie. Au bout de vingt minutes de film, on comprend que James McAvoy cherche en fait ses clés pour retrouver un tableau de la Renaissance, et qu'il est de mèche avec Vincent Cassel, et que ce dernier s'arracherait les cheveux pour lui faire retrouver ce tableau qui vaut des milliards de dollars. C'est une histoire de voleurs amnésiques, avec Rosario Dawson qui tire les ficelles, qui fomente tout depuis des millions de kilomètres. On a du mal à croire que tant d'informations puissent contenir dans le cerveau de cette actrice. Le script est ultra tordu et c'est sans doute l'un des plus nazes de ces trente dernières décades, le pire étant qu'il a été pondu par deux camés, rencontrés par Boyle sur le tournage de Trainspotting et enfermés depuis tout ce temps entre quatre murs avec un gigantesque petit train mécanique monté sur des rails de coke pour accoucher un script. Boyle était certain que ces deux cons ne sortiraient jamais de leur panic room et qu'ils ne déballeraient pas deux phrases correctement écrites à la suite. Sauf qu'en 2012, toc, toc, toc, qui est là ? Les deux enculés ! Et on a pensé à oit, Danny "the dog" !




Danny Boyle continue son petit bonhomme de chemin, et à chaque fois on se trouve sur sa route... Toujours par malentendu. Derrière Slumdog Millionnaire il y avait la promesse de découcher. DevantSunshine, on espérait décoller vers l'astre suprême. Concernant 127 heures, avouons-le, le pitch nous attirait beaucoup. Et enfin comment éviter La Plage et 128 jours plus tard, la vie de blogueur ciné, ça se mérite... Et puis à l'époque internet n'existait pas et Canal+ était déjà un vrai abreuvoir à merde. Bref, entre Danny Boyle et nous, c'est un jeu du chat et de la souris. Dans les meilleurs cas de figure, on est d'abord séduit par le style et le rythme effréné des films du cinéaste, et quand on dit "d'abord", ça dure vingt secondes, puis on se rappelle que c'est ce qui se fait de pire en termes d'imagerie. Dans le cas de Trance, la mise en scène de Danny "Hard" Boyle ne rattrape pas du tout un scénario enfumé. Au contraire elle ne fait que rendre l'histoire encore plus nébuleuse, et c'est bien la frontière à ne pas dépasser quand on réalise un film de braquage supposé être un minimum lisible pour divertir le chaland (faut dire que nous sommes particulièrement cons, nous n'avons pipé mot). Bref, Boyle, on se retrouvera sans doute pour Porno, ton prochain film, et tu nous devras encore une soirée, vieille enflure. Débranche-toi, laisse pisser les années, déconnecte-toi du web, prends ton temps pour souffler, va flairer l'air des océans, coupe les ponts et pense à toi. Est-ce que tu prends du temps pour toi ? C'est important... Pars. Pars au large.


Trance de Danny Boyle avec Rosario Dawson, James McAvoy et Vincent Cassel (2013)

Bachelorette

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Cette comédie américaine a cela de méprisable qu'elle nous fait vaciller sur nos propres certitudes. Le film fait le portrait de trois jeunes femmes, des trentenaires bien d'aujourd'hui, réunies pour le mariage de leur amie commune. La future mariée (Rebel Wilson) a semble-t-il le défaut ultime d'avoir moins de sex appeal que ses camarades, et d'être notamment en surpoids. D'où la rage qui naît chez les trois pimbèches chargées d'organiser la fête, jalouses, indignées, révulsées que la moins sexy des quatre soit la première à se caser. Kirsten Dunst joue la working girl overbookée apparemment à l'aise dans sa peau mais à deux doigts de la crise de nerf et terriblement solitaire. Lizzy Caplan interprète la brune dynamique et imprévisible, restée coincée sur un échec amoureux datant du lycée mais incapable de le reconnaître pour ne pas froisser son amour propre. Et enfin Isla Fisher incarne corps et âme la demeurée de la bande, hystérique nymphomane, suiveuse naïve et délurée qui multiplie les bourdes et les conquêtes pour faire illusion quant à son triste état, quitte à sombrer dans une attitude autodestructrice qui l'empêche de voir le bonheur lorsqu'il se présente. Le scénario a l'air plutôt finaud dit comme ça, mais gardez à l'esprit qu'on veut seulement bien dépeindre ces trois personnages détestables et que si un jour Leslye Headland, la réalisatrice et scénariste du film, lisait ces lignes, elle serait elle-même sur le cul, car à l'image vous ne trouverez que trois pures connasses rivalisant de connerie et impliquées dans une suite de péripéties minables au sein d'un film irritant, sans rythme, sans humour et sans intérêt.




Et pourtant ce triste film nous a bousculé dans nos convictions. D'abord concernant Kirsten Dunst, que nous respections jadis. Cette jeune femme de notre génération a réussi, joué dans quelques films assez intéressants, fait preuve d'une certaine intelligence dans ses choix (elle n'a jamais tourné avec Tarantino), mais elle se ridiculise ici et s'avère incapable de faire sourire son public. Ensuite, et surtout, ce pauvre film a questionné notre propre éthique et notre rapport aux femmes. Le spectateur mâle de cette daube peut finir par s'interroger sur lui-même et s'auto-soupçonner de misogynie si dès le départ, comme nous, il prend en grippe les trois énergumènes épuisantes qui s'agitent à l'écran et se trouve surpris par une envie de tout casser devant leurs facéties régressives ô combien vulgaires. La pire, dans la course à la grossièreté, étant Lizzy Caplan, qui sort des insanités à intervalles réguliers et finit par créer un malaise palpable. Force est alors de constater qu'on ne supporte pas de voir et d'entendre ces grasseries à longueur de scènes, alors qu'on adore l'immaturité et le langage châtié des personnages incarnés ici ou là par Will Ferrell, John C. Reilly, Adam Sandler, Andy Samberg, Will Forte ou d'autres. Pourquoi rions-nous chez ces messieurs, et pourquoi pleurons-nous chez ces dames ? Au-delà du monde d'humour qui sépare un film comme Bachelorette de films comme Step Brothers, Crazy Dad, Hot Rod, ou MacGruber, ne serait-ce que sur papier, c'est-à-dire avant qu'un homme ou une femme n'interprète les dialogues et les situations en question, au-delà aussi d'un certain talent de comédien essentiel à la comédie (qui pourrait décemment comparer Will Ferrell et Lizzy Caplan ?), on en vient à se demander si une petite pointe de misogynie ne s'en mêlerait pas dès lors que nous ne tolérons pas la vulgarité crasse de ces demoiselles quand nous en redemandons à ces messieurs.




Sauf qu'il se trouve que nous sommes d'authentiques fans de la dénommée Melissa McCarthy qui, dans le registre de l'humour qui tache, se place là. L'actrice n'a pas son pareil dans le domaine de l'obscénité débitée sur un flow presque incontinent. Vous nous direz peut-être, et nous y avons nous-mêmes pensé, que, dans notre prétendue misogynie, nous acceptons d'une femme moins immédiatement sexy ce que nous refusons chez des jeunes premières qui correspondent aux standards de beauté des podiums hollywoodiens (Dunst, Caplan, Fischer y correspondent toutes plus ou moins). Mais le fait est que nous rions aussi, quand elle nous y aide un brin, aux facéties de Kristen Wiig (dans Mes Meilleures amies, d'ailleurs aux côtés de Melissa McCarthy, ou dans Walk Hard, où elle est l'épouse de John C. Reilly), comédienne dont le physique n'est pas à proprement parler ingrat, comme nous rions des pitreries de Sandra Bullock, actrice hollywoodienne-type (au même titre que Kirsten Dunst), qui a maintes fois élargi son registre à la comédie, souvent pour le pire, parfois pour le meilleur, comme dans Les Flingueuses, en side-kick de la sus-nommée Melissa McCarthy.




En définitive, le vrai problème d'un film comme Bachelorette n'est donc pas notre supposée misogynie mais bien, d'une part, sa médiocrité (le film n'est jamais drôle), et, d'autre part, ses personnages, qui ne sont rien d'autre que trois parfaites ordures. Le film oublie, avouez que c'est dommage, de nous rendre son trio de trentenaires attachant. Bachelorette veut s'inscrire dans la mouvance de Very Bad Trip en tournant le scénario au féminin, sauf que ce film modèle, si imparfait soit-il, pense à ne pas détester ses personnages et présente trois individus très différents mais pas forcément détestables. Si l'on aime certains personnages d'adolescents attardés, de machos débiles, de sales gosses, de prétentieux narcissiques, de grands naïfs ou de désespérés sentimentaux incarnés par Will Ferrell, Steve Carell, Zach Galifianakis, Adam Sandler, Will Forte, Will Arnett ou Jim Carrey, c'est parce qu'ils sont d'abord attachants, sympathiques, aimables et un peu humains. Impossible de rire avec les trois héroïnes infectes de Bachelorette,qui passent le film à mépriser leur amie obèse, à la jalouser, à ruiner consciencieusement son mariage et à sortir des horreurs sur elle sans discontinuer. On s'attendrait à ce que cette attitude ne soit que le point de départ de l'histoire, menant à un rachat quasi immédiat afin que les personnages récupèrent vite notre empathie, mais les trois débiles hautaines et méprisantes du départ sont toujours aussi pourries à la fin, et l'on se demande encore comment des auteurs de comédies (Apatow tombe aussi très souvent dans ce travers, par exemple avec le récent 40 ans mode d'emploi - et la France n'est pas de reste, de l'horrible Le Prénomà la série Platane d'Eric Judor) peuvent espérer nous captiver et nous donner envie de rire à gorge déployée en déployant sous nos yeux, et pendant des heures, une ribambelle de connards et de connasses imbuvables. C'est un peu comme aller à un one man show de Nicolas Bedos. Comment rire ?


Bachelorette de Leslye Headland avec Kirsten Dunst, Lizzy Caplan, Isla Fisher et Rebel Wilson (2012)
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